Décisions
CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. tgi, 6 septembre 2024, n° 23/01511
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Autre
Arrêt N°
SP
R.G : N° RG 23/01511 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F7BT
[U]
C/
[V]
S.A.S. CLINIQUE [8] ET COMPAGNIE
Caisse CAISSE DE SECURITE SOCIALE DE LA REUNION
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 06 SEPTEMBRE 2024
Chambre civile TGI
Appel d'une ordonnance rendue par le PRESIDENT DU TJ DE SAINT-PIERRE en date du 11 OCTOBRE 2023 suivant déclaration d'appel en date du 27 OCTOBRE 2023 rg n°: 23/00233
APPELANT :
Monsieur [J] [U]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentant : Me Alexandra MARTINEZ, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMES :
Monsieur [T] [V] [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Emma DELAUNAY, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
S.A.S. CLINIQUE [8] ET COMPAGNIE
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Georges-andré HOARAU de la SELARL GEORGES-ANDRE HOARAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
Caisse CAISSE DE SECURITE SOCIALE DE LA REUNION
[Adresse 3]
[Localité 4]
Clôture: 19 mars 2024
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Mai 2024 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Mme Pauline FLAUSS, Conseillère
Le président a indiqué que l'audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s'y sont pas opposées.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 06 Septembre 2024.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER
Conseiller : Pauline FLAUSS,
Conseiller : Sophie PIEDAGNEL
Qui en ont délibéré
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 06 Septembre 2024.
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 06 Septembre 2024.
Greffier : Mme Véronique FONTAINE, Greffier.
LA COUR
Le 25 octobre 2021, M. [T] [V] a fait l'objet d'une intervention chirurgicale consistant en la pose une prothèse totale de hanche (PTH) gauche, opération réalisée par le Docteur [J] [U] (M. [U]), exerçant au centre des pathologies ostéoarticulaires de la Clinique [8] au [Localité 5]. Suite à diverses complications, ce dernier a ensuite fait l'objet de plusieurs hospitalisations et interventions chirurgicales du 28 juin au 13 juillet 2022 et du 8 décembre 2022 au 18 janvier 2023.
Se plaignant de douleurs persistantes, de boiterie et d'une impotence fonctionnelle de la hanche, M. [V] a, par actes du 1er août 2023, fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion M. [U], la SAS Clinique [8] et Compagnie (la clinique) et la Caisse Générale de la Sécurité Sociale de la Réunion (la CGSSR) aux fins d'expertise judiciaire au visa de l'article 145 du code de procédure civile et de condamnation in solidum à lui verser une provision de 6.000 euros à valoir sur les préjudices patrimoniaux et extra patrimoniaux sur le fondement des articles 809 alinéa 2 du code de procédure civile et L 1142-1 du code de la santé publique, outre une indemnité de procédure de 2.000 euros.
La clinique a formulé protestations et réserves sur le principe de la demande d'expertise, sollicité que les opérations d'expertise soient effectuées aux frais avancés du demandeur et conclut au débouté des prétentions de M. [V] concernant sa demande de provision.
M. [U] a formulé protestations et réserves sur le principe de sa responsabilité et sur la mesure d'expertise sollicitée, il a demandé que soit désigné un expert compétent en chirurgie orthopédique, et que soit complétée la mission de l'expert. Il a encore sollicité que les frais d'expertise soient à la charge du demandeur, que ce dernier soit débouté de ses demandes de provision et de condamnation aux frais irrépétibles et que les dépens soient laissés à chaque partie.
La CGSSR ne s'est pas opposée pas à la demande d'expertise et a formulé les protestations et réserves d'usage.
C'est dans ces conditions que, par ordonnance de référé rendue le 11 octobre 2023, e président du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion a :
Renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige ;
Donné acte aux défendeurs de leurs protestations et réserves ;
Ordonné une mesure d'expertise médicale sur la personne de M. [T] [V], [']
Commis, pour y procéder, le Docteur [E] [H]
[']
expert inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunion ;
Dit que l'expert procédera à l'examen clinique du sujet en assurant la protection de l'intimité de la vie privée de la personne examinée et le secret médical pour des constatations étrangères à l'expertise, et qu'à l'issue de cet examen, en application du principe du contradictoire il informera les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences ;
Donné à l'expert, lequel s'adjoindra, si nécessaire, tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne, la mission suivante :
Sur les responsabilités encourues :
[...]
Sur les préjudices subis :
[...]
Dit que, pour exécuter la mission, l'expert sera saisi et procédera conformément aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284-1 du code de procédure civile ;
Enjoignons aux parties de remettre à l'expert :
- Le demandeur, immédiatement, toutes pièces médicales ou paramédicales utiles l'accomplissement de la mission, en particulier les certificats médicaux, certificats de consolidation, documents d'imagerie médicale, compte-rendu opératoires et d'examen, expertises
- Les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ;
Dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état, mais qu'il pourra également se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits, par tous tiers - médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins - toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
[...]
Dit que M. [T] [V] devra verser une consignation de 1.200 euros, entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de ce tribunal, dans le délai de DEUX MOIS à compter de la présente décision ;
Dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;
Dit que l'exécution de la mesure d'instruction sera suivie par le juge du service du contrôle des mesures d'instruction de ce tribunal, spécialement désigné à cette fin en application des article 155 et 155-1 du même code ;
Dit n'y avoir lieu à référé concernant la demande de provision formée par M. [T] [V] ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejeté toutes les autres demandes des parties ;
Dit que les dépens de l'instance seront avancés par M. [T] [V];
Rappelé que la présente ordonnance bénéficie de l'exécution provisoire de droit.
Par déclaration au greffe en date du 27 octobre 2023, M. [U] a interjeté appel de cette décision et intimé M. [V], la clinique et la CGSSR.
M. [V] s'est constitué par acte du 3 novembre 2023.
La clinique s'est constituée par acte du 9 novembre 2023.
L'affaire a été fixée à bref délai selon avis en date du 20 novembre 2023.
M. [U] a déposé ses premières conclusions d'appel par RPVA le 22 novembre 2023.
L'appelant a signifié la déclaration d'appel, l'avis à bref délai et ses conclusions par acte du 28 novembre 2023 à la CGSSR (remise à personne morale) ;
La clinique a déposé ses conclusions d'intimée par RPVA le 28 novembre 2023.
M. [V] a déposé ses conclusions d'intimé par RPVA le 7 décembre 2023
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 mars 2024 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience de circuit court du 21 mai 2024.
***
Dans ses dernières conclusions n° 2 transmises par voie électronique le 22 décembre 2023, M. [U] demande à la cour de :
- Recevoir M. [U] en ses écritures, le disant bien-fondé ;
- Infirmer la décision attaquée en ce qu'elle a enjoint la partie défenderesse de produire tous documents utiles au bon déroulement des opérations d'expertise demandées par M. [V] :
" ['], à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf à établir leur origine et sous réserve l'accord de la victime sur leur divulgation."
Et statuant à nouveau :
- Dire que M. [U] pourra produire les éléments pièces, y compris médicales, nécessaires à sa défense dans le cadre des opérations d'expertise à intervenir, sans que les règles du secret médical ne puissent lui être opposées ;
- Laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
- Rejeter l'intégralité des demandes de M. [V].
***
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 décembre 2023, M. [V] demande à la cour de :
En la forme
- Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel ;
Au fond
- Le déclarer irrecevable et en toute hypothèse mal fondé ;
- Condamner l'appelant au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ;
- Le condamner au paiement d'une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens en ce compris les frais d'expertise.
***
Dans ses uniques conclusions transmises par voie électronique le 28 novembre 2023, la clinique demande à la cour, au visa des articles 4, 5, 275 et 464 du code de procédure civile et 6 de la CEDH, de :
- Réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a imposé aux défendeurs la communication des documents en leur possession dans les conditions suivantes :
"-Les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ; "
- Dire et juger que la concluante pourra adresser à l'expert judiciaire le dossier correspondant à la prise en charge considérée comme litigieuse sans autorisation préalable de M. [V] ou tout autre personne ;
- Dire n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile;
- Dire que chaque partie gardera la charge de ses propres dépens.
***
La CGSSR n'a pas constitué avocat.
***
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
A titre liminaire
La cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.
Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de " constatations " ou de " dire et juger " lorsqu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Sur la recevabilité de l'appel
1°) l'acquiescement
M. [V] soutient que l'appel de M. [U] est irrecevable dans la mesure où il a acquiescé à la demande d'expertise et à la mission sollicitée devant le juge des référés.
M. [U] rappelle qu'il a émis devant le juge des référés ses plus expresses réserves sur la mesure d'expertise et a demandé à ce que la mission de l'expertise soit complétée en ces termes : " Enjoindre à chaque partie de communiquer contradictoirement intégrabilité des pièces dont il adresse copie à l'expert selon bordereau , sans que les parties ne puissent se retrancher derrière le secret médical "
Sur ce,
Aux termes de l'article 408 du code de procédure civile :
" L'acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action.
Il n'est admis que pour les droits dont la partie à la libre disposition. "
Un acquiescement peut être exprès ou implicite. En cas d' acquiescement implicite, les faits ou le comportement invoqués doivent être dénués d'incertitude ou d'équivoque. Aucune condition particulière de forme n'est requise.
L' acquiescement à la demande correspond à l'acceptation des prétentions adverses, telles que formulées et, par voie de conséquence, à la reconnaissance de leur bien-fondé. Il doit résulter d'actes ou de faits démontrant, avec évidence et sans équivoque, l'intention de la partie de reconnaître le bien-fondé des prétentions adverses. Il a pour conséquence la reconnaissance du bien-fondé des prétentions du demandeur et emporte renonciation à l'action mais également l'extinction de l'instance si l'acquiescement met fin à intégralité du litige.
En l'espèce, il est constant que M. [U] a, devant le juge des référés formulé protestations et réserves sur le principe de sa responsabilité et sur la mesure d'expertise sollicité.
Il s'ensuit qu'il n'a pas acquiescé aux demandes formées par M. [V] dont la fin de recevoir ne pourra qu'être écartée de ce chef.
2°) les pouvoirs du juge des référés
Sur le fondement des articles 265, 155 et 155-1 du code de procédure civile, M. [V] soutient que l'appel de M. [U] est irrecevable dans la mesure où la juridiction compétente pour modifier la mission de l'expert n'est pas la cour mais le juge chargé du contrôle des expertises. Il ajoute que M. [U] a toute latitude pour saisir le juge chargé du contrôle des expertises pour sollicité la communication de pièces dont il pourrait refuser d'autoriser la production.
M. [U] fait valoir qu'il ne fait pas appel de la mission confiée à l'expert mais seulement à la dispositions enjoignant les défendeurs de remettre à l'expert " les documents, renseignements, réclamations ['], à l'exclusion de documents protégés par le secret professionnel et relatif à la victime sauf à établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ".
Aux termes de l'article 155 du code de procédure civile :
" La mesure d'instruction est exécutée sous le contrôle du juge qui l'a ordonnée lorsqu'il n'y procède pas lui-même.
Lorsque la mesure est ordonnée par une formation collégiale, le contrôle est exercé par le juge qui était chargé de l'instruction. A défaut, il l'est par le président de la formation collégiale s'il n'a pas été confié à un membre de celle-ci.
Le contrôle de l'exécution de cette mesure peut également être assuré par le juge désigné dans les conditions de l'article 155-1. "
L'article 155-1 du même code dispose que : " Le président de la juridiction peut dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice désigner un juge spécialement chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction confiées à un technicien en application de l'article 232. "
En l'espèce, le juge des référés a dit que l'exécution de la mesure d'instruction sera suivie par le juge du service du contrôle des mesures d'instruction de ce tribunal, spécialement désigné à cette fin en application des article 155 et 155-1 du code de procédure civile.
Pour autant, M. [U] a, dès le début, entendu que soit précisé, tant la qualité de l'expert qui devait être compétent en chirurgie orthopédique, que la communication contradictoire des pièces à l'expert " sans que les parties ne puissent se retrancher derrière le secret médical ".
Il ne s'agit donc pas de solliciter la modification de l'expertise déjà en cours mais bien de statuer sur la mission de l'expert elle-même, telle que sollicitée devant le juge des référés.
Il s'ensuit que l'irrecevabilité soulevée par M. [V] ne pourra qu'être écartée.
Sur le secret médical
M. [U] soutient en substance que c'est en méconnaissance de principes de valeur constitutionnelle et en violation des traités internationaux auxquels la France est partie, que l'ordonnance déférée a subordonné l'exercice de ses droits de la défense à l'autorisation préalable de la partie adverse. Il considère que la libre faculté donnée à une partie d'interdire à une autre de produire des pièces nécessaires à sa défense contient nécessairement une atteinte disproportionnée à l'égalité des armes découlant du droit au procès équitable. Il en déduit que cette violation ne peut que constituer une violation en soi des droits de la défense, garantis par la Déclaration des droits de l'homme, constituant un principe fondamental reconnu par les lois de la République, conforté par les engagements internationaux de la France, dont la Convention européenne des droits de l'homme, et ce, quelle que soit la valeur de l'intérêt qui y est opposé. Il ajoute que la demande d'expertise médicale formée par une partie contient implicitement, mais nécessairement, une autorisation de levée du secret médical, faute de quoi le bon déroulement de la mesure d'expertise ordonnée ne pourrait même plus être garanti, au détriment d'ailleurs du demandeur lui-même, sauf à ce qu'il cherche et impose, par le biais d'une sélection de pièces, une expertise orientée exclusivement dans le sens de son propre intérêt, faisant ainsi du juge et de l'expert de simples auxiliaires de sa stratégie judiciaire.
La clinique fait valoir qu'en soumettant la production de pièces médicales par la partie défenderesse à l'accord préalable de l'autre partie au litige, alors que ces pièces sont par essence utiles voire même essentielles aux droits de la défense, et par suite, à, la manifestation de la vérité, l'ordonnance rendue porte atteinte à ses droits de la défense. Elle estime par ailleurs qu'en versant spontanément au débat les comptes rendus opératoires et comptes rendus d'hospitalisation, M. [V] a renoncé tacitement au secret médical.
M. [V] argue principalement que le fait de demander une expertise médicale emporte renonciation au secret médical pour ce qui est l'objet du procès et en déduit qu'il est donc normal que la production de toute autre pièce soit soumise à son accord et, au cas de refus de sa part, le juge chargé du contrôle des expertises aurait à statuer sur la demande de production de pièces médicales. Il considère qu'il n'y a ici aucune inégalité des armes à contrôler la production de tout le passé médical du patient sans lien direct avec le procès.
Sur ce,
Aux termes de l'article L 1110-4 I du code de la santé publique :
" I. Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. "
Conformément aux dispositions de l'article R. 4127-4 du même code, le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Il couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.
Le secret médical couvre non seulement les informations que le patient a communiquées à son médecin mais aussi tout ce que ce dernier a pu apprendre dans l'exercice de son activité sur la vie privée du malade.
L'article 226-13 du code pénal sanctionne " la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire " d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret (article 226-14).
Ce principe est confronté, notamment à l'occasion d'une instance tenant à l'allégation d'une faute professionnelle du médecin, à un autre principe ayant valeur constitutionnelle, qu'est la préservation des droits de la défense ou à valeur supra-législative que sont le principe de l'égalité des armes et du droit à un procès équitable énoncés par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En l'espèce, le juge des référés a enjoint les défendeurs, de remettre à l'expert " aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatif à la victime sauf à établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation.
Or, en conditionnant la production à l'expert des " documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations " concernant M. [V] à l'obtention de son accord préalable, le juge des référés a mis M. [U] et la clinique recherchés pour d'éventuels manquements dans l'impossibilité d'organiser leur défense.
Cette condition apparaît comme disproportionnée au vu des intérêts en présence, alors même que la nature de la mesure de l'expertise sollicitée, destinée à établir une faute éventuelle du professionnel de santé dans la prise en charge d'un patient, implique que des éléments, normalement soumis au secret médical, soient portés à la connaissance de l'expert, lui-même médecin.
Enfin en tout état de cause, l'expert ne peut réaliser la mission confiée qu'en disposant de l'ensemble du dossier médical du patient et en limiter sa connaissance à la production de pièces approuvées par le patient entraverait l'exercice de sa mission confiée et ne lui permettrait pas de répondre objectivement aux questions posées.
Cela justifie l'infirmation de l'ordonnance déférée, à cet égard.
Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, de dire que les défendeurs devront remettre à l'expert aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sans que puisse leur être opposé le secret médical.
Sur la demande de dommages et intérêts
En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil anciens (devenus les articles 1240 et 1241 depuis le 1er octobre 2016), tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
En l'espèce, M. [V] ne démontre pas que la procédure ait dégénéré en abus de droit, ou aurait été intentée dans l'intention de lui nuire, de sorte qu'il convient de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
A hauteur d'appel, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Rejette les fin de non-recevoir tirée de l'acquiescement supposé de M. [J] [U] et du défaut de pouvoir du juge de référés soulevées par M. [T] [V]
- Confirme l'ordonnance de référé rendue le 11 octobre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a enjoint aux défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
- Enjoint aux défendeurs de remettre à l'expert aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sans que puisse leur être opposé le secret médical ;
Y ajoutant,
- Dit que chaque partie conserve ses dépens d'appel ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
SP
R.G : N° RG 23/01511 - N° Portalis DBWB-V-B7H-F7BT
[U]
C/
[V]
S.A.S. CLINIQUE [8] ET COMPAGNIE
Caisse CAISSE DE SECURITE SOCIALE DE LA REUNION
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 06 SEPTEMBRE 2024
Chambre civile TGI
Appel d'une ordonnance rendue par le PRESIDENT DU TJ DE SAINT-PIERRE en date du 11 OCTOBRE 2023 suivant déclaration d'appel en date du 27 OCTOBRE 2023 rg n°: 23/00233
APPELANT :
Monsieur [J] [U]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentant : Me Alexandra MARTINEZ, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMES :
Monsieur [T] [V] [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Emma DELAUNAY, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
S.A.S. CLINIQUE [8] ET COMPAGNIE
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Georges-andré HOARAU de la SELARL GEORGES-ANDRE HOARAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
Caisse CAISSE DE SECURITE SOCIALE DE LA REUNION
[Adresse 3]
[Localité 4]
Clôture: 19 mars 2024
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Mai 2024 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Mme Pauline FLAUSS, Conseillère
Le président a indiqué que l'audience sera tenue en double rapporteur. Les parties ne s'y sont pas opposées.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 06 Septembre 2024.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER
Conseiller : Pauline FLAUSS,
Conseiller : Sophie PIEDAGNEL
Qui en ont délibéré
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 06 Septembre 2024.
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 06 Septembre 2024.
Greffier : Mme Véronique FONTAINE, Greffier.
LA COUR
Le 25 octobre 2021, M. [T] [V] a fait l'objet d'une intervention chirurgicale consistant en la pose une prothèse totale de hanche (PTH) gauche, opération réalisée par le Docteur [J] [U] (M. [U]), exerçant au centre des pathologies ostéoarticulaires de la Clinique [8] au [Localité 5]. Suite à diverses complications, ce dernier a ensuite fait l'objet de plusieurs hospitalisations et interventions chirurgicales du 28 juin au 13 juillet 2022 et du 8 décembre 2022 au 18 janvier 2023.
Se plaignant de douleurs persistantes, de boiterie et d'une impotence fonctionnelle de la hanche, M. [V] a, par actes du 1er août 2023, fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion M. [U], la SAS Clinique [8] et Compagnie (la clinique) et la Caisse Générale de la Sécurité Sociale de la Réunion (la CGSSR) aux fins d'expertise judiciaire au visa de l'article 145 du code de procédure civile et de condamnation in solidum à lui verser une provision de 6.000 euros à valoir sur les préjudices patrimoniaux et extra patrimoniaux sur le fondement des articles 809 alinéa 2 du code de procédure civile et L 1142-1 du code de la santé publique, outre une indemnité de procédure de 2.000 euros.
La clinique a formulé protestations et réserves sur le principe de la demande d'expertise, sollicité que les opérations d'expertise soient effectuées aux frais avancés du demandeur et conclut au débouté des prétentions de M. [V] concernant sa demande de provision.
M. [U] a formulé protestations et réserves sur le principe de sa responsabilité et sur la mesure d'expertise sollicitée, il a demandé que soit désigné un expert compétent en chirurgie orthopédique, et que soit complétée la mission de l'expert. Il a encore sollicité que les frais d'expertise soient à la charge du demandeur, que ce dernier soit débouté de ses demandes de provision et de condamnation aux frais irrépétibles et que les dépens soient laissés à chaque partie.
La CGSSR ne s'est pas opposée pas à la demande d'expertise et a formulé les protestations et réserves d'usage.
C'est dans ces conditions que, par ordonnance de référé rendue le 11 octobre 2023, e président du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion a :
Renvoyé les parties à se pourvoir sur le fond du litige ;
Donné acte aux défendeurs de leurs protestations et réserves ;
Ordonné une mesure d'expertise médicale sur la personne de M. [T] [V], [']
Commis, pour y procéder, le Docteur [E] [H]
[']
expert inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunion ;
Dit que l'expert procédera à l'examen clinique du sujet en assurant la protection de l'intimité de la vie privée de la personne examinée et le secret médical pour des constatations étrangères à l'expertise, et qu'à l'issue de cet examen, en application du principe du contradictoire il informera les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses constatations et de leurs conséquences ;
Donné à l'expert, lequel s'adjoindra, si nécessaire, tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne, la mission suivante :
Sur les responsabilités encourues :
[...]
Sur les préjudices subis :
[...]
Dit que, pour exécuter la mission, l'expert sera saisi et procédera conformément aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284-1 du code de procédure civile ;
Enjoignons aux parties de remettre à l'expert :
- Le demandeur, immédiatement, toutes pièces médicales ou paramédicales utiles l'accomplissement de la mission, en particulier les certificats médicaux, certificats de consolidation, documents d'imagerie médicale, compte-rendu opératoires et d'examen, expertises
- Les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ;
Dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état, mais qu'il pourra également se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits, par tous tiers - médecins, personnels paramédicaux, établissements hospitaliers et de soins - toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire ;
[...]
Dit que M. [T] [V] devra verser une consignation de 1.200 euros, entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de ce tribunal, dans le délai de DEUX MOIS à compter de la présente décision ;
Dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;
Dit que l'exécution de la mesure d'instruction sera suivie par le juge du service du contrôle des mesures d'instruction de ce tribunal, spécialement désigné à cette fin en application des article 155 et 155-1 du même code ;
Dit n'y avoir lieu à référé concernant la demande de provision formée par M. [T] [V] ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejeté toutes les autres demandes des parties ;
Dit que les dépens de l'instance seront avancés par M. [T] [V];
Rappelé que la présente ordonnance bénéficie de l'exécution provisoire de droit.
Par déclaration au greffe en date du 27 octobre 2023, M. [U] a interjeté appel de cette décision et intimé M. [V], la clinique et la CGSSR.
M. [V] s'est constitué par acte du 3 novembre 2023.
La clinique s'est constituée par acte du 9 novembre 2023.
L'affaire a été fixée à bref délai selon avis en date du 20 novembre 2023.
M. [U] a déposé ses premières conclusions d'appel par RPVA le 22 novembre 2023.
L'appelant a signifié la déclaration d'appel, l'avis à bref délai et ses conclusions par acte du 28 novembre 2023 à la CGSSR (remise à personne morale) ;
La clinique a déposé ses conclusions d'intimée par RPVA le 28 novembre 2023.
M. [V] a déposé ses conclusions d'intimé par RPVA le 7 décembre 2023
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 mars 2024 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience de circuit court du 21 mai 2024.
***
Dans ses dernières conclusions n° 2 transmises par voie électronique le 22 décembre 2023, M. [U] demande à la cour de :
- Recevoir M. [U] en ses écritures, le disant bien-fondé ;
- Infirmer la décision attaquée en ce qu'elle a enjoint la partie défenderesse de produire tous documents utiles au bon déroulement des opérations d'expertise demandées par M. [V] :
" ['], à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf à établir leur origine et sous réserve l'accord de la victime sur leur divulgation."
Et statuant à nouveau :
- Dire que M. [U] pourra produire les éléments pièces, y compris médicales, nécessaires à sa défense dans le cadre des opérations d'expertise à intervenir, sans que les règles du secret médical ne puissent lui être opposées ;
- Laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
- Rejeter l'intégralité des demandes de M. [V].
***
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 décembre 2023, M. [V] demande à la cour de :
En la forme
- Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel ;
Au fond
- Le déclarer irrecevable et en toute hypothèse mal fondé ;
- Condamner l'appelant au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif ;
- Le condamner au paiement d'une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens en ce compris les frais d'expertise.
***
Dans ses uniques conclusions transmises par voie électronique le 28 novembre 2023, la clinique demande à la cour, au visa des articles 4, 5, 275 et 464 du code de procédure civile et 6 de la CEDH, de :
- Réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a imposé aux défendeurs la communication des documents en leur possession dans les conditions suivantes :
"-Les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ; "
- Dire et juger que la concluante pourra adresser à l'expert judiciaire le dossier correspondant à la prise en charge considérée comme litigieuse sans autorisation préalable de M. [V] ou tout autre personne ;
- Dire n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile;
- Dire que chaque partie gardera la charge de ses propres dépens.
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La CGSSR n'a pas constitué avocat.
***
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
A titre liminaire
La cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.
Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de " constatations " ou de " dire et juger " lorsqu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Sur la recevabilité de l'appel
1°) l'acquiescement
M. [V] soutient que l'appel de M. [U] est irrecevable dans la mesure où il a acquiescé à la demande d'expertise et à la mission sollicitée devant le juge des référés.
M. [U] rappelle qu'il a émis devant le juge des référés ses plus expresses réserves sur la mesure d'expertise et a demandé à ce que la mission de l'expertise soit complétée en ces termes : " Enjoindre à chaque partie de communiquer contradictoirement intégrabilité des pièces dont il adresse copie à l'expert selon bordereau , sans que les parties ne puissent se retrancher derrière le secret médical "
Sur ce,
Aux termes de l'article 408 du code de procédure civile :
" L'acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action.
Il n'est admis que pour les droits dont la partie à la libre disposition. "
Un acquiescement peut être exprès ou implicite. En cas d' acquiescement implicite, les faits ou le comportement invoqués doivent être dénués d'incertitude ou d'équivoque. Aucune condition particulière de forme n'est requise.
L' acquiescement à la demande correspond à l'acceptation des prétentions adverses, telles que formulées et, par voie de conséquence, à la reconnaissance de leur bien-fondé. Il doit résulter d'actes ou de faits démontrant, avec évidence et sans équivoque, l'intention de la partie de reconnaître le bien-fondé des prétentions adverses. Il a pour conséquence la reconnaissance du bien-fondé des prétentions du demandeur et emporte renonciation à l'action mais également l'extinction de l'instance si l'acquiescement met fin à intégralité du litige.
En l'espèce, il est constant que M. [U] a, devant le juge des référés formulé protestations et réserves sur le principe de sa responsabilité et sur la mesure d'expertise sollicité.
Il s'ensuit qu'il n'a pas acquiescé aux demandes formées par M. [V] dont la fin de recevoir ne pourra qu'être écartée de ce chef.
2°) les pouvoirs du juge des référés
Sur le fondement des articles 265, 155 et 155-1 du code de procédure civile, M. [V] soutient que l'appel de M. [U] est irrecevable dans la mesure où la juridiction compétente pour modifier la mission de l'expert n'est pas la cour mais le juge chargé du contrôle des expertises. Il ajoute que M. [U] a toute latitude pour saisir le juge chargé du contrôle des expertises pour sollicité la communication de pièces dont il pourrait refuser d'autoriser la production.
M. [U] fait valoir qu'il ne fait pas appel de la mission confiée à l'expert mais seulement à la dispositions enjoignant les défendeurs de remettre à l'expert " les documents, renseignements, réclamations ['], à l'exclusion de documents protégés par le secret professionnel et relatif à la victime sauf à établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ".
Aux termes de l'article 155 du code de procédure civile :
" La mesure d'instruction est exécutée sous le contrôle du juge qui l'a ordonnée lorsqu'il n'y procède pas lui-même.
Lorsque la mesure est ordonnée par une formation collégiale, le contrôle est exercé par le juge qui était chargé de l'instruction. A défaut, il l'est par le président de la formation collégiale s'il n'a pas été confié à un membre de celle-ci.
Le contrôle de l'exécution de cette mesure peut également être assuré par le juge désigné dans les conditions de l'article 155-1. "
L'article 155-1 du même code dispose que : " Le président de la juridiction peut dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice désigner un juge spécialement chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction confiées à un technicien en application de l'article 232. "
En l'espèce, le juge des référés a dit que l'exécution de la mesure d'instruction sera suivie par le juge du service du contrôle des mesures d'instruction de ce tribunal, spécialement désigné à cette fin en application des article 155 et 155-1 du code de procédure civile.
Pour autant, M. [U] a, dès le début, entendu que soit précisé, tant la qualité de l'expert qui devait être compétent en chirurgie orthopédique, que la communication contradictoire des pièces à l'expert " sans que les parties ne puissent se retrancher derrière le secret médical ".
Il ne s'agit donc pas de solliciter la modification de l'expertise déjà en cours mais bien de statuer sur la mission de l'expert elle-même, telle que sollicitée devant le juge des référés.
Il s'ensuit que l'irrecevabilité soulevée par M. [V] ne pourra qu'être écartée.
Sur le secret médical
M. [U] soutient en substance que c'est en méconnaissance de principes de valeur constitutionnelle et en violation des traités internationaux auxquels la France est partie, que l'ordonnance déférée a subordonné l'exercice de ses droits de la défense à l'autorisation préalable de la partie adverse. Il considère que la libre faculté donnée à une partie d'interdire à une autre de produire des pièces nécessaires à sa défense contient nécessairement une atteinte disproportionnée à l'égalité des armes découlant du droit au procès équitable. Il en déduit que cette violation ne peut que constituer une violation en soi des droits de la défense, garantis par la Déclaration des droits de l'homme, constituant un principe fondamental reconnu par les lois de la République, conforté par les engagements internationaux de la France, dont la Convention européenne des droits de l'homme, et ce, quelle que soit la valeur de l'intérêt qui y est opposé. Il ajoute que la demande d'expertise médicale formée par une partie contient implicitement, mais nécessairement, une autorisation de levée du secret médical, faute de quoi le bon déroulement de la mesure d'expertise ordonnée ne pourrait même plus être garanti, au détriment d'ailleurs du demandeur lui-même, sauf à ce qu'il cherche et impose, par le biais d'une sélection de pièces, une expertise orientée exclusivement dans le sens de son propre intérêt, faisant ainsi du juge et de l'expert de simples auxiliaires de sa stratégie judiciaire.
La clinique fait valoir qu'en soumettant la production de pièces médicales par la partie défenderesse à l'accord préalable de l'autre partie au litige, alors que ces pièces sont par essence utiles voire même essentielles aux droits de la défense, et par suite, à, la manifestation de la vérité, l'ordonnance rendue porte atteinte à ses droits de la défense. Elle estime par ailleurs qu'en versant spontanément au débat les comptes rendus opératoires et comptes rendus d'hospitalisation, M. [V] a renoncé tacitement au secret médical.
M. [V] argue principalement que le fait de demander une expertise médicale emporte renonciation au secret médical pour ce qui est l'objet du procès et en déduit qu'il est donc normal que la production de toute autre pièce soit soumise à son accord et, au cas de refus de sa part, le juge chargé du contrôle des expertises aurait à statuer sur la demande de production de pièces médicales. Il considère qu'il n'y a ici aucune inégalité des armes à contrôler la production de tout le passé médical du patient sans lien direct avec le procès.
Sur ce,
Aux termes de l'article L 1110-4 I du code de la santé publique :
" I. Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. "
Conformément aux dispositions de l'article R. 4127-4 du même code, le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Il couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.
Le secret médical couvre non seulement les informations que le patient a communiquées à son médecin mais aussi tout ce que ce dernier a pu apprendre dans l'exercice de son activité sur la vie privée du malade.
L'article 226-13 du code pénal sanctionne " la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire " d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret (article 226-14).
Ce principe est confronté, notamment à l'occasion d'une instance tenant à l'allégation d'une faute professionnelle du médecin, à un autre principe ayant valeur constitutionnelle, qu'est la préservation des droits de la défense ou à valeur supra-législative que sont le principe de l'égalité des armes et du droit à un procès équitable énoncés par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En l'espèce, le juge des référés a enjoint les défendeurs, de remettre à l'expert " aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatif à la victime sauf à établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation.
Or, en conditionnant la production à l'expert des " documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations " concernant M. [V] à l'obtention de son accord préalable, le juge des référés a mis M. [U] et la clinique recherchés pour d'éventuels manquements dans l'impossibilité d'organiser leur défense.
Cette condition apparaît comme disproportionnée au vu des intérêts en présence, alors même que la nature de la mesure de l'expertise sollicitée, destinée à établir une faute éventuelle du professionnel de santé dans la prise en charge d'un patient, implique que des éléments, normalement soumis au secret médical, soient portés à la connaissance de l'expert, lui-même médecin.
Enfin en tout état de cause, l'expert ne peut réaliser la mission confiée qu'en disposant de l'ensemble du dossier médical du patient et en limiter sa connaissance à la production de pièces approuvées par le patient entraverait l'exercice de sa mission confiée et ne lui permettrait pas de répondre objectivement aux questions posées.
Cela justifie l'infirmation de l'ordonnance déférée, à cet égard.
Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, de dire que les défendeurs devront remettre à l'expert aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sans que puisse leur être opposé le secret médical.
Sur la demande de dommages et intérêts
En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil anciens (devenus les articles 1240 et 1241 depuis le 1er octobre 2016), tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
En l'espèce, M. [V] ne démontre pas que la procédure ait dégénéré en abus de droit, ou aurait été intentée dans l'intention de lui nuire, de sorte qu'il convient de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
A hauteur d'appel, il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Rejette les fin de non-recevoir tirée de l'acquiescement supposé de M. [J] [U] et du défaut de pouvoir du juge de référés soulevées par M. [T] [V]
- Confirme l'ordonnance de référé rendue le 11 octobre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a enjoint aux défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf établir leur origine et sous réserve de l'accord de la victime sur leur divulgation ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
- Enjoint aux défendeurs de remettre à l'expert aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, y compris les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la partie demanderesse, sans que puisse leur être opposé le secret médical ;
Y ajoutant,
- Dit que chaque partie conserve ses dépens d'appel ;
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT