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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 10 septembre 2024, n° 21/02777

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 21/02777

10 septembre 2024

ARRET



[H]

C/

S.A.R.L. MUTUALI

Copie executoire le

10 septembre 2024

à

Me Dejas

Me Paviot

OG

COUR D'APPEL D'AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2024

N° RG 21/02777 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IDSC

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LAON EN DATE DU 02 mars 2021

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [I] [H]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Jean-François DEJAS de la SCP MATHIEU-DEJAS-LOIZEAUX-LETISSIER, avocat au barreau de LAON

ET :

INTIMEE

S.A.R.L. MUTUALI agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Bruno PAVIOT, avocat au barreau de BEAUVAIS

DEBATS :

A l'audience publique du 07 Mai 2024 devant Mme Odile GREVIN, entendue en son rapport, magistrat rapporteur siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 10 Septembre 2024.

GREFFIER : Madame Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

en a rendu compte à la Cour composée de :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 10 Septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente a signé la minute avec Mme Malika RABHI, Greffier.

DECISION

La SARL Mutuali qui est une société de courtage en assurance santé a conclu avec M. [I] [H] un contrat de mandat d'intermédiaire en assurance (dit de 4ème catégorie) le 17 septembre 2012.

Deux avenants de rémunération sont intervenus les 1er mai et 1er juillet 2013.

Par lettre recommandée en date du 15 mai 2017 M. [H] a entendu mettre fin au mandat le liant à la SARL Mutuali.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 mai 2017, la SARL Mutuali prenait acte de la cessation du contrat de mandat en rappelant cependant à M. [H] certains points du contrat notamment sur la reprise de commission en cas de résiliation de contrat ou de sans effet.

Par courrier recommandé en date du 1er juin 2017 la SARL Mutuali mettait en demeure M. [H] de lui régler sous huit jours la somme de 32932,15 euros correspondant à des reprises de commissions à la suite de résiliations de contrats d'assurance sous peine d'être redevable d'une indemnité complémentaire de 8233,04 euros.

Par courrier recommandé en date du 15 juin 2017 le montant des reprises de commissions était porté à la somme de 35039,41 euros à la suite de nouvelles résiliations de contrat.

Par exploit d'huissier en date du 27 septembre 2017 la SARL Mutuali a fait assigner M. [H] devant le tribunal de grande instance de Laon aux fins de le voir condamner à lui payer la somme de 36700,97 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2017 au titre d'un trop-perçu de commissions outre la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du tribunal judiciaire de Laon en date du 2 mars 2021 M. [H] a été condamné à payer à la SARL Mutuali la somme de 54620,34 euros au titre de la reprise de commissions mais celle-ci a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

M. [H] a été condamné aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 26 mai 2021 M. [H] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 17 août 2021 M. [H] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris de débouter la SARL Mutuali de l'ensemble de ses demandes et de la condamner aux entiers dépens et à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises le 4 octobre 2021 la SARL Mutuali demande à la cour de confirmer le jugement entrepris du chef des reprises de commissions mais de l'infirmer pour le surplus et de condamner M. [H] à lui payer une somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de maître Paviot.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 avril 2024.

SUR CE,

Sur la validité de la clause relative aux reprises de commissions

Les premiers juges ont considéré que la reprise de commissions sur les contrats d'assurance santé souscrits mais résiliés sur une période de 24 mois est le corrollaire de l'avantage que constitue la perception anticipée par l'intermédiaire en assurance de la totalité des commissions et qu'en conséquence la clause 4.1 afférente à ces reprises, limitée dans le temps ne dépendant pas de la seule volonté de la société Mutuali mais destinée à la prémunir du risque de résiliation intempestive des contrats souscrits, ne fournissait aucun avantage excessif à la SARL Mutuali mais respectait un juste équilibre entre les intérêts respectifs des parties au contrat de mandat d'intermédiaire d'assurance et ne donnait aucun avantage exorbitant à la société de courtage et qu'en conséquence elle ne présentait aucun caractère léonin ou abusif.

M. [H] reproche à la SARL Mutiali de ne pas produire aux débats les documents par lui sollicités, notamment une copie des modalités de rémunération en vigueur et une copie du document fixant les modalités de rémunération du courtier avec ses partenaires assureurs courtiers grossistes et mutualistes qui permettraient de mettre en évidence le caractère léonin du lien contractuel, la pratique d'un délai de reprise de 100% sur 24 mois étant contraire aux usages.

Il fait valoir que le calcul de reprise de commissions est habituellement effectué au prorata de la durée effective du contrat.

Il considère qu'en s'abstenant de produire les pièces sollicitées la société cherche à dissimuler le fait qu'un courtier pourrait obtenir un gain sur un contrat qui a fait l'objet d'une reprise de commission en imposant une reprise de commission supérieure à son mandataire.

Par ailleurs il soutient qu'en tout état de cause les demandes de la SARL Mutuali ne peuvent prospérer dès lors qu'elle ne fournit aucune explication sur les causes des résiliations qui peuvent être dues à la seule carence de la demanderesse qui n'assurait aucun suivi auprès des assurés ou sur les augmentations de tarifs.

Il fait observer que la société Mutuami ne justifie pas que les contrats résiliés n'ont pas ensuite été renouvelés dénonçant une pratique de courtiers peu scrupuleux et qu'elle ne justifie pas par ailleurs des rétrocessions qu'elle aurait dû elle-même consentir aux commissions d'assurance à la suite de la rupture des contrats par lui obtenus.

Il soutient ainsi que la clause de reprise sur commissions présente un caractère léonin et abusif dès lors que les nombreux aléas de nature à remettre en cause la pérennité d'un contrat signé avec un assuré relèvent de la responsabilité de la compagnie d'assurance et qu'une défaillance de la société Mutuali dans ses rapports avec un assuré peut être à l'origine d'une rupture du contrat dont la seule victime est le mandataire intermédiaire qui devra restituer la commission alors que la compagnie peut à son insu rattraper la situation en faisant signer un avenant à l'assuré.

La SARL Mutuali fait observer en premier lieu que les bordereaux de reprise par elle versés aux débats font état en leur verso, des contrats visés et des motifs de résiliation et qu'elle produit des extraits de ses propres contrats mais qu'elle ne peut produire in extenso les contrats la liant aux courtiers grossistes ou aux compagnies d'assurance le montant des commissions et les conditions de reprise des commissions étant couverts par le secret des affaires .

Elle fait valoir que néanmoins la production de ses propres accords permet de démontrer le principe d'une commission qui n'est définitivement acquise qu'après un délai variable et du remboursement de cette commission perçue d'avance en cas de chute du contrat quelle qu'en soit la cause.

Elle soutient que les relations entre les mandataires , intermédiaires d'assurance et leur mandant sont régis par les articles 1984 et suivants du code civil et que la convention les liant ne constitue pas un contrat d'adhésion mais un contrat librement négocié entre deux professionnels de l'assurance.

Elle fait valoir qu'il est clairement prévu à la convention de mandataire que les sommes perçues constituent des avances sur commission le droit à commission étant lié à la permanence du contrat d'assurance.

Elle soutient que ce type de rémunération imposé par les assureurs aux courtiers grossistes puis répercuté sur la chaîne des intermédiaires est motivé par l'objectif de fidéliser la clientèle le mandataire en assurance devant vérifier que le produit proposé correspond aux attentes et besoins de l'assuré.

Elle fait observer que M. [H] mandataire intermédiaire indépendant depuis 2009 avait une parfaite connaissance du fonctionnement de son activité qu'il a exercée au profit de la société Mutuali pendant 5 années sans jamais la contester.

Elle rappelle que le caractère léonin d'une clause ne se déduit pas d'un simple déséquilibre mais qu'il est nécessaire que l'avantage conféré à l'une des parties soit significatif.

Elle soutient que la clause de reprise ne crée en l'espèce aucun déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au contrat.

Elle fait observer à ce titre que l'intermédiaire perçoit immédiatement l'ensemble de la commission sur le contrat et que si elle fait une reprise sur commissions c'est parce qu'elle-même doit rétrocéder à la compagnie la commission qu'elle perçoit. Elle ajoute qu'à supposer qu'elle ait négocié des conditions de reprise plus favorables que celles imposées aux mandataires il n'y a pas enrichissement sans cause au regard des frais de structure par elle assumés.

Elle soutient surtout que le but des reprises à 100 % est que l'intermédiaire s'attache une clientèle qualitative plus que quantitative car si le portefeuille mouvemente trop vite elle court le risque de perdre la convention signée avec la compagnie d'assurance.

Elle fait valoir qu'il est normal d'imposer au mandataire de garantir la continuité du contrat sauf à autoriser des comportements déloyaux et qu'en toute hypothèse rien ne justifie que le coût de la résiliation du contrat soit supporté par le courtier et l'assureur.

La convention de mandat d'intermédiaire d'assurances intervenue entre

la SARL Mutuali , courtier en assurances, mandant et M. [H] professionnel de l'assurance en qualité de mandataire intermédiaire en assurances est régie par les dispositions du code des assurances et les articles 1984 et suivants du code civil.

Elle prévoit au titre de la rémunération du mandataire que celle-ci consistera uniquement en commissions et plus particulièrement en son article 4.1 que la SARL Mutuali mandant effectue une avance sur commission et qu'en cas de résiliation d'un contrat ou de sans effet pour quelque motif que ce soit cela entraînera une reprise de commissions qui sera de 100% pendant une période de 24 mois à compter de la prise d'effet du contrat.

M. [H] a exercé son mandat pendant plus de cinq années sans remettre en cause les conditions de sa rémunération ni l'application de cette clause qu'il juge désormais léonine.

Il sera observé que son parcours professionnel antérieur le rendait parfaitement apte à apprécier le sens et la portée de la clause 4.1 du contrat de mandat d'intermédiaire en assurances qu'il a librement souscrit.

M. [H] par ailleurs ne verse aux débats aucune pièce permettant de justifier que cette clause était contraire aux usages de la profession.

Il convient de rappeler que constitue une clause léonine , une clause dont l'exécution a pour résultat de procurer à l'un des contractants un avantage exorbitant au détriment des autres.

La clause 4.1 de la convention liant les parties prévoit l'obligation pour la SARL Mutuali d'effectuer une avance de commission sur les contrats d'assurance santé de sorte que le versement initial de la totalité de la commission ne peut être considéré comme définitif.

Cette clause est par ailleurs limitée dans le temps et lie le droit à la commission à l'existence du contrat souscrit par l'assuré puisque la reprise de la commission qui est de 100% s'applique soit pendant une période de 24 mois à compter de la prise d'effet du contrat d'assurance soit en cas de sans effet pour quelque cause que ce soit.

Dès lors la reprise de commissions de 100% ne dépend pas de la seule volonté du mandant mais de la résiliation éventuelle du contrat d'assurance ou de son défaut d'effet qui peuvent avoir de nombreuses causes et n'interviennent pas sans motif.

La société Mutuali justifie pour sa part contrairement à M. [H] qui ne verse aucune pièce permettant d'apporter un commencement de preuve à ses allégations remettant en cause la probité de la société Mutuali qu'elle est également soumise à des reprises de commissions de la part de ses partenaires dans le cadre de la commercialisation de contrats d'assurance santé.

En réalité la reprise de commission, sur les contrats d'assurance santé souscrits mais résiliés sur une période de 24 mois ou sans effets est le corollaire de l'avantage que constitue une perception anticipée de la commission avancée par la SARL Mutuali.

Cette clause vise plus largement à assurer dans la seule mesure nécessaire la protection des intérêts légitimes de la société de courtage en assurances de santé qui par ce mécanisme de reprise sur commissions tend à éviter une trop forte rotation des contrats d'assurance entraînant la perte des conventions conclues avec les compagnies d'assurance, elle la protège du risque de résiliations intempestives qui résulteraient de contrats souscrits sans une attention suffisante aux besoins des assurés.

La clause 4.1 respecte ainsi un juste équilibre des intérêts des cocontractants sans donner d'avantage exorbitant au mandant la société Mutuali au détriment de son mandataire.

Elle ne présente donc pas de caractère léonin et doit donc trouver application, le contrat faisant la loi des parties

Sur le montant des sommes dues

M. [H] conteste les pièces justificatives versées aux débats par la SARL Mutuali pour justifier du quantum des sommes dues dans la mesure où serait demandé le remboursement de commissions sur des contrats où il a déjà été dé-commissionné et conteste le calcul de reprise de commission qui doit être calculé au prorata de la durée effective du contrat.

La SARL Mutuali indique qu'elle a émis mensuellement des bordereaux de commissions et qu'il est parfaitement établi par les justificatifs annexés que certains contrats n'ont pas eu de suite.

Elle ajoute que les bordereaux de reprise comportent les motifs des résiliations et en annexe les pièces reçues des compagnies d'assurance, démontrant que ces résiliations ne sont pas de son fait mais résultent soit du non-paiement des cotisations soit de prises en charge CMU soit d'une inscription à une mutuelle entreprise.

Elle considère que les contestations de M. [H] à cet égard sont générales ne visant pas précisément les contrats pour lesquels il aurait été décommissionné.

Elle fait observer en outre que ni M. [H] ni elle-même ne pouvait pallier une absence de paiement de prime ou la volonté de l'assuré de trouver un autre assureur ni les augmentations de primes décidées par les assureurs.

Il convient de relever que si la SARL Mutuali verse aux débats les bordereaux de reprise avec leurs annexes et justifient donc des contrats résiliés et des causes de résiliation M. [H] se contente de considérations générales sans viser de contrats en particulier.

La SARL Mutuali ne conteste pas les reprises déduites par les premiers juges faute de respect du délai et sollicite la confirmation de la condamnation de première instance pour un montant de 54620,34 euros.

Au vu des pièces produites il convient de confirmer le jugement entrepris sur le quantum de la condamnation.

Sur la demande de dommages et intérêts

En première instance les premiers juges ont débouté la SARL Mutuali de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la concurrence déloyale exercée par M. [H] à son encontre estimant que les deux pièces versées aux débats soit un avertissement adressé le 11 juin 2018 par la société LS Assurances à M. [H] et un engagement de la part de celui-ci d'informer tout client Mutuali qu'il ne travaille plus pour ce mandant et de diriger les clients vers la société Mutualité ne permettaient pas de caractériser des actes de concurrence déloyale ni le préjudice subi par la SARL Mutuali résultant du détournement de clientèle allégué.

La SARL Mutuali à hauteur d'appel fonde sa demande en dommages et intérêts sur la résistance abusive de M. [H] tout en lui reprochant encore d'avoir détourné certains de ces clients et commis des actes de concurrence déloyale pour lesquels sa demande de dommages et intérêts est justifiée nonobstant la difficulté à établir la réalité du préjudice.

Il convient de relever que la SARL Mutuali forme une demande de dommages et intérêts en invoquant à la fois la résistance abusive de M. [H] mais sans établir le préjudice qui en résulte pour elle et le fait qu'il se serait rendu coupable de faits de concurrence déloyale sans davantage établir ces faits qu'en première instance, les attestations d'assuré produites étant peu explicites quant aux circonstances et dates des faits dénoncés.

Il convient de rejeter la demande de dommages et intérêts complémentaires formée par la SARL Mutuali.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il convient de condamner M. [H] qui succombe à titre principal en son appel aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de maître Paviot et de le condamner à payer à la SARL Mutuali la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement contradictoirement et par mise à disposition de la décision au greffe,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute la SARL Mutuali de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamne M. [I] [H] aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de maître Paviot ;

Condamne M. [I] [H] à payer à la SARL Mutuali la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, La Présidente,