Décisions
CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 4 septembre 2024, n° 23/03040
AMIENS
Arrêt
Autre
ARRET
N°
[U]
C/
S.A.S. CONTITRADE FRANCE
copie exécutoire
le 04 septembre 2024
à
Me RAVISY
Me LAFONT-
GAUDRIOT
LDS/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2024
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N° RG 23/03040 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2ET
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 30 JUIN 2023 (référence dossier N° RG F 21/00032)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [E] [U]
né le 21 Juin 1965 à [Localité 11] (13)
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté, concluant et plaidant par Me Philippe RAVISY de la SELARL ASTAE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Susana LOPES DOS SANTOS, avocat au barreau de PARIS
représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Olympe TURPIN, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
ET :
INTIMEE
S.A.S. CONTITRADE FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 17]
[Localité 6]
représentée, concluant et plaidant par Me Hélène LAFONT-GAUDRIOT de la SELARL REYNAUD AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES
DEBATS :
A l'audience publique du 19 juin 2024, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Madame Laurence de SURIREY en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 04 septembre 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 04 septembre 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
M. [U], né le 21 juin 1965, a été embauché à compter du 1er juin 2016 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, par la société Contitrade France (la société ou l'employeur), en qualité de directeur national des opérations.
La société Contitrade France compte plus de 10 salariés. Elle appartient au groupe Continental.
La convention collective applicable est celle des services de l'automobile.
A compter du 2 janvier 2018, l'assemblée générale mixte a confié à M. [U] le mandat de directeur général.
Parallèlement, M. [U] a signé un avenant à son contrat de travail aux termes duquel il a été nommé directeur général à compter du 1er janvier 2018.
Le 31 août 2018, l'assemblée générale ordinaire l'a nommé président de la société Contitrade France. M. [U] s'est également vu confier divers mandats sociaux.
Le 7 janvier 2020, il a été avisé de ce que la révocation de ses mandats était envisagée et il lui a été demandé de suspendre toute activité.
Le 31 janvier 2020, il a été révoqué de son mandat de président directeur général et de ses autres mandats.
Par courrier du 31 janvier 2020, il a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé au 11 février 2020.
Il a déclaré une maladie professionnelle, reconnue comme telle par la caisse primaire d'assurance maladie, et s'est trouvé en arrêt de travail à compter du 11 février 2020.
Par lettre du 9 mars 2020, il a été licencié pour faute grave (méthodes de management déviantes ayant eu pour conséquence de mettre ses collaborateurs en souffrance au travail, notes de frais injustifiées et dénonciation calomnieuse avec intention de nuire).
Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de la relation de travail, il a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne, le 23 février 2021.
Par jugement du 30 juin 2023, le conseil a :
dit et jugé que le licenciement de M. [U] pour faute grave était justifié ;
débouté M. [U] de toutes ses demandes à ce titre ;
condamné la société Contitrade France à verser à M. [U] la somme de 26 884,60 euros et les congés payés afférents 2 688,46 euros, le conseil constatant l'absence de versement du bonus 2019 ;
condamné respectivement à zéro euro les deux parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné les parties pour moitié aux entiers dépens ;
débouté les parties de leurs plus amples demandes.
M. [U], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 mai 2024, demande à la cour de :
le juger aussi bien fondé que recevable en ses demandes, fins et conclusions ;
à titre liminaire, rejeter les demandes de la société Contitrade France tendant à voir juger irrecevables tant sa demande principale de condamnation de la société Contitrade France à lui verser des dommages et intérêts en raison d'un harcèlement moral que sa demande de voir prononcer, à titre subsidiaire, la nullité du licenciement notifié le 9 mars 2020 à raison de sa dénonciation de bonne foi auprès de son employeur d'agissements répétés de harcèlement moral ;
rejeter l'appel incident de la société Contitrade France formé à l'encontre de ses condamnations au titre du bonus de l'année 2019 et des congés payés incidents ;
En conséquence,
confirmer le jugement mais seulement en ce qu'il a :
- condamné la société Contitrade France à lui payer la somme de 26 884,60 euros brut au titre du bonus de l'année 2019 et la somme de 2 688,46 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- débouté la société de sa demande en paiement des frais irrépétibles ;
infirmer le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Au titre de l'exécution du contrat de travail,
Vu notamment le contrat de travail et ses avenants,
condamner la société Contitrade France à lui payer les sommes suivantes :
- 81 068,83 euros à titre de dommages et intérêts compensant la perte de chance consécutive à son éviction brutale et injustifiée de l'entreprise de bénéficier de la rémunération complémentaire sur objectifs pour l'année 2020 ;
- 243,85 euros net à titre d'avantage en nature voiture indument déduit sur le bulletin de salaire de mars 2020 ;
- 20 596,41 euros brut de complément de rémunération au titre de la garantie annuelle de salaire de l'année 2020 incluant également la régularisation de l'avantage en nature voiture de mars 2020 ;
- 2 059,64 euros brut au titre des congés payés afférents ;
juger qu'il a subi des agissements de harcèlement moral dégradant ses conditions de travail et compromettant son devenir professionnel ou, à tout le moins, subsidiairement, juger qu'il a vu son contrat de travail être exécuté de mauvaise foi par la société Contitrade France ;
condamner en conséquence la société Contitrade France à lui payer la somme nette de 106 975 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice moral, de santé et professionnel qui lui a été causés par le harcèlement moral qu'il a subi et par l'absence de prévention de ce harcèlement ou subsidiairement, causés par l'absence de bonne foi de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail ;
II. Au titre de la rupture du contrat de travail,
a. Sur la nullité du licenciement
A titre principal,
juger, qu'en l'absence de tout abus de sa part et au vu de sa bonne foi, le dernier motif de licenciement (dénonciation calomnieuse) énoncé dans la lettre recommandée de licenciement du 9 mars 2020 notifiée par la société Contitrade France porte atteinte à la liberté d'expression du salarié, laquelle s'analyse en une liberté fondamentale ainsi qu'à la protection dont il bénéficiait contre le licenciement en tant que lanceur d'alerte à raison de son courriel du 29 janvier 2020 ;
prononcer en conséquence la nullité du licenciement notifié par la société Contitrade France par lettre recommandée du 9 mars 2020 ;
A titre subsidiaire,
juger que le licenciement est nul à raison de sa dénonciation de bonne foi auprès de son employeur d'agissements répétés de harcèlement moral ;
prononcer en conséquence la nullité du licenciement qui lui a été notifié par la société Contitrade France par lettre recommandée du 9 mars 2020 ;
A titre infiniment subsidiaire,
juger que son licenciement a été prononcé pendant la suspension de son contrat de travail pour cause de maladie professionnelle et juger qu'aucune faute grave de licenciement n'est établie par la société Contitrade France ;
prononcer en conséquence la nullité du licenciement qui lui a été notifié par la société Contitrade France par lettre recommandée du 9 mars 2020 ;
b. Sur les demandes subséquentes à la nullité du licenciement
ordonner sa réintégration dans l'emploi de directeur général salarié qu'il occupait au sein de la société Contitrade France à la date de son licenciement, ou à défaut d'emploi disponible, dans un emploi équivalent, et le rétablissement du contrat de travail à durée indéterminée avec toutes conséquences de droit, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, la cour se réservant la faculté de liquidation de l'astreinte ;
En conséquence,
- dire et juger qu'il devra retrouver son ancienneté au 2 mai 2016, sa rémunération fixe ; sa rémunération variable dans toutes ses composantes, la garantie annuelle de salaire de 290 000 euros brut ; l'ensemble des avantages en nature (véhicule de fonction) et avantages d'entreprise (participation, intéressement, mutuelle et prévoyance d'entreprise notamment) dont il bénéficiait avant son licenciement ainsi que i) les versements au titre du Long term Incentive plan dont les montants échus à verser seront fixés à 60 000 euros pour l'exercice 2018 et à 60 000 euros pour l'exercice 2019 ainsi qu'à 60 000 euros pour chacun des exercices 2020 et 2021, exercices qui seront échus à la date de l'examen de l'affaire par la cour soit un total de 240 000 euros au titre des sommes échues du plan de Long Term Incentive, et ii) l'inscription d'un crédit de 60 000 euros dans un compte ouvert à son nom pour chacun des plans de Long Term Incentive des années 2022, 2023, 2024 et 2025 et suivantes, avec application des règles communes de calcul de la somme à verser à l'issue du plan pour chacune de ces années si sa réintégration devait intervenir après l'attribution des Long Term Incentives 2024/2026 et 2025/2027 par le conseil d'administration ;
condamner la société Contitrade France à lui payer, à titre de dommages et intérêts au titre de la période d'éviction, une somme correspondant aux rémunérations brutes dont il aura été privé entre le 9 mars 2020 (date du licenciement) et la réintégration effective dans son emploi antérieur de directeur général salarié ou, à défaut, dans un emploi équivalent, soit, par mois écoulé jusqu'à cette réintégration effective, la somme de 26 743.83 euros brut ;
juger qu'il n'y aura pas lieu à déduction des revenus de remplacement perçus pendant toute la période d'éviction de l'entreprise quel qu'en soit leur nature ;
juger que le montant exact des dommages et intérêts indemnisant la période d'éviction ne pourra être définitivement chiffré qu'à la date de la réintégration effective ;
fixer le montant provisionnel des dommages et intérêts indemnisant la période d'éviction (arrêté au 19 juin 2024) à la somme de 1 393 351,98 euros ;
juger que lorsque la société Contitrade France aura arrêté le montant de l'indemnité d'éviction à la date de sa réintégration effective, elle devra aussi y ajouter les droits à congés payés qu'il a acquis du 9 mars 2020 (date du licenciement) jusqu'à la réintégration effective, et juger que le montant à lui allouer sera égal à 10% du montant brut de l'indemnité d'éviction ;
fixer sa rémunération annuelle à compter de la réintégration effective dans son emploi à la somme annuelle de 320 926 euros brut, soit une somme de 26 743,83 euros brut par mois ;
ordonner à la société Contitrade France de lui organiser une visite médicale de reprise d'activité préalablement à toute réintégration effective ;
c En tout état de cause,
condamner la société Contitrade France à lui payer la somme nette de 106 975 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et professionnel causés par les circonstances particulièrement violentes et vexatoires de son éviction, attentatoires à son honnêteté et à sa réputation ;
III. Autres demandes
assortir les créances à caractère salarial de l'intérêt au taux légal, qui s'appliquera sur les sommes brutes avant prélèvement des cotisations sociales et du prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source, à compter de la réception par la société Contitrade France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation (3 mars 2021) et les créances à caractère indemnitaire de l'intérêt au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;
ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
juger qu'avant son règlement des condamnations (tant pour le principal que pour les intérêts) prononcées par l'arrêt à intervenir, pour celles qui seraient assujetties au prélèvement d'impôt à la source dû par ce dernier, la société Contitrade France devra interroger le service des impôts par le biais du service TOPAZe, afin de se voir communiqué son taux d'imposition personnalisé ;
condamner la société Contitrade France à lui remettre des bulletins de salaire conformes à l'arrêt et, subsidiairement, si la nullité du licenciement n'était pas prononcée, à lui remettre en outre une attestation Pôle emploi conforme à l'arrêt ;
condamner la société Contitrade France à lui payer une somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Contitrade France aux entiers dépens de l'instance d'appel qui pourront être directement recouvrés par la société LX avocats Amiens Douai agissant par maître Le Roy, avocat, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Contitrade France, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 juin 2024, demande à la cour de :
recevoir M. [U] en son appel du jugement, mais l'y déclarer mal fondé ;
dire irrecevables les demandes de nullité du licenciement et de dommages et intérêts en raison d'un harcèlement moral, subsidiairement les juger mal fondées ;
infirmer le jugement seulement en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [U] la somme de 26 884,60 euros et les congés payés afférents pour 2 688,46 euros au titre du bonus 2019 ;
Statuant à nouveau,
dire M. [U] mal fondé en cette demande de rappel de bonus et l'en débouter ;
confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;
débouter M. [U] de toutes ses demandes ;
condamner M. [U] à lui verser la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS :
Il convient, à titre liminaire, de noter qu'un certain nombre de documents rédigés en anglais ont fait l'objet de traductions libres lesquelles n'étant pas contestées par la partie adverse, sont retenues par la cour.
1/ Sur la recevabilité des demandes au titre de la nullité du licenciement pour avoir dénoncé des agissements de harcèlement moral et de dommages-intérêts pour harcèlement moral :
Par application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges même si leur fondement juridique est différent et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, la demande de « juger qu'il a subi des agissements de harcèlement moral dégradant ses conditions de travail et compromettant son devenir professionnel ou, à tout le moins, subsidiairement, juger qu'il a vu son contrat de travail être exécuté de mauvaise foi par la société Contitrade France et condamner en conséquence la société Contitrade France à lui payer la somme nette de 106 975 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice moral, de santé et professionnel qui lui a été causés par le harcèlement moral qu'il a subi et par l'absence de prévention de ce harcèlement ou subsidiairement, causés par l'absence de bonne foi de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail » tend aux mêmes fins que celle présentée devant le conseil de prud'hommes de voir la société condamnée à lui payer une indemnité du même montant « réparant le préjudice moral et professionnel causé par le comportement déloyal de l'employeur pendant l'exécution du contrat ». En effet, dans les deux, cas, il s'agit d'obtenir réparation du préjudice causé par des agissements prétendument déloyaux de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail, le salarié ayant ajouté en appel un fondement nouveau qui est le harcèlement moral et un argumentaire nouveau.
La demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral est donc recevable.
Par ailleurs, M. [U] avait déjà devant les premiers juges sollicité le prononcé de la nullité de son licenciement pour avoir été notifié pendant une période de suspension de son contrat de travail pour maladie professionnelle alors qu'il n'avait commis aucune faute grave.
En sollicitant devant la cour, le prononcé de la nullité de son licenciement, cette fois, à titre principal en violation de sa liberté d'expression, à titre subsidiaire, en raison de sa dénonciation de faits de harcèlement moral et à titre infiniment subsidiaire seulement pour le même motif qu'en première instance, le salarié n'a fait qu'ajouter deux fondements à sa demande d'annulation de son licenciement de sorte que sa prétention n'est pas nouvelle.
En conséquence, c'est à tort que la société soulève l'irrecevabilité de ces demandes.
2/ Sur l'existence d'un contrat de travail postérieurement au 31 août 2018 :
La société, faisant peser la charge de la preuve sur M. [U] soutient, en substance, que la nomination de celui-ci en qualité de président, à compter du 1er septembre 2018, a automatiquement suspendu le contrat de travail à défaut de lien de subordination avec elle et en l'absence de convention en ce sens, les conditions du cumul n'étant pas remplies.
M. [U] fait valoir, en substance, que la société échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de l'absence de cumul entre le mandat social et le contrat de travail préexistant ; que les statuts de la société autorisent le cumul ; que les fonctions de directeur général mandataire social s'exerçant à titre gratuit, la rémunération qui a continué à lui être versée l'était en contrepartie de son emploi de directeur général salarié, ce que reconnaît la société dans ses conclusions et ce que confirment les mentions de ses bulletins de salaire, de l'attestation Pôle emploi, la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle et l'absence de référence au procès-verbal d'assemblée générale du 31 août 2018 à un statut d'assimilé salarié ; qu'il a toujours conservé ses fonctions techniques et opérationnelles spécifiques de directeur général salarié, pour lesquelles il n'a pas été remplacé qu'il a continué à exercer dans leur intégralité et, surabondamment, qu'il est demeuré dans un lien de subordination ce que reconnaît la société dans la lettre de licenciement que ce soit au titre du rappel de ses missions que de la nature disciplinaire des griefs qui lui sont faits ; qu'il n'était pas considéré comme le président de Contitrade France mais comme un simple animateur de structures ; qu'il recevait de nombreuses instructions détaillées de la part de M. [W] et M. [SO] et devait solliciter leur autorisation même pour des tâches courantes manifestant un lien hiérarchique à l'égard de ces derniers et qu'il était soumis au même mode d'évaluation que les salariés, sa nomination en qualité de président n'ayant en rien modifié la situation.
Sur ce,
Le contrat de travail d'un salarié investi d'un mandat social exclusif de tout lien de subordination est, en l'absence de convention contraire, suspendu pendant le temps d'exercice du mandat.
Dans les sociétés anonymes à conseil d'administration, un administrateur peut cumuler ses fonctions avec celles de salarié sous réserve que le contrat de travail soit antérieur à la nomination en qualité d'administrateur et qu'il corresponde à un emploi effectif.
La reconnaissance d'un emploi effectif suppose l'existence de fonctions techniques correspondant à des attributions spécifiques, qui se différencient des fonctions de représentation et de gestion découlant du mandat social, exercées dans un état de subordination juridique à l'égard de la société, c'est-à-dire sous l'autorité et le contrôle de la société, donnant lieu à versement d'une rémunération distincte de celle éventuellement perçue au titre du mandat social.
Il appartient à celui qui soutient qu'il a été mis fin au contrat de travail par la nomination du salarié à des fonctions de mandataire social d'en rapporter la preuve.
En l'espèce, l'article 13 des statuts de la société stipule que le président peut être une personne liée à la société par un contrat de travail à condition que cela corresponde à un emploi effectif. Le cumul entre un mandat de président et un contrat de travail conclu avec la société, et non pas seulement avec une autre société du groupe, est donc autorisé et considéré comme possible nonobstant la présence du président au sommet de la hiérarchie, ce qui met à mal le postulat sur lequel la société fonde l'essentiel de son argumentation, selon lequel un tel cumul est par nature impossible.
Il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale du 2 janvier 2018 que M. [U] a été nommé directeur général assurant la gestion opérationnelle du réseau BestDrive pour ce qui concerne la distribution d'équipements automobiles et l'activité rechappage, ce à titre gratuit.
Contrairement à ce qu'affirme la société, le procès-verbal de cette assemblée générale ne comporte aucune mention selon laquelle M. [U] conservait le statut de salarié, pourtant elle reconnaît dans ses conclusions, qu'à la suite de cette première nomination, M. [U] a conservé le bénéfice de son contrat de travail dans une situation de subordination vis-à-vis de la société. Elle ne peut donc déduire de l'absence d'une telle mention au procès-verbal de l'assemblée générale du 31 août 2018 que le cumul était exclu.
Or, la nomination de M. [U] le 31 août 2018 en qualité de président à titre gratuit ne s'est accompagnée d'aucune modification en ce qui concerne sa rémunération, les mentions figurant à ses bulletins de paie (salaire, cotisations sociales, classification, ancienneté, contrat « CDI ») et il n'est pas fait état au procès-verbal de l'assemblée générale de la reconnaissance du statut d'assimilé salarié.
Ainsi, si la somme perçue mensuellement par M. [U] ne rémunère ni ses fonctions de directeur général non salarié, ni celles de président, elle rémunère nécessairement celles découlant de son contrat de travail.
La société ne rapporte pas la preuve du contraire.
Elle ne rapporte pas non plus la preuve que M. [U] n'a plus occupé son emploi effectif de directeur général salarié à compter de cette nomination, se contentant d'affirmer que celui-ci ne justifie d'aucune fonction technique réelle pouvant être détachée de son mandat de PDG, inversant ainsi la charge de la preuve.
Au contraire, les termes mêmes de sa lettre de licenciement, dont les griefs concernant ses méthodes de management, selon l'attestation de Mme [O], se rapportent à une période postérieure à sa nomination en qualité de président, démontrent que celui-ci conservait ses attributions de cadre dirigeant.
De plus, la société ne démontre pas que M. [U] ait été remplacé dans ses fonctions de directeur opérationnel BestDrive ce qui confirme que ce dernier avait conservé les attributions techniques conférées par son contrat de travail.
La seule condition posée par les statuts pour un cumul du contrat de travail avec un mandat de président est donc remplie.
D'ailleurs, la société s'est toujours considérée comme liée par un contrat de travail avec M. [U], comme en témoignent notamment la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle au cours de laquelle ses contestations n'ont pas porté sur le statut de salarié de M. [U], les mentions portées sur l'attestation destinée à Pôle emploi de même que sur le certificat de travail qui ne font pas référence à quelconque période de suspension du contrat de travail et indique une ancienneté du 2 mai 2016 au 9 mars 2020 sans interruption.
Ces éléments suffisent à considérer que le contrat de travail de M. [U] n'a pas été suspendu à la suite de sa nomination en qualité de président.
3/ Sur la rupture du contrat de travail :
3-1/ Sur le bien-fondé de la rupture :
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.
La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
Le doute doit profiter au salarié.
Sur le grief tenant à la dénonciation calomnieuse avec intention de nuire :
Le grief est ainsi énoncé : « Par e-mail en date du 29 janvier 2020 adressé à Madame [Y] [X], Directrice des relations humaines France de Continental, vous avez, après avoir enregistré un appel téléphonique de sa part, porté de graves accusations à l'endroit de cette dernière.
Un extrait de ce mail est reproduit ci-dessous :
« De : [U], [E] [Courriel 7]>
Envoyé : mercredi 29 janvier 2020 18:34
À : [X], [Y] [Courriel 13]>; [J], [N] [Courriel 14]>;
[S], [T] (uia37743) [Courriel 9]>; [Courriel 12]; [W], [Z] [Courriel 10]>; [SO], [K] (uia99735) [Courriel 16]>; [M], [L] (uh02894) [Courriel 5]>
Cc : [D], [P] [Courriel 8]>; [A], [R] [Courriel 15]>; [F],
[V] [Courriel 4]>
Objet : Accès illégal aux données informatique
Madame [X],
Le mardi 14 Janvier, à 13h49, vous avez laissé un message sur la boite vocale de mon téléphone professionnel dont le numéro est le : [XXXXXXXX01], dont les termes sont retranscrits ci-dessous :
(suit la retranscription d'une conversation téléphonique)
Vos propos semblent signifier que vous disposez de la possibilité d'accéder à des informations précises sur les emails et l'activité des personnes qui travaillent dans l'entreprise ce qui me choquerait grandement. Je mets donc en copie de ce message les correspondants RGPD et DPC du groupe Continental, et du groupe Contitrade que je dirige, ainsi que les dirigeants et managers des sociétés concernées, afin qu'ils déclenchent une enquête et prennent les mesures nécessaires pour prévenir et empêcher tout comportement illégal passé, présent ou futur à ce sujet.
Je tenais à vous en informer. »
En accusant ainsi Mme [X], sur la base d'un extrait d'enregistrement d'un appel téléphonique, dont vous dénaturez les termes, d'accéder illégalement à vos données informatiques, indiquant qu'il convient de prendre « les mesures nécessaires pour prévenir et empêcher tout comportement illégal passé, présent ou futur », vous procédez à son encontre à des attaques personnelles, voire d'une diffamation inacceptable.
Pire, en adressant copie de votre message à Monsieur [L] [M], membre du Conseil d'Administration du Groupe Continental, Monsieur [K] [SO], Directeur de la Business Unit Replacement EMEA PLT, Monsieur [C] [J], Focus Country Head France et de nombreuses autres personnes au plus haut niveau du Groupe encore, vous portez atteinte à sa réputation, son honnêteté et sa probité en cherchant ouvertement à la discréditer et à lui nuire.
Ce faisant vous outrepassez votre liberté d'expression, étant précisé que l'enquête que vous avez ainsi déclenchée, a abouti à considérer votre plainte sans le moindre objet ni fondement.
Tenant compte de votre niveau de responsabilités, vos propos attentatoires à l'intégrité de Mme [X] et cette intention de lui nuire sont parfaitement inacceptables et proprement incompatibles avec les valeurs que nous promouvons dans le Groupe ».
La société fait valoir, en substance que les agissements de M. [U] relèvent tout à la fois de la dénonciation calomnieuse puisqu'il accuse personnellement Mme [X] d'un comportement illégal alors qu'il sait pertinemment que c'est faux, en déformant ses propos et qu'il a attendu d'être convoqué 15 jours plus tard pour la révocation de son mandat pour dénoncer cette prétendue intrusion dans sa boite électronique, et de la diffamation, M. [U] ayant discrédité publiquement Mme [X] auprès de sa hiérarchie en lui imputant des faits susceptibles d'entraîner à son encontre des poursuites disciplinaires voire pénales, la mauvaise foi de M. [U] lui interdisant d'invoquer pour se défendre sa liberté d'expression dont il a fait un usage abusif et un statut de donneur d'alerte.
M. [U] soutient, en substance, que c'est de parfaite bonne foi qu'il a adressé ce message d'alerte et que ses propos étaient conformes à ceux habituellement considérés par la jurisprudence comme n'excédant pas l'exercice de sa liberté d'expression et que son licenciement est intervenu en violation de la protection dont il bénéficiait pour avoir alerté de bonne foi sur des faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, qui s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou une violation du RGPD ainsi que des règles internes du groupe.
Sur ce,
La liberté d'expression, comme le droit d'opinion, est consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Elle a valeur constitutionnelle et est également garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Le salarié jouit, dans l'entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées. Les salariés peuvent se prévaloir de la nullité de leur licenciement intervenu en violation de la liberté d'expression et demander leur réintégration.
L'abus est caractérisé lorsque les termes utilisés par le salarié sont injurieux, diffamatoires ou excessifs. Il s'apprécie notamment au regard de la teneur des propos, de leur degré de diffusion, des fonctions exercées par l'intéressé et de l'activité de l'entreprise.
En l'espèce, en choisissant de retenir une dénonciation calomnieuse avec intention de nuire, la société s'oblige notamment à rapporter la preuve de la mauvaise foi du salarié.
Les termes utilisés par M. [U] dans son courriel sont prudents et mesurés, il emploie le conditionnel et reste très factuel et même s'il indique en objet de son courriel « accès illégal aux données informatiques », sa demande porte sur le déclenchement d'une enquête et la prise de mesures préventives et curatives à ce sujet. Son interrogation est légitime dès lors qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'il n'a pas communiqué avec Mme [X] au cours de la journée du 14 janvier et n'a adressé qu'un seul courriel de deux lignes à M. [W] ce qui ne traduit pas le fait qu'il aurait été « très actif » comme le lui a reproché Mme [X] dans son message téléphonique. Le salarié justifie, par ailleurs, de ce qu'il a eu à s'inquiéter quelques jours plus tard d'incursions dans son espace informatique personnel à l'aide de son mot de passe pour la validation des états de frais de sorte qu'il est plausible que cela l'ait fait réfléchir sur le sens du message téléphonique de Mme [X] et que sa mauvaise foi ne résulte pas nécessairement du délai entre ce message et son alerte.
De la lecture de l'email de M. [U] il ressort qu'il sollicite une enquête pour des faits potentiellement graves, raison pour laquelle il rend destinataires les principaux administrateurs provisoires désignés par le conseil d'administration, son interlocuteur direct au niveau du groupe, M. [W], M. [SO], supérieur de M. [W], M. [M], supérieur de M. [SO] et M. [J], supérieur hiérarchique de Mme [X] et en copie les personnes susceptibles d'être en charge de l'enquête.
La diffusion de son message reste donc interne au groupe et à destination des décideurs.
Par ailleurs, dans son attestation, Mme [X] dénature les propos de M. [W] qui, dans son courriel du 14 janvier, contrairement à ce qu'elle écrit, ne s'étonne pas auprès d'elle de l'activité de M. [U] et du fait que ce dernier, censé être en congé, se trouve dans les bureaux sur le site [Localité 6], mais l'informe de ce qu'accidentellement « [E] » a écrit des e-mails « to the board » et ne lui transfère qu'un seul très court message.
Par ailleurs, dans l'énoncé du grief, la société dénature l'email de M. [U] en prétendant qu'il a enregistré un appel téléphonique de Mme [X] sous-entendant une intention maligne de sa part, alors qu'il s'agit clairement de l'enregistrement d'un message vocal en absence.
De plus, ce grief a été énoncé lors de l'entretien préalable du 11 février alors même que la société n'avait pas encore le résultat de l'enquête, le rapport n'ayant été déposé que le 19 février 2020, et ne pouvait donc pas savoir si les doutes de M. [U] étaient fondés ou non et donc si sa bonne foi pouvait être questionnée.
Quant au rapport de M. [D] en charge de cette enquête, il se borne à indiquer que comme il n'a reçu aucune demande pour accéder au contenu de la « mailbox » de M. [U] et que toute demande d'accès ayant suivi la procédure interne aurait une infime chance d'être acceptée, il ne peut y avoir eu d'intrusion. Il ne s'agit donc pas d'une analyse informatique de nature à exclure tout à fait que l'inquiétude de M. [U] était justifiée, ainsi que le fait remarquer à juste titre ce dernier.
Enfin, le code de conduite de Continental encourage les collaborateurs à déclarer les situations qui leur inspirent des réserves raisonnables et de bonne foi, en toute confiance et sans peur des représailles.
Or, la société échoue à démontrer la mauvaise foi de M. [U] entrant dans la définition de la diffamation ou de la dénonciation calomnieuse alors que celui-ci pouvait nourrir des doutes raisonnables compte tenu de la situation tendue qu'il vivait faite de menaces sur ses mandats sociaux et son emploi et de conflit avec le groupe.
Il y a lieu en conséquence de dire que M. [U] n'a pas excédé sa liberté d'expression en écrivant et diffusant ce courriel à Mme [X] et que son licenciement en violation de sa liberté fondamentale d'expression est nul, sans qu'il y soit nécessaire d'examiner les autres griefs.
3-2/ Sur les conséquences du licenciement nul :
- Sur la demande de réintégration :
M. [U] sollicite sa réintégration au poste qu'il occupait avant son licenciement ou à défaut dans un emploi équivalent, affirmant qu'il n'existe aucun obstacle à cette réintégration en raison du départ des personnes impliquées dans son éviction, de la gestion mondiale des ressources humaines au sein du groupe, de la souplesse des organisations au niveau des cadres dirigeants et de la vacance de certains postes de directeur, la société ne rapportant pas la preuve de l'impossibilité qu'elle invoque.
La société répond que la réintégration est impossible, le seul poste de directeur général de même que tous les autres postes de directeur étant pourvus.
Sur ce,
Lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent. Le périmètre de réintégration ne s'étend pas au groupe auquel appartient l'employeur, mais seulement à l'entreprise.
Est considéré comme équivalent l'emploi, situé dans le même secteur géographique ou un secteur proche, comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière que l'emploi initial et permettant l'exercice du mandat représentatif.
En l'espèce, le motif invoqué par l'employeur pour s'opposer à la réintégration tenant au seul fait que le poste identique et les postes équivalents sont pourvus ne constitue pas une cause d'impossibilité laquelle s'apprécie strictement.
Il convient donc d'ordonner la réintégration de M. [U] dans l'entreprise sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur les conséquences de la réintégration :
La société, pour s'opposer aux demandes de M. [U] portant pour l'essentiel sur le paiement à titre de dommages-intérêts des sommes qu'il aurait dû percevoir s'il n'avait pas été licencié et la fixation de sa rémunération à compter de sa réintégration, soutient que le salarié est mal fondé à faire courir sa demande pour la période antérieure à la saisine du conseil de prud'hommes, que le salaire de référence est celui qu'il percevait au titre de son contrat de travail soit 15 500 euros brut et non de son mandat social et que le débouté s'impose d'autant plus qu'ayant fait abusivement reconnaître qu'il était atteint d'une maladie professionnelle, son salaire a été pris intégralement en charge par la sécurité sociale, cette situation inique perdurant aujourd'hui.
Sur ce,
Le salarié, licencié en violation d'une disposition légale ou d'une liberté, qui demande sa réintégration a droit à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration.
Il a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.
Il peut également prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.
En l'espèce, la rémunération à compenser à titre de dommages-intérêts pour la période d'éviction correspond aux rémunérations brutes dont a été privé M. [U] entre le 9 mars 2020, date de son licenciement et la date de sa réintégration effective, qui ne correspond pas à son mandat social lequel était exercé à titre gratuit ni à la somme de 15 500 euros brut qui n'inclut pas la rémunération variable, mais à la somme de 26 743,83 euros brut soit la moyenne de ses douze derniers mois de salaire.
La date de la réintégration n'étant pas connue, le montant des dommages-intérêts au titre de la période d'éviction ne peut être définitivement fixée. Il y a donc lieu de l'arrêter provisoirement au 31 août 2024, soit la somme d'1 417 422,99 euros outre celle de 141 742,29 euros correspondant à ses droits à congés payés afférents et de dire que la société devra verser mensuellement à M. [U] la somme de 26 743,83 euros brut entre le 1er septembre 2024 et son retour dans l'entreprise.
La cour rappelle que le salarié continuera à acquérir jusqu'à sa réintégration effective des droits à congés payés correspondant à 10% brut du montant de l'indemnité d'éviction que l'employeur devra lui verser.
Le salarié devra retrouver son niveau de rémunération dans toutes ses composantes au moment de sa réintégration tel que prévu à l'annexe de l'avenant à son contrat de travail du 18 décembre 2017 incluant notamment les versements au titre du Long term incentive plan passés et à venir, dont les montants ne sont pas spécifiquement contestés par l'employeur.
Ce niveau de rémunération n'est pas nécessairement égal à la moyenne de ses salaires précédant son licenciement puisqu'il dépend en partie des résultats de l'entreprise et de l'atteinte de ses objectifs. La demande de M. [U] de voir fixer sa rémunération annuelle à compter de la réintégration effective dans son emploi à la somme annuelle de 320 926 euros brut, soit une somme de 26 743,83 euros brut par mois sera donc rejetée.
Compte tenu de la durée de l'arrêt de travail de M. [U], il sera fait droit à sa demande de voir organiser une visite de reprise.
3-3/ Sur la demande au titre des circonstances du licenciement :
Le salarié invoque, au soutien de sa demande, des circonstances vexatoires entourant la procédure de licenciement , la poursuite d'agissements vexatoires après la notification de son licenciement en rajoutant de nouvelles accusations d'atteinte à la probité et à l'honneur et affirme que ces circonstances lui ont causé un préjudice moral et professionnel.
La société qualifie ces accusations d'infondées et gratuites sans plus de précision, affirme qu'elles procèdent d'un renversement de situation.
S'agissant des circonstances du licenciement, il apparaît que l'imputation de faits graves sans preuve sera retenue au titre du harcèlement moral ainsi qu'il sera dit plus loin, de sorte que M. [U] ne peut en demander deux fois l'indemnisation.
D'autres allégations de l'employeur le concernant notamment relevées par le salarié dans les conclusions adverses au cours de l'instance (accusations de déclaration frauduleuse de maladie professionnelle et de falsification de documents non fondées, d'avoir été à l'origine de l'arrêt de longue maladie de M. [H] et du départ de l'entreprise de Mme [O] non étayées de preuve, d'invectives à l'égard de ces derniers ce que ne traduit pas les échanges d'emails versés aux débats) sont effectivement de nature à porter atteinte à l'honneur et à la probité de M. [U].
Toutefois, le préjudice d'ordre médical et moral allégué est indemnisé au titre du harcèlement moral (cf infra).
S'agissant des autres préjudices allégués, tenant notamment à son avenir professionnel, à la baisse de son niveau de vie et au temps consacré à sa défense, ils ne sont pas en lien direct et spécifique avec les circonstances ayant entouré le licenciement
Il y a donc lieu de rejeter cette demande.
4/ Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
M. [U], en l'espèce, affirme qu'il a été victime d'un harcèlement moral de la part de ses responsables directs dans le groupe, soit directement, soit indirectement de certains préposés tels que M. [H], Mme [X] et Mme [O], dès la fin de l'année 2018 et de manière plus accentuée à partir de mars 2019, ce qui a entraîné la dégradation de son état de santé et la reconnaissance d'une maladie professionnelle par la CPAM.
Il présente notamment les faits suivants :
demandes insistantes et illégales de sa hiérarchie impossibles à satisfaire et l'exposant à des sanctions civiles et pénales à savoir la réduction de centaines de postes sans plan social : il justifie, notamment par la production d'un courriel du 12 avril 2019, que M. [W] lui a demandé de prévoir la fermeture de 19 agences sans plan social et de prévoir la fermeture de 30 à 58 agences toujours sans plan social ;
modification unilatérale et postérieure à l'entretien biannuel d'évaluation par M. [W] à la suite de sa prise de position contre les fermetures d'agence sans plan social : il en justifie par la production d'un message électronique de M. [G] du 8 mars 2019 ainsi que de l'« employee dialogue » qu'il a annoté le 17 mars pour répondre aux modifications apportées par M. [W] ;
maintien déloyal à son poste alors que la décision avait été prise secrètement de le remplacer lors d'une réunion du 12 avril 2019 : ce fait est établi par la production d'un compte rendu de réunion à laquelle M. [U] ne participait pas où il est question de remplacer le « top management » France, « JMA » étant personnellement concerné alors qu'il a été félicité quelques jours plus tard pour ses bons résultats ;
mise à l'écart des appels d'offres aux cabinets d'avocats : le salarié produit un échange d'emails avec M. [B] montrant qu'il n'était pas destinataire de documents à ce sujet concernant le plan de redressement du réseau Bestdrive dont il avait la charge ;
tentative de lui imposer une rupture conventionnelle dans des conditions humiliantes : les pièces produites démontrent l'existence de négociations pour son départ ;
mise à l'écart brutale de ses responsabilités le 22 janvier 2020 à la suite de son refus de départ négocié, annonce publique de son départ du groupe alors qu'il était toujours mandataire social et salarié et circonstances vexatoires de la révocation de son mandat : M. [U] justifie par la production de plusieurs courriels de ce qu'une administration provisoire a été mise en place dès le 23 janvier 2020, l'ensemble des décisions engageant la société étant confiées à M. [T], directeur général délégué ainsi qu'à M. [B], qu'il a été évincé de plusieurs réunions internationales, sa présence n'étant pas jugée « convenable », n'a plus été destinataire de certaines informations et a été exclu des listes de discussion, que ses rendez-vous ont été annulés, que son départ du groupe a été annoncé à l'extérieur par voie de communiqué de presse du 3 février 2020 et en interne le 4 février alors qu'il conservait certains mandats sociaux et n'avait pas encore été licencié ;
pressions exercées sur lui par le DRH, M. [H] et Mme [O], responsable affaires sociales et juridiques au sein de la DRH Contitrade France, lors de l'entretien préalable, pour accepter une rupture négociée alors qu'il avait exprimé par écrit le souhait de rester dans le groupe : l'attestation de M. [I], qui a assisté M. [U] lors de l'entretien préalable démontre que M. [H] a « exhorté » le salarié à « revenir à la table des négociations » ;
anomalies de gestion et accès à ses données personnelles et la confidentialité de ses codes secrets : M. [U] démontre par la production d'e-mail de janvier 2020 des anomalies dans la gestion des notes de frais susceptibles de provenir de l'utilisation de son compte privé de validation par un tiers ;
le caractère mensonger des motifs de licenciement exposés lors de l'entretien préalable destiné à lui faire accepter un départ discret à moindre coût : il résulte effectivement de l'attestation de M. [I] que les représentants de l'employeur ont été incapables de préciser leurs griefs et de donner des exemples du management inapproprié reproché.
M. [U] rapporte la preuve d'une dégradation considérable de son état de santé en rapport avec ces faits notamment par la production de ses arrêts de travail pour la période du 11 février 2020 au 7 juin 2024, de la décision de reconnaissance d'une maladie professionnelle (syndrome anxiodépressif) après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, de diverses ordonnances médicales pour des anxiolytiques et antidépresseurs ainsi que de deux certificats médicaux établi par un psychiatre notamment le 4 janvier 2024, selon lequel son état psychique n'est pas compatible avec la reprise d'une activité professionnelle et nécessite la poursuite des soins spécialisés pour une durée indéterminée.
L'ensemble des faits précédemment évoqués est donc matériellement établi.
Ces faits répétés, matériellement établis, en rapport avec le contrat de travail de M. [U] qui n'était pas suspendu au moment de leur commission, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.
La société ne produit aucun élément visant à prouver qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs,
Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par M. [U] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est donc établi.
Au regard de l'importance du préjudice subi en termes d'impact sur son état de santé, la société sera condamnée à verser à M. [U] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.
5/ Sur les demandes de rappel de salaire :
Par application combinée des articles 1353 du code civil et L.1221-1 du code du travail, la charge de la preuve du paiement du salaire repose sur l'employeur lorsqu'il est attrait en justice par son salarié pour une demande de paiement de rémunération.
5-1/ Sur les sommes demandées au titre des turnaround bonus (rémunération sur objectif) :
Aux termes de son contrat de travail, M. [U] devait bénéficier notamment d'une rémunération variable complémentaire calculée en fonction de l'atteinte d'objectifs fixés pour les années 2018, 2019 et 2020 mais versée annuellement ainsi que le précise l'article 1.3 intitulé « Montant de la rémunération complémentaire de Monsieur [E] [U] » qui donne des exemples de sommes susceptibles d'être perçues chaque année.
Sur le bonus 2019 :
La société sur laquelle pèse la charge de la preuve de ce qu'elle a rempli son obligation de paiement du salaire convenu, ne conteste pas spécifiquement les calculs du salarié quant au montant de ses bonus pour 2019 tels que présentés dans un email du 9 juin 2020, les explications de M. [H] dans sa lettre du 15 juin 2020, auxquelles elle renvoie, ne portant que sur la rémunération minimum garantie. Cela conduit à reconnaître qu'il est due à ce titre à M. [U] la somme de 26 884,06 euros outre 2 688,40 euros au titre des congés payés attachés.
Il n'y a pas lieu d'en déduire la somme de 13 090 euros que la société prétend avoir réglé au titre du solde de tout compte sans en rapporter la preuve.
Sur le bonus 2020 :
Le salarié sollicite une somme égale au turnaround bonus plus les congés payés qu'il aurait perçue s'il n'avait pas été licencié.
La société conteste l'existence d'une perte de chance sans plus de précision refusant d'entrer dans le détail des calculs du salarié.
La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Au vu de l'annexe à l'avenant au contrat de travail, les objectifs à atteindre pour obtenir le bonus étaient en termes de progression de l'IEBIT de +6,9 millions d'euros en 2018, 2019 et 2020 et en termes de l'IEBIT sur l'année considérée. Il était prévu un système de proratisation du montant du bonus en fonction du pourcentage d'atteinte de l'objectif.
Or, M. [U] produit un document émanant de la société selon lequel cette dernière a connu en 2019, une progression de 5,3 millions d'euros ce qui correspond à une réalisation partielle de son objectif.
Toutefois, la poursuite du succès, au demeurant mitigé, de la stratégie mise en place par M. [U] dépendait de nombreux facteurs indépendants de celui-ci notamment économiques ainsi que l'ont montré les conséquences de la crise sanitaire de 2020, de sorte que la perte de chance invoquée, si elle est réelle, n'excède pas 10% du montant total du bonus maximum espéré.
La somme de 3 500 euros apparaît de nature à réparer le préjudice causé par la perte de chance de percevoir le bonus 2020. Cette somme de nature indemnitaire ne génère pas de droit à congés payés.
5-2/ Sur la garantie de rémunération incluant l'avantage en nature véhicule :
M. [U] affirme que l'indemnité compensatrice de congés payés perçue lors de son solde de tout compte ne correspond pas à une rémunération devant être incluse dans le calcul de la garantie de rémunération annuelle puisque son fait générateur est la rupture du contrat de travail et que son intégration dans la base de calcul reviendrait à le spolier de l'indemnisation de ses congés payés non pris lors de la cessation du contrat de travail. Il sollicite donc un complément de rémunération annuelle pour 2020 constitué par la différence entre le prorata de sa garantie de rémunération du 1er janvier au 10 mars 2020 diminué du montant déjà perçu, somme calculée hors éléments du solde de tout compte ainsi que les congés payés afférents.
Il ajoute que la société a inclus à tort sur le bulletin de salaire de mars la totalité de l'avantage en nature véhicule au lieu de la proratiser en fonction du nombre de jours d'utilisation du véhicule de sorte que la somme de 243,85 euros net indûment déduite sur le bulletin de salaire de mars 2020 doit lui être remboursée et figurer sur le bulletin de paie de régularisation ; qu'en conséquence, la diminution de la rémunération de mars 2020 entraîne un complément à lui verser au titre de sa rémunération annuelle garantie du même montant et que le total du complément de rémunération au titre de la garantie annuelle s'élève à 20 596,41 euros plus les congés payés afférents.
La société soutient que M. [U] a parfaitement été rempli de ses droits et que son raisonnement est faussé. Elle ne répond pas sur la question de l'avantage en nature.
Sur ce,
Il était également prévu au contrat une garantie de rémunération annuelle minimale de 290 000 euros déduction faite de toute rémunération à l'exception des turnaround bonus, sans qu'il soit précisé si cette somme incluait ou non les congés payés de sorte qu'il y a lieu, dans le silence du contrat de considérer qu'elle ne les incluait pas, ni que l'indemnité compensatrice de congés payés devait être prise en compte dans le calcul de cette garantie. Il était stipulé qu'en cas de départ dans l'année cette garantie serait proratisée.
C'est à juste titre que le salarié fait valoir que l'intégration de l'indemnité compensatrice de congés payés liée à la rupture du contrat de travail reviendrait à le priver de l'indemnisation de ses congés payés non pris.
Par ailleurs, la société ne conteste pas avoir omis de proratiser et donc surévalué l'avantage en nature véhicule en mars 2020 et n'a pas répondu au salarié qui demandait, par message électronique du 27 mai 2020, une régularisation de la situation à ce titre. Or, cette surévaluation, qui justifie la restitution de la somme de 243,85 euros d'avantage en nature, a nécessairement une incidence sur le calcul de la garantie de rémunération.
Ainsi, la société n'apporte pas de contradiction utile à l'argumentation de M. [U] ni d'élément de nature à prouver qu'elle a rempli celui-ci de ses droits au titre de la garantie de rémunération annuelle pour 2020. Elle sera donc condamnée à lui payer les sommes de 20 596,41 euros et 2 059,64 euros au titre des congés payés afférents, le jugement étant confirmé de ce chef.
6/ Sur les demandes accessoires :
Les condamnations de nature salariale, la demande en étant faite, porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation (3 mars 2021) par application de l'article 1231-7 du code civil.
Les demandes de nature indemnitaire portent intérêts de plein droit au taux légal à compter de la décision qui les prononce.
Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.
Il y a lieu d'ordonner à l'employeur de remettre au salarié des bulletins de paie rectifiés pour tenir compte du présent arrêt.
Il convient également de faire droit à la demande du salarié tendant à obtenir que l'employeur interroge les services des impôts afin de se voir communiquer son taux d'imposition personnalisé.
7/ Sur les frais du procès :
L'issue du litige conduit à infirmer le jugement sur les dépens et les frais du procès.
La société, qui perd le procès devant la cour pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser au salarié la somme de 18 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a condamné la société Contitrade France à verser à M. [U] la somme de 26 884,60 euros et les congés payés afférents et a rejeté la demande au titre des circonstances vexatoires du licenciement, la demande de voir fixer la rémunération annuelle brute de M. [U] à la somme de 26 743,83 euros après réintégration ainsi que la demande de la société Contitrade France présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare recevables les demandes de M. [E] [U] de dommages et intérêts en raison d'un harcèlement moral et de voir prononcer la nullité du licenciement, à titre principal à raison d'une violation de sa liberté d'expression et, à titre subsidiaire à raison de la dénonciation de bonne foi auprès de son employeur d'agissements répétés de harcèlement moral,
Prononce la nullité du licenciement notifié à M. [E] [U] par la société Contitrade France,
Ordonne la réintégration de M. [U] au poste de directeur général salarié qu'il occupait au sein de la société Contitrade France à la date de son licenciement, ou à défaut d'emploi disponible, dans un emploi équivalent, et le rétablissement du contrat de travail à durée indéterminée avec toutes conséquences de droit,
Dit que M. [U] devra retrouver son ancienneté au 2 mai 2016, sa rémunération fixe, sa rémunération variable dans toutes ses composantes, la garantie annuelle de salaire de 290 000 euros brut, l'ensemble des avantages en nature (véhicule de fonction) et avantages d'entreprise (participation, intéressement, mutuelle et prévoyance d'entreprise notamment) dont il bénéficiait avant son licenciement), les versements au titre du Long term Incentive plan dont les montants échus à verser sont fixés à 60 000 euros pour l'exercice 2018 et à 60 000 euros pour l'exercice 2019 ainsi qu'à 60 000 euros pour chacun des exercices 2020 et 2021, soit un total de 240 000 euros au titre des sommes échues du plan de Long Term Incentive, l'inscription d'un crédit de 60 000 euros dans un compte ouvert à son nom pour chacun des plans de Long Term Incentive des années 2022, 2023, 2024 et 2025 et suivantes, avec application des règles communes de calcul de la somme à verser à l'issue du plan pour chacune de ces années si sa réintégration devait intervenir après l'attribution des Long Term Incentives 2024/2026 et 2025/2027 par le conseil d'administration,
Rejette la demande d'astreinte,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [U], à titre de dommages et intérêts pour la période d'éviction du 9 mars 2020 au 31 août 2024, la somme de 1 559 165,28 euros,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [U] la somme de 29 418,21 euros par mois du 1er septembre 2024 jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi antérieur de directeur général salarié ou, à défaut, dans un emploi équivalent,
Ordonne à la société Contitrade France d'organiser une visite de reprise,
Rejette la demande de voir fixer la rémunération annuelle de M. [U] à compter de la réintégration effective dans son emploi à la somme annuelle de 320 926 euros brut, soit une somme de 26 743,83 euros brut par mois,
Rejette la demande de dommages-intérêts pour conditions brutales et vexatoires du licenciement,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [U] les sommes suivantes :
- 3 500 euros à titre de dommages et intérêts compensant la perte de chance de bénéficier de la rémunération complémentaire sur objectifs pour l'année 2020 ;
- 243,85 euros net, à titre d'avantage en nature voiture indument déduit sur le bulletin de salaire de mars 2020 ;
- 20 596,41 euros brut de complément de rémunération au titre de la garantie annuelle de salaire de l'année 2020 incluant également la régularisation de l'avantage en nature voiture de mars 2020 ;
- 2 059,64 euros brut au titre des congés payés afférents ;
Dit que M. [U] a subi des faits de harcèlement moral,
Condamne, en conséquence, la société Contitrade France à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Dit que les créances à caractère salarial produisent un intérêt au taux légal s'appliquant sur les sommes brutes avant prélèvement des cotisations sociales et du prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source, à compter de la réception par la société Contitrade France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation (3 mars 2021),
Rappelle que les créances à caractère indemnitaire sont assorties de l'intérêt au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
Dit qu'avant son règlement des condamnations (tant pour le principal que pour les intérêts) prononcées par l'arrêt à intervenir, pour celles qui seraient assujetties au prélèvement d'impôt à la source dû par ce dernier, la société Contitrade France devra interroger le service des impôts afin de se voir communiquer le taux d'imposition personnalisé de M. [U],
Ordonne à la société Contitrade France à remettre à M. [U] des bulletins de salaire conformes au présent arrêt,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [E] [U] la somme de 18 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Contitrade France aux entiers dépens de première instance et de l'instance d'appel qui pourront être directement recouvrés par la société LX avocats Amiens Douai agissant par maître Le Roy, avocat.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.
N°
[U]
C/
S.A.S. CONTITRADE FRANCE
copie exécutoire
le 04 septembre 2024
à
Me RAVISY
Me LAFONT-
GAUDRIOT
LDS/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2024
*************************************************************
N° RG 23/03040 - N° Portalis DBV4-V-B7H-I2ET
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 30 JUIN 2023 (référence dossier N° RG F 21/00032)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [E] [U]
né le 21 Juin 1965 à [Localité 11] (13)
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté, concluant et plaidant par Me Philippe RAVISY de la SELARL ASTAE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Susana LOPES DOS SANTOS, avocat au barreau de PARIS
représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Olympe TURPIN, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
ET :
INTIMEE
S.A.S. CONTITRADE FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 17]
[Localité 6]
représentée, concluant et plaidant par Me Hélène LAFONT-GAUDRIOT de la SELARL REYNAUD AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES
DEBATS :
A l'audience publique du 19 juin 2024, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
- Madame Laurence de SURIREY en son rapport,
- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 04 septembre 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 04 septembre 2024, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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* *
DECISION :
M. [U], né le 21 juin 1965, a été embauché à compter du 1er juin 2016 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, par la société Contitrade France (la société ou l'employeur), en qualité de directeur national des opérations.
La société Contitrade France compte plus de 10 salariés. Elle appartient au groupe Continental.
La convention collective applicable est celle des services de l'automobile.
A compter du 2 janvier 2018, l'assemblée générale mixte a confié à M. [U] le mandat de directeur général.
Parallèlement, M. [U] a signé un avenant à son contrat de travail aux termes duquel il a été nommé directeur général à compter du 1er janvier 2018.
Le 31 août 2018, l'assemblée générale ordinaire l'a nommé président de la société Contitrade France. M. [U] s'est également vu confier divers mandats sociaux.
Le 7 janvier 2020, il a été avisé de ce que la révocation de ses mandats était envisagée et il lui a été demandé de suspendre toute activité.
Le 31 janvier 2020, il a été révoqué de son mandat de président directeur général et de ses autres mandats.
Par courrier du 31 janvier 2020, il a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé au 11 février 2020.
Il a déclaré une maladie professionnelle, reconnue comme telle par la caisse primaire d'assurance maladie, et s'est trouvé en arrêt de travail à compter du 11 février 2020.
Par lettre du 9 mars 2020, il a été licencié pour faute grave (méthodes de management déviantes ayant eu pour conséquence de mettre ses collaborateurs en souffrance au travail, notes de frais injustifiées et dénonciation calomnieuse avec intention de nuire).
Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution de la relation de travail, il a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne, le 23 février 2021.
Par jugement du 30 juin 2023, le conseil a :
dit et jugé que le licenciement de M. [U] pour faute grave était justifié ;
débouté M. [U] de toutes ses demandes à ce titre ;
condamné la société Contitrade France à verser à M. [U] la somme de 26 884,60 euros et les congés payés afférents 2 688,46 euros, le conseil constatant l'absence de versement du bonus 2019 ;
condamné respectivement à zéro euro les deux parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné les parties pour moitié aux entiers dépens ;
débouté les parties de leurs plus amples demandes.
M. [U], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 mai 2024, demande à la cour de :
le juger aussi bien fondé que recevable en ses demandes, fins et conclusions ;
à titre liminaire, rejeter les demandes de la société Contitrade France tendant à voir juger irrecevables tant sa demande principale de condamnation de la société Contitrade France à lui verser des dommages et intérêts en raison d'un harcèlement moral que sa demande de voir prononcer, à titre subsidiaire, la nullité du licenciement notifié le 9 mars 2020 à raison de sa dénonciation de bonne foi auprès de son employeur d'agissements répétés de harcèlement moral ;
rejeter l'appel incident de la société Contitrade France formé à l'encontre de ses condamnations au titre du bonus de l'année 2019 et des congés payés incidents ;
En conséquence,
confirmer le jugement mais seulement en ce qu'il a :
- condamné la société Contitrade France à lui payer la somme de 26 884,60 euros brut au titre du bonus de l'année 2019 et la somme de 2 688,46 euros brut au titre des congés payés afférents ;
- débouté la société de sa demande en paiement des frais irrépétibles ;
infirmer le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Au titre de l'exécution du contrat de travail,
Vu notamment le contrat de travail et ses avenants,
condamner la société Contitrade France à lui payer les sommes suivantes :
- 81 068,83 euros à titre de dommages et intérêts compensant la perte de chance consécutive à son éviction brutale et injustifiée de l'entreprise de bénéficier de la rémunération complémentaire sur objectifs pour l'année 2020 ;
- 243,85 euros net à titre d'avantage en nature voiture indument déduit sur le bulletin de salaire de mars 2020 ;
- 20 596,41 euros brut de complément de rémunération au titre de la garantie annuelle de salaire de l'année 2020 incluant également la régularisation de l'avantage en nature voiture de mars 2020 ;
- 2 059,64 euros brut au titre des congés payés afférents ;
juger qu'il a subi des agissements de harcèlement moral dégradant ses conditions de travail et compromettant son devenir professionnel ou, à tout le moins, subsidiairement, juger qu'il a vu son contrat de travail être exécuté de mauvaise foi par la société Contitrade France ;
condamner en conséquence la société Contitrade France à lui payer la somme nette de 106 975 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice moral, de santé et professionnel qui lui a été causés par le harcèlement moral qu'il a subi et par l'absence de prévention de ce harcèlement ou subsidiairement, causés par l'absence de bonne foi de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail ;
II. Au titre de la rupture du contrat de travail,
a. Sur la nullité du licenciement
A titre principal,
juger, qu'en l'absence de tout abus de sa part et au vu de sa bonne foi, le dernier motif de licenciement (dénonciation calomnieuse) énoncé dans la lettre recommandée de licenciement du 9 mars 2020 notifiée par la société Contitrade France porte atteinte à la liberté d'expression du salarié, laquelle s'analyse en une liberté fondamentale ainsi qu'à la protection dont il bénéficiait contre le licenciement en tant que lanceur d'alerte à raison de son courriel du 29 janvier 2020 ;
prononcer en conséquence la nullité du licenciement notifié par la société Contitrade France par lettre recommandée du 9 mars 2020 ;
A titre subsidiaire,
juger que le licenciement est nul à raison de sa dénonciation de bonne foi auprès de son employeur d'agissements répétés de harcèlement moral ;
prononcer en conséquence la nullité du licenciement qui lui a été notifié par la société Contitrade France par lettre recommandée du 9 mars 2020 ;
A titre infiniment subsidiaire,
juger que son licenciement a été prononcé pendant la suspension de son contrat de travail pour cause de maladie professionnelle et juger qu'aucune faute grave de licenciement n'est établie par la société Contitrade France ;
prononcer en conséquence la nullité du licenciement qui lui a été notifié par la société Contitrade France par lettre recommandée du 9 mars 2020 ;
b. Sur les demandes subséquentes à la nullité du licenciement
ordonner sa réintégration dans l'emploi de directeur général salarié qu'il occupait au sein de la société Contitrade France à la date de son licenciement, ou à défaut d'emploi disponible, dans un emploi équivalent, et le rétablissement du contrat de travail à durée indéterminée avec toutes conséquences de droit, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, la cour se réservant la faculté de liquidation de l'astreinte ;
En conséquence,
- dire et juger qu'il devra retrouver son ancienneté au 2 mai 2016, sa rémunération fixe ; sa rémunération variable dans toutes ses composantes, la garantie annuelle de salaire de 290 000 euros brut ; l'ensemble des avantages en nature (véhicule de fonction) et avantages d'entreprise (participation, intéressement, mutuelle et prévoyance d'entreprise notamment) dont il bénéficiait avant son licenciement ainsi que i) les versements au titre du Long term Incentive plan dont les montants échus à verser seront fixés à 60 000 euros pour l'exercice 2018 et à 60 000 euros pour l'exercice 2019 ainsi qu'à 60 000 euros pour chacun des exercices 2020 et 2021, exercices qui seront échus à la date de l'examen de l'affaire par la cour soit un total de 240 000 euros au titre des sommes échues du plan de Long Term Incentive, et ii) l'inscription d'un crédit de 60 000 euros dans un compte ouvert à son nom pour chacun des plans de Long Term Incentive des années 2022, 2023, 2024 et 2025 et suivantes, avec application des règles communes de calcul de la somme à verser à l'issue du plan pour chacune de ces années si sa réintégration devait intervenir après l'attribution des Long Term Incentives 2024/2026 et 2025/2027 par le conseil d'administration ;
condamner la société Contitrade France à lui payer, à titre de dommages et intérêts au titre de la période d'éviction, une somme correspondant aux rémunérations brutes dont il aura été privé entre le 9 mars 2020 (date du licenciement) et la réintégration effective dans son emploi antérieur de directeur général salarié ou, à défaut, dans un emploi équivalent, soit, par mois écoulé jusqu'à cette réintégration effective, la somme de 26 743.83 euros brut ;
juger qu'il n'y aura pas lieu à déduction des revenus de remplacement perçus pendant toute la période d'éviction de l'entreprise quel qu'en soit leur nature ;
juger que le montant exact des dommages et intérêts indemnisant la période d'éviction ne pourra être définitivement chiffré qu'à la date de la réintégration effective ;
fixer le montant provisionnel des dommages et intérêts indemnisant la période d'éviction (arrêté au 19 juin 2024) à la somme de 1 393 351,98 euros ;
juger que lorsque la société Contitrade France aura arrêté le montant de l'indemnité d'éviction à la date de sa réintégration effective, elle devra aussi y ajouter les droits à congés payés qu'il a acquis du 9 mars 2020 (date du licenciement) jusqu'à la réintégration effective, et juger que le montant à lui allouer sera égal à 10% du montant brut de l'indemnité d'éviction ;
fixer sa rémunération annuelle à compter de la réintégration effective dans son emploi à la somme annuelle de 320 926 euros brut, soit une somme de 26 743,83 euros brut par mois ;
ordonner à la société Contitrade France de lui organiser une visite médicale de reprise d'activité préalablement à toute réintégration effective ;
c En tout état de cause,
condamner la société Contitrade France à lui payer la somme nette de 106 975 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et professionnel causés par les circonstances particulièrement violentes et vexatoires de son éviction, attentatoires à son honnêteté et à sa réputation ;
III. Autres demandes
assortir les créances à caractère salarial de l'intérêt au taux légal, qui s'appliquera sur les sommes brutes avant prélèvement des cotisations sociales et du prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source, à compter de la réception par la société Contitrade France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation (3 mars 2021) et les créances à caractère indemnitaire de l'intérêt au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;
ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
juger qu'avant son règlement des condamnations (tant pour le principal que pour les intérêts) prononcées par l'arrêt à intervenir, pour celles qui seraient assujetties au prélèvement d'impôt à la source dû par ce dernier, la société Contitrade France devra interroger le service des impôts par le biais du service TOPAZe, afin de se voir communiqué son taux d'imposition personnalisé ;
condamner la société Contitrade France à lui remettre des bulletins de salaire conformes à l'arrêt et, subsidiairement, si la nullité du licenciement n'était pas prononcée, à lui remettre en outre une attestation Pôle emploi conforme à l'arrêt ;
condamner la société Contitrade France à lui payer une somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Contitrade France aux entiers dépens de l'instance d'appel qui pourront être directement recouvrés par la société LX avocats Amiens Douai agissant par maître Le Roy, avocat, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Contitrade France, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 juin 2024, demande à la cour de :
recevoir M. [U] en son appel du jugement, mais l'y déclarer mal fondé ;
dire irrecevables les demandes de nullité du licenciement et de dommages et intérêts en raison d'un harcèlement moral, subsidiairement les juger mal fondées ;
infirmer le jugement seulement en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [U] la somme de 26 884,60 euros et les congés payés afférents pour 2 688,46 euros au titre du bonus 2019 ;
Statuant à nouveau,
dire M. [U] mal fondé en cette demande de rappel de bonus et l'en débouter ;
confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;
débouter M. [U] de toutes ses demandes ;
condamner M. [U] à lui verser la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS :
Il convient, à titre liminaire, de noter qu'un certain nombre de documents rédigés en anglais ont fait l'objet de traductions libres lesquelles n'étant pas contestées par la partie adverse, sont retenues par la cour.
1/ Sur la recevabilité des demandes au titre de la nullité du licenciement pour avoir dénoncé des agissements de harcèlement moral et de dommages-intérêts pour harcèlement moral :
Par application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges même si leur fondement juridique est différent et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, la demande de « juger qu'il a subi des agissements de harcèlement moral dégradant ses conditions de travail et compromettant son devenir professionnel ou, à tout le moins, subsidiairement, juger qu'il a vu son contrat de travail être exécuté de mauvaise foi par la société Contitrade France et condamner en conséquence la société Contitrade France à lui payer la somme nette de 106 975 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice moral, de santé et professionnel qui lui a été causés par le harcèlement moral qu'il a subi et par l'absence de prévention de ce harcèlement ou subsidiairement, causés par l'absence de bonne foi de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail » tend aux mêmes fins que celle présentée devant le conseil de prud'hommes de voir la société condamnée à lui payer une indemnité du même montant « réparant le préjudice moral et professionnel causé par le comportement déloyal de l'employeur pendant l'exécution du contrat ». En effet, dans les deux, cas, il s'agit d'obtenir réparation du préjudice causé par des agissements prétendument déloyaux de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail, le salarié ayant ajouté en appel un fondement nouveau qui est le harcèlement moral et un argumentaire nouveau.
La demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral est donc recevable.
Par ailleurs, M. [U] avait déjà devant les premiers juges sollicité le prononcé de la nullité de son licenciement pour avoir été notifié pendant une période de suspension de son contrat de travail pour maladie professionnelle alors qu'il n'avait commis aucune faute grave.
En sollicitant devant la cour, le prononcé de la nullité de son licenciement, cette fois, à titre principal en violation de sa liberté d'expression, à titre subsidiaire, en raison de sa dénonciation de faits de harcèlement moral et à titre infiniment subsidiaire seulement pour le même motif qu'en première instance, le salarié n'a fait qu'ajouter deux fondements à sa demande d'annulation de son licenciement de sorte que sa prétention n'est pas nouvelle.
En conséquence, c'est à tort que la société soulève l'irrecevabilité de ces demandes.
2/ Sur l'existence d'un contrat de travail postérieurement au 31 août 2018 :
La société, faisant peser la charge de la preuve sur M. [U] soutient, en substance, que la nomination de celui-ci en qualité de président, à compter du 1er septembre 2018, a automatiquement suspendu le contrat de travail à défaut de lien de subordination avec elle et en l'absence de convention en ce sens, les conditions du cumul n'étant pas remplies.
M. [U] fait valoir, en substance, que la société échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de l'absence de cumul entre le mandat social et le contrat de travail préexistant ; que les statuts de la société autorisent le cumul ; que les fonctions de directeur général mandataire social s'exerçant à titre gratuit, la rémunération qui a continué à lui être versée l'était en contrepartie de son emploi de directeur général salarié, ce que reconnaît la société dans ses conclusions et ce que confirment les mentions de ses bulletins de salaire, de l'attestation Pôle emploi, la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle et l'absence de référence au procès-verbal d'assemblée générale du 31 août 2018 à un statut d'assimilé salarié ; qu'il a toujours conservé ses fonctions techniques et opérationnelles spécifiques de directeur général salarié, pour lesquelles il n'a pas été remplacé qu'il a continué à exercer dans leur intégralité et, surabondamment, qu'il est demeuré dans un lien de subordination ce que reconnaît la société dans la lettre de licenciement que ce soit au titre du rappel de ses missions que de la nature disciplinaire des griefs qui lui sont faits ; qu'il n'était pas considéré comme le président de Contitrade France mais comme un simple animateur de structures ; qu'il recevait de nombreuses instructions détaillées de la part de M. [W] et M. [SO] et devait solliciter leur autorisation même pour des tâches courantes manifestant un lien hiérarchique à l'égard de ces derniers et qu'il était soumis au même mode d'évaluation que les salariés, sa nomination en qualité de président n'ayant en rien modifié la situation.
Sur ce,
Le contrat de travail d'un salarié investi d'un mandat social exclusif de tout lien de subordination est, en l'absence de convention contraire, suspendu pendant le temps d'exercice du mandat.
Dans les sociétés anonymes à conseil d'administration, un administrateur peut cumuler ses fonctions avec celles de salarié sous réserve que le contrat de travail soit antérieur à la nomination en qualité d'administrateur et qu'il corresponde à un emploi effectif.
La reconnaissance d'un emploi effectif suppose l'existence de fonctions techniques correspondant à des attributions spécifiques, qui se différencient des fonctions de représentation et de gestion découlant du mandat social, exercées dans un état de subordination juridique à l'égard de la société, c'est-à-dire sous l'autorité et le contrôle de la société, donnant lieu à versement d'une rémunération distincte de celle éventuellement perçue au titre du mandat social.
Il appartient à celui qui soutient qu'il a été mis fin au contrat de travail par la nomination du salarié à des fonctions de mandataire social d'en rapporter la preuve.
En l'espèce, l'article 13 des statuts de la société stipule que le président peut être une personne liée à la société par un contrat de travail à condition que cela corresponde à un emploi effectif. Le cumul entre un mandat de président et un contrat de travail conclu avec la société, et non pas seulement avec une autre société du groupe, est donc autorisé et considéré comme possible nonobstant la présence du président au sommet de la hiérarchie, ce qui met à mal le postulat sur lequel la société fonde l'essentiel de son argumentation, selon lequel un tel cumul est par nature impossible.
Il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale du 2 janvier 2018 que M. [U] a été nommé directeur général assurant la gestion opérationnelle du réseau BestDrive pour ce qui concerne la distribution d'équipements automobiles et l'activité rechappage, ce à titre gratuit.
Contrairement à ce qu'affirme la société, le procès-verbal de cette assemblée générale ne comporte aucune mention selon laquelle M. [U] conservait le statut de salarié, pourtant elle reconnaît dans ses conclusions, qu'à la suite de cette première nomination, M. [U] a conservé le bénéfice de son contrat de travail dans une situation de subordination vis-à-vis de la société. Elle ne peut donc déduire de l'absence d'une telle mention au procès-verbal de l'assemblée générale du 31 août 2018 que le cumul était exclu.
Or, la nomination de M. [U] le 31 août 2018 en qualité de président à titre gratuit ne s'est accompagnée d'aucune modification en ce qui concerne sa rémunération, les mentions figurant à ses bulletins de paie (salaire, cotisations sociales, classification, ancienneté, contrat « CDI ») et il n'est pas fait état au procès-verbal de l'assemblée générale de la reconnaissance du statut d'assimilé salarié.
Ainsi, si la somme perçue mensuellement par M. [U] ne rémunère ni ses fonctions de directeur général non salarié, ni celles de président, elle rémunère nécessairement celles découlant de son contrat de travail.
La société ne rapporte pas la preuve du contraire.
Elle ne rapporte pas non plus la preuve que M. [U] n'a plus occupé son emploi effectif de directeur général salarié à compter de cette nomination, se contentant d'affirmer que celui-ci ne justifie d'aucune fonction technique réelle pouvant être détachée de son mandat de PDG, inversant ainsi la charge de la preuve.
Au contraire, les termes mêmes de sa lettre de licenciement, dont les griefs concernant ses méthodes de management, selon l'attestation de Mme [O], se rapportent à une période postérieure à sa nomination en qualité de président, démontrent que celui-ci conservait ses attributions de cadre dirigeant.
De plus, la société ne démontre pas que M. [U] ait été remplacé dans ses fonctions de directeur opérationnel BestDrive ce qui confirme que ce dernier avait conservé les attributions techniques conférées par son contrat de travail.
La seule condition posée par les statuts pour un cumul du contrat de travail avec un mandat de président est donc remplie.
D'ailleurs, la société s'est toujours considérée comme liée par un contrat de travail avec M. [U], comme en témoignent notamment la procédure de reconnaissance de maladie professionnelle au cours de laquelle ses contestations n'ont pas porté sur le statut de salarié de M. [U], les mentions portées sur l'attestation destinée à Pôle emploi de même que sur le certificat de travail qui ne font pas référence à quelconque période de suspension du contrat de travail et indique une ancienneté du 2 mai 2016 au 9 mars 2020 sans interruption.
Ces éléments suffisent à considérer que le contrat de travail de M. [U] n'a pas été suspendu à la suite de sa nomination en qualité de président.
3/ Sur la rupture du contrat de travail :
3-1/ Sur le bien-fondé de la rupture :
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.
La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.
La mise en 'uvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.
C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.
Le doute doit profiter au salarié.
Sur le grief tenant à la dénonciation calomnieuse avec intention de nuire :
Le grief est ainsi énoncé : « Par e-mail en date du 29 janvier 2020 adressé à Madame [Y] [X], Directrice des relations humaines France de Continental, vous avez, après avoir enregistré un appel téléphonique de sa part, porté de graves accusations à l'endroit de cette dernière.
Un extrait de ce mail est reproduit ci-dessous :
« De : [U], [E] [Courriel 7]>
Envoyé : mercredi 29 janvier 2020 18:34
À : [X], [Y] [Courriel 13]>; [J], [N] [Courriel 14]>;
[S], [T] (uia37743) [Courriel 9]>; [Courriel 12]; [W], [Z] [Courriel 10]>; [SO], [K] (uia99735) [Courriel 16]>; [M], [L] (uh02894) [Courriel 5]>
Cc : [D], [P] [Courriel 8]>; [A], [R] [Courriel 15]>; [F],
[V] [Courriel 4]>
Objet : Accès illégal aux données informatique
Madame [X],
Le mardi 14 Janvier, à 13h49, vous avez laissé un message sur la boite vocale de mon téléphone professionnel dont le numéro est le : [XXXXXXXX01], dont les termes sont retranscrits ci-dessous :
(suit la retranscription d'une conversation téléphonique)
Vos propos semblent signifier que vous disposez de la possibilité d'accéder à des informations précises sur les emails et l'activité des personnes qui travaillent dans l'entreprise ce qui me choquerait grandement. Je mets donc en copie de ce message les correspondants RGPD et DPC du groupe Continental, et du groupe Contitrade que je dirige, ainsi que les dirigeants et managers des sociétés concernées, afin qu'ils déclenchent une enquête et prennent les mesures nécessaires pour prévenir et empêcher tout comportement illégal passé, présent ou futur à ce sujet.
Je tenais à vous en informer. »
En accusant ainsi Mme [X], sur la base d'un extrait d'enregistrement d'un appel téléphonique, dont vous dénaturez les termes, d'accéder illégalement à vos données informatiques, indiquant qu'il convient de prendre « les mesures nécessaires pour prévenir et empêcher tout comportement illégal passé, présent ou futur », vous procédez à son encontre à des attaques personnelles, voire d'une diffamation inacceptable.
Pire, en adressant copie de votre message à Monsieur [L] [M], membre du Conseil d'Administration du Groupe Continental, Monsieur [K] [SO], Directeur de la Business Unit Replacement EMEA PLT, Monsieur [C] [J], Focus Country Head France et de nombreuses autres personnes au plus haut niveau du Groupe encore, vous portez atteinte à sa réputation, son honnêteté et sa probité en cherchant ouvertement à la discréditer et à lui nuire.
Ce faisant vous outrepassez votre liberté d'expression, étant précisé que l'enquête que vous avez ainsi déclenchée, a abouti à considérer votre plainte sans le moindre objet ni fondement.
Tenant compte de votre niveau de responsabilités, vos propos attentatoires à l'intégrité de Mme [X] et cette intention de lui nuire sont parfaitement inacceptables et proprement incompatibles avec les valeurs que nous promouvons dans le Groupe ».
La société fait valoir, en substance que les agissements de M. [U] relèvent tout à la fois de la dénonciation calomnieuse puisqu'il accuse personnellement Mme [X] d'un comportement illégal alors qu'il sait pertinemment que c'est faux, en déformant ses propos et qu'il a attendu d'être convoqué 15 jours plus tard pour la révocation de son mandat pour dénoncer cette prétendue intrusion dans sa boite électronique, et de la diffamation, M. [U] ayant discrédité publiquement Mme [X] auprès de sa hiérarchie en lui imputant des faits susceptibles d'entraîner à son encontre des poursuites disciplinaires voire pénales, la mauvaise foi de M. [U] lui interdisant d'invoquer pour se défendre sa liberté d'expression dont il a fait un usage abusif et un statut de donneur d'alerte.
M. [U] soutient, en substance, que c'est de parfaite bonne foi qu'il a adressé ce message d'alerte et que ses propos étaient conformes à ceux habituellement considérés par la jurisprudence comme n'excédant pas l'exercice de sa liberté d'expression et que son licenciement est intervenu en violation de la protection dont il bénéficiait pour avoir alerté de bonne foi sur des faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, qui s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou une violation du RGPD ainsi que des règles internes du groupe.
Sur ce,
La liberté d'expression, comme le droit d'opinion, est consacrée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Elle a valeur constitutionnelle et est également garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Le salarié jouit, dans l'entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées. Les salariés peuvent se prévaloir de la nullité de leur licenciement intervenu en violation de la liberté d'expression et demander leur réintégration.
L'abus est caractérisé lorsque les termes utilisés par le salarié sont injurieux, diffamatoires ou excessifs. Il s'apprécie notamment au regard de la teneur des propos, de leur degré de diffusion, des fonctions exercées par l'intéressé et de l'activité de l'entreprise.
En l'espèce, en choisissant de retenir une dénonciation calomnieuse avec intention de nuire, la société s'oblige notamment à rapporter la preuve de la mauvaise foi du salarié.
Les termes utilisés par M. [U] dans son courriel sont prudents et mesurés, il emploie le conditionnel et reste très factuel et même s'il indique en objet de son courriel « accès illégal aux données informatiques », sa demande porte sur le déclenchement d'une enquête et la prise de mesures préventives et curatives à ce sujet. Son interrogation est légitime dès lors qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'il n'a pas communiqué avec Mme [X] au cours de la journée du 14 janvier et n'a adressé qu'un seul courriel de deux lignes à M. [W] ce qui ne traduit pas le fait qu'il aurait été « très actif » comme le lui a reproché Mme [X] dans son message téléphonique. Le salarié justifie, par ailleurs, de ce qu'il a eu à s'inquiéter quelques jours plus tard d'incursions dans son espace informatique personnel à l'aide de son mot de passe pour la validation des états de frais de sorte qu'il est plausible que cela l'ait fait réfléchir sur le sens du message téléphonique de Mme [X] et que sa mauvaise foi ne résulte pas nécessairement du délai entre ce message et son alerte.
De la lecture de l'email de M. [U] il ressort qu'il sollicite une enquête pour des faits potentiellement graves, raison pour laquelle il rend destinataires les principaux administrateurs provisoires désignés par le conseil d'administration, son interlocuteur direct au niveau du groupe, M. [W], M. [SO], supérieur de M. [W], M. [M], supérieur de M. [SO] et M. [J], supérieur hiérarchique de Mme [X] et en copie les personnes susceptibles d'être en charge de l'enquête.
La diffusion de son message reste donc interne au groupe et à destination des décideurs.
Par ailleurs, dans son attestation, Mme [X] dénature les propos de M. [W] qui, dans son courriel du 14 janvier, contrairement à ce qu'elle écrit, ne s'étonne pas auprès d'elle de l'activité de M. [U] et du fait que ce dernier, censé être en congé, se trouve dans les bureaux sur le site [Localité 6], mais l'informe de ce qu'accidentellement « [E] » a écrit des e-mails « to the board » et ne lui transfère qu'un seul très court message.
Par ailleurs, dans l'énoncé du grief, la société dénature l'email de M. [U] en prétendant qu'il a enregistré un appel téléphonique de Mme [X] sous-entendant une intention maligne de sa part, alors qu'il s'agit clairement de l'enregistrement d'un message vocal en absence.
De plus, ce grief a été énoncé lors de l'entretien préalable du 11 février alors même que la société n'avait pas encore le résultat de l'enquête, le rapport n'ayant été déposé que le 19 février 2020, et ne pouvait donc pas savoir si les doutes de M. [U] étaient fondés ou non et donc si sa bonne foi pouvait être questionnée.
Quant au rapport de M. [D] en charge de cette enquête, il se borne à indiquer que comme il n'a reçu aucune demande pour accéder au contenu de la « mailbox » de M. [U] et que toute demande d'accès ayant suivi la procédure interne aurait une infime chance d'être acceptée, il ne peut y avoir eu d'intrusion. Il ne s'agit donc pas d'une analyse informatique de nature à exclure tout à fait que l'inquiétude de M. [U] était justifiée, ainsi que le fait remarquer à juste titre ce dernier.
Enfin, le code de conduite de Continental encourage les collaborateurs à déclarer les situations qui leur inspirent des réserves raisonnables et de bonne foi, en toute confiance et sans peur des représailles.
Or, la société échoue à démontrer la mauvaise foi de M. [U] entrant dans la définition de la diffamation ou de la dénonciation calomnieuse alors que celui-ci pouvait nourrir des doutes raisonnables compte tenu de la situation tendue qu'il vivait faite de menaces sur ses mandats sociaux et son emploi et de conflit avec le groupe.
Il y a lieu en conséquence de dire que M. [U] n'a pas excédé sa liberté d'expression en écrivant et diffusant ce courriel à Mme [X] et que son licenciement en violation de sa liberté fondamentale d'expression est nul, sans qu'il y soit nécessaire d'examiner les autres griefs.
3-2/ Sur les conséquences du licenciement nul :
- Sur la demande de réintégration :
M. [U] sollicite sa réintégration au poste qu'il occupait avant son licenciement ou à défaut dans un emploi équivalent, affirmant qu'il n'existe aucun obstacle à cette réintégration en raison du départ des personnes impliquées dans son éviction, de la gestion mondiale des ressources humaines au sein du groupe, de la souplesse des organisations au niveau des cadres dirigeants et de la vacance de certains postes de directeur, la société ne rapportant pas la preuve de l'impossibilité qu'elle invoque.
La société répond que la réintégration est impossible, le seul poste de directeur général de même que tous les autres postes de directeur étant pourvus.
Sur ce,
Lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent. Le périmètre de réintégration ne s'étend pas au groupe auquel appartient l'employeur, mais seulement à l'entreprise.
Est considéré comme équivalent l'emploi, situé dans le même secteur géographique ou un secteur proche, comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière que l'emploi initial et permettant l'exercice du mandat représentatif.
En l'espèce, le motif invoqué par l'employeur pour s'opposer à la réintégration tenant au seul fait que le poste identique et les postes équivalents sont pourvus ne constitue pas une cause d'impossibilité laquelle s'apprécie strictement.
Il convient donc d'ordonner la réintégration de M. [U] dans l'entreprise sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur les conséquences de la réintégration :
La société, pour s'opposer aux demandes de M. [U] portant pour l'essentiel sur le paiement à titre de dommages-intérêts des sommes qu'il aurait dû percevoir s'il n'avait pas été licencié et la fixation de sa rémunération à compter de sa réintégration, soutient que le salarié est mal fondé à faire courir sa demande pour la période antérieure à la saisine du conseil de prud'hommes, que le salaire de référence est celui qu'il percevait au titre de son contrat de travail soit 15 500 euros brut et non de son mandat social et que le débouté s'impose d'autant plus qu'ayant fait abusivement reconnaître qu'il était atteint d'une maladie professionnelle, son salaire a été pris intégralement en charge par la sécurité sociale, cette situation inique perdurant aujourd'hui.
Sur ce,
Le salarié, licencié en violation d'une disposition légale ou d'une liberté, qui demande sa réintégration a droit à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration.
Il a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.
Il peut également prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail, sauf lorsqu'il a occupé un autre emploi durant cette période.
En l'espèce, la rémunération à compenser à titre de dommages-intérêts pour la période d'éviction correspond aux rémunérations brutes dont a été privé M. [U] entre le 9 mars 2020, date de son licenciement et la date de sa réintégration effective, qui ne correspond pas à son mandat social lequel était exercé à titre gratuit ni à la somme de 15 500 euros brut qui n'inclut pas la rémunération variable, mais à la somme de 26 743,83 euros brut soit la moyenne de ses douze derniers mois de salaire.
La date de la réintégration n'étant pas connue, le montant des dommages-intérêts au titre de la période d'éviction ne peut être définitivement fixée. Il y a donc lieu de l'arrêter provisoirement au 31 août 2024, soit la somme d'1 417 422,99 euros outre celle de 141 742,29 euros correspondant à ses droits à congés payés afférents et de dire que la société devra verser mensuellement à M. [U] la somme de 26 743,83 euros brut entre le 1er septembre 2024 et son retour dans l'entreprise.
La cour rappelle que le salarié continuera à acquérir jusqu'à sa réintégration effective des droits à congés payés correspondant à 10% brut du montant de l'indemnité d'éviction que l'employeur devra lui verser.
Le salarié devra retrouver son niveau de rémunération dans toutes ses composantes au moment de sa réintégration tel que prévu à l'annexe de l'avenant à son contrat de travail du 18 décembre 2017 incluant notamment les versements au titre du Long term incentive plan passés et à venir, dont les montants ne sont pas spécifiquement contestés par l'employeur.
Ce niveau de rémunération n'est pas nécessairement égal à la moyenne de ses salaires précédant son licenciement puisqu'il dépend en partie des résultats de l'entreprise et de l'atteinte de ses objectifs. La demande de M. [U] de voir fixer sa rémunération annuelle à compter de la réintégration effective dans son emploi à la somme annuelle de 320 926 euros brut, soit une somme de 26 743,83 euros brut par mois sera donc rejetée.
Compte tenu de la durée de l'arrêt de travail de M. [U], il sera fait droit à sa demande de voir organiser une visite de reprise.
3-3/ Sur la demande au titre des circonstances du licenciement :
Le salarié invoque, au soutien de sa demande, des circonstances vexatoires entourant la procédure de licenciement , la poursuite d'agissements vexatoires après la notification de son licenciement en rajoutant de nouvelles accusations d'atteinte à la probité et à l'honneur et affirme que ces circonstances lui ont causé un préjudice moral et professionnel.
La société qualifie ces accusations d'infondées et gratuites sans plus de précision, affirme qu'elles procèdent d'un renversement de situation.
S'agissant des circonstances du licenciement, il apparaît que l'imputation de faits graves sans preuve sera retenue au titre du harcèlement moral ainsi qu'il sera dit plus loin, de sorte que M. [U] ne peut en demander deux fois l'indemnisation.
D'autres allégations de l'employeur le concernant notamment relevées par le salarié dans les conclusions adverses au cours de l'instance (accusations de déclaration frauduleuse de maladie professionnelle et de falsification de documents non fondées, d'avoir été à l'origine de l'arrêt de longue maladie de M. [H] et du départ de l'entreprise de Mme [O] non étayées de preuve, d'invectives à l'égard de ces derniers ce que ne traduit pas les échanges d'emails versés aux débats) sont effectivement de nature à porter atteinte à l'honneur et à la probité de M. [U].
Toutefois, le préjudice d'ordre médical et moral allégué est indemnisé au titre du harcèlement moral (cf infra).
S'agissant des autres préjudices allégués, tenant notamment à son avenir professionnel, à la baisse de son niveau de vie et au temps consacré à sa défense, ils ne sont pas en lien direct et spécifique avec les circonstances ayant entouré le licenciement
Il y a donc lieu de rejeter cette demande.
4/ Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors qu'ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l'ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
Selon l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
M. [U], en l'espèce, affirme qu'il a été victime d'un harcèlement moral de la part de ses responsables directs dans le groupe, soit directement, soit indirectement de certains préposés tels que M. [H], Mme [X] et Mme [O], dès la fin de l'année 2018 et de manière plus accentuée à partir de mars 2019, ce qui a entraîné la dégradation de son état de santé et la reconnaissance d'une maladie professionnelle par la CPAM.
Il présente notamment les faits suivants :
demandes insistantes et illégales de sa hiérarchie impossibles à satisfaire et l'exposant à des sanctions civiles et pénales à savoir la réduction de centaines de postes sans plan social : il justifie, notamment par la production d'un courriel du 12 avril 2019, que M. [W] lui a demandé de prévoir la fermeture de 19 agences sans plan social et de prévoir la fermeture de 30 à 58 agences toujours sans plan social ;
modification unilatérale et postérieure à l'entretien biannuel d'évaluation par M. [W] à la suite de sa prise de position contre les fermetures d'agence sans plan social : il en justifie par la production d'un message électronique de M. [G] du 8 mars 2019 ainsi que de l'« employee dialogue » qu'il a annoté le 17 mars pour répondre aux modifications apportées par M. [W] ;
maintien déloyal à son poste alors que la décision avait été prise secrètement de le remplacer lors d'une réunion du 12 avril 2019 : ce fait est établi par la production d'un compte rendu de réunion à laquelle M. [U] ne participait pas où il est question de remplacer le « top management » France, « JMA » étant personnellement concerné alors qu'il a été félicité quelques jours plus tard pour ses bons résultats ;
mise à l'écart des appels d'offres aux cabinets d'avocats : le salarié produit un échange d'emails avec M. [B] montrant qu'il n'était pas destinataire de documents à ce sujet concernant le plan de redressement du réseau Bestdrive dont il avait la charge ;
tentative de lui imposer une rupture conventionnelle dans des conditions humiliantes : les pièces produites démontrent l'existence de négociations pour son départ ;
mise à l'écart brutale de ses responsabilités le 22 janvier 2020 à la suite de son refus de départ négocié, annonce publique de son départ du groupe alors qu'il était toujours mandataire social et salarié et circonstances vexatoires de la révocation de son mandat : M. [U] justifie par la production de plusieurs courriels de ce qu'une administration provisoire a été mise en place dès le 23 janvier 2020, l'ensemble des décisions engageant la société étant confiées à M. [T], directeur général délégué ainsi qu'à M. [B], qu'il a été évincé de plusieurs réunions internationales, sa présence n'étant pas jugée « convenable », n'a plus été destinataire de certaines informations et a été exclu des listes de discussion, que ses rendez-vous ont été annulés, que son départ du groupe a été annoncé à l'extérieur par voie de communiqué de presse du 3 février 2020 et en interne le 4 février alors qu'il conservait certains mandats sociaux et n'avait pas encore été licencié ;
pressions exercées sur lui par le DRH, M. [H] et Mme [O], responsable affaires sociales et juridiques au sein de la DRH Contitrade France, lors de l'entretien préalable, pour accepter une rupture négociée alors qu'il avait exprimé par écrit le souhait de rester dans le groupe : l'attestation de M. [I], qui a assisté M. [U] lors de l'entretien préalable démontre que M. [H] a « exhorté » le salarié à « revenir à la table des négociations » ;
anomalies de gestion et accès à ses données personnelles et la confidentialité de ses codes secrets : M. [U] démontre par la production d'e-mail de janvier 2020 des anomalies dans la gestion des notes de frais susceptibles de provenir de l'utilisation de son compte privé de validation par un tiers ;
le caractère mensonger des motifs de licenciement exposés lors de l'entretien préalable destiné à lui faire accepter un départ discret à moindre coût : il résulte effectivement de l'attestation de M. [I] que les représentants de l'employeur ont été incapables de préciser leurs griefs et de donner des exemples du management inapproprié reproché.
M. [U] rapporte la preuve d'une dégradation considérable de son état de santé en rapport avec ces faits notamment par la production de ses arrêts de travail pour la période du 11 février 2020 au 7 juin 2024, de la décision de reconnaissance d'une maladie professionnelle (syndrome anxiodépressif) après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, de diverses ordonnances médicales pour des anxiolytiques et antidépresseurs ainsi que de deux certificats médicaux établi par un psychiatre notamment le 4 janvier 2024, selon lequel son état psychique n'est pas compatible avec la reprise d'une activité professionnelle et nécessite la poursuite des soins spécialisés pour une durée indéterminée.
L'ensemble des faits précédemment évoqués est donc matériellement établi.
Ces faits répétés, matériellement établis, en rapport avec le contrat de travail de M. [U] qui n'était pas suspendu au moment de leur commission, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.
La société ne produit aucun élément visant à prouver qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs,
Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par M. [U] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est donc établi.
Au regard de l'importance du préjudice subi en termes d'impact sur son état de santé, la société sera condamnée à verser à M. [U] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.
5/ Sur les demandes de rappel de salaire :
Par application combinée des articles 1353 du code civil et L.1221-1 du code du travail, la charge de la preuve du paiement du salaire repose sur l'employeur lorsqu'il est attrait en justice par son salarié pour une demande de paiement de rémunération.
5-1/ Sur les sommes demandées au titre des turnaround bonus (rémunération sur objectif) :
Aux termes de son contrat de travail, M. [U] devait bénéficier notamment d'une rémunération variable complémentaire calculée en fonction de l'atteinte d'objectifs fixés pour les années 2018, 2019 et 2020 mais versée annuellement ainsi que le précise l'article 1.3 intitulé « Montant de la rémunération complémentaire de Monsieur [E] [U] » qui donne des exemples de sommes susceptibles d'être perçues chaque année.
Sur le bonus 2019 :
La société sur laquelle pèse la charge de la preuve de ce qu'elle a rempli son obligation de paiement du salaire convenu, ne conteste pas spécifiquement les calculs du salarié quant au montant de ses bonus pour 2019 tels que présentés dans un email du 9 juin 2020, les explications de M. [H] dans sa lettre du 15 juin 2020, auxquelles elle renvoie, ne portant que sur la rémunération minimum garantie. Cela conduit à reconnaître qu'il est due à ce titre à M. [U] la somme de 26 884,06 euros outre 2 688,40 euros au titre des congés payés attachés.
Il n'y a pas lieu d'en déduire la somme de 13 090 euros que la société prétend avoir réglé au titre du solde de tout compte sans en rapporter la preuve.
Sur le bonus 2020 :
Le salarié sollicite une somme égale au turnaround bonus plus les congés payés qu'il aurait perçue s'il n'avait pas été licencié.
La société conteste l'existence d'une perte de chance sans plus de précision refusant d'entrer dans le détail des calculs du salarié.
La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Au vu de l'annexe à l'avenant au contrat de travail, les objectifs à atteindre pour obtenir le bonus étaient en termes de progression de l'IEBIT de +6,9 millions d'euros en 2018, 2019 et 2020 et en termes de l'IEBIT sur l'année considérée. Il était prévu un système de proratisation du montant du bonus en fonction du pourcentage d'atteinte de l'objectif.
Or, M. [U] produit un document émanant de la société selon lequel cette dernière a connu en 2019, une progression de 5,3 millions d'euros ce qui correspond à une réalisation partielle de son objectif.
Toutefois, la poursuite du succès, au demeurant mitigé, de la stratégie mise en place par M. [U] dépendait de nombreux facteurs indépendants de celui-ci notamment économiques ainsi que l'ont montré les conséquences de la crise sanitaire de 2020, de sorte que la perte de chance invoquée, si elle est réelle, n'excède pas 10% du montant total du bonus maximum espéré.
La somme de 3 500 euros apparaît de nature à réparer le préjudice causé par la perte de chance de percevoir le bonus 2020. Cette somme de nature indemnitaire ne génère pas de droit à congés payés.
5-2/ Sur la garantie de rémunération incluant l'avantage en nature véhicule :
M. [U] affirme que l'indemnité compensatrice de congés payés perçue lors de son solde de tout compte ne correspond pas à une rémunération devant être incluse dans le calcul de la garantie de rémunération annuelle puisque son fait générateur est la rupture du contrat de travail et que son intégration dans la base de calcul reviendrait à le spolier de l'indemnisation de ses congés payés non pris lors de la cessation du contrat de travail. Il sollicite donc un complément de rémunération annuelle pour 2020 constitué par la différence entre le prorata de sa garantie de rémunération du 1er janvier au 10 mars 2020 diminué du montant déjà perçu, somme calculée hors éléments du solde de tout compte ainsi que les congés payés afférents.
Il ajoute que la société a inclus à tort sur le bulletin de salaire de mars la totalité de l'avantage en nature véhicule au lieu de la proratiser en fonction du nombre de jours d'utilisation du véhicule de sorte que la somme de 243,85 euros net indûment déduite sur le bulletin de salaire de mars 2020 doit lui être remboursée et figurer sur le bulletin de paie de régularisation ; qu'en conséquence, la diminution de la rémunération de mars 2020 entraîne un complément à lui verser au titre de sa rémunération annuelle garantie du même montant et que le total du complément de rémunération au titre de la garantie annuelle s'élève à 20 596,41 euros plus les congés payés afférents.
La société soutient que M. [U] a parfaitement été rempli de ses droits et que son raisonnement est faussé. Elle ne répond pas sur la question de l'avantage en nature.
Sur ce,
Il était également prévu au contrat une garantie de rémunération annuelle minimale de 290 000 euros déduction faite de toute rémunération à l'exception des turnaround bonus, sans qu'il soit précisé si cette somme incluait ou non les congés payés de sorte qu'il y a lieu, dans le silence du contrat de considérer qu'elle ne les incluait pas, ni que l'indemnité compensatrice de congés payés devait être prise en compte dans le calcul de cette garantie. Il était stipulé qu'en cas de départ dans l'année cette garantie serait proratisée.
C'est à juste titre que le salarié fait valoir que l'intégration de l'indemnité compensatrice de congés payés liée à la rupture du contrat de travail reviendrait à le priver de l'indemnisation de ses congés payés non pris.
Par ailleurs, la société ne conteste pas avoir omis de proratiser et donc surévalué l'avantage en nature véhicule en mars 2020 et n'a pas répondu au salarié qui demandait, par message électronique du 27 mai 2020, une régularisation de la situation à ce titre. Or, cette surévaluation, qui justifie la restitution de la somme de 243,85 euros d'avantage en nature, a nécessairement une incidence sur le calcul de la garantie de rémunération.
Ainsi, la société n'apporte pas de contradiction utile à l'argumentation de M. [U] ni d'élément de nature à prouver qu'elle a rempli celui-ci de ses droits au titre de la garantie de rémunération annuelle pour 2020. Elle sera donc condamnée à lui payer les sommes de 20 596,41 euros et 2 059,64 euros au titre des congés payés afférents, le jugement étant confirmé de ce chef.
6/ Sur les demandes accessoires :
Les condamnations de nature salariale, la demande en étant faite, porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation (3 mars 2021) par application de l'article 1231-7 du code civil.
Les demandes de nature indemnitaire portent intérêts de plein droit au taux légal à compter de la décision qui les prononce.
Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.
Il y a lieu d'ordonner à l'employeur de remettre au salarié des bulletins de paie rectifiés pour tenir compte du présent arrêt.
Il convient également de faire droit à la demande du salarié tendant à obtenir que l'employeur interroge les services des impôts afin de se voir communiquer son taux d'imposition personnalisé.
7/ Sur les frais du procès :
L'issue du litige conduit à infirmer le jugement sur les dépens et les frais du procès.
La société, qui perd le procès devant la cour pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser au salarié la somme de 18 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a condamné la société Contitrade France à verser à M. [U] la somme de 26 884,60 euros et les congés payés afférents et a rejeté la demande au titre des circonstances vexatoires du licenciement, la demande de voir fixer la rémunération annuelle brute de M. [U] à la somme de 26 743,83 euros après réintégration ainsi que la demande de la société Contitrade France présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare recevables les demandes de M. [E] [U] de dommages et intérêts en raison d'un harcèlement moral et de voir prononcer la nullité du licenciement, à titre principal à raison d'une violation de sa liberté d'expression et, à titre subsidiaire à raison de la dénonciation de bonne foi auprès de son employeur d'agissements répétés de harcèlement moral,
Prononce la nullité du licenciement notifié à M. [E] [U] par la société Contitrade France,
Ordonne la réintégration de M. [U] au poste de directeur général salarié qu'il occupait au sein de la société Contitrade France à la date de son licenciement, ou à défaut d'emploi disponible, dans un emploi équivalent, et le rétablissement du contrat de travail à durée indéterminée avec toutes conséquences de droit,
Dit que M. [U] devra retrouver son ancienneté au 2 mai 2016, sa rémunération fixe, sa rémunération variable dans toutes ses composantes, la garantie annuelle de salaire de 290 000 euros brut, l'ensemble des avantages en nature (véhicule de fonction) et avantages d'entreprise (participation, intéressement, mutuelle et prévoyance d'entreprise notamment) dont il bénéficiait avant son licenciement), les versements au titre du Long term Incentive plan dont les montants échus à verser sont fixés à 60 000 euros pour l'exercice 2018 et à 60 000 euros pour l'exercice 2019 ainsi qu'à 60 000 euros pour chacun des exercices 2020 et 2021, soit un total de 240 000 euros au titre des sommes échues du plan de Long Term Incentive, l'inscription d'un crédit de 60 000 euros dans un compte ouvert à son nom pour chacun des plans de Long Term Incentive des années 2022, 2023, 2024 et 2025 et suivantes, avec application des règles communes de calcul de la somme à verser à l'issue du plan pour chacune de ces années si sa réintégration devait intervenir après l'attribution des Long Term Incentives 2024/2026 et 2025/2027 par le conseil d'administration,
Rejette la demande d'astreinte,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [U], à titre de dommages et intérêts pour la période d'éviction du 9 mars 2020 au 31 août 2024, la somme de 1 559 165,28 euros,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [U] la somme de 29 418,21 euros par mois du 1er septembre 2024 jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi antérieur de directeur général salarié ou, à défaut, dans un emploi équivalent,
Ordonne à la société Contitrade France d'organiser une visite de reprise,
Rejette la demande de voir fixer la rémunération annuelle de M. [U] à compter de la réintégration effective dans son emploi à la somme annuelle de 320 926 euros brut, soit une somme de 26 743,83 euros brut par mois,
Rejette la demande de dommages-intérêts pour conditions brutales et vexatoires du licenciement,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [U] les sommes suivantes :
- 3 500 euros à titre de dommages et intérêts compensant la perte de chance de bénéficier de la rémunération complémentaire sur objectifs pour l'année 2020 ;
- 243,85 euros net, à titre d'avantage en nature voiture indument déduit sur le bulletin de salaire de mars 2020 ;
- 20 596,41 euros brut de complément de rémunération au titre de la garantie annuelle de salaire de l'année 2020 incluant également la régularisation de l'avantage en nature voiture de mars 2020 ;
- 2 059,64 euros brut au titre des congés payés afférents ;
Dit que M. [U] a subi des faits de harcèlement moral,
Condamne, en conséquence, la société Contitrade France à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Dit que les créances à caractère salarial produisent un intérêt au taux légal s'appliquant sur les sommes brutes avant prélèvement des cotisations sociales et du prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source, à compter de la réception par la société Contitrade France de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation (3 mars 2021),
Rappelle que les créances à caractère indemnitaire sont assorties de l'intérêt au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
Dit qu'avant son règlement des condamnations (tant pour le principal que pour les intérêts) prononcées par l'arrêt à intervenir, pour celles qui seraient assujetties au prélèvement d'impôt à la source dû par ce dernier, la société Contitrade France devra interroger le service des impôts afin de se voir communiquer le taux d'imposition personnalisé de M. [U],
Ordonne à la société Contitrade France à remettre à M. [U] des bulletins de salaire conformes au présent arrêt,
Condamne la société Contitrade France à payer à M. [E] [U] la somme de 18 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Contitrade France aux entiers dépens de première instance et de l'instance d'appel qui pourront être directement recouvrés par la société LX avocats Amiens Douai agissant par maître Le Roy, avocat.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.