CA Bordeaux, 4e ch. com., 9 septembre 2024, n° 22/02278
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bellatrix (SCI)
Défendeur :
Département de la Gironde, Centre Départemental de l'Enfance et de la Famille (CDEF)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocats :
Me Albrespy, Me Sapata
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous-seing privé du 28 octobre 2011, la SCI Bellatrix, représentée par son gérant M. [X], en qualité de bailleur, a conclu un bail commercial avec la société Vol de nuit, en qualité de preneur, portant sur des locaux situés au [Adresse 2] à Mérignac (33700), aux fins d'y exercer une activité d'hôtel, bar et restaurant 'concurremment'.
Les locaux d'une superficie de 2700 m² comprenaient 46 chambres, un restaurant, une salle de réunion, une cuisine, une buanderie.
Le bail était consenti pour une durée de neuf ans et prévoyait un loyer annuel de 120.000 euros HT. La sous-location des lieux par le preneur était conditionnée à l'accord du bailleur.
La société Bellatrix expose avoir été informée, début 2018, du fait que les lieux donnés à bail et exploités sous l'enseigne 'l'Escadrille' n'étaient plus ouverts au public, et que la société Vol de nuit n'exerçait plus une activité d'hôtellerie, de bar et de restaurant telle que prévue dans le contrat de bail, mais hébergeait des mineurs isolés pris en charge par le Centre départemental de l'enfance et de la famille (CDEF) du département de la Gironde, et ce sans son accord.
Par acte du 12 décembre 2018, la SCI Bellatrix a fait sommation à la société Vol de nuit, sous peine de voir jouer la clause résolutoire incluse dans le bail. :
- d'exercer l'activité prévue aux termes du bail commercial,
- de lui régler la somme de 47 608 euros au bailleur au titre de loyers impayés et de la taxe foncière, et la somme de 63 992 euros au titre du dépôt de garantie,
Elle a ensuite saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir constater de l'acquisition de la clause résolutoire.
Par ordonnance contradictoire du 29 avril 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, a fait droit à sa demande et a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial,
- prononcé l'expulsion de la société Vol de nuit ainsi que de tout occupant de son chef,
- condamné cette dernière à payer une somme mensuelle de 10.000 euros au titre de l'indemnité d'occupation à compter du 13 janvier 2019, ainsi qu'une somme provisionnelle de 102.739 euros au titre des loyers, indemnité d'occupation, impôts fonciers et dépôt de garantie dus au 12 décembre 2018, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer, et une somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles et dépens.
Le juge des référés, pour statuer comme il l'a fait, a jugé qu'il ne lui appartenait pas de dire si la location des chambres au Conseil départemental constituait une déspécialisation mais qu'en tout état de cause, la preneuse ne respectait pas son obligation d'exercer concurremment à l'activité d'hôtellerie, une activité de bar et de restaurant et n'avait pas réglé les loyers dus au bailleur.
Le 10 juillet 2019, la société Vol de nuit a été placée en liquidation judiciaire.
Le CDEF, informé par le conseil de la société Bellatrix de l'ordonnance du 29 avril 2019, a quitté les lieux en juin 2019. La société Vol de nuit s'est maintenue dans les lieux, contraignant la société Bellatrix à requérir le concours de la force public, ce qui lui a été accordé le 9 août 2019.
Par acte du 27 août 2020, la société Bellatrix et son gérant, M. [X], ont assigné la société Vol de nuit représentée par la SCP [L] [U], désigné comme liquidateur judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 10 juillet 2019, ainsi que le CDEF, au visa des articles 145-31 du code de commerce et 1231-1 et 1240 du code civil, aux fins de voir prononcer la résiliation du bail et de voir condamner la preneuse à lui verser la somme de 102 739 euros au titre des loyers, taxes foncières et dépôt de garantie impayés.
Elle a sollicité en outre la condamnation solidaire de la société Vol de nuit et du CDEF à lui verser la somme de 80 000 euros au titre de la perte de revenu locatif et la somme de 926 040 euros à titre de dommages et intérêts au titre des revenus indûment perçus par la preneuse au titre de l'occupation irrégulière des lieux par le CDEF. Les demandeurs soutenaient à cet effet que le preneur, avec la complicité du CDEF, avait violé les clauses du bail en sous-louant de manière illicite les lieux.
***
Par arrêt du 8 décembre 2020, la cour d'appel de Bordeaux a confirmé l'ordonnance du 29 avril 2019 sous réserve de fixation au passif de la société Vol de nuit du montant des condamnations pécuniaires prononcées au profit de la société Bellatrix.
***
Par jugement rendu le 31 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré irrecevable l'ensemble des chefs de demande formés par la SCI Bellatrix et Monsieur [Z] [X] à l'encontre de la société Vol de nuit, représentée par son mandataire liquidateur, la SCP [L] [U], en la personne de Me [L],
- débouté la SCI Bellatrix et Monsieur [Z] [X] de l'ensemble des chefs de demande dirigés contre le département de la Gironde, Centre départemental de l'enfance et de la famille (CDEF),
- débouté le CDEF de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
- condamne in solidum la société Bellatrix et Monsieur [Z] [X] aux dépens ainsi qu'a payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 2 000 euros au CDEF ainsi qu'une somme de 1.000 euros a la SCP [L] [U], en qualité de liquidateur de la société Vol de nuit.
Pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges ont notamment relevé que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve de la mauvaise foi du CDEF 'alors même qu'il n'existe aucune convention écrite de sous-location et qu'ainsi que le soutient le centre, des pourparlers ont existé avec le locataire principal en vue de l'acquisition de locaux, et que le bailleur ne peut réclamer des loyers à un sous-locataire de bonne foi ayant ignoré l'existence du bail principal et de l'interdiction de sous-location'.
Par déclaration en date du 10 mai 2022, la société Bellatrix a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant le centre départemental de l'enfance et de la famille- Département de la Gironde.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions notifiées par RPVA le 30 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Bellatrix demande à la cour de :
Vu l'article 1240 du code civil
Vu l'article L. 145-31 du code de commerce
Vu l'article 546 du code civil
Vu l'article 700 du code de procédure civile
- déclarer recevable l'appel de la société Bellatrix ;
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 31 mars 2022 (RG N°20/07055) en ce qu'il a :
- débouté la société Bellatrix des chefs de demande dirigés contre le CDEF au titre de l'occupation irrégulière que ce dernier a sciemment participé à organiser dans les lieux lui appartenant ;
- condamné la société Bellatrix aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2.000 euros au CDEF en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Et en conséquence :
- condamner le CDEF à verser à la société Bellatrix les sommes suivantes :
- 180.000 euros au titre de la perte de revenu locatif lié à l'absence de versement d'indemnité d'occupation entre juin et août 2019 et à l'impossibilité juridique d'exploitation des biens jusqu'au mois de décembre 2020 ;
- 926.040 euros de dommages et intérêts au titre de la restitution des fruits indûment versés par le CDEF à la société Vol de nuit en contrepartie de l'occupation irrégulière des lieux ;
' condamner le CDEF à verser à la société Bellatrix la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 29 mai 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, le département de la Gironde (CDEF) demande à la cour de :
Vu l'article L 145-31 du Code de commerce,
Vu les articles 1231-1 et 1240 du Code civil,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu le jugement déféré
A titre principal,
- confirmer le jugement déféré en date du 31 mars 2022 en ce qu'il a débouté la SCI Bellatrix de l'ensemble des chefs de demandes dirigées contre le Département de la Gironde, Centre départemental de l'enfance et de la famille (CDEF)
En conséquence,
- constater que le département de la Gironde, Centre départemental de l'enfance et de la famille (CEDEF) a fait preuve de bonne foi dans le cadre de la réservation des chambres d'Hôtel auprès de la S.A.R.L Vol de nuit et qu'à minima, cette mauvaise foi n'est pas rapportée par l'appelant
Le cas échéant,
- déclarer inopposable à la SCI Bellatrix la prétendue sous-location consentie par la société Vol de nuit au Centre Départemental de l'Enfance et de la Famille de la Gironde ;
Par conséquent,
- déclarer mal fondée l'action engagée par la SCI Bellatrix à l'encontre du Département de la Gironde, Centre Départemental de l'Enfance et de la Famille de la Gironde ;
- déclarer mal fondée les demandes de condamnations formées par la SCI Bellatrix à l'encontre du Département de la Gironde Centre Départemental de l'Enfance et de la Famille de la Gironde ;
A titre subsidiaire et en cas d'infirmation par la cour du jugement déféré,
- déclarer que les préjudices allégués par la SCI Bellatrix sont injustifiés, tant dans leur principe que dans leur quantum ;
Par conséquent,
- débouter la SCI Bellatrix de l'intégralité de leurs demandes dirigées contre le Centre Départemental de l'Enfance et de la Famille de la Gironde ;
En tout état de cause,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté le département de la Gironde, Centre
départemental de l'enfance et de la famille (CEDEF) de sa demande de condamnation de la SCI Bellatrix pour procédure abusive
En conséquence,
Statuant à nouveau et à titre reconventionnel,
- déclarer l'action engagée par la SCI Bellatrix à l'encontre du Centre Départemental de l'Enfance et de la Famille de la Gironde abusive ;
- condamner la SCI Bellatrix au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre des dommages et intérêts dus en raison de la procédure abusive engagée ;
- condamner la SCI Bellatrix au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en cause d'appel;
- débouter la SCI Bellatrix ou tout autre concluant du surplus de ses demandes.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'affaire a été clôturée à l'audience collégiale du 3 juin 2024, date à laquelle elle a été plaidée et mise en délibéré.
La cour a indiqué à l'audience qu'elle entendait soulever d'office le moyen tiré de son éventuelle incompétence au profit de la juridiction administrative et a demandé aux parties de faire valoir toutes observations utiles sur ce point par note en délibéré.
Chacune des parties a adressé a la cour une note en delibéré, par message électronique.
MOTIFS DE LA DECISION:
Sur la compétence du juge judiciaire :
1- la Societe Bellatrix fait valoir que le juge judiciaire est seul compétent en matière de baux commerciaux et que les litiges nés de sous-location irrégulière suivent une règle identique. En outre, un contrat de bail conclu entre une personne de droit public et une personne de droit privé n'est pas un contrat de marché public, sauf clause relevant du régime exorbitant du droit commun, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle ajoute qu'elle ne pouvait en aucun cas poursuivre le preneur, la société Vol de nuit, devant le juge administratif. Enfin, elle argue du fait que le comportement du Département s'analyse en une voie de fait.
2- L'intimé rétorque que la responsabilité délictuelle d'une personne morale de droit public ne peut en aucun cas être recherchée devant le juge judiciaire. Il affirme que les chambres réservées l'ont été dans le cadre d'une mission non susceptible de délégation de service public, à savoir l'hébergement de mineurs non accompagnés, compétence exclusive du département. Enfin, il ne peut être argué d'une voie de fait, prétention nouvelle en appel.
Sur ce :
3- Aux termes de l'article R211-4 2° du code de l'organisation judiciaire, en matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l'article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l'ensemble du département ou, dans les conditions prévues au III de l'article L. 211-9-3, dans deux départements des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce.
4- Il en résulte, que même si la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est en principe soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative, le législateur a entendu conférer au juge judiciaire une compétence exclusive en matière de baux commerciaux.
5- Or, en l'espèce, l'appréciation de la responsabilité délictuelle du Conseil départemental au titre d'une complicité dans la violation des règles du bail commercial ayant interdit la conclusion d'une sous-location sans l'accord du bailleur, implique nécessairement l'application des règles relatives aux baux commerciaux et ne peut de ce fait que relever de la compétence judiciaire.
6- La compétence de la présente juridiction sera retenue.
Sur la mise en jeu de la responsabilité délictuelle du CDEF :
7- La société Bellatrix soutient que le CDEF s'est vu consentir, sans son accord, une sous-location des lieux sur la base d'un prix fixe et sur une longue période convenue à l'avance. Au soutien de cette allégation, elle fait valoir qu'à partir de l'année 2018, plus aucune activité hôtelière n'était exercée dans les lieux et que le CDEF occupait l'intégralité des locaux dont il avait aménagé la distribution et dans lequel il avait élu domicile. Elle fait valoir qu'il n'est pas démontré que la société Vol de nuit a continué à assurer une prestation de ménage qui aurait été incluse dans le prix, et qu'en tout état de cause, ce seul critère ne permet pas d'exclure la qualification de sous-location. Elle soutient que le CDEF était parfaitement informé de l'existence d'un bail commercial et donc nécessairement de l'interdiction de sous-location qui y était mentionnée. Il aurait dû, selon elle, en tout état de cause s'inquiéter de la position du bailleur et a commis ainsi une grave imprudence en s'abstenant de se renseigner sur les termes du bail. La société Bellatrix fait valoir encore que M. [X] a informé le Conseil départemental de l'irrégularité de la sous-location consentie sans son accord par courrier du 7 avril 2018. La sous-location illicite des lieux lui a causé, selon elle, d'une part, une perte de revenus de locatifs liés à l'absence de versement d'indemnité d'occupation qu'elle chiffre à 180 000 euros et à l'impossibilité juridique d'exploitation du bien et , d'autre part, la perte des fruits indûment perçus par le preneur au titre de loyers versés par le CDEF à hauteur de 926 040 euros.
8- En réplique, le département de la gironde (CDEF) fait valoir qu'il n'a conclu aucune sous-location du bail commercial mais qu'il a passé commandé d'une prestation hôtelière dans l'urgence comprenant le nettoyage quotidien des chambres, le changement des draps, l'entretien des espaces de circulation et le remplacement du matériel usagé. Il expose avoir contracté sur la base des tarifs d'un hôtel et aucunement d'un bail, les chambres étant réglées au prix affiché soit au tarif de 49 euros par nuit pour 35 chambres réservées et de 45 euros par nuit pour 10 chambres. En tout état de cause, il rappelle qu'une telle sous-location, conclue sans l'accord du propriétaire, serait inopposable à celui-ci qui ne pourrait dès lors intenter une action directe en paiement des loyers contre le sous-locataire. L'intimé ajoute qu'il n'a pas été informé de l'interdiction de sous-location figurant dans le bail dont il n'a pas eu connaissance et qu'il n'a pas reçu le courrier du 7 avril 2018, adressé en lettre simple, dont il est fait état. Le CDEF conteste enfin tant le principe que le montant des préjudices allégués. Il fait valoir notamment qu'il ne peut en aucun cas être tenu au paiement d'indemnités d'occupation échues après son départ des lieux et dues par la société Vol de nuit et qu'aucun texte ne permet au bailleur de solliciter du sous-locataire de régler une deuxième fois les loyers.
Sur ce :
9- Il convient de rechercher si la réservation de la quasi-intégralité des chambres de l'hôtel par le Département (CDEF) s'analyse en une sous-location des lieux puis le cas échéant de déterminer si le preneur s'est rendu complice d'une violation du bail en concluant un tel contrat sans l'accord du bailleur. Il conviendra enfin de juger si le préjudice allégué est en lien avec la faute alléguée ou non.
* sur l'existence d'un contrat de sous-location :
10- Aux termes de l'article 1709 du code civil, le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer.
11- Le contrat d'hôtellerie est un contrat sui generi qui n'est pas défini par le code civil.
12- L'article D. 311-4 du Code du tourisme dispose cependant que l'hôtel de tourisme est un établissement commercial d'hébergement classé, qui offre des chambres ou des appartements meublés en location à une clientèle de passage qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois, mais qui, sauf exception, n'y élit pas domicile. Il peut comporter un service de restauration. Il est exploité toute l'année en permanence ou seulement pendant une ou plusieurs saisons. Il est dit hôtel saisonnier lorsque sa durée d'ouverture n'excède pas neuf mois par an en une ou plusieurs périodes.
13- L'hôtelier, comme le bailleur de meublé, a pour obligation principale de mettre une chambre à disposition de son client. Ce contrat s'accompagne de prestations accessoires , ce qui à l'origine le différenciait du contrat de bail meublé. Cependant, le bail meublé peut aujourd'hui également être accompagné de certaines prestations parahôtellières.
14- Il convient donc d'examiner la nature même des obligations réciproques des parties pour qualifier le contrat.
15- L'appelante produit aux débats une attestation du 17 janvier 2018 aux termes de laquelle la directrice adjointe du Centre départemental de l'enfance et de la famille indique réserver 44 chambres de l'hôtel au tarif de 49 euros par chambre et par nuit pour la période du 28 janvier 2018 au 30 novembre 2018 puis une seconde attestation du 15 février 2018 faisant état de la réservation de 44 chambres à nouveau ( soit 35 chambres au tarif de 49 euros et 9 chambres au tarif de 45 euros par nuit) sur la période du 1er décembre 2018 au 31 mai 2019. Il était prévu un paiement par quinzaine ou mensuellement au choix du gérant.
16- Il ressort de ces éléments que le département a réservé 44 des 46 chambres de l'hôtel sur une période de 16 mois. Il n'est pas contesté que les deux chambres restantes n'ont plus été proposées à la réservation hôtelière et que les lieux ont été fermés de manière durable au public. Le restaurant a par ailleurs cessé son activité.
17- Il est par ailleurs produit aux débats un plan de l'hôtel annoté duquel il ressort incontestablement, contrairement à ce que soutient l'intimé, qu'il y a eu une modification des lieux puisque des chambres ont été transformées en bureaux : bureau de l'éducateur, bureau des veilleurs, bureau de la directrice et l'une des chambres en cantine.
18- S'agissant des prestations hôtelières, même si elles ont pu perdurer, au moins partiellement en ce qui concerne les prestations de nettoyage à l'exclusion de toutes prestations de restauration, il ne s'agit plus d'un critère discriminant de la distinction entre prestations hôtelières et bail meublé.
19- Dès lors, et même si le Département a réglé un loyer d'un montant important puisque correspondant au prix d'une prestation hôtelière, la cour jugera, qu'eu égard à la fermeture des lieux au public, à la durée de l'occupation et à la modification de l'aménagement des chambres, le contrat conclu entre les parties s'analyse en une sous-location d'une grande partie de l'hôtel, qui, aux termes du bail, aurait dû recevoir l'accord du propriétaire.
* sur la complicité du CDEF dans la violation des termes du bail :
20- Aucune des pièces produites aux débats ne démontrent que le CDEF était informé de l'existence d'un bail commercial dès les mois de janvier et de février 2018, date de conclusion des contrats de réservation requalifiés en sous-location.
21- Il ressort en revanche des termes des échanges par courrier électronique entre la société Vol de nuit et le Conseil départemental que celui-ci était informé de l'existence d'un bail commercial entre la société Vol de nuit et la société Bellatrix a minima depuis le 15 mai 2018 puisque le Département confirmait à cette date son intérêt pour l'acquisition du bail commercial. Il n'avait cependant pas connaissance des termes du bail à cette date puisque le Département a sollicité une copie du bail par courriel du 18 juin 2018.
22- Il n'est pas justifié que la société Vol de nuit a fait droit à sa demande puisqu'aucun mail en retour comportant la pièce sollicitée n'est produit. En tout état de cause, dès le 13 juillet 2018, le Département indiquait qu'il ne pouvait se porter acquéreur du bail commercial, n'étant pas commerçant.
23- Ces échanges de mail ne démontrent donc pas que le Département était informé des termes du bail conditionnant la conclusion de la sous-location à l'accord du bailleur, et donc d'une volonté certaine et explicite de sa part de se rendre complice de la violation des termes du bail dont se rendait coupable le preneur en lui consentant une sous-location des lieux.
24- Le bailleur soutient encore que la preuve de la connaissance des termes du bail par le Département et donc de sa complicité avec le preneur résulte d'un courrier de son gérant daté du 7 avril 2018 adressé au Département dans lequel celle-ci lui indique qu'il n'aurait pas dû contracter avec la société Vol de nuit sans son accord conformément aux termes du bail commercial. Cependant, dans la mesure où le Département affirme ne pas avoir reçu ce courrier adressé par lettre simple, l'appelant n'apporte pas la preuve de ce qu'il a informé personnellement le CDEF du caractère illicite de son occupation en avril 2018.
25- Les autres pièces produites aux débats, et notamment les courriers échangés entre les conseils des parties, ne rapportent pas plus la preuve de l'information alléguée.
26- Il sera dès lors jugé que le bailleur n'établit pas que le CDEF s'est sciemment rendu coupable d'une action concertée avec la société Vol de nuit visant à violer les termes du bail commercial et frauder ses droits.
27- Enfin, il ne peut être retenu que le Département a commis une faute d'imprudence susceptible d'engager sa responsabilité délictuelle en ne 's'intéressant pas aux clauses du bail principal', comme le soutient la société Bellatrix, dans la mesure où il n'avait pas de raison légitime de douter de la bonne foi de son cocontractant, la société Vol de nuit.
28- Il n'est ainsi caractérisé comme l'a relevé le premier juge aucune volonté du Département de frauder les droits du bailleur de concert avec le preneur.
29- La décision de première instance sera ainsi confirmée en ce qu'elle a débouté la société Bellatrix de ses demandes.
Sur les demandes accessoires :
30- Le CDEF qui ne justifie pas que la société Bellatrix a abusé de son droit d'agir en justice sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
31- La société Bellatrix qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel.
32- Elle sera condamnée à verser la somme de 4000 euros au Département de la Gironde - Centre départemental de l'enfance et de la famille au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour
statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort
Confirme la décision du tribunal judiciaire de Bordeaux du 31 mars 2022,
y ajoutant,
Déboute le Département de la Gironde (Centre départemental de l'enfance et de la famille) de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Condamne la société Bellatrix aux dépens d'appel.
Condamne la société Bellatrix à verser la somme de 4000 euros au Département de la Gironde (Centre départemental de l'enfance et de la famille) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.