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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 5 septembre 2024, n° 22/06852

LYON

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocat :

Me Durand

T. com. Saint-Etienne, du 20 sept. 2022,…

20 septembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La société 2C Ingénierie exerçait une action d'ingénierie financière, conseil, prestations administratives et comptables et était gérée par Mme [H] [L].

Par jugement du 6 mars 2019, sur assignation de la société Média Sport Promotion, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a ouvert à une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société 2C Ingénierie. Par jugement du 10 avril 2019, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire et la Selarl MJ Alpes a été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par requête du 7 janvier 2022, le procureur de la République de Saint-Étienne a saisi le tribunal de commerce de Saint-Étienne aux fins de voir prononcer une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de Mme [L].

Par jugement contradictoire du 20 septembre 2022, le tribunal de commerce de Saint-Étienne a :

prononcé l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 3 ans à l'encontre de Mme [H] [N] [K] [L], [Adresse 2], née le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 6] de nationalité française,

dit que les publicités du présent jugement seront faites d'office par le greffier,

dit qu'en application des dispositions des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,

ordonné l'exécution provisoire de la présente décision nonobstant appel et sans caution.

Mme [L] a interjeté appel par acte du 13 octobre 2022.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 25 septembre 2023 fondées sur les articles L. 624-1, R. 624-1 et L. 653-5 du code de commerce, Mme [L] a demandé à la cour , rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires, de :

réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, plus largement,

rejeter toute demande de sanction à son encontre.

Le ministère public, par avis du 8 décembre 2022 communiqué contradictoirement aux parties le 14 décembre 2022, a demandé à la cour de confirmer le jugement déféré condamnant Mme [L] à une interdiction de gérer d'une durée de 3 ans.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 26 septembre 2023, les débats étant fixés au 5 octobre 2023 puis renvoyés à l'audience du 6 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des moyens et motifs des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le principe de la sanction

À l'appui de sa position, Mme [L] fait valoir que :

la société 2C Ingénierie n'avait pas de salariés et une activité limitée, et avait totalement interrompu son activité en 2016,

l'absence de tout flux financier à compter de cette période ne nécessitait pas la tenue d'une comptabilité,

en considération de la mise en sommeil de la société depuis 2016 et de l'absence d'activité, l'absence de tenue d'une comptabilité ne constitue pas un manquement grave et ne créé aucun grief,

il n'y a pas eu de retard dans la déclaration de la cessation de paiement, cette date ayant été fixée au jour du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire,

elle a coopéré avec les organes de la procédure et a fourni tous les documents nécessaires au mandataire liquidateur,

la seule absence de comptabilité n'est pas de nature à entraîner le prononcé d'une sanction car il faudrait qu'elle ait eu des conséquences notamment avec un retard dans al déclaration de la cessation de paiement ou la création d'un obstacle dans l'exercice des missions des organes de la procédure,

il est inopérant que le passif ne soit pas vérifié, d'autant plus qu'il existe un appel concernant un contentieux relatif à une fraude fiscale,

le liquidateur judiciaire a une position surprenante en retenant une faute relative à l'absence de comptabilité alors que la société n'avait plus d'activité depuis 2016,

la masse des créanciers n'a subi aucun préjudice,

en l'absence de vérification du passif, l'appelante ne peut contester les dettes déclarées,

l'absence de lien de causalité entre la faute invoquée et le passif de la société.

Pour sa part, Mme La Procureure Générale a fait valoir que :

l'absence de tenue d'une comptabilité par l'appelante, permet de prononcer une faillite personnelle à l'encontre de tout dirigeant en application de l'article L653-6 du code de commerce, ou une mesure d'interdiction de gérer sur le fondement de l'article L653-8 du même code,

le défaut de remise de la comptabilité par le dirigeant malgré les demandes réitérées du mandataire judiciaire équivaut à l'absence de comptabilité,

l'absence de mention au RCS de la mise en sommeil de la société imposait la poursuite de la tenue d'une comptabilité,

l'appelante n'a pas déposé les comptes de la société depuis l'exercice clos le 31 décembre 2014,

l'appelante n'a pas répondu aux demandes du liquidateur judiciaire,

aucune comptabilité ou justificatif n'est produit à hauteur d'appel par Mme [L],

l'appelante tente d'entretenir une confusion entre l'absence de comptabilité et le passif, alors que la présente instance ne porte pas sur une action en responsabilité pour insuffisance d'actifs, mais sur le prononcé d'une sanction,

le constat du manquement légal permet de prononcer une interdiction de gérer,

le quantum du passif est indifférent et n'est pas un motif de sanction,

l'absence de vérification du passif en l'absence d'actifs à recouvrer n'a pas de conséquence sur le prononcé d'une sanction, étant rappelé que Mme [L] n'a pas contesté la situation auprès du liquidateur,

il existe une dette au profit de la société MSP pour un montant de 7.000 euros HT comme le démontre le protocole transactionnel versé aux débats par l'appelante,

il est nécessaire de confirmer la sanction prononcée en première instance.

Sur ce,

L'article L653-3 du code de commerce dispose :

Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;

2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;

4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée.

Eu égard aux conclusions de Mme [L] et au jugement déféré, il convient d'analyser le grief retenu par les premiers juges et repris à hauteur d'appel par l'intimée et portant sur la disparition de la comptabilité, l'absence de comptabilité ou la tenue d'une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière.

S'agissant de l'absence de tenue régulière de comptabilité, ce grief est constitué lorsque la comptabilité n'est pas tenue, ou incomplète et comportant des éléments insuffisants à caractériser l'activité exacte de la société.

L'appelante entend faire valoir que la société 2C Ingénierie n'avait pas de salariés et une activité limitée, voire interrompue depuis l'année 2016, ce qui lui permettait de ne pas établir de comptabilité en l'absence de tout flux financier.

Or, il est relevé en prenant connaissance des éléments transmis par l'intimée qu'aucune mention de mise en sommeil de la société n'est présente au K Bis ni sur aucun autre document officiel concernant la société.

Cela signifie dès lors que la société 2C Ingénierie devait tenir une comptabilité pour chaque exercice même si elle ne disposait plus d'activité en raison de l'obligation légale qui y est liée, sans compter que cette comptabilité devait être transmise pour les déclarations nécessaires auprès des administrations sociales et fiscales.

Par ailleurs, la consultation de la fiche de la société sur Infogreffe également versée aux débats permet le constat de l'absence de dépôt des comptes depuis l'année 2014.

En appel, Mme [L] ne fournit aucun élément relatif à la comptabilité ou permettant de démontrer qu'une action de mise à jour aurait été mise en 'uvre.

Concernant le moyen soulevé par l'appelante mettant en avant le fait que le passif n'est pas d'une grande importance, il est inopérant étant rappelé que la présente instance n'a pas pour objet une action en responsabilité pour insuffisance d'actifs mais porte sur le prononcé d'une éventuelle sanction à l'encontre du dirigeant de l'entreprise qui n'aurait pas respecté les obligations légales mises à sa charge.

De fait, ce moyen ne peut qu'être écarté.

In fine, il ne peut qu'être constaté que Mme [L], présidente de la société 2C Ingénierie, avait pour obligation, puisque la société n'avait été ni liquidée amiablement, ni mise en sommeil dans le respect des procédures, de fournir pour chaque année d'exercice une comptabilité exacte.

Cette obligation n'ayant pas été respectée, le grief reproché à l'appelante est constitué, ce qui ouvre à la voie au prononcé d'une sanction.

Dès lors, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur le quantum de la sanction

L'article L653-8 alinéa 1 du code de commerce dispose que dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

Il convient de tenir compte de la particularité de la faute commise par Mme [L] qui, de par son existence permet de dissimuler l'activité de la société mais lui permet également de se soustraire au paiement de tout impôt ou de cotisations sociales sur la période pendant laquelle plus aucune comptabilité n'est tenue.

Il doit être également retenu que Mme [L] est une dirigeante de société avertie, puisqu'elle dirige plusieurs sociétés, sans compter que la société 2C Ingénierie avait pour activité « l'ingénierie financière, le conseil, les prestations administratives et comptables », ce qui démontre ses connaissances dans le domaine.

Eu égard à la nature de la situation et du grief retenu, une mesure d'interdiction de gérer apparaît adaptée et proportionnée à la situation de Mme [L], ce, d'autant plus pour une durée de trois ans.

En conséquence, il convient de confirmer la décision déférée concernant la nature de la sanction prononcée à l'encontre de Mme [L] ainsi que son quantum.

Sur les demandes accessoires

Mme [L] échouant en ses prétentions, elle sera condamnée à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel

Confirme la décision déférée dans son intégralité,

Y ajoutant

Condamne Mme [H] [L] à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel.