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Décisions

CA Agen, ch. civ., 30 août 2024, n° 24/00035

AGEN

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douchez-Boucard

Conseillers :

Mme Schmidt, M. Leclainche

Avocats :

Me Nonnon, Me Ducrocq, Me Vimont

TJ Auch, du 9 nov. 2023, n° 21 01420

9 novembre 2023

FAITS ET PROCÉDURE

Selon acte reçu le 28 mai 2013 par Me [L] [I], notaire associée à [Localité 18], M. [H] [U], agriculteur, a consenti à son épouse née [Y] [O] un bail emphythéotique portant sur deux parcelles cadastrées section C, numéros [Cadastre 6] et [Cadastre 7], au [Localité 16], commune d'[Localité 15] (Gers), pour une superficie respective de 01 ha 95 a 39 ca et de 00 ha 49 a 50 ca, en nature de terre et de pré.

A compter du 1er juin 2013, Mme [Y] [O] a exercé l'élevage de volailles en qualité d'exploitante agricole au [Localité 16], commune d'[Localité 15] (Gers).

Par jugement du 27 janvier 2022, publié le 10 février 2022, le tribunal judiciaire d'Auch a ordonné l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de Mme [Y] [O] et a désigné Mme [X] [S] en qualité de juge commissaire et Me [D] [A] en qualité de mandataire judiciaire.

Le 21 février 2022, Me [B] [W], commissaire-priseur à [Localité 14], a établi un inventaire descriptif et estimatif des actifs immobiliers appartenant à Mme [Y] [O].

Un jugement a prolongé la période d'observation.

Le 17 octobre 2022, Me [D] [A] a déposé un rapport tendant au prononcé de la liquidation judiciaire sur conversion de la procédure de redressement.

Par jugement du 24 novembre 2022, publié le 7 décembre 2022, le tribunal judiciaire d'Auch a prononcé la liquidation judiciaire de Mme [Y] [O], désigné Me [D] [A] en qualité de liquidateur et maintenu Mme [X] [S] en qualité de juge commissaire.

Par requête du 1er Novembre 2023, le liquidateur a demandé au juge commissaire de faire vendre aux enchères le mobilier, le matériel et les stocks dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire de Mme [Y] [O].

Par ordonnance du 9 novembre 2023, le juge commissaire a donné avis favorable pour que Me [B] [W], commissaire-priseur à [Localité 14], procède à la vente aux enchères des biens de Mme [Y] [O].

Cette ordonnance a été notifiée à Me [D] [A], à Mme [Y] [O] et à Me [B] [W] par lettre du 14 novembre 2023.

Par courrier du 15 décembre 2023, l'avocat de M. [H] [U] a notamment indiqué au liquidateur que la parcelle cadastrée section C numéro [Cadastre 3] appartenait indivisément à Mme [Y] [O] et à lui-même. Il déduisait de l'article 552 du code civil que les bâtiments édifiés sur cette parcelle appartenaient aux deux ex-époux, ainsi que les immeubles par destination rattachés aux bâtiments (radiants, silos, coffrets électriques, chaînes alimentaires, pipettes linéaires, vis sans fin, clôture électrique, lave-main). Il ajoutait que M. [H] [U] exploitant ces bâtiments, et cette possession valant titre en vertu de l'article 2276 du même code, il était réputé propriétaire des biens meubles composant les bâtiments précités (extincteurs, cages de transport). Il demandait communication de l'ordonnance rendue par le juge commissaire et annonçait son intention de s'opposer à toute vente forcée de ses biens dans ses locaux.

Par courrier du 19 décembre 2023, le liquidateur objectait notamment que M. [H] [U] n'avait revendiqué aucun meuble sur le fondement des articles L. 624-12 et suivants du code de commerce'; que la vente ne porterait pas sur les immeubles par destination, mais que les éléments tels que chaîne alimentaire, silo, pipette et autres meubles seraient vendus.

Par requête du 9 janvier 2024, M. [H] [U] a demandé à bénéficier d'une procédure de sauvegarde en qualité d'exploitant agricole au lieudit A [Localité 16], commune d'[Localité 15] (Gers), en faisant notamment état de difficultés nées de la procédure de liquidation de l'exploitation de son ex-épouse.

Par déclaration du 12 janvier 2024, M. [H] [U] a relevé appel de l'entier dispositif de l'ordonnance du 9 novembre 2023. L'affaire a été fixée à bref délai, à l'audience du 17 juin 2024.

Par jugement du 8 février 2024, le tribunal judiciaire d'Auch a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de M. [H] [U] et a nommé Me [E] [R] en qualité de mandataire judiciaire.

§

Par conclusions remises au greffe le 5 avril 2024, M. [H] [U] et Me [E] [R], ès qualités de mandataire à la sauvegarde judiciaire de M. [H] [U], demandent à la cour':

- d'infirmer l'ordonnance du 9 novembre 2023';

- de condamner Me [D] [A], ès qualités de mandataire-liquidateur de Mme [Y] [O], à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- de le condamner aux entiers dépens';

- de dire et juger que les créances de M. [H] [U] au titre des dépens et des frais irrépétibles constituent des créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure, visées à l'article L. 641-13, I du code de commerce.

Les appelants exposent que Mme [Y] [O] et M. [H] [U] se sont mariés le [Date mariage 11] 2006 sous le régime de la séparation de biens'; que l'épouse a commencé une activité de gavage de canards le 1er juin 2013. Ils soutiennent que Mme [Y] [O] exerçait cette activité dans des bâtiments érigés sur les parcelles cadastrées section C, Numéros [Cadastre 6] et [Cadastre 7], données en location par bail emphythéotique.

Ils ajoutent que par acte reçu le 28 Novembre 2016 par Me [I], les deux époux ont acquis en indivision les parcelles cadastrées section C, numéros [Cadastre 13], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 8]'; que M. [H] [U] a construit deux bâtiments d'élevage de canards sur la parcelle N° [Cadastre 3] au moyen d'un emprunt de 160 000 €, souscrit par les deux époux mais qu'il remboursait seul'; qu'il y exerçait son activité d'élevage de canards.

Ils soutiennent que le matériel d'élevage, qui était en possession de M. [H] [U] car toujours situé dans les bâtiments qu'il exploitait, a été répertorié dans l'inventaire des actifs mobiliers de Mme [Y] [O]'; que M. [H] [U] a fait appel de la décision du juge commissaire pour faire valoir son droit de propriété.

Ils affirment que cette ordonnance, qui ne respecte pas la lettre de l'article L. 642-19 du code de commerce, encourt la nullité'; que M. [H] [U] est propriétaire des biens objet de l'ordonnance en vertu des articles 552 et 554 du code civil, car, propriétaire indivis du sol, il est propriétaire indivis des bâtiments'; que les biens objets de l'ordonnance sont des cellules, grilles, piquets, mangeoires incorporés aux bâtiments'; qu'ils sont nécessaires à son activité principale d'élevage de canards. Ils précisent qu'il s'agit des biens inventoriés sous les numéros 1 à 3 et 12 à 24.

Ils soutiennent qu'à défaut de jugement ordonnant le partage des immeubles indivis, le juge commissaire ne pouvait ordonner la vente de ces biens.

Ils soutiennent à titre subsidiaire que dès lors que M. [H] [U] utilise quotidiennement ce matériel d'élevage de canards, il en a la possession'; qu'à défaut de décision de justice réfutant la présomption de propriété découlant de l'article 2276 du code civil, le juge commissaire ne pouvait ordonner la vente des biens.

Ils répliquent au juge commissaire que M. [H] [U] n'avait pas l'obligation de revendiquer les biens objet du litige, parce que ces biens constituent des immeubles par destination'et qu'en toute hypothèse il en avait la possession.

§

Par conclusions remises au greffe le 7 mai 2024, Me [D] [A] demande à la cour':

sur la nullité de l'ordonnance,

- de déclarer M. [H] [U] irrecevable et infondé en son exception de nullité de l'ordonnance';

subsidiairement,

- de statuer au fond au regard de l'effet dévolutif de l'appel, de confirmer l'ordonnance et de débouter M. [H] [U] de toutes ses demandes';

y ajoutant,

- d'ordonner la vente aux enchères publiques du mobilier, du matériel et du stock dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire de Mme [Y] [O] inventoriés par Me [B] [W], commissaire-priseur';

- de condamner M. [H] [U] au paiement d'une indemnité de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Il observe qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile la cour ne doit statuer que sur les prétentions exposées au dispositif des conclusions'; que dans le dispositif des siennes M. [H] [U] ne demande pas à la Cour de prononcer la nullité de l'ordonnance.

Il demande à la cour de statuer sur le fond en vertu de l'article 562 du même code.

Il soutient que s'agissant d'une procédure collective dont les dispositions sont d'ordre public, il appartenait à M. [H] [U] de justifier de la propriété indivise des actifs et d'exercer son action en revendication dans le cadre des articles L. 624-9 et suivants du code de commerce dans les trois mois de la publication du jugement d'ouverture'; que ce dernier ayant été publié le 10 février 2022, la procédure devait être initiée avant le 10 mai 2022'; que les contestations tardives de M. [H] [U] sont inopposables au liquidateur aujourd'hui désireux de vendre les actifs.

Il ajoute que M. [H] [U] ne peut invoquer l'immobilisation par destination pour se dispenser de toute demande en revendication'; qu'en outre l'immobilisation par destination ne peut s'opérer que si le meuble appartient au propriétaire de l'immeuble dont il doit devenir l'accessoire'; que la volonté du propriétaire est nécessaire'; qu'elle doit s'exprimer clairement'; qu'en l'espèce un tiers se prévaut de l'immobilisation de biens appartenant à Mme [Y] [O]'; que ni celle-ci, ni le mandataire judiciaire n'ont sollicité ce rattachement.

Il soutient enfin que la possession dont se prévaut M. [H] [U] n'est pas de bonne foi, car il ne peut ignorer que Mme [Y] [O]'est propriétaire des actifs mobiliers nécessaires à son activité et en justifie, bien qu'ils soient entreposés sous les hangars appartenant à M. [U].

Par réquisitions écrites du 29 mai 2024, le ministère public déclare s'en rapporter à la décision de la cour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en nullité de l'ordonnance':

En vertu de l'article 954, alinéa 3 du code de procédure, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions d'appel.

M. [H] [U] soutient dans le corps de ses conclusions que l'ordonnance du 9 novembre 2023 est nulle. Dans le dispositif, il ne demande cependant à la cour que d'infirmer cette ordonnance.

La cour, n'est donc saisie d'aucune demande en annulation de l'ordonnance du 9 novembre 2023.

Sur la demande en infirmation de l'ordonnance':

sur le moyen tiré de l'irrégularité formelle de la décision':

L'article L. 642-19 du code de commerce permet au juge-commissaire d'ordonner la vente aux enchères publiques des biens du débiteur, autres que les immeubles, ou d'autoriser leur vente de gré à gré.

L'article R. 642-37-3 du même code ouvre aux parties et aux personnes dont les droits et obligations sont affectées par les ordonnances du juge-commissaire rendues en application de l'article L. 642-19 de former un recours contre la cour d'appel. La recevabilité de l'appel de M. [H] [U] n'est pas contestée en ce qu'il tend à l'infirmation de la décision pour violation des formes de l'article L. 642-19.

L'ordonnance déférée rend un «'avis favorable'» à la vente du matériel de l'entreprise agricole et désigne le commissaire-priseur qui devra procéder à cette vente.

L'octroi d'un avis favorable en lieu et place d'une autorisation, ne nuisant pas à la compréhension et à l'application de l'ordonnance, ne justifie pas l'infirmation de la décision sur le principe de la vente, sauf à dire que cette dernière est ordonnée et non autorisée.

Sur le moyen tiré de la propriété de M. [H] [U]

Aux termes de l'article L. 624-9 du code de commerce, la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure.

M. [H] [U], qui ne soutient pas que les biens litigieux aient été perdus ou lui aient été dérobés, et que Mme [Y] [O] les ait possédés de mauvaise foi, ne peut échapper à cette exigence.

Le jugement d'ouverture du 27 janvier 2022 ayant été publié le 10 février 2022, il devait revendiquer les biens litigieux avant le 11 mai 2022.

La sanction de l'absence de revendication dans le délai légal n'est pas le transfert du droit de propriété au débiteur, mais son inopposabilité à la procédure collective de ce dernier. Dès lors, même s'il était établi, le droit de propriété de M. [V] [U] serait inopposable à la procédure collective.

Le moyen tiré du droit de propriété de M. [H] [U] sur les biens dont la vente a été ordonnée ne peut davantage justifier l'infirmation de la décision déférée, laquelle sera confirmée en toutes ses dispositions.

Il y a lieu d'y ajouter la condamnation de M. [H] [U] qui succombe aux dépens d'appel et à payer à Me [D] [A], ès qualités, la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

CONFIRME l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf à dire que la vente est ordonnée et non autorisée';

statuant à nouveau,

ORDONNE la vente aux enchères publiques du mobilier, du matériel et du stock dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire de Mme [Y] [O] inventoriés par Me [B] [W], commissaire-priseur';

y ajoutant,

CONDAMNE M. [H] [U] aux dépens d'appel';

CONDAMNE M. [H] [U] à verser la somme de 1 000 euros à Me [D] [A], ès qualité, en application de l'article 700 en cause d'appel.