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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. B, 10 septembre 2024, n° 22/06530

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mathylma (Sté)

Défendeur :

Arjo France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goursaud

Conseillers :

Mme Lemoine, Mme Lecharny

Avocats :

Me Panthou, Me Moulin, Me Minchella

TJ Lyon, ch 3 cab 03, du 13 sept. 2022, …

13 septembre 2022

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par acte authentique du 15 mars 2011, la société Mathylma a acquis des locaux professionnels sis, [Adresse 2] à [Localité 4], pour un prix de 2.767.845€ de la société HNE médical, aux droits de laquelle vient la société Arjohuntleigh, désormais dénommée Arjo France, en suite d'une fusion absorption de la première par la seconde.

Par courrier recommandé du 4 mars 2013, la société Mathylma s'est plaint auprès de la société Arjohuntleigh de dysfonctionnements du système de chauffage-climatisation de l'immeuble, la température étant trop froide en hiver et trop chaude en été.

Par acte d'huissier de justice du 12 décembre 2014, la société Mathylma a fait assigner la société Arjohuntleigh en garantie des vices cachés devant le tribunal de grande instance de Lyon.

Par ordonnance du 3 juillet 2017, le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise judiciaire et désigné M [U] en qualité d'expert.

Le rapport d'expertise a été déposé le 2 juin 2018.

Par jugement du 13 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a :

- débouté la société Mathylma de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamné la société Mathylma aux dépens, comprenant les frais d'expertise ;

- condamné la société Mathylma à payer à la société Arjo France la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.

Par déclaration du 29 septembre 2022, la SCI Mathylma a interjeté appel.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 24 mai 2023, la SCI Mathylma demande à la cour de :

- déclarer la société Mathylma recevable et bien fondée en son appel,

y faisant droit,

- infirmer le jugement dont appel en l'ensemble de ses dispositions,

statuant à nouveau et ajoutant :

- condamner la société Arjo France à lui restituer à une partie du prix de vente égale à 229.866 €, outre intérêts de retard au taux légal à compter du 15 mars 2011 et ce, sous astreinte de 1.000 € par jour à compter de la signification de la décision à intervenir, sur le fondement de la garantie des vices cachés ;

- condamner la société Arjo France à lui verser la somme de 77.089,20 € à titre de dommages et intérêts en réparation des frais de remise en état,

- condamner la société Arjo France à lui verser la somme de 61.600 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct subi,

- condamner la société Arjo France à lui verser la somme de 8.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel comprenant notamment les frais d'expertise s'élevant à 13.590 € HT ;

- débouter la société Arjo France de ses demandes au titre de l'article 700 et des dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 29 juin 2023, la société Arjo France demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal judicaire de Lyon du 13 septembre 2022 en ce qu'il a débouté la SCI Mathylma de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la Société Arjo France et l'a condamnée aux dépens, comprenant les frais d'expertise judiciaire, ainsi qu'à verser à la Société Arjo France la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

ce faisant,

- débouter la SCI Mathylma de sa demande de restitution « d'une partie du prix de vente » qu'elle fonde sur l'article 1644 du code civil et qu'elle a forfaitairement estimé à une somme variant entre 142.714 € et 229.866 €.

- débouter la SCI Mathylma de sa demande de condamnation « à titre d'indemnisation de la remise en état » qu'elle fonde sur l'article 1645 du code civil et qu'elle a estimé à la somme de 77.089,20 €.

- débouter la SCI Mathylma de sa demande de condamnation « à titre d'indemnisation des préjudices subis » qu'elle fonde également sur l'article 1645 du code civil et qu'elle a estimé à la somme de 61.600 €

- débouter la SCI Mathylma de toute demande indemnitaire fondée sur l'article 1382 ancien du code civil.

y ajoutant,

- condamner la SCI Mathylma à verser à la Société Arjo France, anciennement dénommée Arjojuntleigh, la somme de 8.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la SCI Mathylma aux dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 06 juillet 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur l'action en garantie des vices cachés

La SCI Mathylma sollicite la restitution d'une partie du prix de vente égale à 229.866 €, sous astreinte de 1.000 € par jour à compter de la signification de la décision à intervenir, sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Elle fait notamment valoir que :

- elle a découvert les désordres à son entrée dans les lieux le 15 mars 2011 et a fait délivrer une assignation le 13 mars 2013 dans le délai de 2 ans prévu à l'article 1648 du code civil,

- un dysfonctionnement du système de chauffage/climatisation a été constaté,

- d'après le rapport d'audit technique LGGE du système du 25 juin 2013 ce dysfonctionnement est permanent et d'importants et coûteux travaux de remise en état sont nécessaires,

- le fonctionnement du système de chauffage/climatisation était une condition indispensable lors de l'achat des locaux litigieux puisqu'il s'agit de locaux commerciaux occupés quasiment en permanence par des salariés,

- l'antériorité du vice est confirmée par l'expert, ainsi que par le bilan des pannes récurrentes du système de chauffage/climatisation démontrant une persistance des désordres remontant à la réalisation de l'immeuble en 2001,

- le vice était caché au jour de la vente dès lors qu'elle n'est pas professionnelle de l'immobilier et qu'elle n'a aucune compétence technique en matière de chauffage/climatisation, seuls des audits et des expertises réalisés par des spécialistes du métier ayant permis de révéler les vices,

- le système litigieux était non apparent car caché dans le faux plafond,

- la société venderesse HNE Médical avait connaissance du vice dès lors qu'elle avait entamé des démarches (devis, expertise, etc.) pour pallier aux désordres,

- suite à la fusion-absorption, la connaissance du vice a été transférée à la société Arjo France en raison de la transmission des archives et de la conservation des dirigeants, bénéficiaires effectifs et salariés,

- la société Arjo France, qui ne l'a pas informée du vice ne peut se prévaloir d'une clause d'exclusion de garantie,

- elle est de bonne foi, le prix de vente ne tient pas compte du devis qui ne lui a été transmis qu'en 2018, établi par la société Someci le 20 mars 2006 pour un montant de 57.858,89 € à l'attention de HNE médical,

- peu importe que la société Arjo n'ait pas eu la charge de la maîtrise d''uvre, seule compte sa qualité de venderesse,

- l'accès aux factures d'énergie ne permettait pas de déceler le vice et aucun défaut d'entretien ne peut lui être reproché.

La société Arjo France fait notamment valoir en réplique que :

- l'expert a conclu que l'isolation thermique du bâtiment n'est pas affectée d'un vice caché,

- la SCI Mathylma ne démontre pas que la mauvaise isolation aurait rendu le bâtiment impropre à l'usage auquel il est destiné et ne justifie pas non plus des troubles qu'elle allègue,

- un diagnostic de performance énergétique a été établi par le Cabinet Cote Diagnostic, annexé à l'acte de vente, qui a informé la SCI Mathylma sur ce point,

- en tant que professionnelle de l'immobilier elle a également pu obtenir tous les renseignements qu'elle estimait utiles avant la vente,

- l'expert a également retenu que l'installation de chauffage, bien qu'affectée de quelques erreurs de réalisation d'origine, avait surtout près de 18 ans, ce qui nécessite un entretien régulier et le changement de grosses pièces comme la pompe à chaleur,

- c'est depuis la vente que les détériorations du système ont été constatées signe d'une insuffisance d'entretien de la part de la SCI Mathylma,

- la société Arjohuntleigh n'étant pas locataire du bâtiment, n'avait pas connaissance du manque de puissance de l'installation de chauffage, d'autant que d'après l'expert ce manque de puissance était difficilement remarquable car éphémère, dépendant des conditions météos,

- l'opération de fusion-absorption a emporté dissolution de la personne morale absorbée de sorte que la Société Arjohuntleigh n'a récupéré que le patrimoine de la société HNE médical, conformément à l'article L.236-3 du code de commerce,

- la connaissance d'un vice n'a aucune valeur patrimoniale,

- si certaines démarches ont été entreprises pour remédier à des pannes ponctuelles, l'exploitation de l'activité exercée par la société HNE médical dans l'immeuble n'a jamais été perturbée et rien n'établit qu'après la fusion-absorption, elle ait eu connaissance de ces pannes ponctuelles,

- l'immeuble a été vendu à un prix bien inférieur à celui de son acquisition par la société HNE médical et a été négocié afin de prendre en compte les éventuels travaux à réaliser dans l'immeuble,

- la SCI Mathylma ne s'est jamais plainte de tels désordres en deux ans auprès d'elle, antérieurement à sa mise en demeure et à son assignation de mars 2013,

- l'acte de vente du 15 mars 2011 prévoit une clause exclusive de garantie du vendeur au titre des vices cachés, dont la société Arjohuntleigh peut se prévaloir dès lors qu'elle n'est pas un professionnel de la construction ou de l'immobilier et qu'il n'est pas démontré qu'elle avait connaissance d'un tel vice.

Réponse de la cour

Selon l'article 1643 du code civil, le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

Un telle stipulation ne peut être opposée à l'acquéreur par un vendeur qui connaissait les vices de la chose, étant précisé que la preuve de cette connaissance incombe à l'acquéreur.

En l'espèce, l'acte de vente du 15 mars 2011 stipule que « l'acquéreur, sauf à tenir compte de ce qui peut être indiqué par ailleurs: prendra le bien vendu dans l'état où il se trouve au jouer de l'entrée en jouissance sans garantie de la part du vendeur sauf à être subrogé dans le bénéfice des garanties prévues par les articles 1792 et suivants du code civil pour celles susceptibles d'être encore mises en jeu, pour raison (...) de l'état des constructions, de leurs vices mêmes cachés, sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires (...) ».

La société Mathylma soutient que la clause exonératoire de garantie ne s'applique pas à la société venderesse, la société Arjohuntleigh, qui avait connaissance du vice dont elle se prévaut car cette connaissance lui aurait été transmise par la société HNE medical qu'elle a absorbée.

La société HNE Medical a acquis l'immeuble litigieux le 5 juillet 2001 en l'état futur d'achèvement et l'a occupé jusqu'à sa fusion-absorption le 30 mars 2010 par la société Arjo équipements hospitalier, dont la société Arjohuntleigh est le résultat, l'immeuble ayant ensuite été vendu le 15 mars 2011 à la société Mathylma.

Il résulte de divers devis et expertises non judiciaires datant de 2006 et 2008 que la société HNE Medical avait engagé diverses démarches aux fins de remédier à des insuffisances du système de chauffage et de climatisation de l'immeuble de [Localité 4], ce qui établit qu'elle avait connaissance des dysfonctionnements qui font l'objet de la présente procédure.

Pour autant, ainsi que l'a a juste titre relevé le premier juge, la société Mathylma ne saurait déduire de la fusion-absorption de la société HNE Medical par la société Arjohuntleigh, la connaissance par cette dernière du vice, dès lors qu'une telle opération emporte dissolution de la personne morale absorbée, la société absorbante ne récupérant que le patrimoine de celle-ci, en application de l'article L 236-3 du code de commerce, ce qui n'englobe pas la connaissance du vice.

Il incombe en conséquence à la société Mathylma de démontrer que cette connaissance a effectivement été transmise à la société Arjohuntleigh lors de l'opération de fusion-absorption.

En premier lieu, s'il exact que M. [R] était le dirigeant de la société Mathylma et de la société Arjo équipements hospitaliers, dont il était par ailleurs actionnaire, à l'époque de l'opération de fusion-absorption en 2010, il y a lieu de relever que de juin 2001 à janvier 2008, qui correspond à la période à laquelle des démarches ont été effectuées pour procéder aux réparations du système de chauffage et de climatisation, M. [X] était le dirigeant de la société HNE Médical.

Dès lors, on ne peut déduire de l'identité de dirigeants entre la société absorbée et la société absorbante que la connaissance du vice a été transmise de la première à la seconde, à défaut d'avoir la preuve que ce dirigeant avait connaissance du vice.

En deuxième lieu, la circonstance que M. [B], qui a été salarié de la société HNE Medical puis de la société Arjohuntleigh atteste qu'il avait connaissance de dysfonctionnements du chauffage, ne permet pas d'établir que cette connaissance est passée de la première société à la seconde, à défaut pour ce salarié de les représenter ou de justifier qu'il avait des fonctions particulières au sein de la société permettant de la rendre destinataire de ce type d'information.

En troisième lieu, on ne peut pas plus déduire du fait que le traité de fusion mentionne de façon très générale que « les archives techniques et commerciales, les pièces comptables, les registres et, en général, tout document quelconque appartenant à la société HNE Medical » font partie du fonds de commerce, que la société Arjo équipements hospitaliers a été mise en possession des devis de réparation du système de chauffage et informée des dysfonctionnements l'affectant, alors qu'au paragraphe suivant relatif aux « Déclarations concernant l'immeuble », qui concerne donc spécifiquement l'immeuble litigieux, il n'est pas mentionné que des démarches dans le cadre de la garantie décennale auraient été engagées ou un quelconque incident concernant le système de chauffage/climatisation.

En quatrième lieu, ainsi que le soutient à juste titre la société Arjohuntleigh, l'opération de fusion-absorption réalisée en 2010 n'avait pas pour objectif de faire échapper la société HNE Medical à une responsabilité civile ou pénale alors qu'elle n'était concernée par aucune réclamation et n'avait engagé aucune action amiable ou judiciaire se rapportant au système de chaufferie de l'immeuble, de sorte que la société Arjohuntleigh n'avait pas de raison d'être particulièrement alertée sur son fonctionnement. Par ailleurs, aucune fraude ne peut donc être recherchée.

Dans ces conditions, la preuve que la connaissance du vice a été transmise de la société HNE Medical à la société Arjohuntleigh n'est pas rapportée.

Par ailleurs, il ne peut être déduit de la circonstance que la société Arjo équipements hospitaliers a occupé l'immeuble du 30 mars 2010 au 31 décembre 2010, qu'elle a eu connaissance du vice.

En effet, si l'expert judiciaire indique dans son rapport que les « problèmes ne pouvaient pas être ignorés par les occupants d'origine », ainsi que la société Mathylma le fait valoir, il indique également que « le manque de puissance apparaît de façon sensible à partir et en dessous de 0°C extérieur, voire -3 à -5°C selon les locaux. Ce type de conditions météorologiques, proches des extrêmes en région lyonnaise est suffisamment peu fréquent pour que le désordre ait été clairement identifié », ce qui permet de penser que sur la courte durée d'occupation des locaux par la société Arjohuntleigh et en l'absence de conditions météorologiques favorables, celle-ci a pu ne pas découvrir le vice.

Dès lors, contrairement à ce qui est soutenu par la société Mathylma, la société n'a pas eu nécessairement connaissance du vice du fait de son occupation des locaux pendant 9 mois.

En conséquence, par confirmation du jugement, il convient de retenir que la clause exonératoire de garantie stipulée au profit du vendeur est applicable et que la société Mathylma doit être déboutée de ses prétentions.

2. Sur les autres demandes

Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Arjo France, en appel. La société Mathylma est condamnée à lui payer à ce titre la somme de 3.000 €.

Les dépens d'appel sont à la charge de la société Mathylma qui succombe en sa tentative de remise en cause du jugement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Mathylma à payer à la société Arjo France, la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Mathylma aux dépens de la procédure d'appel, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.