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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 10 septembre 2024, n° 23/02934

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupement Forestier de Saluces

Défendeur :

Jungle Park (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseillers :

Mme Martin de la Moutte, Mme Norguet

Avocats :

Me Martinez, Me Cornille, Me Monferran, Me Defos du Rau

TGI Dax, du 25 sept. 2019, n° 17/00605

25 septembre 2019

Exposé des faits et procédure :

Le 14 juin 2004, l'indivision de Lur Saluces, aux droits de laquelle vient le groupement forestier de Saluces (le bailleur), a, consenti à la société Jungle park (la locataire) un bail commercial de courte durée du 1er mai au 30 septembre 2004 destiné à l'exploitation d'un parcours acrobatique dans les arbres à [Localité 4] (40).

Le 1er mai 2006, un second bail, identique au précédent, a été conclu entre les parties jusqu'au 30 septembre 2006.

A l'issue de ce bail, la société Jungle Park est restée dans les lieux dont elle a poursuivi l'exploitation.

Le 19 avril 2017, la société Jungle Park a assigné le Groupement forestier de Saluces devant le tribunal de grande instance de Dax auquel, sur le fondement de l'article L. 145-5 du code de commerce, afin qu'il soit jugé qu'elle était depuis le 1er mai 2008 titulaire d'un bail commercial sur l'ensemble immobilier objet des deux baux de courte durée.

Par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal a

- dit qu'en application des dispositions de l'article L145-5 du code de commerce, la Sarl Jungle Park bénéficie d'un bail commercial sur les biens faisant l'objet des baux de courte durée en date du 14 juin 2004 et du 1er mai 2006, aux mêmes clauses et conditions,

- condamné le groupement forestier de Saluces à payer à la Sarl Jungle Park la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, débouté le groupement foncier de Saluces de l'ensemble de ses demandes et condamné le groupement foncier de Saluces aux dépens.

Par arrêt du 29 juillet 2021, la cour d'appel de Pau a infirmé ce jugement, déclaré irrecevables les demandes de la société Jungle Park, déclaré celle-ci occupante sans droit ni titre et a ordonné son expulsion.

La cour d'appel a retenu que la société Jungle Park aurait du agir dans les 5 ans du premier bail dérogatoire, soit avant le 14 juin 2009 et qu'ainsi son action était prescrite.

Par arrêt du 25 mai 2023, la cour de cassation, troisième chambre civile a :

- cassé et annulé, sauf en ce qu'il rejette la demande du Groupement forestier de Saluces de communication sous astreinte des bilans comptables certifiés des dix dernières années mentionnant le chiffre d'affaire annuel, l'arrêt rendu le 29 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau,

- Remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoient devant la cour d'appel de Toulouse.

Par déclaration en date du 4 août 2023, le Groupement forestier de Saluces

a saisi la cour de renvoi.

La clôture est intervenue le 12 février 2024.

Prétentions et moyens des parties :

Vu les conclusions notifiées le 26 janvier 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, du Groupement forestier de Saluces demandant au visa des articles L.145-1, L. 145-5 et L. 145-60 du Code de commerce, 1188 et 1189 du Code civil, de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Dax le 25 septembre 2019 en tant qu'il a :

- dit qu'en application des dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce, la Sarl Jungle Park bénéficie d'un bail commercial sur les biens faisant l'objet des baux de courte durée en date des 14 juin 2004 et 1er mai 2006 et aux même clauses et conditions ;

- l'a condamné à payer à la Sarl Jungle Park la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ;

- l'a condamné aux dépens.

Statuant à nouveau, :

A titre principal :

- Déclarer la Sarl Jungle Park dans ses demandes, son action en revendication du statut des baux commerciaux étant prescrite ;

A titre subsidiaire :

- Juger que les baux dérogatoires conclus en 2004 et en 2006 ne sont pas des baux commerciaux et que la Sarl Jungle Park ne peut pas se prévaloir du bénéfice du statut des baux commerciaux ;

- Juger que les baux dérogatoires conclus en 2004 et en 2006 sont des baux saisonniers;

- Juger que la Sarl Jungle Park coupable de manquements à ses obligations contractuelles résultant des baux saisonniers concernés ;

En conséquence :

- Juger que la Sarl Jungle Park est occupante sans droit ni titre sur le terrain depuis en vertu de la sommation de quitter les lieux du 10 octobre 2017 ;

- Ordonner l'expulsion de la Sarl Jungle Park du terrain cadastré section AI n° [Cadastre 1] et n° [Cadastre 2], situé à [Localité 4] et de toutes les installations qui s'y trouvent, ainsi que tous occupants de son chef, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier s'il y a lieu, le tout sous astreinte forfaitaire et définitive de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir jusqu'à l'entière libération des lieux loués;

- Condamner la Sarl Jungle Park à verser au Groupement Forestier de Saluces une indemnité d'occupation d'un montant de 2 000 euros par mois à compter de l'introduction de l'action de la Sarl Jungle Park ou, à défaut, à compter de la décision à intervenir.

- Débouter la Sarl Jungle Park de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause :

- Condamner la Sarl Jungle Park à verser la somme de 5.000 € au Groupement forestier de Saluces sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- Débouter de l'ensemble de ses demandes la Sarl Jungle Park.

Vu les conclusions notifiées le 6 février 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Jungle Park demandant au visa de l'article L 145-5 du Code de Commerce, de

- Déclarer l'appel du Groupement forestier de Saluces infondé

- Déclarer les demandes du Groupement forestier de Saluces irrecevables et infondées

En conséquence :

- Confirmer le jugement rendu le 25 septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de Dax en toutes ses dispositions.

- Débouter le Groupement forestier de Saluces de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner le Groupement forestier de Saluces à payer à la Sarl Jungle Park une indemnité de 6.000,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure Civile.

- Condamner le Groupement forestier de Saluces aux entiers dépens.

Motifs

Conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.

La cour de cassation,troisième chambre civile a cassé et annulé, sauf en ce qu'il rejette la demande du Groupement forestier de Saluces de communication sous astreinte des bilans comptables certifiés des dix dernières années mentionnant le chiffre d'affaire annuel, l'arrêt rendu le 29 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau.

La cour de cassation a retenu que la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail commercial statutaire né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l'article L 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à prescription.

La cour est donc saisie par l'effet de la déclaration de saisine et des conclusions des parties tant de la demande de la société Jungle Park en constat de l'existence d'un bail commercial que de la demande reconventionnelle de la bailleresse tendant à voir déclarer la société Jungle Park occupante sans droit ni titre.

La société locataire demande à la cour de constater qu'en raison de son maintien en possession à l'issue du bail dérogatoire, elle bénéficie d'un bail soumis au statut des baux commerciaux.

Le bailleur soutient en premier lieu que cette action, qui ne peut être formée qu'au visa de l'article L 145-60 du code de commerce, s'analyse en une action en requalification du bail dérogatoire en bail commercial, qu'elle est ainsi soumise à la prescription biennale et qu'il n'y a pas lieu, comme le fait à tort la locataire de distinguer entre les actions en requalification du bail et les actions en constatations de l'existence d'un bail commercial.

Selon l'article L 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n 2008-776 du 4 août 2008, applicable au litige, « Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans.

Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.

Il en est de même en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.

Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier. »

En l'espèce, l'indivision de Lur Saluces, aux droits de laquelle est venu le Groupement forestier de Saluces (le groupement forestier), a consenti à la société Jungle Park un « bail commercial de courte durée ». Le 1er mai 2006, a été conclu un nouveau bail ayant pour terme le 30 septembre 2006.

A l'échéance du contrat, la société est restée dans les lieux et a été laissée en possession, le groupement forestier émettant des quittances de loyer jusqu'au 31 décembre 2016, date à partir de laquelle il a facturé des indemnités d'occupation.

Il résulte des dispositions de l'article L 145-5 susvisé, qu'à l'expiration du premier bail dérogatoire, soit le 30 septembre 2004, le preneur étant resté en possession, les parties ont été liées par le seul effet de la loi par un bail soumis au statut.

Contrairement à ce que soutient le bailleur, l'action de la locataire qui ne tend pas à modifier l'ordonnancement juridique n'est pas une action en revendication du statut soumise à la prescription biennale de l'article L 145-60.

Au contraire, dès lors qu'elle ne tend qu'au constat du bénéfice d'un statut dont la locataire bénéficie par le seul effet de la loi, cette action n'est pas soumise à prescription.

La demande de la société Jungle Park qui n'est pas prescrite est donc recevable.

Pour s'opposer aux demandes de sa locataire, le bailleur fait valoir en premier lieu que les baux conclus en 2004 et 2006 contiennent une stipulation excluant expressément le statut des baux commerciaux.

Il soutient second lieu que les parties ont entendu, malgré la dénomination inadéquate 'bail commercial de courte durée ' s'engager dans le cadre de baux saisonniers.

Enfin, il fait valoir en troisième lieu que le statut ne peut s'appliquer au bail consenti sur un terrain nu comme c'est le cas en l'espèce.

Le premier juge a retenu par des motifs pertinents que la cour fait siens que la stipulation insérée dans les deux baux dérogatoires selon laquelle les paries ont entendu 'déroger à la qualification de bail commercial' ne concerne que les baux dérogatoires de courte durée, et n'est pas applicable au bail commercial obligatoirement né à l'expiration du bail dérogatoire, lorsque le preneur est resté en possession.

En tout état de cause, un preneur ne peut pas renoncer par avance à se prévaloir du statut des baux commerciaux, une telle renonciation au statut étant nulle et de nul effet.

Contrairement à ce que soutient la société bailleresse, rien ne permet de retenir que les parties avaient entendu s'engager en 2004 et 2006 dans le cadre de baux saisonniers.

D'une part, les deux baux dénommés 'bail commercial de courte durée' visent expressément les dispositions de l'article L 145-5 du code de commerce, tant en tête du document que dans leur article 1er sans référence à la notion de saison.

D'autre part, le premier juge a retenu à juste titre que le preneur avait édifié des installations importantes et pérennes et avait conservé les clés et la jouissance des lieux sans discontinuer depuis son entrée en 2004.

La cour constate en outre que la locataire a payé son loyer sur la base de factures annuelles émises par le bailleur au mois de décembre de chaque année et acquitté l'ensemble des factures d'eau, d'électricité, d'enlèvement des ordures ménagères, la contribution foncière des entreprises et les assurances correspondant pour chaque année à une occupation annuelle.

La bailleresse soutient enfin que le statut de bail commercial ne saurait s'appliquer puisqu'il s'agit de la location d'un terrain nu et que la construction existante ne peut être prise en compte puisqu'elle n'a pas été autorisée et que s'agissant d'un simple cabanon, elle ne présente pas les conditions de solidité et de fixité requise pour caractériser un bâtiment au sens de l'article L 145-1 2° du Code de Commerce.

En application de ce texte, le statut des baux commerciaux s'applique aux baux des terrains sur lesquels ont été édifiés soit avant, soit après le bail, des constructions à usage commercial, industriel où artisanal, à condition que ces constructions aient été élevées où exploitées avec le consentement express du propriétaire.

En l'espèce toutefois, les parties ont expressément admis que les baux souscrits étaient des baux commerciaux de courte durée de sorte que le bailleur n'est pas fondé à contester la nature commerciale du bail.

De surcroît, les baux mentionnent en leur article 2 que' le preneur a édifié un bâtiment' . Le bailleur n'est donc pas fondé à soutenir qu'il n'a pas autorisé ces constructions.

En outre, l'exigence jurisprudentielle de solidité et de fixité des constructions invoquée par le bailleur ne concerne que les terrains nus et non ceux comportant, comme c'est le cas en l'espèce, une construction déjà existante, même légère.

En tout état de cause, la société Jungle Park démontre, par la production du permis de construire délivré le 23 mars 2004, mais aussi de trois constats d'huissier, avoir édifié en exécution du bail et en conformité avec le permis de construire non pas un simple abri précaire mais un bâtiment d'accueil du public et de stockage du matériel avec une buvette et une terrasse de 30 m² , le tout arrimé au sol par des structures cimentées et raccordé aux réseaux.

La mention des baux selon laquelle le bâtiment restera la propriété du preneur à l'issue du bail, ne peut concerner que la partie démontable de cette construction dont la base est incorporée au sol par des fondations cimentées. Il ne peut en être déduit qu'il s'agit intégralement d'une construction précaire.

La cour observe enfin que le groupement foncier bailleur qui soutient dans le cadre de la présente instance que sa preneuse est sans droit ni titre depuis 2006 a néanmoins facturé annuellement des loyers jusqu'en 2015, date à laquelle il a facturé des indemnités d'occupation.

Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal par application des dispositions de l'article L 145-5 al du code de commerce, après avoir constaté que la locataire avait été laissée en possession à l'issue des deux baux dérogatoires, a constaté que la Sarl Jungle Park bénéficiait d'un bail commercial.

Le jugement sera intégralement confirmé.

Partie perdante, le Groupement forestier de Saluces supportera en application de l'article 639 du code de procédure civile, les dépens d'appel ainsi que ceux afférents à l'instance devant la cour d'appel de Pau ayant conduit à l'arrêt cassé du 29 juillet 2021 et devra indemniser la société Jungle Park des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits dans le cadre de la présente instance.

Par ces motifs

Vu l'arrêt de la cour de cassation, troisième chambre civile du 25 mai 2023,

Déclare l'action de la Sarl Jungle Park recevable,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Condamne le Groupement foncier de Saluces aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'aux dépens afférents à l'instance devant la cour d'appel de Pau ayant conduit à l'arrêt cassé du 29 juillet 2021.

Condamne le Groupement foncier de Saluces à payer à la SARL Jungle Park la somme de 3000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,