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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 10 septembre 2024, n° 23/02527

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alliance (SAS)

Défendeur :

K

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerlot

Conseillers :

M. Roth, Mme Cougard

Avocats :

Me Dontot, Me Cathely, Me Debray, Me Billemaz, Me Dumont-Latour

T. com. Nanterre, du 5 avr. 2023, n° 202…

5 avril 2023

EXPOSE DU LITIGE

Le 30 novembre 2017, la société coopérative à capital variable Time To Planet (TTP) s'est déclarée en cessation des paiements ; le 19 décembre 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert sa liquidation judiciaire, nommé la société Alliance, en la personne de Mme [X], en qualité de liquidateur, et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 30 octobre 2017.

Le 18 décembre 2020, considérant établies des fautes de gestion imputables à M. [A], dirigeant de TTP, le liquidateur l'a assigné devant le tribunal de commerce de Nanterre en responsabilité pour insuffisance d'actif et en sanction personnelle.

Le 5 avril 2023, ce tribunal a débouté le liquidateur de l'ensemble de ses demandes.

Le 17 avril 2023, le liquidateur a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Par dernières conclusions du 19 janvier 2024, le liquidateur demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- condamner M. [A] à lui payer la somme de 254 799,05 euros, au titre de de l'insuffisance d'actif, avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et anatocisme ;

- débouter M. [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- déclarer irrecevable M. [A] en sa demande d'application de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- prononcer à l'égard de M. [A] une mesure d'interdiction de gérer ou de faillite personnelle d'une durée minimum de cinq années ;

- condamner M. [A] à lui payer à la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [A] aux entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit de Mme [H], son avocat.

Par dernières conclusions du 8 février 2024, M. [A] demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et de condamner le liquidateur :

- à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par avis du 6 juillet 2023, communiqué aux parties le jour même, le ministère public demande à la cour d'infirmer le jugement et suggère à la cour de prononcer contre M. [A] une mesure de faillite personnelle d'une durée de dix ans, sanction requise en première instance par le parquet de Nanterre.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 février 2024.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

1- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

1-1. Sur le montant de l'insuffisance d'actif

Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, « lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. (') »

En l'espèce, le liquidateur établit que le passif définitivement admis à la procédure collective est de 265 660,60 euros.

Il n'est pas contesté que l'actif réalisé est de 10 861,55 euros.

L'intimé prétend qu'une action est actuellement pendante devant la cour d'appel de Paris au travers de laquelle TTP réclame à une filiale du groupe Nawi, la société Cesles Infinite, une somme de 170 000 euros.

Mais le liquidateur établit par la production de l'arrêt rendu le 18 février 2022 par la cour d'appel de Paris dans cette affaire, enregistrée sous le numéro RG 19/15312, que le jugement rendu le 6 mai 2019 par le tribunal de commerce de Paris dans l'instance opposant TTP à la société Celes Infinite a été entièrement confirmé ; que ce jugement condamne cette société à verser à TTP les sommes de 18 000 euros en principal et de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Il résulte des mentions de l'arrêt du 18 février 2022 que la société Celes Infinite est en liquidation judiciaire, ce dont il résulte que la créance chirographaire de TTP contre elle ne peut être considérée comme de nature à augmenter l'actif réalisé.

Il convient en conséquence de retenir que l'insuffisance d'actif, qui, contrairement à ce que soutient l'intimé, est déterminé, s'établit à :

265 660,60 - 10 861,55 = 254 799,05 euros, comme le soutient exactement le liquidateur.

1-2. Sur la qualité de dirigeant de l'intimé

La qualité de dirigeant de droit de M. [A] depuis la création de la société en 2013 n'est pas contestée.

1-3. Sur les fautes de gestion

Il n'existe pas de définition légale de la faute de gestion prévue à l'article L. 652-1 précité.

Sauf à méconnaître l'objet du litige, les juges ne peuvent retenir de faute de gestion qui n'ait été invoquée par la partie poursuivant une sanction (Com, 28 juin 2017, n°16-11.475).

C'est au regard de la situation financière de l'entreprise et non des salaires versés à ses cadres que doit être apprécié l'excès de la rémunération du dirigeant de nature à constituer une faute de gestion au sens de l'article L. 652-1 précité (Com, 31 mai 2016, n°14-24.779).

Le détournement des actifs ou de la clientèle d'une société en liquidation judiciaire constitue une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 précité (Com, 6 octobre 1992, n°90-19.823, publié).

En l'espèce, le liquidateur soutient que :

M. [A] a organisé de manière préméditée la liquidation judiciaire de TTP, dont la déconfiture était inévitable dès octobre 2016, au moment de la rupture de la relation commerciale avec le groupe Nawi, son principal client ; que ses échanges avec l'URSSAF montrent qu'il était conscient de la situation ; que TTP a offert à la souscription des titres participatifs souscrits par trois créanciers en janvier et en mai 2017, à hauteur d'une somme totale de 28 200 euros, alors que la situation était irrémédiablement obérée ; qu'en avril 2017, M. [A] a créé à [Localité 9] une autre société dénommée Time To Planet exploitant une activité identique à TTP ; qu'en février et juillet 2017, TTP a reçu des subventions de la région Ile-de-France pour un total de 118 921,62 euros qu'elle n'avait pas titre à recevoir ; que le capital social n'a été augmenté que pour permettre cette demande de subvention et a été financée par son compte courant ; que ni ces souscriptions ni ces subventions n'ont été affectées au paiement de la dette fiscale et sociale ; que M. [A] a augmenté la masse salariale de l'entreprise alors que le chiffre d'affaires s'était effondré ; M. [A] a poursuivi une activité manifestement déficitaire au moyen du non-paiement des échéances sociales et fiscales, dans son intérêt personnel ;

- M. [A] s'est octroyé en 2017 une rémunération excessive, ce qui qui a contribué à l'insuffisance d'actif à hauteur de 50 000 euros, et s'est remboursé son compte courant, pour 17 000 euros ;

Il a détourné les matériels et équipements financés par le Crédit coopératif, une facture CLARINS ayant fait l'objet d'un bordereau [N], enfin a détourné la clientèle de l'entreprise au moyen de la société Time To Planet créée à [Localité 9].

L'intimé prétend de son côté qu'il a tout fait pour favoriser le redressement de l'entreprise et n'a commis aucune faute ; qu'il s'est placé sous la protection du tribunal de commerce ; que l'entreprise a été maintenue sur la liste ministérielle de 2017 ; qu'il a engagé une action contre le groupe Nawi pour rupture des relations commerciales ; que ce n'est qu'en 2019 que les subventions accordées à l'entreprise ont été remises en cause ; que l'embauche d'un nouveau salarié avait pour but de développer l'activité de l'entreprise ; que cet emploi a été financé par une subvention ; que sa rémunération, qui a été fixée par les associés, n'a pas augmenté et était inférieure à ce à quoi il pouvait prétendre ; que tous les comptes d'associés ont été remboursés, pas seulement le sien ; qu'aucun détournement de clientèle ou de matériel n'est établi ; que s'il a retiré des fonds du compte Quonto, c'est au titre de remboursement de frais ; que le lien de causalité entre ses prétendues faute et l'insuffisance d'actif n'est pas prouvé ; qu'à la suite de la liquidation de TTP, il est resté sans emploi et a tenté de se reconvertir ; qu'en raison du statut de coopérative de TTP, bien que détenteur de 48 % des parts sociales après l'augmentation de capital de 2016, il n'avait que 14 % des droits de vote ; que la créance CLARINS a été versée sur les comptes de l'entreprise, non détournée.

a- Sur le grief d'organisation de liquidation judiciaire

La société TTP a été constituée en 2013 avec pour associés M. [A], l'association Talents d'Achille, dont il ne conteste pas être le président, Mme Le et Mme [V].

Le 12 mars 2016, TTP a embauché Mme [J] en qualité de salariée ; le 1er février 2017, M. [R] ; en février 2017, M. [F].

Il n'est pas contesté qu'en mars 2016, TTP a cessé de payer ses cotisations AGIRC et ARRCO, en août 2016 les sommes dues à l'URSSAF ; qu'en mai 2016, elle n'a pas été en mesure de restituer à l'un de ses clients, la société ABG-3D, une avance de 25 000 euros et a obtenu de lui un échelonnement de ce remboursement sur quatre mois, qu'elle n'a pas honoré ; que le 21 octobre 2016, le groupe NAWI, dont la clientèle avait représenté entre 41 et 49% de son chiffre d'affaires au cours des exercices 2014, 2015 et 2016, a rompu ses relations contractuelles avec TTP.

Par deux courriers du 19 septembre 2016, M. [A] a sollicité un échéancier auprès de l'URSSAF d'une part, de l'administration fiscale d'autre part.

La cour retient que les perspectives commerciales et financières de TTP étaient gravement obérées en octobre 2016, ce que son dirigeant, qui se présente comme un financier expert labellisé par le Pôle de compétitivité mondiale Finance Innovation, ne pouvait ignorer.

La connaissance qu'il avait de la situation est attestée aussi par le fait que, le 2 novembre 2016, le greffe du tribunal de commerce de Nanterre l'a convoqué à un entretien avec l'un des juges chargés de la prévention des difficultés des entreprises devant se tenir le 24 novembre suivant ' M. [A] n'établit pas avoir sollicité ce rendez-vous.

Dans l'intervalle, au cours d'une assemblée générale tenue le 15 novembre 2016, TTP a procédé à une augmentation de capital et décidé d'émettre des titres participatifs remboursables à échéance de sept années, auxquels ont souscrit trois investisseurs, Mme [T], M. [S] et M. [P], entre janvier 2017 et mai 2017, pour un montant total de 24 000 euros ; il ne peut être fait grief au dirigeant intimé d'avoir ainsi cherché à refinancer l'entreprise par de la dette à moyen terme.

La note préparée par M. [A] en vue de cet entretien est claire et circonstanciée. Elle fait notamment état de 43 283 euros de dettes sociales et de 32 286 euros de dettes fiscales, expose les raisons des difficultés, présente de manière optimiste mais convaincante différentes mesures prises ou envisagées en vue du redressement de la situation, enfin sollicite une mesure de conciliation avec les organismes fiscaux et sociaux.

Le 1er décembre 2016, TTP a assigné devant le tribunal de commerce de Nanterre la société Celes Infinite, membre du groupe NAWI, en indemnisation de rupture abusive.

Le liquidateur ne conteste pas que deux subventions aient été obtenues de la région Ile-de-France en 2017, de 27 358,40 euros le 13 février 2017 et de 91 563,22 euros le 26 juillet 2017.

Mais comme le relève le liquidateur, ni l'octroi de ces subventions ni le maintien de TTP sur une liste ministérielle publiée en avril 2017 n'atteste de la bonne gestion de l'entreprise subventionnée ni d'aucun contrôle de son fonctionnement.

Par un courrier du 3 octobre 2019, la région Ile-de-France a fait savoir à TTP qu'un audit d'une opération au titre de laquelle lui avait été accordée une subvention avait révélé plusieurs irrégularités sérieuses (inéligibilité de l'opération à la subvention sollicitée, dépenses non prévues dans les postes conventionnés, erreur sur le régime d'aide d'Etat applicable, non-respect des règles de la commande publique) emportant obligation pour TTP de rembourser la somme de 118 921,62 euros.

Le 6 janvier 2020, la région Ile-de-France a déclaré à la procédure collective une créance de ce montant ; cette déclaration étant hors délai, la somme correspondante n'a pas été prise en considération dans l'établissement du passif.

Autrement dit, les subventions obtenues par M. [A] en 2017 l'ont été sur la base d'éléments erronés au point de pouvoir être considérés comme fallacieux.

Par ailleurs, le 18 avril 2017, M. [A] a constitué avec d'autres une autre société coopérative à la dénomination sociale identique à celle de TTP, Time To Planet, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Orléans (TTP Orléans) ; il a été désigné gérant de cette seconde société.

M. [A] prétend qu'il s'agissait, depuis l'origine, de créer un réseau de coopératives, mais admet que seule TTP [Localité 9] a été créée hors la société ls TTP en cause.

Mais cette seconde entité, au nom identique, a été créée à une époque où la situation de TTP était irrémédiablement obérée.

Elle a notamment pour associés :

- Mme [J], embauchée par TTP le 1er mars 2016, entrée à son capital le 15 novembre 2016, licenciée le 9 novembre 2017 ;

- M. [R], embauché par TTP le 1er février 2017, licencié le 9 novembre 2017.

Le liquidateur établit par l'extrait de son site internet que TTP [Localité 9] exerce la même activité que TTP, s'adresse donc aux mêmes clients potentiels et qu'aucune mention ne permet de distinguer entre les deux structures juridiques ; qu'elle emploie en qualité de directeur artistique Mme [V], qui était associée de TTP et en qualité de data scientist Mme Lê, qui était elle aussi associée de TTP.

Or les prestations de services de TTP étaient notamment tournées vers la formation à distance par webinaires, activité pouvant être menée à partir de n'importe quel point du territoire.

Il est ainsi démontré qu'à une époque où il savait la situation de TTP irrémédiablement obérée, M. [A] a organisé le transfert de l'activité de l'entreprise et de ses forces vives vers une autre entité juridique portant le même nom, exerçant la même activité au profit de la même clientèle.

Cette faute de gestion est donc constituée ; elle a accéléré la déconfiture de TTP en la privant de clients et de ressources humaines, contribuant à l'insuffisance d'actif en rendant impossible tout redressement.

b- Sur le grief de rémunération excessive de M. [A]

M. [A] produit une pièce selon laquelle, le 30 décembre 2015, l'assemblée générale de TTP aurait décidé de fixer sa rémunération en qualité de gérant à la somme brute mensuelle de 6 500 euros à compter du 1er janvier 2016, outre les revenus générés par la production des missions et les frais de mission (pièce de l'intimé n°17).

Cette décision se présente est présentée (plutôt ') comme prise à l'unanimité des trois associés participant à l'assemblée générale, savoir M. [A] lui-même, l'association Talents d'Achille dont il était le président, enfin Mme [V], absente mais représentée par M. [A] ; autrement dit, cette rémunération aurait été décidée par une assemblée générale à laquelle M. [A] était le seul à prendre part physiquement.

Comme le liquidateur le souligne, ce prétendu procès-verbal d'assemblée générale n'est pas paraphé ni signé et n'a pas été déposé au greffe.

A le supposer authentique, il démontre que, comme le soutient justement le liquidateur, M. [A], qui contrôlait personnellement l'organe délibératif de l'entreprise, s'est octroyé à lui-même une rémunération significative.

Il n'est pas contesté que cette rémunération n'a baissé ni au printemps ni à l'automne 2016, alors que l'entreprise commençait à rencontrer de sérieuses difficultés, ni en 2017, alors que sa situation était irrémédiablement obérée.

Contrairement à ce que soutient l'intimé, il est indifférent que la rémunération de managers de son niveau d'expérience ait été supérieure, dès lors que les difficultés de TTP ne permettaient plus le maintien de ce niveau de rémunération.

M. [A] prétend encore qu'il n'a pas décidé seul du maintien de sa rémunération à ce niveau ; mais en tant que dirigeant, il lui incombait de prendre les dispositions nécessaires pour qu'elle soit diminuée.

Il est constant que, sur les neuf premiers mois de 2017, M. [A] a perçu une rémunération brute de 71 169,27 euros. Au regard de la situation de la société et en l'absence de mesures prises par M. [A] pour diminuer sa rémunération, alors qu'il a été établi qu'il se l'était octroyé seul, celle-ci, excessive, a manifestement contribué à l'insuffisance d'actif, à hauteur d'une somme qu'il convient de fixer à 25 000 euros. Cette faute de gestion est donc établie.

c- Sur le grief de remboursement du compte courant

Il ne peut être fait grief à M. [A] d'avoir décidé du remboursement de son compte courant, à hauteur d'une somme que le liquidateur estime à 17 000 euros, dès lors qu'un dirigeant est en droit d'exiger un tel remboursement à tout moment.

d- Sur le grief de détournement d'actifs

Il résulte du relevé du compte de dépôt de TTP dans les livres du Crédit Coopératif et d'un extrait du grand livre de TTP que celle-ci a cédé à cette banque, par bordereau [N], deux créances sur la société Clarins ; que la somme globale de 9 600 + 9 600 = 19 200 euros lui a été versée en une fois le 20 septembre 2017.

Or il résulte de l'extrait du compte de dépôt de TTP dans les livres de Qonto que TTP a perçu le 17 novembre 2017 de la société Clarins la somme de 9 600 euros correspondant manifestement à l'une des factures pourtant cédées.

Selon un courriel de Qonto au liquidateur, ce compte Qonto avait été ouvert par TTP le 2 novembre 2017, soit trois jours après la date de cessation des paiements retenue par le tribunal de commerce ; M. [A] prétend que le compte de TTP auprès du Crédit Coopératif avait été bloqué à la suite de calomnies imputables au groupe NAWI.

La perception de cette somme sur le compte Qonto de TTP suppose la communication préalable à Clarins de ces nouvelles coordonnées bancaires et la dissimulation à ce client de la cession au Crédit Coopératif d'une partie de la créance détenue contre lui.

Contrairement à ce que soutient M. [A], ce paiement en fraude des droits du Crédit coopératif n'a pas eu pour effet d'éteindre la dette de TTP à son égard et par là directement contribué à l'insuffisance d'actif, dès lors que les fonds déposés sur le compte Qonto, princcipalement alimenté par ce versement de Clarins, ont pour l'essentiel quitté l'actif.

1-4. Sur le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif

Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 précité même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et condamné à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles (Com, 30 nov. 1993, n°91-20.554, publié ; 4 juillet 2018, n°17-14.575) ; le juge n'a pas à déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes retenues (Com, 25 mars 2020, n°18-21.841).

En l'espèce, les fautes de gestion imputables à M. [A] ont directement contribué à l'insuffisance d'actif ; il est proportionné à la gravité de ces fautes de condamner l'appelant à verser à la société liquidée la somme de 70 000 euros.

Le jugement entrepris sera donc réformé de ce chef ; la somme allouée au liquidateur, ès qualités, portera intérêts, selon la demande, du jour de l'assignation introductive d'instance, avec l'anatocisme sollicité, qui est de droit.

2- Sur les sanctions personnelles

Les dispositions des articles L. 653-1 à L. 653-11 du code de commerce sont applicables, selon l'article L. 653-1, en cas de liquidation judiciaire, aux personnes physiques dirigeants de droit ou de fait de personnes morales.

L'article L. 653-4 de ce code dispose :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »

L'article L. 653-8 du même code dispose :

« Dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.

Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. »

La fixation du quantum des sanctions personnelles prévues à ces textes doit répondre au principe de proportionnalité (Com, 1er déc. 2009, n°08-17.187, publié).

En l'espèce, le liquidateur soutient que M. [A] a contrevenu aux 3° et 5° de l'article L. 653-4 précité en détournant les actifs de TTP au profit d'une société éponyme et en se versant une rémunération excessive.

Ainsi qu'il ressort des éléments relevés ci-dessus, en transférant l'activité et les ressources humaines de TTP vers la société Trime To Planet d'[Localité 9], M. [A] a fait du crédit de TTP un usage contraire à l'intérêt social, pour favoriser une personne morale à laquelle il était personnellement intéressé en qualité d'associé et de gérant.

Ce fait est dolosif au sens de l'article L. 653-4, 3°, précité.

En revanche, si M. [A] a commis une faute de gestion en maintenant sa rémunération à un niveau excessif au regard de la situation de l'entreprise, ce qui a eu pour conséquence l'augmentation du passif de TTP, il n'est pas établi que cette décision ait procédé d'une fraude. Le second grief ne sera donc pas retenu.

La cour relève que le fait imputable à M. [A] a été commis dans la gestion d'une entreprise bénéficiant de subventions publiques et que, ayant recréé une structure similaire, celui-ci est à nouveau gérant d'une entreprise sollicitant des subventions ; que M. [A] est âgé de 60 ans comme né le [Date naissance 2] 1964 ; qu'il ne verse aux débats aucune pièce relative à sa situation financière ou de famille ; qu'il n'est pas contesté qu'il a obtenu en 2018 un certificat de matelot de pont et a suivi postérieurement à 2017 une formation d'ostréiculteur.

En considération de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, il convient de condamner M. [A] à une sanction d'interdiction de gérer toute entreprise commerciale pendant une durée d'un an.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

3. Sur les demandes accessoires

Comme le fait observer l'appelante, les parties privées ne sont pas recevables à solliciter l'application de l'article 32-1 du code de procédure civile, l'amende civile qui y est prévue ne pouvant profiter qu'au Trésor public.

Mais la demande de l'intimé peut être comprise comme tendant à l'octroi de dommages-intérêts pour procédure abusive.

L'issue du litige implique son rejet.

L'appelant, qui succombe, sera condamné aux dépens, avec la distraction sollicitée.

Il convient en outre d'allouer au liquidateur, ès qualités, la somme forfaitaire prévue au dispositif au titre des frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Condamne M. [A] à verser au liquidateur, ès qualités, la somme de 70 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2020 ;

Dit que les intérêts au taux légal produits par cette somme à compter de ce jour seront capitalisés selon les modalités prévues à l'article 1343-2 du code civil ;

Prononce à l'encontre de M. [K] [A], né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 8] (92), de nationalité française, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale pour une durée d'un an ;

Rejette la demande de dommages-intérêts présentée par M. [A] ;

Condamne M. [A] aux dépens, avec distraction au profit de Mme [H], avocat au barreau de Versailles ;

Condamne M. [A] à verser au liquidateur, ès qualités, la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.