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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 5 septembre 2024, n° 23/10478

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 23/10478

5 septembre 2024

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 05 SEPTEMBRE 2024

N° 2024/483

Rôle N° RG 23/10478 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLXX4

[Z] [L]

C/

[M] [X]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Cécile ALBISSER

Me Diane D'ORSO BIANCHERI

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de proximité de Martigues en date du 04 Juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 12-23-000247.

APPELANTE

Madame [Z] [L]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2023-005707 du 20/09/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le 23 Mai 1980 à [Localité 2],

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Cécile ALBISSER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMÉ

Monsieur [M] [X],

née le 25 Novembre 1951 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Diane D'ORSO-BIANCHERI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Florence PERRAUT, Présidente, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Florence PERRAUT, Présidente

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Mme Angélique NETO, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2024,

Signé par Mme Florence PERRAUT, Conseillère et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 1er mai 2014, monsieur [M] [X], a consenti à madame [Z] [L] et monsieur [K] [J] , un bail à usage d'habitation pour un appartement de typeT4, sis '[Adresse 5] (13), pour une durée de trois années, moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 580 euros révisable annuellement, outre 164 euros à titre de provision sur charges.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 décembre 2017, Mme [L] a sollicité la modification du droit au bail et la suppression de M. [J], en raison de leur séparation et du départ de ce dernier.

Se prévalant de ce que les loyers n'avaient pas été réglés, M. [X] a fait délivrer à Mme [L], un commandement de payer visant la clause résolutoire, le 21 décembre 2022, aux fins d'obtenir le paiement de la somme de 1 954,04 euros au principal.

Considérant que les causes du commandement étaient restées infructueuses, par acte d'huissier en date du 30 mars 2023, M. [X], a fait assigner Mme [L], devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Martigues, qui par ordonnance du 4 juillet 2023, a :

- rejeté les moyens soulevés par Mme [L] au titre des dispositions de l'article 834 et 835 du code de procédure civile et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

- constaté la résiliation du bail, liant les parties en raison de l'acquisition de la clause résolutoire, au 22 février 2023 ;

- condamné Mme [L] au paiement de la somme de 1999,76 euros au titre de la dette locative, arrêtée au 24 mai 2023, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

- suspendu les effets de la clause résolutoire ;

- accordé des délais de paiement par 35 mensualités de 56 euros, et un dernier versement représentant le solde, effectué au plus tard le 10ème jour de chaque mois et pour la première fois dans le mois suivant la signification de la décision ;

- à défaut :

* la totalité de la somme due, deviendrait totalement exigible ;

* dit que la clause résolutoire reprendrait son plein effet ;

* faute de départ volontaire des lieux loués, son expulsion serait ordonnée dans le délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à libérer les lieux, conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants, R. 411-1 er suivants, R. 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, au besoin avec le concours de la force publique ou l'aide d'un serrurier ;

* Mme [L] serait condamnée au paiement, à titre provisionnel, d'une indemnité d'occupation égale au dernier loyer échu, charges en sus, révisable aux conditions du bail ;

- débouté les parties de leurs demandes amples ou contraires.

Selon déclaration reçue au greffe le 4 août 2023, Mme [L] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes les dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 14 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle réforme la décision entreprise et statuant à nouveau, qu'elle :

- à titre principal :

* relève l'incompétence du juge des référés et renvoie M. [X] à mieux se pourvoir devant le juge du fond ;

* déboute M. [X] de ses demandes ;

- à titre subsidiaire :

* constate l'atteinte disproportionnée de la demande et la mesure d'expulsion sollicitée au droit de la vie privée, familiale et au domicile ;

* déboute M. [X] de ses demandes ;

- à titre infiniment subsidiaire :

* déboute M. [X] de sa demande en paiement de la somme de 1954,04 euros ;

* lui accorde un délai de 36 mois dans l'hypothèse d'un éventuel reliquat locatif ;

- en tout état de cause :

* condamne M.[X] à lui régler la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour la première instance, outre les entiers dépens.

Par dernières conclusions transmises le 7 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [X] sollicite de la cour qu'elle confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise, déboute Mme [L] de ses demandes et la condamne à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance en date du 16 mai 2024.

MOTIFS

Sur l'exception d'incompétence du juge des référés

Dès lors que les moyens tirés de l'absence d'urgence, de l'existence de contestations sérieuses et de l'absence d'un trouble manifestement et/ou d'un dommage imminent ne constituent pas une exception de procédure mais des moyens de nature à faire obstacle aux pouvoirs du juge des référés, l'appelante n'apporte pas la preuve de l'incompétence du juge des référés pour se prononcer sur la recevabilité et le bien fondé de l'action exercée par M. [X].

Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soutenue par Mme [L].

Sur l'atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale et au domicile

L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

En l'espèce, Mme [L] a été autorisé à se libérer de sa dette en 36 mensualités (35 mensualités de 56 euros et un dernier versement pour le reliquat) et l'effet de la clause résolutoire a été suspendue. M. [X] ne sollicite pas l'infirmation de la décision du premier juge sur ces chefs de demande.

Mme [L] a donc la possibilité de solder sa dette, de se maintenir dans les lieux ainsi que celle de trouver un nouveau logement à louer, sur une période de trois années.

Aucune atteinte disproportionnée n'est établie eu égard au respect de sa vie privée et familiale et au domicile.

L'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté le moyen de Mme [L] tiré de cette atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et famililale et au domicile.

Sur l'acquisition de la clause résolutoire et le constat de la résiliation du contrat

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du même code dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection, dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En vertu de ces textes, il est possible, dans le cadre d'une procédure en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de location en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre conformément aux dispositions d'ordre public de la loi applicable en matière de baux d'habitation.

Aux termes de l'article 7 a de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus.

A cet égard, l'article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 dispose que toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ne produit effet que deux mois après un commandement de payer, demeuré infructueux.

En l'espèce le contrat de bail comporte à la page 3, article XI, une clause résolutoire ainsi rédigée, 'à défaut de paiement de tout ou partie d'un seul terme de loyer, des charges justifiées, du dépôt de garantie et deux mois après un commandement demeuré infructueux, le contrat sera résilié immédiatement et de plein droit...le locataire peut demander au juge de lui accorder des délais de paiement. Le commandement de payer doit être délivré par l'intermédiaire d'un huissier de justice, qui doit, à peine d'irrecevabilité, notifier l'assignation aux fins de constat de la résiliation du bail au représentant départemental de l'Etat au moins deux mois avant l'audience. Si le locataire refuse de quitter les lieux, il pourra y être contraint par ordonnance de référé'.

Il n'est pas contesté par Mme [L] qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire lui a été délivrée par acte du 21 décembre 2022, pour la somme de 1 954,04 euros au titre de l'arriéré locatif.

Or au vu du décompte locatif versé aux débats par M. [X] il est établi que cette somme n'a pas été réglée dans les deux mois de sa délivrance.

Par conséquent il conviendra de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail en raison de l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers au 22 février 2023.

Sur la demande de provision portant sur les loyers, et charges

Par application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.

Ainsi le paiement des loyers et charges aux termes convenus dans le contrat de location constitue une obligation essentielle du locataire, ce qui résulte tant de l'article 7a de la loi du 6 juillet 1989 que du bail signé entre les parties.

L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, au vu du décompte versé aux débats par M. [X], Mme [L] est redevable de la somme de 1999,76 euros au titre de la dette locative arrêtée au 24 mai 2023, hors frais de procédure.

Les versements effectués de Mme [L] sur la période de juin à décembre 2022, dont ceux des mois de mai et juin 2022, ont été intégrés au décompte du bailleur.

Ainsi, Mme [L] justifie des paiements suivants :

- mai 2022 :

- 24 juin 2022 : 336,34 euros

- 21 juillet 2022 : 313,50 euros

- 19 aout 2022 : 481,67 euros

- 17 octobre 2022 : 481,67 euros

Jusqu'au mois de mai 2023, Mme [L] justifie des paiements suivants :

- 2 février 2023 : 481,67 euros

- 16 janvier 2023 : 481,67 euros

L'ensemble de ces paiements apparaît au décompte de M. [X]. Le montant de la dette locative retenu par le premier juge n'est donc pas sérieusement contestable.

Par conséquent, il conviendra de confirmer l'ordonnance entreprise en ce que Mme [L] a été condamnée à payer à M. [X] la somme de 1999,76 euros à titre provisionnel, au titre de la dette locative arrêtée au 24 mai 2023.

Sur la demande de délais de paiement et de suspension de la clause résolutoire

L'article 24 V de la loi du 6 juillet 1989 dispose que le juge peut, même d'office accorder des délais de paiement dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l'article 1343-5 du code civil, au locataire en situation de régler sa dette locative ... Pendant le cours des délais ainsi accordés, les effets de la clause de résiliation de plein droit sont suspendus. Ces délais et modalités de paiement accordés ne peuvent affecter l'exécution du contrat de location et notamment suspendre le paiement des loyers et charges. Si le locataire se libère dans le délai et selon les modalités fixées par le juge, la clause de résiliation de plein droit est réputée ne pas avoir joué. Dans le cas contraire, elle reprend son plein effet.

Aux termes de l'article 1345-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En application des dispositions de ces textes, des délais de paiement peuvent donc être accordés, dans la limite de 36 mois, au locataire de bonne foi qui démontre avoir fait des efforts pour apurer sa dette locative et qui est en mesure d'assumer la charge d'un plan d'apurement de celle-ci en sus du paiement des loyers et charges courants.

En l'espèce, M. [X] ne sollicite pas l'infirmation de la décision entreprise en ce que la suspension de la clause résolutoire et des délais de paiement sur 36 mois ont été octroyés à Mme [L], selon les modalités suivantes :

- 35 mensualités à 56 euros (1960 euros)

- La dernière mensualité représentant le solde restant dû

Mme [L] sollicite également des délais de paiement sur 36 mois.

Par conséquent, il conviendra de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a octroyé à Mme [L] des délais de paiement et suspendu l'acquisition de la clause résolutoire et à défaut, dit que :

* la totalité de la somme due, deviendrait totalement exigible ;

* dit que la clause résolutoire reprendrait son plein effet ;

* faute de départ volontaire des lieux loués, son expulsion serait ordonnée dans le délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à libérer les lieux, conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants, R. 411-1 et suivants, R. 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, au besoin avec le concours de la force publique ou l'aide d'un serrurier ;

* Mme [L] serait condamnée au paiement, à titre provisionnel, d'une indemnité d'occupation égale au dernier loyer échu, charges en sus, révisable aux conditions du bail, soit 771,79 euros.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné Mme [L] aux dépens de l'instance, et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant, Mme [L] sera condamnée à supporter les dépens d'appel, qui seront recouvrés en application de la loi du 10 juillet 1911, celle-ci bénéficiant de l'aide juridictionnelle totale.

Elle sera condamnée à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa demande formulée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne Mme [Z] [L] à payer à M. [M] [X] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [Z] [L] de sa demande formulée sur le même fondement ;

Condamne Mme [Z] [L] à supporter les dépens d'appel.

La greffière La présidente