Décisions
CA Chambéry, 1re ch., 10 septembre 2024, n° 22/01443
CHAMBÉRY
Autre
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HP/SL
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 10 Septembre 2024
N° RG 22/01443 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HB3X
Décision attaquée : Ordonnance du Juge commissaire de [Localité 8] en date du 20 Juillet 2022
Appelantes
S.A.S. COMPAGNIE FONCIERE DU LEVANT, dont le siège social est situé [Adresse 3]
SELARL MJ SYNERGIE, es qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la Compagnie FONCIERE DU LEVANT SAS, demeurant [Adresse 2]
Représentées par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentées par la SELARL GARDON AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
Intimé
M. [I] [L]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 4], demeurant [Adresse 7]
Représenté par la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELAS TEYNIER PIC, avocats plaidants au barreau de PARIS
Représenté par la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Date de l'ordonnance de clôture : 11 Mars 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 avril 2024
Date de mise à disposition : 10 septembre 2024
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Composition de la cour :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Faits et Procédure
La société Compagnie Foncière du Levant (Sas), immatriculée depuis le 15 octobre 2012 au registre du commerce et des sociétés de Thonon Les Bains, détenue à 100 % par la société Codem (société de droit Suisse, et dont le dirigeant est M. [C] [H], est propriétaire d'un terrain à [Localité 6], sur lequel elle a entrepris la construction d'un centre commercial nommé « [Adresse 5] ». M. [C] [H] est également le dirigeant de la société [H] Investholding (société de droit libannais) et par ailleurs, la société Compagnie Foncière du Levant est actionnaire à hauteur de 100 % de la société Premiea et à 65.73 % de la société La Restanque.
La construction de l'[Adresse 5], financée notamment par M. [C] [H] etla société Compagnie Foncière du Levant et par des investisseurs, M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F], s'est achevée en septembre 2017, les aménagements intérieurs ayant été financés par la société Compagnie Foncière du Levant (2 millions sur ses fonds propres).
En vertu d'un acte du 20 juin 2015, M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ont investi une somme totale de 4 millions d'euros, puis une somme complémentaire de 1 341 000 euros, un nouvel acte remplaçant celui du 20 juin 2015 ayant été signé entre les parties le 30 septembre 2016 dénommé MOU 'mémorandum of understatnding regarding common investment in the project '[Adresse 5]'. En outre, aux termes de ce dernier acte, ces quatre investisseurs, par le biais de leur société Abela Qatar International Wll s'engageaient à un investissement supplémentaire de 8 m 5 d'euros, concrétisé par un prêt signé le 3 octobre 2016 entre la société Abela Qatar International Wll et la société Compagnie Foncière du Levant, le Mou prévoyant aussi la création d'une société entre les parties.
Des difficultés sont apparues entre les parties, la société projetée n'a pas été créée. M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ont assigné, par exploit d'huissier des 29,30 et 31 juillet 2020, la société Compagnie Foncière du Levant, M. [C] [H], la société [H] Investholding et la société Codem devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse aux fins d'obtenir à titre principal la caducité des contrats des 20 juin 2015 et 30 septembre 2016 avec condamnation à la restitution de la somme de 5 341 000 euros ; à titre subsidiaire la résolution de ces contrats avec condamnation à la restitution de cette même somme ; à titre infiniment subsidiaire la dissolution de la société créée de fait entre les parties, si l'existence d'une telle société était reconnue et notamment l'instauration d'une expertise.
Précédemment, le tribunal de commerce de Thonon Les Bains a, par jugement en date du 27 juillet 2020, ouvert une procédure collective de sauvegarde, convertie en redressement judiciaire par décision du 21 juin 2021. Un plan de redressement a été adopté le 31 janvier 2022.
M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ont déclaré leurs créances au passif de la procédure collective de la société Compagnie Foncière du Levant, chacun à hauteur de la somme de 5 341 000 euros mais celles-ci ont été contestées régulièrement par le mandataire judiciaire en date du 22 février 2021.
Par ordonnance en date du 20 juillet 2022, le juge commissaire du tribunal de commerce de Thonon les Bains a :
- dit que l'instance pendante devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse engagée le 31 juillet 2020 par M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ne constitue pas une instance en cours au sens des dispositions des articles L622-22 et L624-2 du code de commerce applicables par renvoi à la procédure de redressement judiciaire ;
- constaté l'existence d'une contestation sérieuse ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel ;
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir et invitait la société Compagnie Foncière du Levant, sauf appel, et à peine de forclusion à saisir la juridicition compétente dans le délai d'un mois ;
- ordonné un sursis à statuer ;
- laissé à chacun ses frais irrépétibles.
Essentiellement pour les motifs suivants :
' l'action engagée devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse tend à titre principal à obtenir la caducité du contrat du 20 juin 2015 et à titre subsidiaire la condamnation de la société Compagnie Foncière du Levant à leur payer la somme de 5 341 000 euros à leur profit et a été engagée par assignation du 29 juillet 2020 soit postérieurement au jugement d'ouverture ;
' il existe une contestation sérieuse sur la créance déclarée.
Par déclaration au greffe de la cour en date du 29 juillet 2022, la société Compagnie Foncière du Levant et la selarl MJ Synergie, ès qualités de mandataire judiciaire, ont interjeté appel de la décision.
Prétentions des parties
Par dernières écritures en date du 2 mai 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Compagnie Foncière du Levant et la selarl MJ Synergie, ès qualités de mandataire judiciaire, sollicitent l'infirmation de l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau, de :
- à titre principal, rejeter la créance de M. [I] [L] pour défaut de qualité à agir ;
- à titre subsidiaire, rejeter la créance de M. [I] [L] ;
- à titre infiniment subsidiaire, constater l'existence d'une contestation sérieuse et inviter M. [I] [L] à saisir la juridiction compétente ;
- condamner M. [I] [L] aux entiers dépens distraits au profit de Me Bollonjeon, avocate associété de la selurl Bollonjeon, sur son affirmation de droit.
Au soutien de ses prétentions, la société Compagnie Foncière du Levant et son mandataire judiciaire font valoir notamment que :
' aucune procédure judiciaire n'était en cours au moment de l'ouverture de la procédure collective, de sorte que le juge commissaire doit se prononcer sur l'admission de la créance ;
' la créance de M. [I] [L] était antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective ;
' la créance n'est cependant pas un prêt mais un apport réalisé en qualité d'associé, de sorte que la déclaration de créance par M. [I] [L] n'est pas recevable, la jurisprudence contestant la possibilité aux associés de se prévaloir de cette qualité lorsque les sommes versées par eux correspondent à des apports liés à des appels nécessaires à la réalisation de l'objet social.
Par dernières écritures en date du 22 mai 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [I] [L] sollicite :
- à titre principal, la confirmation de l'ordonnance entreprise,
- à titre subsidiaire, l'infirmation de l'ordonnance entreprise,et statuant à nouveau, admettre sa créance déclarée à hauteur de 5 566 433,35 euros à titre chirographaire échu,
- en tout état de cause, débouter les prétentions adverses, condamner la société Compagnie Foncière du Levant à lui verser une indemnité procédurale de 10 000 euros, ainsi qu'aux dépens distraits au profit de la selarl Lexavoué Chambéry, sur son affirmation de droit.
Au soutien de ses prétentions, M. [I] [L] fait valoir notamment que :
' l'action introduite après l'ouverture de la procédure collective ne se heurte au principe de l'arrêt des poursuites, la demande de caducité d'un contrat ou de sa résolution fondée sur l'échec du projet de création d'une société commune et sur l'inexécution des engagements de la société Compagnie Foncière du Levant ;
' il conteste se prévaloir d'un prêt à l'égard de la société Compagnie Foncière du Levant ;
' l'existence d'une société de fait dont se prévalent les appelantes ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge commissaire, alors même que cette existence est contestée, comme l'est a priori la solidarité de la créance déclarée ;
' l'appréciation de la qualité de créancier suppose aussi une appréciation des termes des engagements contractuels.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
L'ordonnance de clôture était rendue le 11 mars 2024 et l'affaire était appelée à l'audience du 8 avril 2024.
MOTIFS ET DÉCISION
En application de l'article L. 622-21-I du code de commerce en vigueur le 27 juillet 2020, le jugement d'ouverture interdit toute action en justice de la part du créancier tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent (ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent), au titre d'une créance née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
Cependant ce principe ne s'applique pas pour les actions en caducité ou résolution pour l'inexécution d'une obligation autre que le paiement d'une somme d'argent. Toutefois, le créancier ne peut pas demander au tribunal de fixer sa créance de restitution qui doit être déclarée à la procédure collective. En effet, le créancier, après avoir déclarée sa créance, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances devant le juge commissaire (voir notamment cass commerciale 15 juin 2022 pourvoi 21-10802).
Ainsi, le fait que l'action intentée par M. [I] [L] notamment contre la société Compagnie Foncière du Levant en caducité (ou résolution) des contrats conclus notamment entre la société Compagnie Foncière du Levant et lui-même en date des 20 juin 2015 et 30 septembre 2016, devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse, l'ait été après l'ouverture de la procédure de sauvegarde, n'a en définitive aucune conséquence sur la nécessité pour le créancier de déclarer sa créance et de la faire fixer par le juge commissaire.
S'agissant plus particulièrement de la procédure de vérification et d'admission des créances, selon l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, applicable en la cause : "Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. ".
En application de ce texte, le juge-commissaire est seulement compétent pour juger de la vérification des créances et ne peut se prononcer, au fond, sur leur existence, leur bien-fondé et leur montant. Ainsi un juge-commissaire, se prononçant à l'occasion de la procédure de vérification des créances et ayant constaté que la contestation soulevée ne relevait pas de son pouvoir juridictionnel, doit surseoir à statuer sur l'admission de la créance après avoir invité les parties à saisir le juge compétent (nota Com. 18 sept. 2012, n 1118315 ; 28 juin 2011, n 1018432 ; com., 17 déc. 2013, n 1226246).
En l'espèce, il n'est pas contestable que des fonds ont été versés, dans le cadre des contrats litigieux, par M. [I] [L], pour que la construction de l'[Adresse 5], centre commercial à [Localité 6], puisse être finalisée.
Cependant, il résulte tout d'abord de ces contrats que les fonds ont été versés à M. [C] [H] en nom propre, à la société Cardhi Invest holding et à la société Compagnie Foncière du Levant, de sorte que la part de fonds que la société en procédure collective a effectivement perçue n'est pas certaine. Ensuite, les appelantes font valoir qu'une partie non négligeable des fonds aurait été versée par une société nommée Shaqab Abela Catering services sans qu'il soit actuellement justifié que ces paiements aient été faits pour le compte de M. [I] [L]. Mais surtout, les appelantes soutiennent qu'une société de fait existe entre les parties et que les fonds versés par M. [I] [L] constituent des apports à cette société dans le but d'atteindre l'objet social défini, alors que l'intimé soutient que la société envisagée n'a jamais été créé du fait même de la société Compagnie Foncière du Levant et de M. [C] [H], lesquels n'auraient jamais exécuté leurs obligations, de sorte qu'il serait créancier d'une créance de restitution, sachant que les appelantes ont pu aussi soutenir que M. [I] [L] aurait présenté sa créance comme un prêt ce que ce dernier conteste.
Actuellement, une procédure est pendante au fond devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse pour déterminer l'existence ou non d'une créance de restitution liée à une inexécution par la société Compagnie Foncière du Levant de ses engagements résultant des contrats des 20 juin 2015 et 30 septembre 2016, étant également précisé que le tribunal de commerce est saisi aussi d'une fin de non recevoir tirée du principe de l'interdiction des poursuites, et que l'intimé a déjà saisi, sur l'ordonnance dont appel, le tribunal de commerce de Bourg en Bresse, afin de se prononcer sur l'existence de la créance de restitution invoquée par M. [I] [L].
Compte tenu des contestations sérieuses susvisées qui ne relèvent à l'évidence pas du pouvoir juridictionnel du juge commissaire, l'ordonnance entreprise sera confirmée sauf en ce qu'elle a invité la société Compagnie Foncière du Levant à saisir la juridiction compétente.
Chaque partie conservera ses dépens et la charge de ses frais irrépétibles. En effet, compte tenu des liens d'affaire et de confiance qui ont existé entre les parties, un accord amiable aurait pu être trouvé, voire pourrait encore être trouvé.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a invité la société Compagnie Foncière du Levant à saisir la juridiction compétente conformément aux dispositions de l'article R624-5 du code de commerce,
Statuant du chef infirmé,
Invite M. [I] [L] à saisir la juridiction du fond compétente conformément aux dispositions de l'article R624-5 du code de commerce,
Y ajoutant,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens,
Déboute les parties de leurs demandes d'indemnité procédurale.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 10 septembre 2024
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
Copie exécutoire délivrée le 10 septembre 2024
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 10 Septembre 2024
N° RG 22/01443 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HB3X
Décision attaquée : Ordonnance du Juge commissaire de [Localité 8] en date du 20 Juillet 2022
Appelantes
S.A.S. COMPAGNIE FONCIERE DU LEVANT, dont le siège social est situé [Adresse 3]
SELARL MJ SYNERGIE, es qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la Compagnie FONCIERE DU LEVANT SAS, demeurant [Adresse 2]
Représentées par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentées par la SELARL GARDON AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
Intimé
M. [I] [L]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 4], demeurant [Adresse 7]
Représenté par la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELAS TEYNIER PIC, avocats plaidants au barreau de PARIS
Représenté par la SELARL LACOSTE CHEBROUX BUREAU D'AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
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Date de l'ordonnance de clôture : 11 Mars 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 avril 2024
Date de mise à disposition : 10 septembre 2024
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Composition de la cour :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et Procédure
La société Compagnie Foncière du Levant (Sas), immatriculée depuis le 15 octobre 2012 au registre du commerce et des sociétés de Thonon Les Bains, détenue à 100 % par la société Codem (société de droit Suisse, et dont le dirigeant est M. [C] [H], est propriétaire d'un terrain à [Localité 6], sur lequel elle a entrepris la construction d'un centre commercial nommé « [Adresse 5] ». M. [C] [H] est également le dirigeant de la société [H] Investholding (société de droit libannais) et par ailleurs, la société Compagnie Foncière du Levant est actionnaire à hauteur de 100 % de la société Premiea et à 65.73 % de la société La Restanque.
La construction de l'[Adresse 5], financée notamment par M. [C] [H] etla société Compagnie Foncière du Levant et par des investisseurs, M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F], s'est achevée en septembre 2017, les aménagements intérieurs ayant été financés par la société Compagnie Foncière du Levant (2 millions sur ses fonds propres).
En vertu d'un acte du 20 juin 2015, M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ont investi une somme totale de 4 millions d'euros, puis une somme complémentaire de 1 341 000 euros, un nouvel acte remplaçant celui du 20 juin 2015 ayant été signé entre les parties le 30 septembre 2016 dénommé MOU 'mémorandum of understatnding regarding common investment in the project '[Adresse 5]'. En outre, aux termes de ce dernier acte, ces quatre investisseurs, par le biais de leur société Abela Qatar International Wll s'engageaient à un investissement supplémentaire de 8 m 5 d'euros, concrétisé par un prêt signé le 3 octobre 2016 entre la société Abela Qatar International Wll et la société Compagnie Foncière du Levant, le Mou prévoyant aussi la création d'une société entre les parties.
Des difficultés sont apparues entre les parties, la société projetée n'a pas été créée. M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ont assigné, par exploit d'huissier des 29,30 et 31 juillet 2020, la société Compagnie Foncière du Levant, M. [C] [H], la société [H] Investholding et la société Codem devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse aux fins d'obtenir à titre principal la caducité des contrats des 20 juin 2015 et 30 septembre 2016 avec condamnation à la restitution de la somme de 5 341 000 euros ; à titre subsidiaire la résolution de ces contrats avec condamnation à la restitution de cette même somme ; à titre infiniment subsidiaire la dissolution de la société créée de fait entre les parties, si l'existence d'une telle société était reconnue et notamment l'instauration d'une expertise.
Précédemment, le tribunal de commerce de Thonon Les Bains a, par jugement en date du 27 juillet 2020, ouvert une procédure collective de sauvegarde, convertie en redressement judiciaire par décision du 21 juin 2021. Un plan de redressement a été adopté le 31 janvier 2022.
M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ont déclaré leurs créances au passif de la procédure collective de la société Compagnie Foncière du Levant, chacun à hauteur de la somme de 5 341 000 euros mais celles-ci ont été contestées régulièrement par le mandataire judiciaire en date du 22 février 2021.
Par ordonnance en date du 20 juillet 2022, le juge commissaire du tribunal de commerce de Thonon les Bains a :
- dit que l'instance pendante devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse engagée le 31 juillet 2020 par M. [I] [L], M. [O] [Z], M. [E] [T] et M. [G] [F] ne constitue pas une instance en cours au sens des dispositions des articles L622-22 et L624-2 du code de commerce applicables par renvoi à la procédure de redressement judiciaire ;
- constaté l'existence d'une contestation sérieuse ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel ;
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir et invitait la société Compagnie Foncière du Levant, sauf appel, et à peine de forclusion à saisir la juridicition compétente dans le délai d'un mois ;
- ordonné un sursis à statuer ;
- laissé à chacun ses frais irrépétibles.
Essentiellement pour les motifs suivants :
' l'action engagée devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse tend à titre principal à obtenir la caducité du contrat du 20 juin 2015 et à titre subsidiaire la condamnation de la société Compagnie Foncière du Levant à leur payer la somme de 5 341 000 euros à leur profit et a été engagée par assignation du 29 juillet 2020 soit postérieurement au jugement d'ouverture ;
' il existe une contestation sérieuse sur la créance déclarée.
Par déclaration au greffe de la cour en date du 29 juillet 2022, la société Compagnie Foncière du Levant et la selarl MJ Synergie, ès qualités de mandataire judiciaire, ont interjeté appel de la décision.
Prétentions des parties
Par dernières écritures en date du 2 mai 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Compagnie Foncière du Levant et la selarl MJ Synergie, ès qualités de mandataire judiciaire, sollicitent l'infirmation de l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau, de :
- à titre principal, rejeter la créance de M. [I] [L] pour défaut de qualité à agir ;
- à titre subsidiaire, rejeter la créance de M. [I] [L] ;
- à titre infiniment subsidiaire, constater l'existence d'une contestation sérieuse et inviter M. [I] [L] à saisir la juridiction compétente ;
- condamner M. [I] [L] aux entiers dépens distraits au profit de Me Bollonjeon, avocate associété de la selurl Bollonjeon, sur son affirmation de droit.
Au soutien de ses prétentions, la société Compagnie Foncière du Levant et son mandataire judiciaire font valoir notamment que :
' aucune procédure judiciaire n'était en cours au moment de l'ouverture de la procédure collective, de sorte que le juge commissaire doit se prononcer sur l'admission de la créance ;
' la créance de M. [I] [L] était antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective ;
' la créance n'est cependant pas un prêt mais un apport réalisé en qualité d'associé, de sorte que la déclaration de créance par M. [I] [L] n'est pas recevable, la jurisprudence contestant la possibilité aux associés de se prévaloir de cette qualité lorsque les sommes versées par eux correspondent à des apports liés à des appels nécessaires à la réalisation de l'objet social.
Par dernières écritures en date du 22 mai 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [I] [L] sollicite :
- à titre principal, la confirmation de l'ordonnance entreprise,
- à titre subsidiaire, l'infirmation de l'ordonnance entreprise,et statuant à nouveau, admettre sa créance déclarée à hauteur de 5 566 433,35 euros à titre chirographaire échu,
- en tout état de cause, débouter les prétentions adverses, condamner la société Compagnie Foncière du Levant à lui verser une indemnité procédurale de 10 000 euros, ainsi qu'aux dépens distraits au profit de la selarl Lexavoué Chambéry, sur son affirmation de droit.
Au soutien de ses prétentions, M. [I] [L] fait valoir notamment que :
' l'action introduite après l'ouverture de la procédure collective ne se heurte au principe de l'arrêt des poursuites, la demande de caducité d'un contrat ou de sa résolution fondée sur l'échec du projet de création d'une société commune et sur l'inexécution des engagements de la société Compagnie Foncière du Levant ;
' il conteste se prévaloir d'un prêt à l'égard de la société Compagnie Foncière du Levant ;
' l'existence d'une société de fait dont se prévalent les appelantes ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge commissaire, alors même que cette existence est contestée, comme l'est a priori la solidarité de la créance déclarée ;
' l'appréciation de la qualité de créancier suppose aussi une appréciation des termes des engagements contractuels.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
L'ordonnance de clôture était rendue le 11 mars 2024 et l'affaire était appelée à l'audience du 8 avril 2024.
MOTIFS ET DÉCISION
En application de l'article L. 622-21-I du code de commerce en vigueur le 27 juillet 2020, le jugement d'ouverture interdit toute action en justice de la part du créancier tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent (ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent), au titre d'une créance née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
Cependant ce principe ne s'applique pas pour les actions en caducité ou résolution pour l'inexécution d'une obligation autre que le paiement d'une somme d'argent. Toutefois, le créancier ne peut pas demander au tribunal de fixer sa créance de restitution qui doit être déclarée à la procédure collective. En effet, le créancier, après avoir déclarée sa créance, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances devant le juge commissaire (voir notamment cass commerciale 15 juin 2022 pourvoi 21-10802).
Ainsi, le fait que l'action intentée par M. [I] [L] notamment contre la société Compagnie Foncière du Levant en caducité (ou résolution) des contrats conclus notamment entre la société Compagnie Foncière du Levant et lui-même en date des 20 juin 2015 et 30 septembre 2016, devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse, l'ait été après l'ouverture de la procédure de sauvegarde, n'a en définitive aucune conséquence sur la nécessité pour le créancier de déclarer sa créance et de la faire fixer par le juge commissaire.
S'agissant plus particulièrement de la procédure de vérification et d'admission des créances, selon l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, applicable en la cause : "Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. ".
En application de ce texte, le juge-commissaire est seulement compétent pour juger de la vérification des créances et ne peut se prononcer, au fond, sur leur existence, leur bien-fondé et leur montant. Ainsi un juge-commissaire, se prononçant à l'occasion de la procédure de vérification des créances et ayant constaté que la contestation soulevée ne relevait pas de son pouvoir juridictionnel, doit surseoir à statuer sur l'admission de la créance après avoir invité les parties à saisir le juge compétent (nota Com. 18 sept. 2012, n 1118315 ; 28 juin 2011, n 1018432 ; com., 17 déc. 2013, n 1226246).
En l'espèce, il n'est pas contestable que des fonds ont été versés, dans le cadre des contrats litigieux, par M. [I] [L], pour que la construction de l'[Adresse 5], centre commercial à [Localité 6], puisse être finalisée.
Cependant, il résulte tout d'abord de ces contrats que les fonds ont été versés à M. [C] [H] en nom propre, à la société Cardhi Invest holding et à la société Compagnie Foncière du Levant, de sorte que la part de fonds que la société en procédure collective a effectivement perçue n'est pas certaine. Ensuite, les appelantes font valoir qu'une partie non négligeable des fonds aurait été versée par une société nommée Shaqab Abela Catering services sans qu'il soit actuellement justifié que ces paiements aient été faits pour le compte de M. [I] [L]. Mais surtout, les appelantes soutiennent qu'une société de fait existe entre les parties et que les fonds versés par M. [I] [L] constituent des apports à cette société dans le but d'atteindre l'objet social défini, alors que l'intimé soutient que la société envisagée n'a jamais été créé du fait même de la société Compagnie Foncière du Levant et de M. [C] [H], lesquels n'auraient jamais exécuté leurs obligations, de sorte qu'il serait créancier d'une créance de restitution, sachant que les appelantes ont pu aussi soutenir que M. [I] [L] aurait présenté sa créance comme un prêt ce que ce dernier conteste.
Actuellement, une procédure est pendante au fond devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse pour déterminer l'existence ou non d'une créance de restitution liée à une inexécution par la société Compagnie Foncière du Levant de ses engagements résultant des contrats des 20 juin 2015 et 30 septembre 2016, étant également précisé que le tribunal de commerce est saisi aussi d'une fin de non recevoir tirée du principe de l'interdiction des poursuites, et que l'intimé a déjà saisi, sur l'ordonnance dont appel, le tribunal de commerce de Bourg en Bresse, afin de se prononcer sur l'existence de la créance de restitution invoquée par M. [I] [L].
Compte tenu des contestations sérieuses susvisées qui ne relèvent à l'évidence pas du pouvoir juridictionnel du juge commissaire, l'ordonnance entreprise sera confirmée sauf en ce qu'elle a invité la société Compagnie Foncière du Levant à saisir la juridiction compétente.
Chaque partie conservera ses dépens et la charge de ses frais irrépétibles. En effet, compte tenu des liens d'affaire et de confiance qui ont existé entre les parties, un accord amiable aurait pu être trouvé, voire pourrait encore être trouvé.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a invité la société Compagnie Foncière du Levant à saisir la juridiction compétente conformément aux dispositions de l'article R624-5 du code de commerce,
Statuant du chef infirmé,
Invite M. [I] [L] à saisir la juridiction du fond compétente conformément aux dispositions de l'article R624-5 du code de commerce,
Y ajoutant,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens,
Déboute les parties de leurs demandes d'indemnité procédurale.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 10 septembre 2024
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY
Copie exécutoire délivrée le 10 septembre 2024
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY