CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 10 septembre 2024, n° 24/04468
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sci Les Moques Tonneaux (SCI)
Défendeur :
Laborde Rénove (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chazalette
Conseillers :
Mme Blanc, Mme Georget
Avocat :
Me Petrelli
Par acte sous seing privé du 1er juillet 2020, la société civile immobilière (SCI) Les Moques tonneaux a donné à bail à la société Laborde rénove un local commercial situé [Adresse 1] à Ormoy (91) moyennant un loyer annuel en principal hors taxes et hors charges de 16 828 euros.
Par acte du 30 août 2022, la SCI Les Moques tonneaux a délivré à sa locataire un commandement de payer la somme principale de 58 196,26 euros. Par ordonnance du 3 mars 2022, complétée le 9 mai 2023, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire subséquente ainsi que sur ses conséquences.
Le bailleur a adressé un deuxième commandement le 16 mars 2023 pour un montant en principal de 75 130,98 euros. Par ordonnance du 25 juillet 2023, le juge des référés a de nouveau dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes consécutives à cette délivrance.
Le 19 septembre 2023, un troisième commandement visant la clause résolutoire et réclamant la somme en principal de 88 616,63 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au mois de septembre 2023 inclus a été délivré.
Par acte extrajudiciaire du 2 novembre 2023, la société Les Moques tonneaux a assigné la société Laborde rénove devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry aux fins notamment de voir :
constater l'acquisition de la clause résolutoire,
ordonner l'expulsion de la société Laborde rénove et de tous occupants de son chef,
condamner, à titre de provision, la société Laborde rénove à lui payer la somme en principal de 93 275,57 euros TTC représentant les arriérés de loyers arrêtés au mois d'octobre 2023 inclus augmentée des intérêts au taux légal à compter du commandement infructueux,
condamner, à titre de provision, la société Laborde rénove l'indemnité d'occupation mensuelle d'un montant de 2 329,47 euros par mois à compter du 1er novembre 2023 et ce jusqu'au jour de la libération complète et effective des lieux loués,
ordonner la capitalisation des intérêts ainsi échus, année par année, dans les termes et modalités institués par l'article 1343-2 du code civil,
dire et juger acquis le dépôt de garantie en application du paragraphe premier de la clause pénale figurant en page 24 du bail ;
condamner la société Laborde rénove à lui payer 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Laborde rénove aux dépens incluant notamment le coût du commandement infructueux.
Par ordonnance contradictoire du 19 janvier 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Les Moques tonneaux et l'a condamnée aux dépens.
Par déclaration du 26 février 2024, la société Les Moques tonneaux a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble des chefs de son dispositif.
Le 2 avril 2024, la SCI Les Moques tonneaux a remis des conclusions au greffe de la cour.
Par ordonnance du 3 avril 2024, elle a été autorisée à assigner la société Laborde rénove à jour fixe pour l'audience du 25 juin suivant.
Suivant acte du 5 avril 2024, signifié à personne habilitée et remis au greffe de la cour le 9 suivant, la société Les Moques tonneaux a assigné la société Laborde rénove qui n'a pas constitué avocat.
Aux termes de cet acte, auquel il convient de se reporter pour un exposé exhaustif de ses moyens, l'appelante demande à la cour de :
infirmer en l'ensemble de ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 14 janvier 2019 par M. le président du tribunal judiciaire d'Evry ;
et statuant à nouveau :
constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial sous seing privé en date à [Localité 2] du 1er juillet 2020 aux torts exclusifs de la société Laborde rénove locataire ;
ordonner en conséquence expulsion de la société Laborde rénove ainsi que de tous occupants de son chef, des lieux loués sis à [Adresse 1], partie du lot 7 ' 1, avec assistance de la force publique et d'un serrurier dès la signification de l'ordonnance de référé à intervenir ;
condamner la société Laborde rénove à lui payer par provision la somme de 2 329,47 euros par mois, TVA et provision sur charges locatives incluses, à titre d'indemnité mensuelle provisionnelle d'occupation à compter du 1 er juillet 2024, pour l'hypothèse où la société Laborde rénove ou tous occupants de son chef se maintiendraient dans les lieux loués postérieurement à cette dernière date, et jusqu'à complète libération des lieux ;
condamner la société Laborde rénove à lui payer par provision la somme de 93 275,57 euros TTC correspondant à l'arriéré locatif échu à ce jour terme mensuel d'octobre 2023 inclus, augmenté des intérêts au taux légal à compter du commandement infructueux en date du 19 septembre 2023 sur la somme de 88 616,63 euros et sur le solde à compter de la présente assignation, jusqu'à parfait paiement. ;
ordonner capitalisation des intérêts échus sur toutes condamnations, année par année, dans les termes et modalités institués par l'article 1343-2 du code civil ;
dire et juger le dépôt de garantie définitivement acquis à elle en application du paragraphe premier de la clause pénale figurant en page 24 du bail ;
condamner la société Laborde rénove à lui payer une indemnité de 7 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Laborde rénove aux dépens de première instance et d'appel incluant notamment le coût du commandement infructueux.
Sur ce,
En application de l'article 921 du code de procédure civile, l'intimé assigné selon la procédure à jour fixe qui n'a pas constitué avocat avant la date de l'audience est réputé s'en tenir à ses moyens de première instance.
Par ailleurs, alors que dans le cadre de la procédure à jour fixe, ne sont recevables de nouvelles conclusions de l'appelant qu'à la condition qu'elles répliquent à des prétentions ou moyens nouveaux des intimés (2e Civ., 26 juin 2003, Pourvois n° 01-13.529 et 01-13.531), les conclusions de la SCI Les Moques tonneaux, remises au greffe le 2 avril 2024, dont le contenu diffère de celui de l'assignation signifiée le 5 avril suivant, qui n'ont pas vocation à répliquer aux écritures de l'intimé non constitué et qui ne lui ont pas été signifiées, seront déclarées irrecevables.
Sur la condamnation au paiement d'une provision
En application de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut, dans les limites de la compétence du tribunal, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Par ailleurs, selon l'article L. 145-40-2 du code de commerce, tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Cet inventaire donne lieu à un état récapitulatif annuel adressé par le bailleur au locataire dans un délai fixé par voie réglementaire. En cours de bail, le bailleur informe le locataire des charges, impôts, taxes et redevances nouveaux. Lors de la conclusion du contrat de location, puis tous les trois ans, le bailleur communique à chaque locataire :
1° Un état prévisionnel des travaux qu'il envisage de réaliser dans les trois années suivantes, assorti d'un budget prévisionnel ;
2° Un état récapitulatif des travaux qu'il a réalisés dans les trois années précédentes, précisant leur coût.
Dans un ensemble immobilier comportant plusieurs locataires, le contrat de location précise la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble. Cette répartition est fonction de la surface exploitée. Le montant des impôts, taxes et redevances pouvant être imputés au locataire correspond strictement au local occupé par chaque locataire et à la quote-part des parties communes nécessaires à l'exploitation de la chose louée. En cours de bail, le bailleur est tenu d'informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article. Il précise les charges, les impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputés au locataire et les modalités d'information des preneurs.
Aux termes de l'article R. 145-36 du même code, l'état récapitulatif annuel mentionné au premier alinéa de l'article L.145-40-2, qui inclut la liquidation et la régularisation des comptes de charges, est communiqué au locataire au plus tard le 30 septembre de l'année suivant celle au titre de laquelle il est établi ou, pour les immeubles en copropriété, dans le délai de trois mois à compter de la reddition des charges de copropriété sur l'exercice annuel. Le bailleur communique au locataire, à sa demande, tout document justifiant le montant des charges, impôts, taxes et redevances imputés à celui-ci.
En l'espèce, pour contester la demande de provision devant le premier juge, la société Laborde rénove contestait notamment le décompte produit comme étant imprécis et comme intégrant des charges non justifiées.
Or, si, pour justifier de la réalité de sa créance, le bailleur produit deux documents intitulés 'récapitulatifs des charges' 2021 et 2022, mentionnant des postes 'eaux', 'taxe foncière', 'assurance' et 'dégagement des canalisations', ce faisant, il n'établit pas avoir respecté les prescritions susmentionnées. En outre, les sommes qui figurent sur ces récapitulatifs ne sont justifiées ni dans leur principe ni dans leur montant. En effet, le contrat de bail ne mentionne qu'une quote-part de l'impôt foncier sans davantage de précision et ne vise ni les charges d'eaux, ni l'assurance ni l'entretien des canalisations. Aucun justificatif de la réalité de ces charges n'est produit. En outre, il n'est pas démontré que ces états récapitulatifs ont été communiqués à la locataire et qu'une régularisation annuelle est intervenue sur cette base.
Dès lors, les demandes de provision au titre des charges se heurtent à une contestation sérieuse.
En revanche, les sommes réclamées correspondant aux loyers TTC, hors charges, du 2ème trimestre 2020 à octobre 2023 inclus, déduction faite de la totalité des versements de la locataire, l'existence d'une dette antérieure sur laquelle se serait imputé partiellement un de ses paiements étant incertaine, ne sont pas sérieusement contestables.
Il convient dès lors de condamner la société Laborde rénove au paiement de 53 877,13 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du commandement du 19 septembre 2023 sur 52 014,33 euros TTC et du présent arrêt pour le surplus et ce, avec capitalisation des intérêts.
Sur l'acquisition de la clause résolutoire
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article 835, alinéa 1er, du même code, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
En application de ces textes, il est possible, en référé, de constater la résiliation de plein droit d'un contrat de bail en application d'une clause résolutoire lorsque celle-ci est mise en oeuvre régulièrement.
Aux termes de l'article L.145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans un bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Par ailleurs, le commandement doit être suffisamment précis pour permettre à son destinataire d'en vérifier le bien-fondé et, à défaut, il ne peut permettre le jeu de la clause résolutoire. Cependant, le commandement délivré pour une somme supérieure au montant réel de la dette reste valable pour la partie non contestable de celle-ci.
Aux cas présent, le bail commercial contient une clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers un mois après un commandement de payer demeuré infructueux.
Par acte du 19 septembre 2023, la société bailleresse a fait délivrer à sa locataire un commandement de payer reproduisant la clause résolutoire contractuelle pour un montant de 88 616,63 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au mois de septembre 2023 inclus.
Pour contester l'acquisition de la clause résolutoire, l'intimé a fait valoir devant le premier juge que ce commandement était imprécis et n'énonçait pas de manière exacte la nature et le montant des sommes réclamées.
Cependant, comme le souligne l'appelante, s'il est manuscrit, le décompte joint au commandement n'en demeure pas moins lisible et compréhensible. Il mentionne la nature des sommes réclamées.
Dès lors, le commandement reste valable pour la partie non sérieusement contestable de la dette telle qu'elle résulte de ce qui précède soit 52 034,33 euros TTC le jour de sa délivrance.
Il est acquis que ce commandement est demeuré infructueux, cette somme n'ayant pas été réglée dans le délai d'un mois que cet acte faisait courir.
Il convient dès lors de constater l'acquisition de la clause résolutoire le 19 octobre 2023 à minuit.
La décision du premier juge qui a dit n'y avoir lieu à référé sur ce point sera infirmée de ce chef.
Sur les autres demandes
L'article1343-5, alinéa 1er, du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
L'article L.145-41 alinéa 2 du code de commerce prévoit que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à cet article peuvent en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Cependant, alors que la société Laborde rénove n'a pas réglé un seul loyer depuis février 2023, il n'y a pas lieu de lui accorder des délais suspendant les effets de la clause résolutoire contrairement à ce qu'elle sollicitait devant le premier juge.
Son expulsion sera dès lors autorisée selon les modalités prévues au dispositif.
La demande de voir juger que le dépôt de garantie restera acquis au bailleur excède les pouvoirs du juge des référés qui peut seulement allouer une provision. Elle sera rejetée.
L'ordonnance sera complétée en ce sens.
Sur les demandes accessoires
Compte tenu du sens de la présente décision, les dispositions de l'ordonnance entreprise relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront infirmées.
La société Laborde rénove sera condamnée aux dépens de la première instance comme de l'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevables les conclusions remises au greffe le 2 avril 2024 ;
Infirme l'ordonnance entreprise dans les limites de l'appel ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Constate l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail le 19 octobre 2023 à minuit ;
Condamne la société Laborde rénove à payer à la SCI les Moques tonneaux une provision de 53 877, 13 euros TTC, loyer d'octobre 2023 inclus avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer du 19 septembre 2023 sur 52 034,33 euros et du présent arrêt pour le surplus et capitalisation des intérêts ;
Autorise la SCI les Moques tonneaux à faire procéder à l'expulsion de la société Laborde rénove des locaux qu'elle occupe, ainsi que de tous occupants de son chef, avec le concours de la force publique, en cas de besoin ;
Dit que la société Laborde rénove devra verser à la SCI les Moques tonneaux une indemnité d'occupation d'un montant mensuel égal au montant du loyer, augmenté des charges, qui aurait été dû si le bail s'était poursuivi ;
Dit que le sort des meubles et autres objets garnissant les lieux sera réglé selon les dispositions des articles L.433- I et suivants et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
Rejette la demande de conservation du dépôt de garantie ;
Condamne la société Laborde rénove à payer à la SCI les Moques tonneaux la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Laborde rénove aux dépens de la première instance et de l'appel.