Livv
Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 10 septembre 2024, n° 22/05924

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Crédit Industriel et Commercial (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerlot

Conseillers :

M. Roth, Mme Cougard

Avocats :

Me Gueilhers, Me Sidier, Me Ceprika, Me Prevost

T. com. Nanterre, du 29 juin 2022, n° 20…

29 juin 2022

EXPOSE DU LITIGE

Le 28 août 2017, la SAS Myprim a ouvert un compte courant dans les livres de la SA Crédit Industriel et Commercial (le CIC).

Le 21 septembre 2017, le CIC lui a octroyé un prêt, garanti par la caution de M. [H], son dirigeant.

Le 10 octobre 2018, M. [V], ayant succédé le 13 février 2018 à M. [H] en qualité de dirigeant de la société Myprim, s'est porté caution de tous les engagements de celle-ci auprès du CIC.

Le 4 décembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert la liquidation judiciaire de la société Myprim.

Le 7 février 2020, sur tierce opposition, il a annulé ce jugement.

Le 21 février 2020, il a ouvert le redressement judiciaire de la société Myprim.

Le 6 janvier 2021, le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de redressement par voie de continuation d'activité de la société Myprim d'une durée de 4 ans.

Par exploits des 15 et 16 décembre 2020, le CIC a assigné MM. [H] et [V] en paiement devant le tribunal de commerce de Nanterre.

Le 14 juin 2021, le CIC a transigé avec M. [V], de sorte qu'il n'a poursuivi l'action que contre M. [H].

Le 29 juin 2022, le tribunal de commerce a :

- dit irrecevable l'action du CIC ;

- condamné le CIC à payer à M. [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné le CIC aux dépens.

Le 27 septembre 2022, le CIC a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Le 27 juin 2023, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Myprim.

Le 28 juillet 2023, le premier président de la cour d'appel de Paris a arrêté l'exécution provisoire attaché à ce jugement de conversion.

Par dernières conclusions du 3 novembre 2023, le CIC demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau,

Sur la recevabilité de l'action,

- juger irrecevable et en tout état de cause infondée la demande d'irrecevabilité de M. [H] ;

- le juger recevable en son action ;

Au fond,

- le juger bien fondé en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- juger que sa créance est exigible ;

- condamner M. [H] à lui payer la somme de 18 000,00 euros en exécution de son engagement de caution ;

- juger irrecevable et en tout état de cause infondée la demande indemnitaire de M. [H] à hauteur de 18 000,00 euros ;

- juger infondée la demande de délais de M. [H] ;

- débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner M. [H] à lui payer la somme de 6 000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions des articles 695 et 699 du même code.

Par conclusions du 17 mars 2023, M. [H] a formé un appel incident.

Par dernières conclusions du 8 novembre 2023, il demande à la cour de :

In limine litis :

- déclarer irrecevable l'action du CIC en ce que le jugement arrêtant le plan de redressement par voie de continuation d'activité de la société Myprim a été prononcé par le Tribunal de commerce de Paris le 06 janvier 2021 et que le CIC l'a assigné devant le tribunal de commerce de Nanterre le 15 décembre 2020, soit antérieurement au jugement arrêtant le plan de redressement ;

Par conséquent,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

- débouter le CIC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire :

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la société CIC ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

Par conséquent,

- déclarer l'action intentée par le CIC à son encontre en tant que caution solidaire de la société Myprim infondée ;

- débouter la société CIC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- débouter le CIC de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner le CIC à lui régler la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de son manquement à son devoir d'information, de vigilance et de mise en garde ;

- condamner le CIC à lui régler la somme de 6 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre infiniment subsidiaire :

- dire que toute condamnation prononcée contre lui sera sous déduction de toute somme réglée par la société Myprim ainsi que M. [V] ;

- déclarer recevable sa demande d'octroi de paiement ;

- lui accorder un différé de deux années ;

En tout état de cause :

- condamner le CIC aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 9 novembre 2023.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par M. [H]

Contrairement à ce que soutient le CIC, la fin de non-recevoir prise par M. [H] des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce ne peut être considérée comme nouvelle en cause d'appel, dès lors que c'est sur le fondement de ce texte que le tribunal de commerce a jugé irrecevable l'action du CIC.

Sur la recevabilité de l'action du CIC

Selon l'article L. 622-28, alinéa 2, du code de commerce, applicable à la procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14 du même code, le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle ; le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans ; les créanciers bénéficiaires de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires.

L'action du créancier contre la caution d'une société en redressement judiciaire se heurte ainsi à une fin de non-recevoir.

Selon l'article 126 du code de procédure civile, lorsque la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

Dès lors, le créancier agissant en paiement contre une caution après la mise en redressement judiciaire du débiteur est recevable à poursuivre son action contre celle-ci après le prononcé de la liquidation judiciaire du débiteur, sans nouvelle assignation (Com, 10 mars 2004, n°01-13.508, publié).

De même, l'action introduite contre la caution après le jugement d'ouverture d'un redressement judiciaire peut être régularisée si le tribunal se prononce sur la demande après l'adoption du plan (Com, 22 nov. 2023, n°22-18.766, publié).

En l'espèce, retenant, sur le moyen relevé d'office pris de l'application de l'article L. 622-28 du code de commerce, que l'action du CIC avait été introduite avant le jugement arrêtant le plan de redressement de la société Myprim, le tribunal de commerce en a déduit que cette action était irrecevable.

Mais si l'action du CIC contre M. [H] a été introduite après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société Myprim, dont il s'était porté caution, en revanche, au jour où le tribunal de commerce a statué, un plan de redressement avait été adopté en faveur de cette société, de sorte que la fin de non-recevoir prévue à l'article L. 622-28 était régularisée, comme le soutient à juste titre l'appelante.

L'action du CIC est donc recevable au regard des dispositions de l'article L. 622-28 susvisé ; elle l'était déjà au jour où le tribunal a statué ; il est indifférent à cet égard que l'exécution provisoire du jugement plaçant la société Myprim en liquidation judiciaire ait été arrêtée.

Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé en toutes ses dispositions.

Sur la demande en paiement

Selon l'article L. 622-7 du code de commerce, le jugement d'ouverture d'un redressement judiciaire emporte interdiction de payer toute créance née antérieurement à ce jugement.

Selon l'article L. 622-2 du code de commerce, applicable au redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14, le jugement d'ouverture ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé, toute clause contraire étant réputée non écrite.

Selon l'article L. 643-1 du code de commerce, le jugement qui prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues dont le patrimoine saisi par l'effet de la procédure constitue le gage.

Il résulte de l'article L. 661-9, alinéa 2, de ce code, que l'arrêt de l'exécution provisoire attachée à un jugement convertissant un redressement judiciaire en liquidation judiciaire emporte prolongation de la période d'observation jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel ; dans ce cas, selon la doctrine, l'appel devient suspensif (Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, §234.261).

En droit commun, l'arrêt de l'exécution provisoire par le premier président n'a pas d'effet rétroactif.

Toutefois, il ne peut être considéré que l'exigibilité des créances résultant, en application des articles L. 641-3 et L. 643-1 du code de commerce, du jugement convertissant un redressement judiciaire en liquidation judiciaire, subsiste en cas d'arrêt de l'exécution provisoire ordonné par le premier président, compte tenu des effets de cette décision prévus à l'article L. 661.

Selon l'article 2013, devenu 2290, du code civil, dans sa rédaction applicable au jour de la signature de l'engagement de caution en cause, le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ; le cautionnement qui excède la dette est réductible à la mesure de l'obligation principale.

D'où il suit que l'absence de déchéance du terme du contrat de prêt consenti au débiteur en redressement judiciaire est opposable au créancier par la caution, à qui il ne peut être demandé plus que ce qui est dû par le débiteur (Com, 14 nov. 1989, n°88-12.411, publié ; 26 janvier 2010, n°09-10.244 ; 3 janvier 1995, n°90-19.832, publié).

La déchéance du terme n'est pas encourue par le débiteur principal mis en redressement judiciaire et ne peut être invoquée contre la caution, nonobstant toute clause contraire du contrat de cautionnement (Com., 14 nov. 1989, déjà cité ; 2 mars 1993, Bull. civ. IV, n° 79 ; Com, 20 juin 1995, n° 93-13.523 ; 1re civ., 24 janv. 1995, n° 92-21.436, publié ; 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-10.091 ; ces arrêts sont cités par Jocelyne Vallansan au Jcl Procédures collectives, fasc. 2382, §14).

En l'espèce, il est constant que la clause d'exigibilité anticipée insérée au contrat de prêt consenti à la société Myprim, débiteur principal, n'a pas été mise en 'uvre par le CIC.

L'engagement de caution souscrit par M. [H] à concurrence de la somme de 54 720 euros stipule en son article 1, intitulé « Portée du cautionnement solidaire », que la caution s'oblige à payer à la banque ce que doit et devra le cautionné au cas où ce dernier ne ferait pas face à ce paiement pour un motif quelconque ; que la caution sera tenue à paiement sans que la banque ait à poursuivre préalablement le cautionné et pourra demander à la caution la totalité de ce que lui doit le cautionné ; en son article 7, intitulé « Mise en jeu du cautionnement », qu'en cas de défaillance du cautionné pour quelque cause que ce soit, la caution sera tenue de payer à la banque ce que lui doit le cautionné, y compris les sommes devenues exigibles par anticipation.

M. [H] fait valoir qu'en l'absence de déchéance du terme du contrat de prêt, il ne peut être recherché en tant que caution.

Le CIC prétend avoir prononcé l'exigibilité du prêt consenti à la société Myprim à l'égard des cautions. Il affirme qu'à la date où elle a appelé M. [H], la défaillance de l'emprunteur était avérée ; que rien ne s'oppose à ce que la déchéance du terme soit prononcée à l'égard des cautions même si elle ne l'a pas été à l'égard du débiteur principal, comme l'ont jugé les cours d'appel de Paris (28 janvier 2016, RG 14/2036 ; 11 juin 2015, RG 14/08092) et de Versailles (12 janvier 2023, RG 22/0026) ; qu'en toute hypothèse, selon l'article L. 643-1 du code de commerce, le jugement qui prononce la liquidation judiciaire rend exigibles les créances non échues.

La cour retient qu'en l'espèce, comme le soutient M. [H] justement, aucune des stipulations de l'acte de cautionnement n'autorise le CIC à réclamer à la caution plus que les sommes devenues exigibles à l'égard de la société cautionnée.

Contrairement à ce que soutient le CIC, il est indifférent que celle-ci se soit trouvée, avant l'ouverture du redressement judiciaire, dans une situation qui eût justifié la déchéance du terme, dès lors que celle-ci n'a pas été prononcée.

Si, par un courrier du 28 octobre 2020, le CIC a notifié à M. [H] la « déchéance du terme » du prêt à son encontre, le mettant en demeure de lui payer la somme de 18 000 euros, cet acte est sans portée, dès lors que la caution n'était pas le débiteur principal.

Enfin, l'exécution provisoire du jugement prononçant la liquidation judiciaire a été arrêtée, de sorte que la dette de la société liquidée envers le CIC ne peut plus être considérée comme en totalité exigible, de sorte que l'obligation de la caution, accessoire à celle du débiteur principal, ne peut donner lieu à aucune action.

M. [H] n'est ainsi tenu envers le CIC que des sommes qui étaient exigibles de la société cautionnée au jour de l'ouverture du redressement judiciaire, soit au 21 février 2020.

Il résulte de la déclaration de créance et du décompte au 29 mars 2022 produits par le CIC (pièce 29), le montant total des échéances impayées au 21 février 2020 s'élevait à la somme de 2 512,28 euros ; que le CIC a reçu le 29 mars 2022 un règlement de 9 166,23 euros.

L'action en paiement doit en conséquence être écartée.

Sur la demande indemnitaire formulée par la caution

L'engagement de caution litigieux a été souscrit avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 15 septembre 2021.

Des règles prétoriennes applicable à la cause, il résulte que la caution non avertie peut rechercher la responsabilité du créancier en cas de fourniture de crédit inopportun ou excessif au débiteur principal, ou de manquement à son obligation de mise en garde, laquelle porte soit sur l'inadaptation de l'engagement de la caution à ses propres capacités financières, soit sur le risque d'endettement lié pour la caution au risque de défaillance caractérisé du débiteur principal (voir par exemple Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).

Inversement, une caution avertie n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la banque à raison de la faute commise par celle-ci lors de l'octroi d'un crédit abusif au débiteur principal (Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).

Une caution est avertie si elle est en capacité de mesurer le risque encouru en s'engageant (Com, 29 nov. 2017, n°16-19.416). Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit de sa seule qualité de dirigeant et associé de la société débitrice principale (Com, 22 mars 2016, déjà cité).

C'est au créancier d'établir qu'une caution est avertie et, si elle ne l'est pas, de prouver qu'il s'est acquitté de son obligation de mise en garde (Com, 22 mars 2016, n° 14-20.216, publié).

C'est à la caution non avertie soutenant que la banque était tenue à son égard d'une obligation de mise en garde d'établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (Com., 9 mars 2022, n° 20-16.277, publié ; 5 fév. 2020, n° 18-21.444 ; Com., 3 nov. 2015, n° 14-17.727).

En l'espèce, pour solliciter la condamnation du CIC à lui verser à titre de dommages-intérêts la somme de 18 000 euros, M. [H] soutient que la banque ne lui a fait remplir aucune fiche de renseignements et n'a pas étudié sa solvabilité avant de lui faire souscrire l'engagement de caution dont elle se prévaut.

Mais le CIC démontre par la production du profil LinkedIn de M. [H] qu'à l'époque de la signature de l'engagement de caution en cause, celui-ci était diplômé d'une école de commerce et avait occupé durant une vingtaine d'années des fonctions de directeur financier, de directeur commercial et de directeur général de diverses sociétés commerciales.

Le CIC établit ainsi la preuve lui incombant de ce que M. [H] était en mesure de mesurer le risque inhérent à l'engagement de caution en cause et peut partant être considéré comme une caution avertie.

De là suit qu'il n'était pas tenu à son égard d'une obligation de mise en garde.

La demande de dommages-intérêts, recevable quoique formulée pour la première fois en cause d'appel, doit en conséquence être rejetée.

Sur les demandes accessoires

Le CIC, qui succombe dans l'essentiel de ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel.

L'équité ne commande pas, en revanche, d'allouer d'indemnité de procédure à l'une des parties.

PAR CES MOTIFS,

la cour, statuant par arrêt contradictoire

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 29 juin 2022 ;

Et statuant à nouveau,

Dit recevable l'action du CIC ;

La rejette ;

Rejette la demande de dommages-intérêts formulée par M. [H] ;

Condamne le CIC aux dépens de première instance et d'appel ;

Rejette les demandes formulées au titre des frais non compris dans les dépens.