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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. sect. 1, 6 septembre 2024, n° 22/03201

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Auberge des Arcades (SAS)

Défendeur :

Auberge des Arcades (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brisset

Vice-président :

Mme Billot

Conseiller :

Mme Daries

Avocats :

Me Avenas, Me Lionnet, Me Jeusset, Me Laurent

Cons. prud'h. Albi, du 25 juill. 2022, n…

25 juillet 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte du 30 septembre 1994, Mme [W] [F] a créé la Sarl, devenue Sas Auberge Des Arcades avec son frère, M. [M] [F], président et associé majoritaire.

Mme [F] assurait la direction de la cuisine depuis le 15 juin 1998.

Le 25 octobre 2017, M. et Mme [F] ont signé un protocole transactionnel.

Mme [F] a été placée en arrêt maladie le 20 novembre 2017.

Mme [F] a demandé l'homologation du protocole transactionnel auprès du conseil de prud'hommes d'Albi par requête du 26 mai 2018.

Elle a été déclarée en invalidité 2ème catégorie le 5 septembre 2018.

A l'occasion d'une visite médicale de reprise en date du 5 novembre 2018, la médecine du travail a déclaré Mme [F] inapte.

Par courrier du 28 décembre 2018, la Sas Auberge des Arcades a convoqué Mme [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 8 janvier 2019.

Par jugement du 23 décembre 2019, le conseil de prud'hommes d'Albi a jugé que Mme [F] avait le statut de salariée, mais a refusé d'homologuer le protocole transactionnel au motif que le consentement de M. [F] avait été vicié et que Mme [F] ne pouvait respecter les engagements pris, tels que reprendre son travail après la signature de l'accord.

Le 29 décembre 2019, Mme [F] a interjeté appel du jugement rendu le 23 décembre 2019.

Mme [F] a également saisi le conseil de prud'hommes d'Albi le 10 juillet 2020 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par courrier du 12 février 2021, la Sas Auberge des Arcades a notifié à Mme [F] son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

La chambre sociale de la cour d'appel de Toulouse, par un arrêt du 19 novembre 2021, a reconnu le statut de salarié à Mme [F], la validité du protocole transactionnel, en a prononcé l'homologation et lui a conféré force exécutoire.

Le conseil de prud'hommes d'Albi, section encadrement, par jugement au fond du 25 juillet 2022, a :

- déclaré irrecevable la demande de la Sas Auberge Des Arcades relative au statut de salariée de Mme [F],

- dit que la Sas Auberge Des Arcades a manqué fautivement à certaines de ses obligations légales et contractuelles,

- dit que la Sas Auberge Des Arcades ne s'est pas rendue coupable de harcèlement moral et de discrimination,

- déclaré irrecevable la demande de résiliation judiciaire,

- dit que le licenciement de Mme [F] n'est pas la conséquence de harcèlement moral et de discrimination à son encontre,

- dit que le licenciement pour inaptitude est justifié, et relève donc d'une cause réelle et sérieuse,

- dit que la Sas Auberge Des Arcades a rempli son obligation de reclassement,

- fixé le salaire de référence de Mme [F] à la somme de 3 167,72 euros,

- dit que Mme [F] a perçu la somme de 62 581,28 euros en rémunération pour la période du 1er décembre 2018 au 30 juin 2020,

- débouté Mme [F] de sa demande au titre des dommages et intérêts pour défaut de déclaration et de cotisations auprès d'une caisse de retraite complémentaire pour cadres,

- débouté Mme [F] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- débouté Mme [F] de sa demande au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

- condamné la Sas Auberge Des Arcades à payer à Mme [F] les sommes de :

8 482,50 euros bruts au titre d'indemnités complémentaires de prévoyance pour la période du 18 février 2018 au 4 décembre 2018,

20 535,60 euros bruts au titre de salaires pour la période du 1er décembre 2018 au 12 février 2021,

8 311,68 bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés due pour la période 18 février 2018 au 4 décembre 2018,

10 000 au titre des dommages et intérêts pour préjudices distincts,

- fixé à la somme de 93 095,76 euros net l'indemnité de licenciement prévue par l'accord transactionnel du 25 octobre 2017,

- condamné la Sas Auberge Des Arcades à payer cette somme à Mme [F],

- débouté Mme [F] de ses demandes de régularisation du statut de cadre auprès d'une caisse de retraite complémentaire et de souscription à un contrat de prévoyance pour cadres,

- ordonné à la Sas Auberge Des Arcades de remettre à Mme [F] les bulletins de paye, attestation d'employeur destinée au Pôle Emploi et certificat de travail conformes au jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de 30 jours après notification du présent jugement, et ce dans la limite maximum de 90 jours,

- s'est déclaré incompétent sur la demande de produire les versements perçus par Mme [F] au titre de la pension d'invalidité,

- condamné la Sas Auberge Des Arcades à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes autres plus amples demandes,

- ordonné l'exécution provisoire prévue par l'article R.1454-28 du code du travail,

- condamné la Sas Auberge Des Arcades aux entiers dépens.

Par déclaration du 24 août 2022, la Sas Auberge des Arcades a interjeté appel.

Par déclaration du 30 août 2022, Mme [F] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 28 septembre 2022, la cour a ordonné la jonction des deux procédures qui seront appelées sous le numéro 22/3201.

Le tribunal de commerce de Toulouse a placé la Sas Auberge Des Arcades en liquidation judiciaire par jugement du 21 février 2023.

Par acte du 27 avril 2023, Mme [F] a assigné en intervention forcée la SCP [Y]-Bru prise en la personne de Me [G] [Y] ès qualités de mandataire liquidateur de la Sas Auberge des Arcades, ainsi que l'association Ags-Cgea de Toulouse ( remise de l'acte à personne habilitée).

Par courrier du 14 septembre 2023, l'Ags-Cgea de [Localité 6] a indiqué n'être ni présente ni représentée dans la présente instance.

Par arrêt du 16 février 2024, la cour d'appel de Toulouse a:

- statuant avant dire droit,

- ordonné la réouverture des débats,

- invité les parties à fournir toutes observations utiles sur la fin de non recevoir soulevée d'office par la cour, tirée du défaut de qualité à agir de la SAS Auberge des Arcades en l'état de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son égard et de l'absence de constitution de la SCP [Y]-Bru prise en la personne de Me [G] [Y], ès qualités de mandataire liquidateur de la société,

- invité également Mme [F] à fournir toutes explications utiles, sur le détail de sa créance réclamée devant la Cour, en considération de la somme de 105611,33 euros qui lui aurait été versée le 26 juillet 2023 en exécution du protocole d'accord conclu avec la SAS Auberge des Arcades,

- révoqué l'ordonnance de clôture,

- renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoirie du 22 mai 2024 à 14 heures,

- prononcé la clôture de la procédure à la date du 10 mai 2024,

- réservé les dépens et les indemnités fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en fin d'instance.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 07 mai 2024, la Sas Auberge des Arcades représentée par la SCP [Y] Bru, demande à la cour de :

- déclarer recevable son appel interjeté,

Y faisant droit

- réformer le jugement en ce qu'il :

* a dit qu'elle a manqué fautivement à certaines de ses obligations légales et contractuelles,

* l'a condamnée à payer à Mme [F] les sommes suivantes :

8 311,68 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés due pour la période du 18 février 2018 au 4 décembre 2018,

10 000 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudices distincts,

* a fixé à la somme de 93 095,76 euros net l'indemnité de licenciement prévue par l'accord transactionnel du 25 octobre 2017,

* s'est déclaré incompétent sur la demande de produire les versements perçus par Mme [F] au titre de sa pension d'invalidité,

* a omis de statuer sur la caducité du protocole transactionnel du 25 octobre 2017.

- confirmer le jugement du 25 juillet 2022 en ce qu'il a :

* dit qu'elle ne s'est pas rendue coupable de harcèlement moral et de discrimination,

* déclaré irrecevable la demande de résiliation judiciaire,

* dit que le licenciement de Mme [F] n'est pas la conséquence du harcèlement moral et de discrimination à son encontre,

* dit que le licenciement pour inaptitude est justifié, et relevait donc d'une cause réelle et sérieuse,

* dit qu'elle a rempli son obligation de reclassement,

* débouté Mme [F] de sa demande au titre des dommages et intérêts pour défaut de déclaration et de cotisations auprès d'une caisse de retraite complémentaire pour cadres,

* débouté Mme [F] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* débouté Mme [F] de sa demande au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

* débouté Mme [F] de ses demandes de régularisation du statut de cadre auprès d 'une caisse de retraite complémentaire et de souscription à un contrat de prévoyance pour cadres.

Y statuant à nouveau,

- juger que le protocole transactionnel du 25 octobre 2017, bien que jugé valable, est caduc en ce que Mme [F] n'a pas respecté ses concessions avant le 1er janvier 2018 date d'exécution prévue par le protocole transactionnel,

- débouter en conséquence Mme [F] de sa demande de fixer à la somme de

93 095,76 euros net l'indemnité de licenciement prévue par l'accord transactionnel du 25 octobre 2017,

- subsidiairement, constater que Mme [F] a reçu la somme de 74 432,05 euros à titre principal et la somme de 32 584,92 euros au titre des intérêts en exécution du protocole d'accord, soit la somme de 107 016,97 euros qui viendra en déduction des sommes dues,

- juger que Mme [F] a été licenciée pour inaptitude non professionnelle et ne peut prétendre qu'à l'indemnité légale de licenciement sans préavis, ni congés payés afférents soit à la somme de 21 294,11 euros en accordant un salaire de référence de 3167,72 euros,

- juger que Mme [F] n'a subi aucun préjudice et qu'au contraire, elle a perçu sa pension d'invalidé depuis 2018 en sus des salaires,

- débouter en conséquence Mme [F] de sa demande de 10 000 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudices distincts,

- faire sommation à Mme [F] de produire au débat l'ensemble des versements qu'elle a perçu au titre de sa pension d'invalidité à compter du 1er novembre 2018 jusqu'au 12 février 2021.

En toute Hypothèse,

- condamner Mme [F] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 5 mars 2024, Mme [W] [F] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'en déclarer bien fondée,

- lui donner acte de ce qu'elle a régulièrement appelé en intervention les organes de la procédure de liquidation judiciaire de la SAS Auberge des Arcades,

- déclarer irrecevables les conclusions de la SAS Auberge des Arcades du 27 décembre 2023,

- juger que la SAS Auberge des Arcades a manqué fautivement à ses obligations légales et contractuelles et a commis à son égard des actes de harcèlement moral et de discrimination,

- infirmer en conséquence le jugement dont appel de ce chef,

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Auberge des Arcades, et fixer la date d'effet de la résiliation à la date du 12 février 2021, date de notification de son licenciement,

- infirmer en conséquence le jugement dont appel de ces chefs.

Subsidiairement,

- juger que son licenciement est nul comme étant la conséquence de faits de harcèlement moral et de discrimination à son encontre,

- infirmer en conséquence le jugement dont appel de ce chef.

Plus subsidiairement,

- juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation par l'employeur de son obligation légale de reclassement,

- infirmer en conséquence le jugement dont appel de ce chef.

En tout état de cause,

- fixer son salaire de référence à la somme de 3 167,72 euros,

- confirmer le jugement dont appel de ce chef,

- juger qu'elle détient des créances salariales et indemnitaires à l'égard de la SAS Auberge des Arcades qui résultent toutes de l'exécution et de la rupture du contrat de travail l'ayant lié à ladite société,

- dire que ces créances, telles que fixées ci-après, devront être inscrites sur l'état des créances de la procédure de liquidation judiciaire de la SAS Auberge des Arcades par la SCP [Y]-Bru prise en la personne de Me [G] [Y], ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAS Auberge des Arcades,

- fixer à la somme de 8 482,50 euros brut le montant des indemnités complémentaires de prévoyance qui lui sont dues pour la période du 18 février 2018 au 4 décembre 2018,

- confirmer le jugement dont appel de ce chef,

- fixer en deniers ou quittances et à la somme de 83 116,88 euros brut le montant des salaires qui lui sont dus pour la période du 5 décembre 2018 au 12 février 2021,

- réformer en conséquence le jugement dont appel de ce chef,

- fixer à la somme de 8 311,68 euros brut le montant de l'indemnité compensatrice de congés payés qui lui est due au 12 février 2021,

- confirmer le jugement dont appel de ce chef,

- fixer aux sommes suivantes le montant des indemnités de rupture et dommages et intérêts qui lui sont dus :

* 5 000 euros au titre des dommages et intérêts pour défaut de déclaration et de cotisations auprès d'une caisse de retraite complémentaire pour cadres,

* 9 503,16 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, à majorer de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante, soit 950,32 euros brut,

* 76 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul,

* 45 000 euros au titre des dommages et intérêts pour préjudices distincts,

* 71 801,65 euros net au titre de l'indemnité spéciale de licenciement prévue par le protocole transactionnel homologué du 25 octobre 2017,

* 21 294,11 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- réformer en conséquence le jugement dont appel de ces chefs,

- ordonner à la SCP [Y]-Bru prise en la personne de Me [G] [Y], ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAS Auberge des Arcades de régulariser son statut de cadre auprès d'une caisse de retraite complémentaire pour cadres et de souscrire à son bénéfice le contrat de prévoyance prévu par la loi pour la période courant à compter du 12 novembre 2012 sous astreinte de 100 euros par jour de retard pour chacune des obligations passé un délai de 15 jours après notification de l'arrêt,

- infirmer en conséquence le jugement dont appel de ce chef,

- ordonner à la SCP [Y]-Bru prise en la personne de Me [G] [Y], ès-qualités de mandataire liquidateur de la SAS Auberge des Arcades de lui remettre les bulletins de paye, attestation d'employeur destinée au Pôle Emploi et certificat de travail conformes au jugement sous astreinte de 100 euros par jour de retard pour chacune des obligations passé un délai de 15 jours après notification de l'arrêt,

- réformer en conséquence le jugement dont appel de ces chefs,

- confirmer le jugement dont appel sur les chefs non contraires à ce qui précède,

- fixer à la somme de 5 000 euros le montant des frais irrépétibles qui lui sont dus sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclarer l'arrêt commun et opposable à la SCP [Y]-Bru prise en la personne de Me [G] [Y], ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS Auberge des Arcades,

- déclarer l'arrêt commun et opposable à l'AGS/CGEA de [Localité 6],

- dire que l'AGS/CGEA de [Localité 6] sera tenue d'exécuter la décision à intervenir et faire l'avance des créances de Mme [F] comme résultant de l'exécution et de la rupture du contrat de travail l'ayant lié à la SAS Auberge des Arcades,

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires.

L'association AGS n'a pas constitué avocat.

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la procédure

L'article L 641-9, I, du code de commerce dispose que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens composant le patrimoine engagé par l'activité professionnelle, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

La liquidation judiciaire de la SAS Auberge Les Arcades ayant été prononcée le 21 février 2023, les conclusions transmises par elle le 27 décembre 2023 sans représentation du liquidateur seront écartées.

La procédure a été régularisée en ce que Maître [Y], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Auberge des Arcades a établi des conclusions transmises le 07 mai 2024 dans l'intérêt de la société, sur lesquelles il sera donc statué.

Sur le fond

I/ Sur la caducité du protocole transactionnel du 25 octobre 2017

La SAS Auberge des Arcades conclut à la caducité du protocole transactionnel, demande sur laquelle le conseil de prud'hommes d'Albi a omis de statuer dans son jugement du 25 juillet 2022.

La SAS argue que Mme [F] n'a pas respecté ses concessions relevant du protocole, selon lequel le versement d'une indemnité de licenciement transactionnelle au 01 janvier 2018 était conditionné au fait que l'intéressée restait travailler dans la SAS et renonçait à toute demande de résiliation judiciaire et à réclamer toute indemnité au titre d'un harcèlement moral.

Mais dès le 20 novembre 2017 soit moins d'un mois après la signature dudit protocole, Mme [F] a été placée en arrêt maladie et n'a pas repris le travail depuis cette date.

L'intimée conclut au débouté. Elle oppose l'autorité de la chose jugée à la suite de l'arrêt définitif de la cour d'appel du 19 novembre 2021, lequel a jugé que des concessions réciproques ont été consenties par les parties et a donné force exécutoire à la transaction valide. Elle affirme avoir respecté son engagement selon lequel 'elle n'entend pas procéder à la rupture du contrat de travail dès lors qu'elle se considèrera entièrement réparée de l'intégralité de son préjudice'.

Elle fait valoir que le placement en arrêt maladie lié à un état de santé dégradé ne constituait qu'une suspension du contrat de travail et non une rupture du contrat de travail et qu'elle a dû poursuivre l'exécution du paiement de l'indemnité transactionnelle prévue dans le protocole.

Au vu des éléments de l'espèce, la cour considère que la SAS n'établit pas que Mme [F] a manqué à ses obligations résultant de la transaction, un arrêt maladie n'étant pas une décision personnelle et n'emportant que suspension du contrat de travail.

La société sera donc déboutée de sa demande de prononcé de la caducité de la transaction.

II/ Sur la rupture du contrat de travail

L'article 1224 du code civil tel qu'applicable au litige permet à l'une ou l'autre des parties à un contrat synallagmatique d'en demander la résolution judiciaire en cas d'inexécution des obligations découlant de ce contrat.

Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité suffisante.

Lorsque, comme en l'espèce, un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail est justifiée par des manquements de l'employeur d'une gravité suffisante.

Sur le harcèlement moral et la discrimination en raison de l'état de santé

En application de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L1154-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L1152-1 à L 1152-3 et L1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Par application de l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son état de santé. En ce cas le licenciement est nul de plein droit.

Selon le régime probatoire de l'action en discrimination fixé par l'article L 1134-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

****

Sur le contexte de travail, Mme [F] expose qu'avec son frère, [M], Président de la SAS, elle participait à l'exploitation d'un restaurant dont elle était le chef de cuisine depuis le 15 juin 1998, sans qu'un contrat de travail écrit n'ait été signé.

Le 01 octobre 2017, elle adressait un courrier à son frère aux termes duquel elle rappelait avoir assumé depuis 20 ans une charge de travail très importante, sans le repos nécessaire ce qui avait aggravé la fragilité de son état de santé lié à un accident grave et sans la rémunération correspondante. Elle sollicitait la mise en oeuvre de mesures correctrices et la réparation du préjudice subi, à défaut de quoi elle engagerait une procédure de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Un protocole transactionnel a été signé le 25 octobre 2017 prévoyant le paiement par la SAS Auberge des Arcades d'une indemnité transactionnelle brute de 87500 € réparant les préjudices subis antérieurement à la conclusion du protocole, au titre du non respect de la durée de travail hebdomadaire quotidienne, à l'insuffisance de congés, à la non déclaration des heures effectuées et à ses conséquences en matière de retraite et de protection sociale, aux conséquences ayant conduit à une aggravation du handicap de la salariée et aux incidences du rythme de travail sur la situation familiale

Mme [F] sollicite le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, à effet du 12 février 2021, date du licenciement, produisant les effets d'un licenciement nul.

L'intimée allègue avoir subi depuis novembre 2017 des manquements graves de la part de la SAS, constitutifs de harcèlement moral et d'une discrimination en raison de l'état de santé, à savoir:

o le refus persistant d'exécuter l'accord transactionnel,

o le non-respect des décisions judiciaires rendues en sa faveur,

o la volonté de contester de mauvaise foi sa qualité de salariée depuis son arrêt de maladie de novembre 2018,

o la non-affiliation à une caisse de cadres,

o le non-paiement des salaires,

o le non-versement des indemnités journalières de prévoyance perçues,

o la remise de bulletins de paye irréguliers,

o la convocation à un entretien d'évaluation pendant l'arrêt de maladie,

o la menace de retenue abusive sur le salaire,

o le non-respect des préconisations de la médecine du travail,

o la convocation à entretien préalable à licenciement sans aucune suite,

o le non-respect de l'obligation de reprise du paiement du salaire après déclaration d'inaptitude.

L'intimée dénonce que l'employeur avait la volonté de 'l'asphyxier financièrement' en la privant de toute ressource, alors qu'elle est handicapée, a été placée en arrêt de maladie puis déclarée en invalidité avant de faire l'objet d'une décision d'inaptitude par le médecin du travail.

Sur les manquements

- Sur la non exécution de la transaction

Mme [F] expose avoir dû agir en justice pour obtenir l'homologation de la transaction non exécutée et le paiement de l'indemnité prévue, qui a été versée outre les intérêts et frais dans le cadre du règlement de la succession de leur père, M. [M] [F] s'étant porté fort à titre personnel des engagements de la société.

- Sur la non affiliation à un régime de cadre

Elle explique qu'elle a occupé depuis 1998 les fonctions de chef de cuisine correspondant au statut cadre, niveau V de la grille de classification de la convention collective nationale HCR, mais aucune déclaration n'a été faite aux organismesconcernés, alors que la fonction d'adjointe de direction était mentionnée sur les bulletins de salaires. L'employeur n'a pas cotisé à une caisse de retraite complémentaire et obligatoire pour les cadres, ni souscrit à son bénéfice le contrat de prévoyance cadre obligatoire, même après la conclusion de la transaction et elle n'a pas pu bénéficier des avantages plus favorables de ce régime lors de ses arrêts-maladie.

- Sur le défaut de paiement des salaires et de reversement des indemnités complémentaires du régime de prévoyance pendant l'arrêt-maladie.

Le 05 janvier 2018, Mme [F] a informé la SAS de la réception des indemnités journalières de la sécurité sociale. En réponse, l'employeur lui a demandé de justifier de leur perception, tout en sollicitant auprès de la CPAM du Tarn la mise en place d'une subrogation à son profit. Il a procédé à une déduction d'office du trop-perçu, ce qui a donné lieu à l'établissement d'un bulletin de paye à 0 € au titre du mois de janvier 2018, sans mention de la perception des IJSS.

Par courrier du 23 février 2018, l'employeur lui a adressé un bulletin de paye pour février portant son salaire normal, sans mention de l'absence pour maladie et de la perception d'IJSS.

Il l'a convoquée à un entretien d'évaluation de sa 'valeur professionnelle' pour le 6 mars 2018 mais Mme [F], en arrêt maladie, a proposé un report de date auquel il n'a été apporté aucune suite.

Par mail du 21 mars 2018, l'employeur a réclamé le remboursement des honoraires versés à son propre avocat pour la rédaction de la transaction, la menaçant de lui retenir le montant sur son salaire ou en lui débitant son compte courant d'associé de 3000 euros. Le tribunal de commerce d'Albi par décision du 13-12-2019 a jugé que devait être annulé le compte courant ouvert au nom de Mme [F], ce qui n'a pas été exécuté.

Début avril 2018, n'ayant reçu ni salaire, ni bulletin de paye, la salariée a demandé à les recevoir par courrier et face au refus de l'employeur indiquant que le salaire est quérable, elle a dû diligenter un huissier de justice pour récupérer celui de mars 2018 plus les bulletins de paye de janvier et février, puis de nouveau pour obtenir la paye d'avril 2018, réglée le 9 mai 2018 avec un bulletin de paye irrégulier, mentionnant un net correspondant aux IJSS que l'employeur a reçues de la CPAM.

Mme [F] a saisi le juge des référés pour obtenir une régularisation de sa situation et la cour d'appel de Toulouse, par arrêt du 19 avril 2019, a condamné la société à régulariser sa situation, en ordonnant notamment la restitution des sommes illicitement compensées en janvier 2018 et la communication des bulletins de salaire pour les mois de décembre 2017 à juillet 2018 avec mention des sommes perçues par l'employeur au titre des indemnités journalières pour le compte de la salariée et des modalités de compléments versés au titre du maintien du salaire, ce sous astreinte.

L'employeur ne s'exécutant pas, elle a été contrainte de saisir un huissier à ses frais avancés (signification et commandements du 15-05-2019) puis le juge de l'exécution d'Albi, lequel par jugement du 10-01-2020 a procédé à la liquidation de l'astreinte fixée par la cour d'appel pour non communication des bulletins de salaires de décembre 2017 à mai 2018 et a prononcé des astreintes définitives.

De nouveau, l'employeur n'a pas exécuté ces décisions et elle a dû, alors qu'elle était privée de ressources, faire réaliser plusieurs saisies sur le compte bancaire de la SAS laquelle s'est révélée solvable.

Mme [F] énonce qu'elle n'a pas repris le travail du fait de l'inaptitude prononcée le 05 novembre 2018 avec les restrictions suivantes: l'état de santé actuel contre-indique les manutentions, les mouvements sollicitant le poignet gauche, les genoux et la colonne vertébrale, la station assise ou debout prolongée, les déplacements à pied courts et fréquents, la pratique d'escalier, le travail à temps complet ( maximum 10H/semaine). Un reclassement sur un poste respectant ces contre-indications et une formation éventuelle est à envisager.

L'employeur lui a proposé un poste de reclassement inadapté (poste de reclassement administratif le matin de 08h à 09h et prise de commandes des clients de 12h15 à 13h15, 5 jours par semaine) et elle l'a refusé par courrier du 19 décembre 2018 au regard de la diminution importante de la rémunération et de l'obligation de se déplacer 2 fois par jour pour une heure de travail.

Elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 08 janvier 2019, auquel aucune suite n'a été donnée, l'employeur ne l'a pas licenciée et n'a pas versé les salaires de décembre 2018 et janvier 2019 qu'elle a réclamés par lettre du 30 janvier 2019.

Une nouvelle procédure de référé a été initiée le 23 mai 2019 pour obtenir paiement des salaires à compter du 05 décembre 2018 et la cour d'appel de Toulouse a fait droit à la demande par arrêt du 03 juillet 2020 pour la période de décembre 2018 à juin 2020.

Face à l'inertie de la société, la salariée a sollicité la résiliation judiciaire devant la juridiction prud'homale.

***

A l'examen des pièces, la cour considère qu'il ne peut être fait grief à la SAS d'avoir sollicité la subrogation qui est un droit, pour la perception des indemnités journalières en cas de maintien de salaire, comme de ne pas avoir adressé le salaire et bulletin de paye de début 2018, dès lors qu'ils sont quérables et non portables en l'absence de précision contractuelle. S'agissant des mentions non conformes sur les bulletins, la cour d'appel par arrêt du 19 avril 2019 a relevé que le fait que l'employeur ait délivré pour la même période des bulletins différents illustrent 'le désordre' dans lequel il a procédé au maintien du salaire. Ceci s'analyse en terme de manque de compétence et non de harcèlement moral ou de discrimination en raison de l'état de santé de Mme [F].

Les autres éléments invoqués par le salarié, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

Il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société dénie tout harcèlement moral et toute discrimination en raison de l'état de santé.

Elle réplique que Mme [F], laquelle était associée dans la SAS et se présentait comme co-propriétaire de l'entreprise avec son frère et à son compte, participait à la gestion administrative et à la direction de l'entreprise avec son frère. Elle gérait la cuisine et se délivrait les bulletins de salaires avec mention d'un emploi d'adjointe de direction, ainsi elle est responsable de son absence de déclaration comme cadre auprès des organismes habilités.

La SAS explique qu'à la date du licenciement du 12 février 2021, la qualité de salariée de Mme [F], qu'elle contestait, n'était pas confirmée au fond, la décision de la cour d'appel n'étant intervenue que le 19 novembre 2021. La société a dû procéder au licenciement face à l'impasse dans laquelle elle se trouvait et elle prend acte, à la suite des décisions judiciaires, de la reconnaissance de cette qualité à Mme [F].

La société oppose que la demande de résiliation judiciaire est tardive comme intervenue 18 mois après le refus de la proposition de reclassement et Mme [F] ne s'est plus rendue à son travail depuis le 06 décembre 2018 alors qu'elle n'était pas en arrêt maladie.

Elle indique qu'elle n'avait aucune volonté 'd'asphyxier' financièrement l'intimée, laquelle a perçu des indemnités journalières puis une pension d'invalidité, dont elle ne communique pas le montant, à partir de décembre 2018 et des régularisations sont intervenues, ayant payé par provision à la suite d'une saisie-attribution du 16 juillet 2020, les sommes auxquelles elle a été condamnée par arrêt de la cour d'appel du 3 juillet 2020 notifié le 10 juillet, de 62.581,28 € correspondant à des rémunérations pour la période du 1er décembre 2018 au ler juillet 2020.

Sur ce:

Si le contexte de travail familial et le statut d'associée de Mme [F] dans la SAS a pu générer des imbrications de rôles dans la gestion administrative et la direction de la société et du restaurant exploité, il ressort de la chronologie des événements que la société a délibérément manqué à ses obligations contractuelles, dès la conclusion de la transaction, en ne l'exécutant pas, sans pour autant saisir la juridiction compétente d'une contestation.

Le défaut d'affiliation à un régime de cadre de Mme [F] notamment postérieurement à la transaction ne peut être imputé à celle-ci, l'employeur en étant seul responsable et la société ne démontre pas, alors même que la qualité de salariée a été définitivement reconnue par arrêt de la cour d'appel du 19 novembre 2021, avoir régularisé ce manquement qui a perduré.

Les procédures judiciaires initiées par Mme [F] du fait de la non-exécution de ses obligations en matière salariale par la SAS portées devant des juridictions différentes (juridiction prud'homale statuant en référé - juge de l'exécution - cour d'appel) soulignent le caractère conflictuel envahissant des relations entre les parties, même après la déclaration d'inaptitude.

Si l'employeur réfute avoir voulu 'asphyxier' financièrement Mme [F], le défaut d'exécution volontaire des décisions judiciaires successives, au-delà du simple exercice des voies de recours, a eu de fait, même si l'intimée percevait une pension d'invalidité, une incidence sur sa situation financière, dès lors qu'elle a dû engager des frais et que le montant dont l'employeur était redevable concernait de nombreux mois de salaire de décembre 2018 à juin 2020 pour un montant de 59675,76 euros, période à compter de la déclaration d'inaptitude.

Or, tel que prévu par la loi, à compter du mois suivant la déclaration d'inaptitude, à défaut de reclassement et de prononcé du licenciement, la société devait reprendre le versement du salaire. D'autre part, la perception d'une pension d'invalidité, quelque soit le montant, ne dispense pas l'employeur du paiement du salaire, le dépassement du plafond de cumul pension - salaire étant de la compétence de l'organisme payeur pouvant engager une action en rétrocession du trop perçu. Il n'y a donc pas lieu à ordonner la communication des versements perçus par Mme [F] au titre de la pension d'invalidité par confirmation du jugement déféré.

L'absence de paiement sur une longue durée ne peut se justifier par la seule contestation de la qualité de salariée retenue en première instance par jugement du conseil de prud'hommes du 23-12-2019, alors qu'il existait un contrat de travail apparent.

S'agissant du reclassement, à la suite du courrier du médecin du travail du 19 novembre 2018, sollicitant des précisions sur les postes proposés au regard des contre-indications relatives aux déplacements à pied, escaliers et mouvements sollicitant les genoux, la société a répondu le 22 novembre, notamment que le poste commercial comprenait la relation clientèle et la prise de commande, un fauteuil roulant étant possible car elle possède un plan incliné pour la petite marche d'accès.

L'employeur faisait part de son incompréhension face à la possibilité de Mme [F] de refuser les postes en tant que salariée, ce qui ne pouvait l'être que par 'un dirigeant comme tel est le cas' et opposait que la CPAM avait fixé une invalidité à 66% permettant un accès à l'emploi.

La société, considérant sa proposition validée en l'absence de contre-indication de la médecine du travail suite à son courrier du 22 novembre, proposait les dits postes à Mme [F]. Celle-ci les a refusés pour des raisons financières.

Au regard des démarches effectuées par la société et des explications objectives données auprès du médecin du travail sur les conditions de travail, la cour considère qu'il n'est pas caractérisé une discrimination en raison de l'état de santé.

Pour autant, la société ne présente pas de raison objective à la non exécution des décisions judiciaires sur la durée comme à la non reprise du paiement du salaire en l'absence de licenciement pour inaptitude pendant plusieurs mois et jusqu'à son prononcé.

Aussi la cour estime que les manquements répétés constituent des faits de harcèlement moral qui ont, au regard du contexte, nécessairement causé un préjudice et qui sont suffisamment graves pour justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, celle-ci étant recevable comme présentée antérieurement à la notification du licenciement pour inaptitude.

La résiliation judiciaire emporte du fait du harcèlement moral les effets d'un licenciement

nul à la date du 12 février 2021, par infirmation du jugement déféré.

III/ Sur les demandes financières

- Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

* Sur les indemnités complémentaires de prévoyance dues pour la période du 18 février 2018 au 04 décembre 2018

Mme [F] rappelle que par arrêt du 19 avril 2019, la cour d'appel de Toulouse ayant infirmé l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes d'Albi, a condamné notamment l'employeur sous astreinte à communiquer une copie du contrat de prévoyance souscrit avec la société GPS dans sa version applicable à la période d'arrêt maladie à compter du 20-11-2017 et les justificatifs des versements effectués à la Sas Auberge des Arcades par la société GPS, ce qui n'a pas été fait.

Elle explique que seul a été transmis un décompte de l'organisme GPS du 03-04-2018 (pièce 30) faisant état du versement de 351 €, après franchise, pour la période du 18-02-2018 au 01/03/2018 et qui ne lui a pas été reversé.

Considèrant qu'elle était bénéficiaire d'une indemnité complémentaire de 29,25 € par jour ( sur 12 jours), elle réclame une indemnité complémentaire pendant toute la durée de son arrêt-maladie, lequel a pris fin un mois après l'avis d'inaptitude du 05-11-2018, soit pour la période du 18 février 2018 au 4 décembre 2018, une somme totale de 8.482,50 € brut.

La SAS conclut au débouté.

L'employeur ne produisant pas de justificatif complémentaire des sommes effectivement perçues de l'organisme de prévoyance et n'opposant aucun élément pertinent quant à la durée ou le calcul de l'indemnisation, il sera fait droit à la demande de la salariée par confirmation du jugement déféré.

* Sur le rappel de salaire pour la période du 05 décembre 2018 au 12 février 2021

Mme [F] fixe le salaire mensuel brut de référence à 3167,72 euros qui n'est pas contesté.

Elle réclame la fixation à la liquidation judiciaire de la somme totale de 83.116,88 euros brut, outre 8311, 38 euros de congés payés afférents, en deniers ou quittance, faisant valoir que celle de 62.581,28 euros (dont 59675,76 euros au titre de salaires impayés) perçue sur saisie attribution en exécution de l'arrêt de la cour d'appel du 3 juillet 2020 rendu dans le cadre d'une procédure de référé et à titre provisoire ne fait pas obstacle à ce que le juge du fond condamne le débiteur au paiement des mêmes sommes.

Au regard des pièces versées et de l'absence de justificatif par l'employeur du paiement de l'intégralité des salaires, il y a lieu de fixer au passif de la liquidation judiciaire la créance de 83.116,88 euros brut pour la période du 05 décembre 2018 au 12 février 2021, outre 8311, 38 euros de congés payés afférents, dont il conviendra de déduire les sommes versées par provision au titre des salaires en exécution d'un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 03 juillet 2020.

* Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de déclaration et de cotisation auprès de la caisse complémentaire de retraite des cadres

Mme [F] sollicite 5000 euros pour défaut de déclaration auprès de la caisse de retraite des cadres et la régularisation sous astreinte de l'affiliation à compter du 01 novembre 2012, soit 5 ans avant le protocole transactionnel, période non couverte par la prescription quinquennale.

L'employeur conclut au débouté.

Il n'est pas contesté que la déclaration auprès de l'organisme de retraite des cadres n'a pas été effectuée, ce qui induit un préjudice qui sera fixé à 3000 euros.

La saisine du conseil de prud'hommes étant intervenue le 10 juillet 2020, telle que mentionnée sur le jugement, il ne peut être ordonné de régularisation à compter de 2012 et il a été fait droit à la demande de dommages et intérêts.

La demande de souscription du contrat de prévoyance pour la période à compter de 2012 sera rejetée, le contrat de travail ayant été rompu.

- Sur les demandes liées à la résiliation judiciaire du contrat de travail

* Sur l'indemnité de préavis

Sur la base du statut cadre, dont le principe n'est pas contesté, l'intimée sollicite de bénéficier d'une indemnité de préavis prévue par l'article 30 de la convention collective nationale HCR équivalente à 3 mois de salaire, soit 9.503,16 euros brut outre 950,32 euros de congés payés afférents.

L'employeur conclut au débouté, considérant le licenciement pour inaptitude fondé.

La cour ayant jugé que la rupture du contrat de travail est dûe aux manquements de l'employeur, il y a lieu de faire droit à la demande.

* Sur l'indemnité de licenciement

Mme [F] explique que conformément à l'accord transactionnel du 25 octobre 2017, elle est éligible à une indemnité contractuellement prévue selon ces termes:

' En contrepartie de la décision de Mme [F] de rester salariée de la société, celle-ci s'engageait à lui verser, en cas de licenciement pour quelque motif que ce soit, sauf faute grave ou lourde, s'il devait intervenir au cours des 5 années suivant la conclusion des présentes à une somme égale à 1 mois de salaire par année d'ancienneté, laquelle s'ajoutera aux indemnités prévues par la loi ou la convention collective'.

Elle a été licenciée le 12 février 2021, soit moins de 5 ans après la signature du protocole transactionnel. Elle prétend donc à une indemnité de licenciement conventionnelle de 71801,65 euros, bénéficiant de 22 ans et 8 mois d'ancienneté outre à une indemnité légale de 21294,11 euros prévue par l'article L1234-9 du code du travail.

L'employeur conclut au débouté au motif de la caducité de la transaction et subsidiairement de constater que l'intimée a perçu une somme de 107016,97 euros en exécution du protocole à déduire, outre qu'elle ne peut prétendre qu'à l' indemnité légale de licenciement pour licenciement pour inaptitude.

A la lecture du protocole d'accord et du décompte versé du 26-07-2023, le règlement susvisé correspond 'au principal transactionnel net ' ( soit 74432,05 €) plus les intérêts et frais, en réparation des préjudices antérieurs à la transaction. Il n'y a donc pas lieu à déduction de ce paiement.

Il sera fait droit aux demandes de l'intimée quant à l'indemnité conventionnelle de licenciement et quant à l'indemnité légale.

- Sur l'indemnité pour licenciement nul

En application de l'article L1235-3-1 du code du travail, lorsque le licenciement est nul, notamment pour cause de harcèlement moral, l'indemnité due par l'employeur ne peut être inférieure à 6 mois de salaires. Mme [F] sollicite une indemnité de 76.000 euros ( soit 2 ans de salaires). L'employeur s'y oppose.

Au regard de l'ancienneté de la salariée dans la société, du contexte et de ce que Mme [F] ne justifie pas de sa situation financière effective, l'indemnité pour licenciement nul sera fixée à 31677,20 euros ( soit 10 mois de salaire).

- Sur les dommages et intérêts pour préjudices distincts

Mme [F] fait valoir que les faits de harcèlement et de discrimination ont causé à eux seuls un préjudice distinct de celui résultant de la rupture contractuelle, en ayant eu pour effet d'aggraver son état de santé et elle a dû pendant ses arrêts-maladie organiser plusieurs recours pour préserver ses droits.

Elle prétend à des dommages et intérêts de 25.000 euros à ce titre, outre 15000 euros pour non paiement prolongé de ses salaires ayant entraîné des difficultés financières outre 5000 euros pour la non-remise des bulletins de paye depuis de 4 ans ayant occasionné des difficultés à l'égard des organismes sociaux.

L'employeur conclut au débouté.

- Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral

Au regard du contexte du litige et des faits retenus par la cour ainsi que de la durée du harcèlement, les dommages et intérêts seront fixés à 4000 euros.

- Sur les dommages et intérêts pour non paiement prolongé des salaires

Mme [F] ne justifie pas d'un préjudice à hauteur de celui qu'elle réclame. Il lui sera alloué 4000 euros, au regard du montant des salaires dûs et de la durée de non-paiement.

- Sur les dommages et intérêts pour non remise des bulletins de salaire

Des astreintes ont été prononcées et liquidées et l'intéressée ne justifie pas des difficultés subies de la part des organismes sociaux alors même qu'elle perçoit une pension d'invalidité. Elle sera déboutée de cette demande.

IV/ Sur les demandes annexes

- Sur la remise des documents obligatoires

Mme [F] sollicite la remise sous astreinte de 100 € par jour de retard pour chacun des documents suivants: bulletins de paye réguliers et conformes au jugement pour la période du 01/02/2018 jusqu'à la date de rupture du contrat de travail - attestation destinée au Pôle Emploi et certificat de travail conformes au jugement ).

Il ressort des décisions judiciaires que la communication des bulletins de salaires jusqu'au mois de mai 2018 a fait l'objet d'une procédure devant le juge de l'exécution.

Me [Y], liquidateur, devra remettre un bulletin de salaire récapitulatif pour la période de juin 2018 à la date de rupture du contrat de travail, outre une attestation France Travail et un certificat de travail, conformes au présent arrêt sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Partie succombante, Me [Y] en sa qualité de liquidateur de la SAS Auberge des Arcades sera condamnée aux dépens d'appel.

L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Vu la procédure de liquidation judiciaire de la SAS Auberge des Arcades,

Confirme le jugement déféré en ce que:

. Il a déclaré irrecevable la demande de la SAS relative au statut de salariée de Mme [F],

. Il a dit que Mme [F] n'a pas été victime de discrimination en raison de l'état de santé,

. Il a fixé le salaire de référence à 3167,72 euros,

. Il a condamné la SAS Auberge des Arcades au paiement de:

8482,50 € d'indemnité complémentaire de prévoyance,

8311,68 € d'indemnité de congés payés,

. Il a débouté Mme [F] de ses demandes de régularisation auprès de la caisse de retraite complémentaire des cadres et de souscription à un contrat de prévoyance pour cadres à compter de 2012,

. Il a rejeté la demande de la SAS Auberge des Arcades de sa demande de production des versements perçus par la salariée au titre de la pension d'invalidité,

. Il a condamné la SAS aux dépens et frais irrépétibles,

L'infirme pour le surplus,

Vu la procédure de liquidation judiciaire de la SAS Auberge des Arcades,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant:

Dit que le protocole transactionnel du 25 octobre 2017 n'est pas caduc,

Dit que Mme [F] a subi des agissements de harcèlement moral de la part de l'employeur,

Déclare recevable la demande de résiliation judiciaire de Mme [W] [F],

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 12 février 2021, qui produit les effets d'un licenciement nul,

Fixe les créances à inscrire au passif de la SAS Auberge des Arcades représentée par Me [Y], en sa qualité de liquidateur,

aux sommes confirmées allouées par le conseil de prud'hommes,

8482,50 € d'indemnité complémentaire de prévoyance,

8311,68 € d'indemnité de congés payés afférents au rappel de salaire pour la période du 05-12-2018 au 12-02-2021,

3000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

outre aux sommes de:

- 83116,88 euros de rappel de salaire pour la période du 05-12-2018 au 12-02-2021, dont il conviendra de déduire les sommes versées par provision à titre de salaires en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 03 juillet 2020,

- 3000,00 euros de dommages et intérêts pour défaut de déclaration auprès de la caisse de retraite des cadres,

- 9503,16 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 950,31 euros de congés payés afférents,

- 71801,65 euros d'indemnité contractuelle de licenciement prévue par le protocole transactionnel,

- 21294,11 euros d'indemnité légale de licenciement,

- 31677,20 euros d'indemnité pour licenciement nul,

- 4000,00 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 4000,00 euros de dommages et intérêts pour non paiement prolongé des salaires,

Déboute Mme [F] de sa demande de dommages et intérêts pour non remise des bulletins de salaire,

Dit que Me [Y], en sa qualité de liquidateur de la SAS Auberge des Arcades devra remettre à Mme [W] [F] un bulletin de salaire récapitulatif pour la période de juin 2018 à la date de rupture du contrat de travail, outre une attestation France Travail et un certificat de travail, conformes au présent arrêt sans qu'il y ait lieu à astreinte,

Dit que la garantie de l'AGS doit être mise en oeuvre pour les créances sus-visées et ce dans les limites légales et réglementaires,

Rappelle que la garantie de l'AGS s'applique dans les conditions, limites et plafonds légaux et réglementaires de la garantie prévue aux articles L 3253-6, L 3253-8, L 1253-17 et D 3253-5 du Code du Travail,

Rappelle qu'en application des dispositions des articles L 3253-6, L 3253-1 et L 3253-5 du code du travail, l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle est évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire judiciaire

Rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective opère arrêt des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l'article L 622-28 du code de commerce,

Condamne Me [Y], ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS Auberge des Arcades aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.