CA Bordeaux, 4e ch. com., 9 septembre 2024, n° 23/04383
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Arbre Construction (SARL)
Défendeur :
Bois & Matériaux (SAS), Edilfibro SPA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocats :
Me D'Alton-Birouste, Me Charbonneau, Me Laydeker, Me Razafy, Me Bouhet
EXPOSE DU LITIGE :
Le 17 mars 2003, la SARL Vallade [P] (ci-après dénommée également le maître de l'ouvrage), a confié la réalisation de travaux de charpente, couverture et bardage d'un bâtiment agricole à la société Boulesteix, désormais dénommée Arbre Construction (le constructeur), qui s'est approvisionnée en matériaux auprès de la société PBM Aquitaine, aux droits de laquelle est ensuite venue la société Wolseley France Bois Matériaux, devenue société Bois et Matériaux (le fournisseur), laquelle s'est elle-même fournie auprès de la société de droit italien Edilfibro SPA (le fabricant), en plaques de couverture en fibrociment.
Celles-ci ont été livrées sur le chantier le 31 décembre 2003.
La réception de l'ouvrage est intervenue le 8 avril 2004.
Par acte d'huissier de justice du 10 juillet 2012, le maître de l'ouvrage, qui faisait état
d'infiltrations survenues dans le bâtiment en 2012, a assigné en référé la société Boulesteix aux fins de voir ordonner une mesure d'expertise judiciaire.
Par ordonnance du 16 octobre 2013, il a été fait droit à sa demande.
Les opérations d'expertise ont ensuite été étendues aux sociétés Bois & Matériaux et Edilfibro à l'initiative d'Arbre Construction à la suite d'assignations du 17 septembre 2013.
Le 28 mai 2015, l'expert a déposé un rapport concluant à la réalité de multiples infiltrations provenant des plaques de la couverture, fragilisant celle-ci et rendant selon lui l'immeuble impropre à sa destination, chiffrant à 41.730 euros TTC le coût de remplacement des plaques défectueuses et à 2.580 euros TTC les travaux de remise en état du local à usage de bureaux.
PROCEDURE :
Par actes des 22, 24 et 29 juillet 2015, le maître de l'ouvrage a fait assigner devant le tribunal de commerce de Limoges les sociétés Arbre Construction, Wolseley France Bois & Matériaux et Edilfibro, pour voir juger que la société Edilfibro est responsable des désordres affectant les panneaux et de la voir condamner à lui verser la somme de 41 730 euros, outre diverses sommes, en indemnisation de son préjudice. A titre subsidiaire, elle a sollicité la condamnation solidaire de la société Boulesteix, de la société Wolseley et de la société Edilfibro , 'en fonction de la part de responsabilité qui sera retenue par le tribunal' au paiement des mêmes sommes.
Par jugement du 24 février 2016, le tribunal de commerce de Limoges a, notamment:
- débouté la société Vallade [P] de sa demande de voir condamner la société Edilfibro Spa,
- débouté la société Wolseley France Bois & Matériaux de sa demande d'être mise hors de cause pour défaut de traçabilité du produit litigieux à son égard,
- débouté la société Wolseley France Bois & Matériaux de sa demande de voir déclarer prescrite l'action dirigée à son encontre,
- débouté la société Edilfibro Spa de sa demande de voir dire et juger que la société Boulesteix ne rapporte pas la preuve de ce que les produits fournis par la société Wolseley France Bois & Matériaux sont toujours sous garantie contractuelle,
- débouté la société Edilfibro Spa de sa demande de voir dire et juger que la société Boulesteix à son égard ainsi qu'à l'égard de la société Wolseley France Bois & Matériaux forclos sinon prescrite,
- débouté Wolseley France Bois & Matériaux de sa demande de voir la société Vallade [P] être déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société Vallade [P] de sa demande de voir condamner solidairement Wolseley France Bois & Matériaux et Edilfibro,
- débouté la société Edilfibro Spa de sa demande de voir dire et juger que les investigations de M. [P] ne permettent en rien d'établir sa responsabilité dans les désordres constatés et que celui-ci s'est contenté de conclure au moyen de 'son intime conviction',
- débouté la société Wolseley France Bois & Matériaux de sa demande de voir condamné la société Edilfibro SPA à la garantir et à la relever indemne de toute condamnation,
- débouté la société Arbre Construction de toutes ses demandes,
- condamné la société Arbre Construction à verser à la société Vallade [P]:
- une somme de 45.000 euros HT au titre du coût de remise en état des bâtiments,
- une somme de 2.510 euros HT au titre de la remise en état des bureaux,
- une somme de 787,50 euros HT correspondant à la note d'eau,
- débouté la société Vallade [P] de sa demande de se voir verser la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 1147 du code civil,
- condamné la société Boulesteix à verser une somme de 1000 euros à la société Vallade [P] ainsi qu'à la société Wolseley France Bois et Matériaux et à la société Edilfibro SPA sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure ainsi qu'aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise et le coût de la présente décision liquidée à la somme de 117 euros dont 19,50 euros de TVA.
Par déclaration du 15 mars 2016, la société Arbre Construction a relevé appel de ce jugement en intimant toutes les parties.
Elle s'est ensuite désistée à l'égard de Vallade [P] et le conseiller de la mise en état a, selon ordonnance du 18 mai 2016, constaté l'extinction de l'instance entre elles et que le jugement était définitif en ce qu'il avait jugé dans leurs rapports.
Par arrêt du 21 février 2017, la cour d'appel de Limoges, statuant dans les limites de l'appel, a:
- confirmé le jugement en ce qu'il avait considéré non prescrits les recours en garantie d'Arbre Construction et sur la traçabilité des plaques en cause,
- réformé le jugement en ce qu'il avait rejeté les demandes en garantie à l'encontre de la société Bois & Matériaux et Edilfibro, et en ce qu'il condamnait la société Arbre Construction à verser une indemnité de procédure à la société Bois & Matériaux
statuant à nouveau :
- déclaré recevable l'action directe de la société Arbre Construction contre la société Edilfibro,
- condamné la société Bois & Matériaux à garantir la société Arbre Construction de l'intégralité des condamnations mises à sa charge par le jugement du 24 février 2016,
- condamné la société Edilfibro à garantir la société Bois &Matériaux des condamnations mises à sa charge,
- condamné in solidum les sociétés Bois & Matériaux et Edilfibro à relever et garantir la société Arbre Construction de l'intégralité des condamnations mises à sa charge par le tribunal de commerce de Limoges le 24 février 2016,
- dit que les dépens de première instance à la charge de la société Arbre Construction seraient garantis par la société Bois & Matériaux et Edilfibro,
- condamné in solidum Bois & Matériaux et la société Edilfibro aux dépens d'appel, ainsi qu'à garantir Arbre Construction de l'indemnité de procédure de 1.000 euros mise à sa charge au profit de la société Vallade [P], et à verser 3.000 euros à Arbre Construction sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A la suite du pourvoi formé par la société Edilfibro, la Cour de cassation a, par arrêt du 16 janvier 2019, cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, sauf en ce que, confirmant le jugement, celui-ci avait rejeté la demande de mise hors de cause de la société Bois & Matériaux pour défaut de traçabilité du produit litigieux à son égard, et elle a renvoyé la cause et les parties devant la cour de Poitiers.
La société Arbre Construction a saisi la cour d'appel de Poitiers, cour de renvoi, par déclaration du 14 mars 2019.
Par arrêt du 26 novembre 2019, la cour d'appel de Poitiers a:
- infirmé le jugement déféré en ses chefs de décision afférents aux sociétés Bois & Matériaux et Edilfibro SPA, sauf au titre des indemnités de procédure qu'il leur alloue,
statuant à nouveau de ce chef :
- déclaré prescrite l'action exercée par la société Arbre Construction (anciennement Boulesteix) à l'encontre de la société Bois & Matériaux et de la société Edilfibro SPA,
- dit que ses demandes envers elles sont irrecevables,
- condamné la S.A.R.L. Arbre Construction (anciennement Boulesteix) aux dépens de première instance et d'appels sur renvoi de cassation afférents à la mise en cause des sociétés Bois & Matériaux et Edilfibro, qui incluront ceux de la procédure d'appel ayant abouti à l'arrêt cassé du 21 février 2017 de la cour d'appel de Limoges,
- l'a condamnée à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à titre d'indemnité de procédure d'appel
* 3.000 euros à la société Bois & Matériaux
* 3.000 euros à la société Edilfibro.
La société Arbre Construction a formé un pourvoi contre cet arrêt.
Par arrêt du 21 juillet 2023, la chambre mixte de la cour de cassation, a cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers et a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Bordeaux aux motifs que :
'pour déclarer prescrites les actions récursoires du constructeur, l'arrêt énonce que le délai de l'article L. 110-4 du code de commerce constitue le délai-butoir de la prescription extinctive de l'action en garantie des vices cachés et ce, y compris depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, qu'il appartenait au constructeur d'agir, non seulement dans le délai de deux ans à compter de la révélation du vice apportée par les conclusions du rapport d'expertise, mais aussi avant l'expiration du délai de l'article L. 110-4, lequel, ramené de dix à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 et non encore échu à l'entrée en vigueur de ce texte, les matériaux ayant été livrés le 31 décembre 2003, expirait le 18 juin 2013, et en déduit que les actions du constructeur étaient prescrites lorsqu'il a assigné le fabricant et le fournisseur le 17 septembre 2013.
En se déterminant ainsi, alors que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, si le délai de prescription décennal antérieur n'est pas expiré à cette date, l'action en garantie des vices cachés est encadrée par le délai-butoir de vingt ans de l'article 2232 du code civil courant à compter de la vente conclue par la partie recherchée en garantie, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si, à la date du recours du constructeur contre son fournisseur, d'une part, et contre le fabricant, d'autre part, le délai de dix ans courant à compter de chacune des ventes conclues par ces parties n'était pas expiré, et, dans la négative, si les recours avaient été engagés dans le délai de vingt ans suivant la date de chacune des ventes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision'.
Par déclaration du 21 septembre 2023, la société Arbre Construction a saisi la cour d'appel de Bordeaux en qualité de juridiction de renvoi.
Par décision du 12 avril 2024, le président de la 4ème chambre de la cour d'appel de Bordeaux a rejeté la demande de la société Bois & Matériaux tendant à voir déclarer caduque la déclaration de saisine formée par la société Arbre Construction le 21 septembre 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique en dernier lieu le 21 mai 2024, la société Arbre Construction demande à la cour de :
Vu l'article 1353 du Code civil
Vu l'article 1641 du Code civil ;
Vu l'article 1648 du Code civil ;
Vu l'article L. 110-4 du Code de commerce ;
Vu l'article 2232 du Code civil ;
Vu l'article 2234 du Code civil ;
Vu l'article 26 de la Loi du 17 juin 2008 ;
Vu l'article 122 du Code de procédure civile ;
Vu le rapport d'expertise du 1er juin 2015 ;
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Limoges du 24 février 2016 en ce qu'il a rejeté les appels en garantie formés par la société Arbre Construction à l'encontre des sociétés Wolseley France Bois et Matériaux et Edilfibro et en ce qu'il l'a condamné à payer à ces sociétés 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
Et, statuant à nouveau :
- de juger recevable la demande formée par la société Arbre Construction sur le fondement de la garantie des vices cachés tant à l'encontre de la société Bois et Matériaux au titre de la garantie contractuelle née du contrat de vente conclu avec la société PBM Aquitaine, dans les droits de laquelle vient la société Wolseley France Bois et Matériaux par suite d'une fusion absorption, que de la société Edilfibro au titre de la transmission réelle des actions née du transfert de la propriété des plaques de fibrociment mises en 'uvre ;
- de juger que les plaques de fibrociment fabriquées par Edilfibro et vendues à la société PBM Aquitaine puis à la société Arbre Construction sont affectées d'un vice caché portant atteinte à la destination des biens vendus comme de l'ouvrage dans lequel les matériaux ont été mis en 'uvre ;
Partant :
- de condamner la société Wolseley France Bois et Matériaux et la société Edilfibro in solidum au paiement de la somme de 57.548,03 euros, outre les intérêts courant à compter du 27 mars 2019, date de l'exécution du jugement de première instance, avec anatocisme ;
- de condamner la société Edilfibro et la société Wolseley France Bois et Matériaux à payer à la société Arbre Construction la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- de condamner la société Edilfibro et la société Wolseley France Bois et Matériaux à payer à la société Arbre Construction aux entiers dépens de l'ensemble des instances initiées et développées dans le cadre du présent litige.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique en dernier lieu le 19 janvier 2024, la société Bois et Matériaux demande à la cour de :
Vu l'article L110-4 du Code de Commerce,
Vu les articles 1641 et suivants du Code Civil,
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Limoges du 24 février 2016,
A titre principal et par voie incidente,
- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Limoges du 24 février 2016 en ce qu'il a débouté la société Wolseley France Bois et Matériaux aux droits de laquelle vient la société Bois et Matériaux, de sa demande de voir prescrite l'action dirigée à son encontre ;
Et statuant à nouveau,
- Dire et juger que l'action en garantie exercée par la SARL Arbre Construction à l'encontre de la société Bois et Matériaux, est prescrite et par conséquent irrecevable
- Subsidiairement, Dire et juger que l'action en garantie exercée par la SARL
Arbre Construction à l'encontre de la société Bois et Matériaux ;
Subsidiairement,
- Condamner la Société Edilfibro à garantir et relever indemne la société Bois et Matériaux de toutes condamnations en principal, intérêts, frais, dépens ou accessoires qui pourraient être prononcées contre elle ;
En tout état de cause,
- Condamner la SARL Arbre Construction ou toute autre partie succombante à payer à la société Bois et Matériaux, une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique en dernier lieu le 19 mars 2024, la société Edilfibro Spa demande à la cour de :
Vu le jugement du 24 février 2016, vu le rapport de Mr [P], L'arrêt du 21 Février 2017, l'arrêt du 19/01/2019, l'arrêt du 23 juillet 2023, les éléments d'appréciation produits ;
- Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
En jugeant notamment que la SARL Arbre Construction prescrite en son recours, le recours du maitre d'ouvrage étant lui-même prescrit au visa des articles L110-4 du code de commerce et/ou 1648 du code civil , l'acte suspensif de la SAS VALLADE étant intervenu plus d'un mois après le délai butoir prévu par la loi du 18 juin 2008, et le bref délai étant amplement dépassé au regard de la relation des faits par le maitre d'ouvrage en son acte introductif d'instance ;
Sinon par appel incident :
- Débouter la Sté Boulesteix, aujourd'hui Arbre Construction de son recours contre la Sté Edilfibro, l'expertise menée ne permettant pas d'établir la responsabilité de la Sté Edilfibro et son recours étant aujourd'hui soit sans objet aux visas combinés des arrêts de cassation des 19 janvier 2019 et 23 juillet 2023 soit irrecevable au visa de l'article 39.1 de la convention de Vienne du 14 avril 1980 ;
- Subsidiairement et par appel incident : Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Edilfibro de sa demande de débouté de la société Bois Matériaux et Distribution faute de rapporter la traçabilité de la date de livraison des matériaux;
En conséquence :
- Débouter la société Bois Matériaux et Distribution de son appel en garantie au visa de l'article 39.1 de la convention de Vienne sinon par son incapacité à prouver que les matériaux étaient toujours sous la garantie contractuelle de 10 ans de la Sté Edilfibro au 17 septembre 2013, date de la suspension de la prescription par l'assignation en référé de la SAS Vallade;
- Fixer en tout état de cause toute condamnation à intervenir en franchise de TVA ;
- Condamner la partie succombante à 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC dont distraction au profite de Me Bouhet sur le fondement de l'article 699 code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 juin 2024, date à laquelle elle a été plaidée et mise en délibéré.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le périmètre de saisine de cette cour:
1- La société Arbre construction s'est désistée de son appel à l'encontre du maître de l'ouvrage. Les condamnations prononcées à son encontre au profit de celui-ci par le tribunal de commerce de Limoges aux termes de sa décision du 24 février 2016, après avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, sont donc définitives.
2- S'agissant du surplus, la décision de la cour d'appel de Limoges du 21 février 2017 a été cassée sauf en ce que, confirmant le jugement, la cour d'appel a rejeté la demande de mise hors de cause de la société Bois & Matériaux pour défaut de traçabilité du produit litigieux à son égard. Ce chef est définitif et ne peut dès lors plus être remis en cause devant cette cour.
3- La décision de la seconde cour d'appel a été cassée dans son intégralité.
4- Cette cour est donc exclusivement saisie du recours du constructeur contre le fournisseur et le fabricant, étant rappelé que les juges de première instance :
- ont rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action du constructeur contre le fournisseur et le fabricant,
- ont débouté le constructeur de son recours au motif qu'il ne prouvait pas que les matériaux incriminés avaient été conçus selon des exigences précises et déterminées à l'avance et spécifiquement pour répondre aux besoins du bâtiment.
5- Le constructeur a formé un appel principal sur le chef de la décision l'ayant débouté de sa demande d'indemnisation. Le fournisseur a formé un appel incident portant sur le chef de la décision ayant rejeté la fin de non-recevoir qu'il soulevait tirée de la prescription de l'action du constructeur à son encontre. Le fabricant sollicite la confirmation de la décision de première instance en indiquant par erreur que celle-ci a déclaré prescrite l'action du constructeur à son égard et 'sinon par appel incident' demande à la cour de débouter la société Arbre Construction de son recours et 'subsidiairement et par appel incident d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Edelfibro de sa demande de rapporter la traçabilité de la date de livraison des matériaux'.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action du constructeur à l'encontre du fournisseur et du fabricant des plaques en fibrociment :
6- Le fournisseur, la société Bois et Matériaux, soutient que l'action du constructeur à son encontre est prescrite. Il affirme que la solution retenue par la cour de cassation dans son arrêt du 21 juillet 2023 est critiquable car elle instaure une quasi- imprescriptibilité en matière de garantie de vices cachés des vendeurs de matériaux, ce qui porte atteinte au principe de sécurité juridique. Il ajoute que l'action du maître de l'ouvrage contre le constructeur était prescrite et que dès lors l'action récursoire du maître de l'ouvrage n'a plus d'objet, le constructeur étant seul responsable du fait qu'il se soit désisté de son appel dirigé à l'encontre du maître de l'ouvrage.
7- Le fabricant, la société Edilfibro SPA, conteste également la solution retenue par la chambre mixte et affirme qu'il convient d'appliquer les dispositions de l'article L 110-4 du code de commerce qui instaure un délai de prescription de 5 ans. Il affirme ainsidans ses moyens que l'action intentée à son encontre est prescrite, mais sollicite dans le dispositif de ses conclusions la confirmation de la décision de première instance qui a pourtant rejeté sa fin de non-recevoir.
8- La société Arbre et Construction sollicite la confirmation de la décision de première instance, soutenant que son action n'est pas prescrite, tant au regard de l'article 1648 al 1er du code civil que de l'article 2232 du code civil.
Sur ce :
9- Aux termes de l'article 1648 du code civil dans sa version applicable à ce litige, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l'usage du lieu où la vente a été faite.
10- Aux termes de l'article 2232 du code civil, le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
11- Aux termes de l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa version applicable à ce litige, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
12- Sur le fondement de ces articles, la chambre mixte de la cour de cassation a notamment retenu que :
- l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l'article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le bref délai, devenu un délai de deux ans, à compter de la découverte du vice, ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie [souligné par la présente cour de renvoi],
- l'article 2232 du code civil ayant pour effet, dans les ventes commerciales ou mixtes, d'allonger de dix à vingt ans le délai pendant lequel la garantie des vices cachés peut être mise en 'uvre, le délai-butoir prévu par ce texte relève, pour son application dans le temps, des dispositions transitoires énoncées à l'article 26, I, de la loi du 17 juin 2008 précitée et il en résulte que ce délai-butoir est applicable aux ventes conclues avant l'entrée en vigueur de cette loi, si le délai de prescription décennal antérieur n'était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie [ c'est la cour qui souligne].
13 - Il convient donc d'écarter la prescription quinquennale résultant des dispositions de l'article L 110-4 du code de commerce et de rechercher si l'action récursoire du maître de l'ouvrage est intervenue dans ce double délai.
14- En l'espèce, la société Arbre construction a été assignée en référé le 10 juillet 2013 par le maître de l'ouvrage. Celle-ci a fait assigner le fabricant et le fournisseur dans cette instance le 17 septembre 2023. Le rapport d'expertise déposé le 1er juin 2015 a mis en évidence l'existence d'un désordre affectant les plaques en fibrociment.
15- Le maître de l'ouvrage a ensuite assigné au fond la société Arbre construction, le fabricant et le fournisseur par actes des 22, 24 et 29 juillet 2015. La société Arbre construction a sollicité la garantie du fournisseur et du fabricant à l'audience du 9 décembre 2015, soit dans le délai de deux ans après sa propre mise en cause.
16- L'action a donc été exercée dans le délai prévu par l'article 1648 du code civil.
17- S'agissant du délai-butoir étendu de 10 ans à 20 ans qui débute à la date de conclusion du contrat de vente, il convient de rechercher si le délai antérieur de 10 ans était totalement expiré à la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2018.
18- S'agissant du fournisseur, la société Bois et Matériaux, le contrat de vente n'est pas produit aux débats, mais l'appelant, sans être utilement contesté, propose de retenir la date de livraison des panneaux, soit le 31 décembre 2003, comme date de la vente. A la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 juin 2008, le délai de 10 ans n'était pas expiré. Le nouveau délai de 20 ans trouve donc à s'appliquer. Le constructeur ayant intenté son action contre le fournisseur le 9 décembre 2015, soit 12 ans après la conclusion du contrat, son action est recevable.
19- Au dispositif de ses dernières conclusions, qui seul lie la cour de renvoi en application de l'article 954 du code de procédure civile, la société Edilfibro Spa a sollicité la confirmation du jugement, et non son infirmation en ce qu'il avait rejeté sa fin de non-recevoir tirée de la forclusion ou de la prescription de l'action de la société Boulexteix.
20- Il sera ajouté que l'action du maître de l'ouvrage à l'encontre du constructeur ayant été déclarée recevable, il ne peut être argué de la prescription de cette action pour prétendre que le recours subrogatoire du constructeur serait sans objet, nonobstant les termes de l'arrêt de la cour de cassation du 16 janvier 2019.
21- La décision de première instance sera ainsi confirmée en ce qu'elle a rejeté à bon droit la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action récursoire du constructeur.
Sur le fond :
22- La société Arbre construction sollicite la condamnation in solidum du fabricant et du fournisseur à la garantir de l'ensemble des condamnations qu'elle a exécutées au bénéfice du maître de l'ouvrage sur le fondement de la garantie des vices cachés. Elle fait valoir que les plaques de fibrociment fabriquées par Edilfibro et revendues par la société Bois et Matériaux sont affectées d'un vice qui porte atteinte à leur usage, puisque l'étanchéité de la toiture n'est plus assurée. Elle précise qu'il ressort de l'expertise que la pose des plaques a été effectuée selon les règles de l'art.
23- Le fournisseur sollicite la garantie du fabricant, expliquant que le vice préexistait à la vente intervenue entre la société Edilfibro et lui-même.
24- Le fabricant conteste les conclusions de l'expert qui n'a pas selon lui effectué les tests adéquats. Il soutient que les plaques ne présentent pas de défaut d'imperméabilité à l'origine des infiltrations mais sont fissurées, suite à une intervention sans précaution de la société Boulesteix sur la toiture. S'agissant du recours en garantie formée par son acquéreur, la société Edilfibro reproche à celui-ci de l'avoir prévenue tardivement des désordres sur le fondement de l'article 39.1 de la convention de Vienne et ajoute que celui-ci n'a pas prouvé la traçabilité de la livraison des matériaux. Elle fait enfin valoir que le constructeur récupère la TVA.
Sur ce :
25- Aux termes de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
26- Aux termes de l'article 1645 du code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
27- Aux termes de l'article 39 1° de la convention de Vienne, l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater.
sur la déchéance du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité par application de l'article 39 1° de la convention de Vienne :
28- La convention de Vienne ne distingue pas les défauts de conformité des vices cachés. Elle est applicable s'agissant d'un contrat de vente conclu entre un fabricant italien et un acheteur français dans leurs rapports entre eux.
29- En l'espèce, il ressort de l'expertise que le maître de l'ouvrage a informé la société Boulesteix devenue la société Bois et Matériaux de l'existence de désordres affectant la toiture, en l'occurrence des infiltrations et entraînant des moisissures sur les plaques le 27 septembre 2012. Celle-ci a en informé son vendeur dans le cadre de l'assignation en référé en intervention forcée qu'elle lui a délivré le 17 septembre 2013 . Ce délai d'un an s'analyse en un délai raisonnable, et ce d'autant plus qu'il n'a été établi, que dans le cadre de l'expertise, que le désordre affectait bien les plaques elles même, et non un autre élément de la toiture.
30- Le moyen tiré de la déchéance du droit de se prévaloir d'un vice caché affectant les plaques est donc inopérant.
sur l'action récursoire du constructeur à l'encontre du fournisseur et du fabricant:
31- L'expert a constaté l'existence d'infiltrations généralisées, récurrentes et évolutives sur l'ensemble de la couverture en plaques de fibrociment. Ces infiltrations rendent le bâtiment impropre à sa destination. Selon l'expert, le désordre provient d'une faiblesse de la structure des plaques au niveau du cordon de sécurité incorporé dans celles-ci ( et qui vise à éviter les chutes en cas de rupture des plaques), qui a provoqué une fissuration longitudinale sous l'effet des intempéries (vent) et des manipulations (stockage). Le gel a ensuite dilaté celles-ci pour provoquer, cinq ans après, des fuites dans le bâtiment. L'expert précise que la pose des plaques a été conforme aux règles de l'art. Il chiffre les travaux de remise en état nécessaires consistant dans le remplacement complet des plaques de la toiture à la somme de 41 730 euros.
32- Il n'est pas contesté que les plaques qui ne sont pas fissurées sont étanches, raison pour laquelle les tests réalisés en laboratoire ont constaté l'étanchéité de celles-ci. Le débat porte donc sur l'origine de la fissuration généralisée des plaques qui selon la société Edilfibro ne peut que résulter d'interventions non conformes aux règles de l'art de la société Boulesteix sur la toiture postérieurement à la pose des plaques. Cependant, elle ne verse aux débats aucune pièce venant accréditer cette thèse ou remettre sérieusement en question la qualité du travail de l'expert. L'expert a par ailleurs constaté la généralisation des désordres, ce qui accrédite ses conclusions quant à une faiblesse structurelle des plaques.
33- La société Edilfibro ne conteste plus dans le cadre de cette instance le fait que le sous-acquéreur dispose d'une action directe à son encontre au titre de la garantie des vices cachés dans le cadre d'une chaîne homogène de contrats.
34- Les désordres constatés sur les plaques sont des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine et qui nécessitent le remplacement de l'ensemble des plaques de la toiture.
35- Il sera ainsi fait droit à la demande en garantie formée par la société Arbre construction.
36- La société Bois et Matériaux et la société Edilfibro Spa seront ainsi condamnées in solidum à garantir la société Arbre construction de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice du maître de l'ouvrage par le tribunal de commerce de Limoges le 24 février 2016, y compris au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure, soit la somme de 48 937,50 euros. Il n'y a pas lieu de retenir la somme de 8610,53 euros au titre de l'état de frais, non produit aux débats, de Maître [I].
37- Contrairement à ce que soutient la société Edilfibro, le tribunal de commerce a prononcé des condamnations hors TVA.
38- Il n'y a pas lieu d'assortir d'un intérêt le remboursement des sommes versées par le constructeur en exécution de la précédente décision. La demande de ce chef sera rejetée, ainsi que la demande d'anatocisme.
sur l'action récursoire du fournisseur et du fabricant :
39- Il sera également fait droit à l'action récursoire formée par la société Bois et Matériaux à l'encontre de son fournisseur, la société Edilfibro ne pouvant arguer d'un défaut de tracabilité du produit alors qu'elle ne produit elle-même aucune facture relative à la vente de ses plaques et dont le moyen tiré de la déchéance du droit à se prévaloir d'un défaut de conformité a été rejeté.
40- La société Edilfibro sera ainsi condamnée à garantir la société Bois et Matériaux de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, y compris au titre des indemnités de procédure et des dépens.
Sur les demandes accessoires :
41- La condamnation de la société Arbre construction au paiement d'une indemnité de procédure de 1000 euros à la société Bois et Matériaux et à la société Edilfibro Spa ainsi qu'aux dépens et aux frais d'expertise sera infirmée.
42- La société Edilfibro et la société Bois et Matériaux seront condamnées in solidum à verser la somme de 5000 euros à la société Arbre Construction au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.
43- La société Edilfibro sera condamnée à verser la somme de 5000 euros à la société Bois et Matériaux au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.
44- La société Edilfibro et la société Bois et Matériaux seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront le coût de l'expertise.
45- La société Edilfibro sera condamnée à garantir la société Bois et Matériaux des condamnations prononcées à son encontre au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure et des dépens dans le cadre de cette procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour
statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 21 juillet 2013,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Limoges du 24 février 2016 en ses dispositions déférées à la cour sauf en ce qu'il a :
- rejeté les demandes en garantie formée par la société Boulesteix devenue la société Arbre Construction à l'encontre de la société Bois et Matériaux et de la société Edilfibro et l'appel en garantie formé par la société Bois et Matériaux à l'encontre de la société Edilfibro,
- condamné la société Boulesteix devenue la société Arbre Construction à verser une somme de 1000 euros à la société Wolseley France Bois et Matériaux et à la société Edilfibro SPA sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure ainsi qu'aux entiers dépens, comprenant les frais d'expertise et le coût de la présente décision liquidée à la somme de 117 euros dont 19,50 euros de TVA.
et statuant à nouveau,
Condamne in solidum la société Bois et Matériaux et la société Edilfibro Spa à garantir la société Arbre construction de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice du maître de l'ouvrage par le tribunal de commerce de Limoges le 24 février 2016,
Déboute la société Arbre construction de sa demande visant à voir assortir le remboursement des sommes versées par le constructeur en exécution de la précédente décision d'un intérêt et de sa demande d'anatocisme,
Condamne la société Edilfibro Spa à garantir la société Bois et Matériaux de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, y compris au titre des indemnités de procédure et des dépens;
Condamne in solidum la société Edilfibro et la société Bois et Matériaux à verser la somme de 5000 euros à la Société Arbre Construction au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.
Condamne la société Edilfibro à verser la somme de 5000 euros à la société Bois et Matériaux au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.
Condamne in solidum la société Edilfibro et la société Bois et Matériaux aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront le coût de l'expertise,
Condamne la société Edilfibro à garantir la société Bois et Matériaux des condamnations prononcées à son encontre au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure et des dépens dans le cadre de cette procédure d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.