CA Lyon, 3e ch. A, 5 septembre 2024, n° 23/04162
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Betton, Me Malatray, Me Nouvellet
EXPOSÉ DU LITIGE
M. et Mme [J] étaient les dirigeants de la société Alliance bâtiment.
Par jugements des 2 septembre 2020 puis 11 octobre 2021, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a prononcé le redressement puis la liquidation judiciaire de la société Alliance bâtiment. La Selarl MJ synergie a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par requête du 22 novembre 2022, le procureur de la République a saisi le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse afin que soit prononcée une sanction à l'encontre de M. [J] et de Mme [J].
Par jugement contradictoire du 3 mai 2023, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a :
- prononcé une interdiction de gérer directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale à l'encontre de : M. [B] [J], né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 9] (Turquie) et Mme [M] [C] [J] née le 1970 à [Localité 9] (Turquie), dirigeants de la société Alliance bâtiment, pour une durée de 12 ans,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement et dit qu'il fera l'objet des mesures de publicité prévues par la loi,
- emploie les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
M. et Mme [J] ont interjeté appel par déclaration du 19 mai 2023.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 30 juin 2023, M. et Mme [J] demandent à la cour, au visa des articles L.643-8 et l'article L.653-5 et suivants du code de commerce, de :
- les juger recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et conclusions,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse le 3 mai 2023, en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
prononcé une interdiction de gérer directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale à l'encontre de M. [B] [J] né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 9] en Turquie et Mme. [M] [C] [J], née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 9] en Turquie, dirigeants de la société Alliance bâtiment sas, [Adresse 5], SIREN 813 521 838- RCS Lyon PC 41220172, pour une durée de 12 ans,
ordonné l'exécution provisoire du présent jugement et dit qu'il fera l'objet des mesures de publicité prévues par la loi,
employé les dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire ;
Statuant a nouveau :
- dire n'y avoir lieu à sanction,
Et, en conséquence,
- débouter M. le procureur de la République de ses demandes telles que formulées à leur encontre,
- réduire, à titre subsidiaire, dans de plus justes proportions la durée de la mesure d'interdiction de gérer dont il est sollicité le prononcé à leur encontre,
- dire que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 5 juillet 2023, la selarl MJ synergie, ès-qualités, demande à la cour, de :
- confirmer purement et simplement le jugement entreprise en toutes ses dispositions,
- condamner M. et Mme [J] à lui verser, ès-qualités, une somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. et Mme [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement.
Le ministère public, par avis communiqué contradictoirement aux parties le 20 juillet 2023, a requis :
- à titre principal la confirmation du jugement du tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse du 3 mai 2023 condamnant M. [B] [J] et Mme [M] [C] [J] à une interdiction de gérer d'une durée de 12 ans chacun avec exécution provisoire,
- à titre subsidiaire, le prononcé d'une interdiction de gérer d'une durée de dix ans avec exécution provisoire pour M. [B] [J] et de six ans avec exécution provisoire de Mme [M] [C] [J].
La procédure a été clôturée par ordonnance du 28 mai 2024, les débats étant fixés au 6 juin 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la mesure d'interdiction de gérer
M. et Mme [J] font valoir que :
- ils ont collaboré avec les organes de la procédure ;
- s'ils n'ont pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours, cette omission n'avait aucun caractère volontaire et délibéré ;
- subsidiairement, le fait que M. [J] a déjà connu une procédure de liquidation judiciaire ne peut suffire à lui seul, à justifier une mesure d'interdiction de gérer pour une durée aussi longue que celle retenue par le tribunal, et Mme [J] n'a aucun antécédent commercial et est actuellement sans emploi, de sorte qu'ils sollicitent la réduction, dans de plus justes proportions, de la mesure d'interdiction de gérer.
Le liquidateur judiciaire réplique que :
- la société Alliance bâtiment a été immatriculée peu après que l'EURL [Localité 10] construction, dirigée par M. [J], ait été placée en procédure collective ; celui-ci a également été dirigeant de la société Art construction qui a fait l'objet d'une procédure de redressement puis de liquidation judiciaire en 2008 avec une insuffisance d'actif de 245.017 euros ; la présente procédure de liquidation est donc la troisième dans laquelle M. [J] est impliqué en tant que dirigeant ; Mme [J] n'était que gérante fictive de la société Alliance bâtiment ;
- M. et Mme [J] n'ont pas pleinement collaboré aux opérations de liquidation, aucun recouvrement de client n'a pu intervenir ; ils n'ont pas communiqué dans le mois suivant le jugement d'ouverture la liste des créanciers, ce qui démontre leur mauvaise foi et leur abstention volontaire faisant obstacle au bon déroulement de la procédure ; ils n'ont pas déclaré la cessation des paiements dans le délai légal de quarante-cinq jours ; l'actif a été réalisé pour la somme de 8.190 euros alors que le passif déclaré et vérifié est de 404.388 euros, il n'a pas été possible d'établir les arrêtés de chantier pour les travaux qui étaient en cours, la balance clients éditée le 1er septembre 2021 n'était pas crédible.
Sur ce,
Selon l'article L. 653-8 du code de commerce :
'Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'
Le jugement d'ouverture du redressement judiciaire, en date du 2 septembre 2010, a fixé la date de cessation des paiements au 1er mars 2019. Or, aux termes de ce jugement, confirmé par un arrêt de la présente cour en date du 4 mars 2021, c'est sur saisine d'un créancier de la société Alliance Bâtiment que le tribunal a prononcé l'ouverture du redressement judiciaire. Il s'avère ainsi, que M. et Mme [J] n'ont pas déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai de quarante-cinq jours, ce qu'ils ne contestent pas.
De plus, il résulte du rapport établi pas le mandataire judiciaire le 19 octobre 2020 et des lettres produites aux débats confirmant ce rapport, que 'la société Alliance Bâtiment n'a pas remis la liste de ses créanciers malgré les très nombreux courriers qui lui ont été adressés (lettres RAR + mail les 21 septembre et 7, 14 et 15 octobre 2020)'. Or, cet élément est requis, en application de l'article L. 622-6 du code de commerce. Le manquement à ce titre est donc également caractérisé.
Enfin, il résulte des échanges d'e-mails entre le mandataire liquidateur et le cabinet CM Expertise entre novembre 2021 et janvier 2022, que M. et Mme [J] n'ont pas pleinement collaboré aux opérations de liquidation.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la sanction d'interdiction de gérer, prononcée à l'encontre de M. [J] et également à l'encontre de Mme [J], est fondée, de sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le quantum de la sanction, aux termes du rapport aux fins de sanctions établi par le liquidateur judiciaire le 21 novembre 2022, il s'est avéré que Mme [J] n'était qu'une 'gérante de paille', 'celle-ci se trouvant dans l'incapacité de répondre à la moindre question posée par le tribunal de Bourg-en-Bresse au moment du rappel de l'affaire à la première audience', M. [J] ayant repris la gérance de la société le 20 avril 2021.
Quant à M. [J], il a précédemment été le gérant de la société Art Construction qui a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire le 11 janvier 2008, dont l'insuffisance d'actif s'est élevée à la somme de 245.072 euros. Il a ensuite été dirigeant de la société [Localité 10] Construction, également placée en procédure collective le 6 mai 2015, étant observé que la société Alliance Bâtiment a été immatriculée le 1er octobre 2015. C'est donc la troisième procédure collective que connaît M. [J] qui ne pouvait ignorer ses obligations et les délais qui s'imposaient à lui.
Enfin, il convient de relever que le passif déclaré et vérifié est de 404.388 euros, alors que l'actif réalisé est de 8.190 euros.
Compte tenu de ces éléments, il convient de réduire la durée de l'interdiction de gérer telle que prononcée par le tribunal et de la fixer à dix ans pour M. [J], et six ans pour Mme [J]. Le jugement sera donc infirmé de ce seul chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront tirés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité commande de rejeter la demande formée à ce titre par la Selarl MJ Synergie.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement déféré, en ce qu'il prononce une interdiction de gérer à l'encontre de M. [B] [J] et de Mme [M] [C] [J], dirigeants de la société Alliance Bâtiment S.A.S, avec exécution provisoire ;
L'infirme en ce qu'il prononce l'interdiction de gérer pour une durée de douze ans ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce l'interdiction de gérer à l'encontre de M. [B] [J] pour une durée de dix ans ;
Prononce l'interdiction de gérer à l'encontre de Mme [M] [C] [J] pour une durée de six ans ;
Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire ;
Rejette la demande formée par la Selarl MJ Synergie au titre de l'article 700 du code de procédure civile.