CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 6 septembre 2024, n° 22/06336
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Oyster Computing (SAS)
Défendeur :
Zero Zero Z (SAS), Techsmatch (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme L'Eleu de la Simone, Mme Guillemain
Avocats :
Me Lesenechal, Me Hatet-Sauval
FAITS ET PROCEDURE
La société Zéro Zéro Z (ci-après « 00Z »), dont le président est M. [G] [Y], est spécialisée dans le recrutement de tous types de salariés ou de travailleurs indépendants notamment dans le domaine de l'informatique et des nouvelles technologies. La société Techsmatch, dont le président est également M. [G] [Y], a pour activité la commercialisation de plateformes collaboratives.
La société Oyster Computing (ci-après « Oyster »), dont le président est M. [C] [W], exerce dans le monde informatique notamment en matière de traitement de données, développement informatique, hébergement et autres activités connexes.
Fin 2016, la société 00Z s'est rapprochée de la société Oyster en vue de créer un site internet et une plateforme de recrutement spécifiques.
Le 19 décembre 2017, la société 00Z a adressé à la société Oyster une lettre de mission aux termes de laquelle la société Oyster avait comme premier objectif de cadrer et de préparer le cahier des charges pour le développement de son logiciel de recrutement moyennant un honoraire forfaitaire de 6.000 euros HT et dont la société 00Z n'a réglé que la somme de 4.500 euros HT.
La société 00Z et la société Oyster se sont ensuite entendues pour que cette dernière se charge de la création d'un site internet sous la forme d'une plateforme de mise en relation pour le recrutement pour le compte de la société 00Z et l'ont matérialisé dans un contrat de prestation de services le 31 mai 2018, prenant effet rétroactivement au 2 janvier 2018 pour une durée illimitée, aux termes duquel les missions de la société Oyster étaient les suivantes :
- Suivi du cahier des charges,
- Développement des interfaces,
- Création du moteur de recherche,
- Développement de modèles de bases de données,
- Missions complémentaires conformément au cahier des charges établi.
Le contrat prévoyait en outre :
- que la société 00Z s'engageait à régler à la société Oyster un émolument de 500 euros par jour dont l'annexe 1 du contrat détaille les conditions de versements en distinguant deux périodes :
Celle du 2 janvier 2018 au 31 mars 2018,
Celle dépassant la date du 31 mars 2018,
- que l'obligation de régler les factures serait conditionnée à une levée de fonds réalisée par la société 00Z entre le 1er juin 2018 et le 31 décembre 2019,
- que la société Oyster devait transférer exclusivement et irrévocablement à la société 00Z tous les droits de propriété intellectuelle qui résulteraient de son travail et de ses services, études, recherches et inventions accomplis dans le cadre dudit contrat.
Après l'échec d'une levée de fonds, les relations entre les parties se sont dégradées.
Conformément au contrat de prestation de services, la plateforme a été livrée dès le mois de mai 2018 selon la société Oyster, ce que la société 00Z conteste en alléguant une version incomplète livrée en juin 2018.
Au mois d'octobre 2018, la société Oyster, n'ayant perçu aucune rémunération depuis le début du projet, a accepté d'autres missions pour faire face à ses problèmes de trésorerie.
Le 29 octobre 2018, la société 00Z a adressé à la société Oyster une mise en demeure dans laquelle elle lui reprochait de ne pas répondre à ses sollicitations et lui demandait d'entamer des négociations afin d'encadrer la reprise d'activité auquel cas le contrat serait résilié.
Le 15 novembre 2018 et le 26 novembre 2018, la société 00Z a adressé deux nouvelles mises en demeure à la société Oyster dans lesquelles elle demandait notamment la restitution de divers éléments développés pour le compte de la société 00Z, en vain. La société 00Z a alors assigné la société Oyster en référé d'heure à heure devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir ces éléments.
Par ordonnance du 21 décembre 2018, le président du tribunal de commerce de Paris a ordonné à la société Oyster, défaillante car n'ayant pas été touchée par l'assignation, de remettre différents éléments à la société 00Z sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance. La société Oyster a alors communiqué les informations sollicitées à la société 00Z.
Suivant exploit du 20 février 2020, la société Oyster a fait assigner la société 00Z devant le tribunal de commerce de Paris.
Suivant exploit du 08 décembre 2020, la société Oyster a fait assigner la société Techsmatch en intervention forcée devant le tribunal de commerce de Paris in solidum avec la société 00Z.
Par jugement du 09 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris :
- a joint les deux causes enrôlées sous les numéros 2020012418 et 202056736,
- a débouté la société Oyster de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'égard de la société 00Z,
- a débouté la société Oyster de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'égard de la société Techsmatch,
- a condamné la société Oyster à verser la somme de 3.000 euros à la société 00Z et 1.500 euros à la société Techsmatch en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- a dit les parties mal fondées dans leurs demandes plus amples ou contraires et les en a débouté,
- a condamné la société Oyster aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 91,98 euros dont 15,12 euros de TVA,
- a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
La société Oyster a formé appel du jugement par déclaration du 25 mars 2022 enregistrée le 11 avril 2022.
Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 23 décembre 2022, la société Oyster demande à la cour, au visa des articles 1103, 1217, 1231-1 du code civil et de l'article L. 442-1 du code de commerce :
- de recevoir la société Oyster en son appel et l'y dire bien fondée,
- d'infirmer en conséquence en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 9 mars 2022,
Statuant à nouveau,
- de condamner in solidum la société 00Z et la société Techsmatch à verser à la société Oyster la somme de 167.520 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier subi,
- de condamner in solidum la société 00Z et la société Techsmatch à restituer à la société Oyster la plateforme créée par cette dernière et l'ensemble des droits de propriété intellectuelle y afférent, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt,
- de condamner in solidum la société 00Z et la société Techsmatch à verser à la société Oyster la somme de 100.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi,
En toute hypothèse,
- de débouter la société 00Z et la société Techsmatch de l'ensemble de leurs demandes,
- de condamner in solidum la société 00Z et la société Techsmatch à verser à la société Oyster la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux dépens.
Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 26 septembre 2022, la société 00Z demande à la cour, au visa des articles 6, 9, 56, 200, 201, 202, 203, 514, 699 et 700 du code de procédure civile, des articles 1104, 1106, 1163, 1166, 1179, 1188, 1189, 1217, 1231-1, 1240, 1304, 1304-2, 1305, 1353 et 1381 du code civil et l'article L. 112-13 du code de propriété intellectuelle :
- de dire la société Techsmatch et la société 00Z recevables et bien fondées en leurs écritures et demandes,
En conséquence,
Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
A l'égard de la société Techsmatch,
- de juger la société Oyster irrecevable et à tout le moins mal fondée en l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Techsmatch et l'en débouter,
- de mettre société Techsmatch hors de cause,
- de condamner la société Oyster à verser à société Techsmatch la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner à lui verser 10.000 euros pour procédure abusive,
A l'égard de la société 00Z,
A titre principal,
- de juger la société Oyster irrecevable en l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société 00Z,
A titre subsidiaire,
- de juger la société Oyster à tout le moins mal fondée en l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société 00Z et l'en débouter,
En tout état de cause,
- de condamner la société Oyster à verser à la société 00Z la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de la condamner à lui verser 10.000 euros pour procédure abusive,
Enfin,
- de condamner la société Oyster aux entiers dépens de première instance et d'appel.
* La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 4 avril 2024.
SUR CE, LA COUR,
Sur la demande au titre du déséquilibre significatif des obligations contractuelles des sociétés Oyster et 00Z et la nullité du contrat pour pratiques restrictives de concurrence
La société Oyster fait valoir qu'alors qu'elle-même s'est engagée à délivrer une prestation certaine, la fourniture d'une plateforme de mise en relation, la société 00Z ne s'est engagée que sur la base d'un événement incertain, la réalisation d'une levée de fonds, qui ne s'est d'ailleurs jamais produite. Elle soutient donc que la convention de prestation de service mettait à la charge d'une partie une obligation certaine en contrepartie d'une rémunération totalement incertaine, une telle convention étant alors constitutive d'un déséquilibre significatif dans les obligations réciproques de chaque partie. Elle fait valoir qu'elle a vainement tenté de négocier les termes de la convention mais que la société 00Z a refusé toute modification des conditions qu'elle souhaitait lui imposer. Elle en déduit qu'elle est fondée à demander la nullité du contrat illicite pour pratiques restrictives de concurrence et la remise des parties dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat.
La société 00Z soutient en premier lieu que l'article L. 442-1 du code de commerce dont se prévaut la société Oyster Computing est inapplicable aux faits de la cause, le texte ayant été promulgué en avril 2019 et amendé en décembre 2020 et octobre 2021. Elle fait valoir en deuxième lieu que le contrat prévoit une condition suspensive du paiement des émoluments et non un différé de paiement c'est-à-dire un terme. Elle en déduit que la société Oyster ne pouvait prétendre être payée avant que 00Z n'ait levé des fonds pour financer le projet pour lequel le développement de la plateforme de recrutement lui avait été commandé. La répétition à plusieurs reprises de cette condition ne pouvait échapper à la société Oyster qui l'a expressément acceptée ainsi que l'aléa qu'elle comportait. Enfin elle ajoute que si le produit livré avait fonctionné et si des fonds avaient pu être levés, la participation d'Oyster à hauteur de 30 % au capital d'une startup l'exploitant aurait rendu très résiduelle l'importance des sommes reçues au titre du contrat.
La cour relève que si la société Oyster Computing vise dans le dispositif de ses conclusions l'article L. 442-1 du code de commerce, inapplicable en la cause, elle évoque également dans le corps de ses écritures l'ancien article L. 442-6 du même code. Elle cite également l'article L. 442-4 comme fondement de la nullité. Or l'ancien article L. 442-6 dans sa version en vigueur du 11 décembre 2016 au 26 avril 2019, applicable en la cause, dispose que :
« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(')
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; »
III. - L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.
Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à cinq millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées ou, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques mentionnées au présent article ont été mises en 'uvre. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation.
La juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.
Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.
(...)
Deux conditions cumulatives doivent être réunies : la soumission ou la tentative de soumission et un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Ainsi l'auteur de la pratique doit soumettre ou tenter de soumettre son cocontractant aux stipulations du contrat et il doit en résulter un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Le contrat de prestation de services du 31 mai 2018 liant les parties, 00Z ou « la Société » et Oyster Computing ou « le Prestataire », contient les dispositions suivantes :
« 4. EMOLUMENTS
4.1 La Société paie un Émolument fixe journalier de 500 (cinq cents) EUR (hors TVA) au Prestataire pour les Services rendus par ce dernier. Le Prestataire dresse des factures mensuelles identifiant le nombre de jours et/ou heures prestés (75 EUR/heure), celles-ci sont payables par la Société dans les 15 jours calendrier de leur réception sur le compte bancaire indiqué par le Prestataire sous réserve de la réalisation de la condition suspensive ci-après.
4.2 Les Parties acceptent expressément, et sans que cela puisse constituer la reconnaissance de toute société de fait ou de toute entité de quelque nature que ce soit, de conditionner le versement des Emoluments à la réalisation de la condition suspensive de réalisation d'une levée de fonds dans la période courant du 1er juin 2018 au 31 décembre 2019.
Les parties conviennent que les modalités de règlement des émoluments sont précisées dans l'Annexe 1 aux présentes.
4.3 L'Emolument comprend tous les honoraires charges, taxes et dépenses encourus par le Prestataire dans le cadre de la Convention. Seules les dépens exceptionnelles et les dépenses qui ont fait l'objet d'un accord préalable entre Parties seront remboursées au Prestataire sur présentation de documents justificatifs de la dépense.
4.4 Les Parties estiment que l'exécution des Services par le Prestataire nécessiteront approximativement 22 jours d'activité par mois. » [sic]
L'annexe 1 « Conditions suspensives et règlement des émoluments » rappelle en son article I l'existence d'une condition suspensive et prévoit les dispositions suivantes en son article II :
« II Condition suspensive
Les Parties acceptent expressément, et sans que cela puisse constituer la reconnaissance de toute société de fait ou de toute entité de quelque nature que ce soit, de conditionner le versement des Emoluments à la réalisation de la condition suspensive de réalisation d'une levée de fonds dans la période courant du 1er juin 2018 au 31 décembre 2019. »
L'article III « Modalités » distingue deux périodes : « pour la période courant du 2 janvier 2018 au 31 mars 2018 : 65 jours ouvrables soit 32.500 euros HT » et « pour la période courant au-delà : A préciser au 30 juin 2018 et ensuite tous les trois mois. »
Enfin l'article IV de l'Annexe 1 est intitulé « Caractère irrévocable et déterminant de la condition suspensive de réalisation de levée de fonds » et prévoit que :
« L'engagement de paiement souscrit par la Société est soumis à une condition suspensive irrévocable et déterminante de l'engagement de 00Z. A défaut, la Société 00Z n'aurait pas souscrit le contrat de prestations;ce que le prestataire accepte sans condition, ni réserve. »
L'Annexe 2 précise que « La Société Oyster Computing, en cas de rupture de la présente convention s'engage irrévocablement à transmettre les compétences, savoir faire et droits liés à l'exécution de la présente afin d'assurer une continuité du service sans retard, contrainte ou exclusion. »
Il résulte de l'examen des clauses du contrat que l'existence de la condition suspensive de levée des fonds est mentionnée, explicitée, détaillée clairement à plusieurs reprises dans le contrat et ses annexes de même que sa raison d'être. Le fait qu'il s'agisse d'une condition déterminante de l'engagement de la société 00Z est précisément indiqué. Ainsi, comme le souligne à juste titre la société 00Z, l'aléa inhérent à cette condition suspensive ne pouvait échapper à la société Oyster Computing.
Sur le déséquilibre significatif allégué par la société Oyster Computing, il sera relevé que les deux sociétés étaient toutes deux jeunes au moment de la conclusion de la convention de prestation de services, 00Z ayant été constituée le 1er décembre 2016 et Oyster le 9 janvier 2015. Il était envisagé une collaboration pour une durée illimitée. Les échanges entre les parties démontrent que la société Oyster envisageait une participation à hauteur de 30 % du capital.
En effet, les intimées versent aux débats en pièce 16 un document intitulé « business plan « Copie de BP - Final » échangé par e-mail le 18 juin 2018 ». Il s'agit d'un document adressé par courriel du 18 juin 2018 par M. [C] [H] à M. [G] [Y] qui en détaille ainsi le financement :
« Hypothèse de financement
« Hypothèse 1 : 1ère levée de fonds en 2018, et une 2ème en 2019
besoin en financement : 1,5 M€ *
besoin en fonds privé : 750K€
TRI de 20 %
ouverture au capital pour 750K€ en fonds privés :
Hypothèse 2 : Une unique levée de fonds en 2018
besoin en financement évalué : 3M€ *
besoin en fonds privé évalué : 1,5 M€
ouverture au capital pour 1,5 M€ en fonds privés :
* Besoin calculé hors Subventions R&D / Subventions publiques type BPI / J.E.I / CIR »
En outre dans ce document, en page 2, l'équipe est constituée de M. [G] [Y] à hauteur de 70 % et de M. [W] à concurrence de 30 %. La page 13 intitulée « Mapping comparables » détaille, par comparaison avec d'autres sociétés ayant développé des plateformes de recrutement, le montant qui pourrait être levé en millions d'euros, aboutissant à la projection de lever, pour 00Z, 1,5 millions d'euros en 2018 et jusqu'à 8 millions d'euros en 2019.
Enfin les échanges de courriels intervenus en mai 2018 entre MM. [W] et [Y] démontrent que le second considérait le premier comme un associé et non comme un simple prestataire, en envisageant la poursuite de relations ultérieures à partir de la mise en place de la plateforme de recrutement.
Il résulte ainsi des pièces versées aux débats que, le simple fait que la société Oyster soit tenue à une obligation de résultat et la société 00Z à une obligation de moyens relative à la levée de fonds ne saurait caractériser l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. En effet, les circonstances de la conclusion du contrat rapportées par les échanges préalables entre les parties ne permettent pas de qualifier une quelconque pression subie par la société Oyster Computing pour la contraindre à contracter à des conditions désavantageuses et surtout déséquilibrées.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Oyster Computing de l'ensemble de ses demandes de ce chef.
Sur l'exécution du contrat par les parties
La société Oyster Computing soutient que la société 00Z n'a pas sérieusement exécuté son obligation de recherche de financement. Elle expose n'avoir jamais eu d'informations sur l'engagement de levée de fonds prévu à la fin du mois de juin 2018. Elle souligne que le manque de sérieux et de préparation de la société 00Z dans le processus de levée de fonds ressort manifestement des pièces produites et traduisent une tentative de gonflement artificiel de ses diligences par la société 00Z. Enfin la société appelante reproche à la société 00Z d'avoir organisé son insolvabilité et de s'être rendue coupable d'un détournement d'actif au profit d'une nouvelle société, la société Techsmatch, créée concomitamment à la fermeture du site internet de la société 00Z, ce site étant identique à lui de la société 00Z. Quant à l'exécution de ses propres obligations, la société Oyster Computing soutient que la plateforme livrée en mai 2018 est fonctionnelle et utilisable même si elle n'était pas dans sa version finale.
La société 00Z soutient que la société Oyster n'apporte aucune preuve du bon fonctionnement du site qu'elle a développé ; la production d'un « cahier de recette » lui aurait pourtant permis de démontrer qu'elle avait assuré sa mission. Elle fait valoir que la version remise du logiciel n'était pas fonctionnelle comme en témoignent d'une part les échanges de courriels des parties en 2018 et le procès-verbal de constat réalisé par huissier le 7 mars 2019. Elle soutient qu'elle a dû recommencer le projet à zéro. Elle estime à l'inverse avoir parfaitement rempli ses obligations, en effectuant une importante recherche de financement malgré un logiciel partiellement défaillant, et ce en deux phases successives.
Aux termes de l'article 1103 du code civil :
« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
En vertu de l'article 1104 du même code :
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d'ordre public. »
En vertu de l'article 1217 du code civil dans sa version en vigueur au moment de la conclusion du contrat :
« La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- solliciter une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter. »
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil :
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »
La mission de la société Oyster Computing résulte de l'article 2.1 du contrat, en ces termes :
« La Société confie au Prestataire, qui l'accepte, une mission de « Création d'une plateforme de mise en relation - Recrutement » selon les modalités définies dans la Convention. Dans ce cadre, le Prestataire exercera les missions suivantes au bénéfice de la Société (les « Services ») :
Suivi du cahier des charges ;
Développement (modélisation, intégration, conceptualisation) des interfaces ;
Création du moteur de recherche,
Développement (modélisation, intégration, conceptualisation) de modèles de bases de données ;
Toutes les missions complémentaires, annexes et accessoires des missions susvisées conformément au cahier des charges établi. »
L'article 2.2 précise que : « Le Prestataire s'engage à ce que les Services soient rendus en son nom et pour son compte par Monsieur [C] [W] (le « Représentant »). Prenant en compte son niveau de qualification et de confiance nécessaire pour l'exécution des Services, le Prestataire s'engage à ne pas désigner d'autre représentant sans l'accord préalable et écrit de la Société. »
Enfin l'article 9.1 précise que « La Convention est conclue pour une durée indéterminée. » et l'article 9.2 prévoit que « La Convention peut être résiliée à tout moment par l'une ou l'autre Partie moyennant le respect d'un préavis de 60 jours et ce sans indemnité. »
A titre liminaire, quant aux obligations de la société Oyster Computing, si la société 00Z soutient que le produit livré n'était pas fonctionnel et en tout cas pas suffisamment abouti pour permettre une présentation aux potentiels investisseurs, les dires de l'intimée sont contredits par les échanges de courriels intervenus au mois de mai 2018 :
- le 9 mai 2018 M. [W] indique à M. [Y] « Le MVP [Minimum Viable Product] sera utilisable vendredi matin. »
- le 10 mai 2018 M. [W] évoque auprès de M. [Y] la date de livraison du MVP fonctionnel et un « test demain à 14h »,
- le 12 mai 2018 M. [Y] écrit à M. [W] « En tout cas, Bravo [C] pour ce DEV ! La plateforme est dingue. »
- le 16 mai 2018 M. [Y] fixe un rendez-vous de présentation officielle du produit 00Z Tech Recruitment Platform, en présence de M. [W], à un responsable de BNP Paribas Group.
Il en ressort que la société Oyster Computing avait bien livré un Minimum Viable Product satisfaisant, M. [Y] n'ayant pas dissimulé son enthousiasme sur le fruit du travail de M. [W] et ayant décidé de présenter la plateforme à un important investisseur. Il ne peut être reproché à M. [W] de n'avoir pas livré à cette date une plateforme achevée puisque la suite du projet dépendait de la levée de fonds incombant à 00Z.
Sur les diligences accomplies par la société 00Z pour obtenir la levée de fonds, sont produites une première liste de contacts auprès de fonds d'investissement français puis la liste des messages adressés sur le réseau LinkedIn entre juillet 2017 et décembre 2019 et trois contrats signés les 26 février 2019 (Leyton Capital Advisors Ltd) et 3 juillet 2019 (Axeans Strategy Consulting puis FHE Conseil) avec des sociétés de conseil en recherche d'investisseurs qui n'ont cependant pas permis une levée de fonds.
La société 00Z justifie avoir contacté plus de 180 personnes sur cette période, dont elle fournit les identités.
La société Oyster Computing verse aux débats deux courriels de M. [Y] à M. [W] du 5 octobre 2018 « État d'avancement de la levée de fonds » et du 11 octobre 2018 « Suivi pour transparence sur le contrat qui nous lie ». Ces deux courriels montrent que M. [Y] continuait à effectuer des diligences en vue d'obtenir une levée de fonds et à informer à cette date M. [W] de ses démarches.
Il en résulte que la société 00Z rapporte la preuve qu'elle a effectué les démarches nécessaires pour accomplir l'obligation qui était la sienne de lever des fonds pour le projet, obligation inévitablement soumise à un important aléa accepté par les parties lors de la conclusion du contrat.
La société Oyster Computing échoue en conséquence à démontrer un manquement de la société 00Z à son égard et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts.
Sur les demandes de la société Oyster Computing relatives aux droits de propriété intellectuelle
La société Oyster Computing sollicite la restitution de la plateforme et l'ensemble des droits de propriété intellectuelle qui s'y rapportent.
Les intimées font valoir que la société Oyster Computing ne donne aucun détail sur les prétendus droits de propriété intellectuelle qui lui reviendraient et relatifs à la plateforme revendiquée.
Le contrat prévoit en son article 7 « Propriété intellectuelle et industrielle » :
« 7.1 Dans les limites permises par la loi, le prestataire [Oyster] transfère exclusivement et irrévocablement à la société [00Z] tous les droits de propriété intellectuelle qui résultent de son travail et de ses services, études, recherches, inventions (le « Produit ») accomplis dans le cadre de l'exécution de la Convention.
7.2 La société a le droit d'utiliser le Produit sans compensation financière et sans mentionner le nom de son auteur ou de son inventeur, le cas échéant.
7.3 La société a le droit exclusif d'accomplir toutes les formalités pour permettre la protection effective, en fait et en droit, du Produit. Le Prestataire s'engage, sans compensation, à signer tous les actes et documents jugés nécessaires ou souhaitables par la société afin de protéger, enregistrer et avoir la pleine jouissance des droits visés à l'article 7.
(...) »
Il ressort clairement de ces dispositions que les droits de propriété intellectuelle relatifs au travail accompli par la société Oyster Computing reviennent à la société 00Z, étant relevé que ledit contrat n'a pas été résolu ce qui exclut toute restitution. En outre, la société appelante est très elliptique sur les droits dont elle sollicite le retour et l'apport qui a été le sien quant à la création de la plateforme litigieuse.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société Oyster Computing de sa demande à cette fin.
Sur les demandes à l'égard de la société Techsmatch
La société 00Z et la société Techsmatch soutiennent que la société Oyster ne démontre pas que la société Techsmatch utiliserait la plateforme développée pour le compte de 00Z. Elles mettent en évidence la distinction de leur objet social respectif par la fourniture des extraits Kbis. Elles indiquent en outre que la société Techsmatch utilise un nouveau site pour lequel elle a fait appel à d'autres développeurs. Enfin elles soulignent les différences notoires entre les deux sites. Elles soulignent également que la société Techsmatch a été créée en septembre 2020 soit plusieurs années après la date prévue pour la levée de fonds.
La société Oyster Computing soutient que la société Techsmatch utilise sa plateforme et relève que la société Techsmatch a été créée concomitamment à la fermeture du site internet de la société 00Z. Elle met en avant la similarité de leurs objets sociaux respectifs et de leurs sites internet.
L'objet social de la société 00Z est ainsi défini par l'extrait Kbis produit : « Tous types de services de conseils en ressources humaines ». Celui de la société Techsmatch, immatriculée le 20 octobre 2020, est ainsi détaillé : « Prestation, services, conseil, assistance, domaine de l'intelligence artificielle, éditions de logiciels, SAAS et applications, traitement de données, hébergement, portail internet, développement logiciels et commercialisation plateformes collaboratives, fournitures service dans le domaine applicatif et marketing aux entreprises/particuliers, création/développement solutions. »
La société Oyster Computing produit une copie écran d'un site Neomatch, non datée, qu'elle dit identique au site internet, fermé depuis, de la société 00Z et support de la plateforme. La capture d'écran de 00Z produite n'est cependant que partielle et ne concerne qu'une page, similaire en sa présentation, du site Neomatch.
Force est de constater que l'appelante se fonde sur un faisceau d'indices insuffisants pour en déduire que la société Techsmatch utiliserait la plateforme créée par la société Oyster. Elle ne produit pas en effet d'éléments probants attestant de la reprise par cette nouvelle société du travail accompli par elle dans le cadre de ses prestations pour la société 00Z. L'apport exact de la société Oyster, tant dans la création du site internet que de la plateforme, qui aurait été repris à l'identique par la société Techsmatch n'est pas démontré.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société Oyster de toutes ses demandes à l'encontre de la société Techsmatch.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Les sociétés 00Z et Techsmatch sollicitent chacune la somme de 10.000 euros pour procédure abusive. Cependant, si les intimées soutiennent que la société Oyster Computing a fait dégénérer son droit d'ester en justice en abus, le seul engagement de plusieurs instances puis de l'appel interjeté contre les décisions de première instance ne saurait caractériser l'existence d'une faute engageant la responsabilité de la société Oyster qui n'a pas abusé de la possibilité qui lui était offerte de faire valoir ses droits et d'exposer sa vision du litige. Les sociétés 00Z et Techsmatch seront déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société Oyster Computing succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d'appel, elle sera aussi condamnée aux dépens. Il apparaît en outre équitable de condamner la société Oyster Computing à verser à la société 00Z la somme de 5.000 euros et à la société Techsmatch la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant,
DEBOUTE les sociétés 00Z et Techsmatch de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE la société Oyster Computing aux dépens ;
CONDAMNE la société Oyster Computing à payer à la société 00Z la somme de 5.000 euros et à la société Techsmatch celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.