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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 10 septembre 2024, n° 23/03060

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Alliance (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meurant

Vice-président :

Mme Chaumet

Conseillers :

Mme Chaumet, Mme Muller

Avocats :

Me Hongre-Boyeldieu, Me Dontot, Me Savignat, Me Cathely

T. com. Nanterre, du 24 mars 2023, n° 20…

24 mars 2023

Exposé du litige

Le 8 juin 2016, sur assignation d'un fournisseur, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de la société Archa Restauration, désigné la société BTSG² en qualité de liquidateur et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 29 juillet 2015.

Le 30 juin 2017, le président de ce tribunal a désigné en qualité de liquidateur la SAS Alliance, en la personne de Mme [N], en succession de la société BTSG².

Le 12 avril 2019, le liquidateur a assigné MM. [I] et [P] [B] devant le tribunal de commerce de Nanterre en responsabilité à raison de l'insuffisance d'actif de la société Archa Restauration et en sanctions personnelles.

Le 27 septembre 2019, le tribunal a ordonné l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société Archa Restauration à la société Majas Restauration et fixé la date commune de cessation des paiements au 29 juillet 2015.

Par assignation du 19 mai 2022, le liquidateur a mis en cause M. [U] [B].

Le 24 mars 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- condamné M. [I] [B] à payer la somme de 130 000 euros entre les mains de Mme [N], ès qualités, avec anatocisme ;

- condamné MM. [P] et [U] [B] à payer in solidum la somme de 200 000 euros, entre les mains de Mme [N], ès qualités, avec anatocisme ;

- dit que les fonds correspondants à hauteur de 330 000 euros seront déposés à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à l'obtention d'une décision définitive ayant autorité de la chose jugée ;

- prononcé à l'égard de M. [I] [B] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans ;

- prononcé à l'égard de M. [P] [B] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans ;

- prononcé à l'égard de M. [U] [B] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans ;

- condamné MM. [I], [P] et [U] [B] à payer in solidum à Mme [N], ès qualités, la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procéure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de son jugement.

Par déclaration du 4 mai 2023, MM. [I], [P] et [U] [B] ont interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Par conclusions du 19 juin 2023, ils demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- de juger que l'action engagée à l'encontre de M. [P] [B] est prescrite ;

- de juger qu'il n'y a pas lieu à condamnation financière, ni à sanction les concernant ;

- subsidiairement, de ramener les sanctions à de plus justes proportions.

Par conclusions du 19 juillet 2023, le liquidateur, ès qualités, demande à la cour de :

- rejeter l'exception de prescription ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

- déouter MM. [I], [P] et [U] [B] de l'ensemble de leurs prétentions ;

- dire que les intérêts se capitaliseront pour ceux échus depuis une année entière au moins en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Y ajoutant,

- condamner in solidum MM. [I], [P] et [U] [B] à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum MM. [I], [P] et [U] [B] aux entiers dépens, avec distraction au profit de Mme Oriane Dontot, avocat au barreau de Versailles.

Par un avis communiqué aux parties le 25 juillet 2023, le ministère public a conclu à la confirmation de l'ensemble des sanctions prononcées par le jugement entrepris, tout en estimant que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la faute de gestion constituée par l'absence de déclaration de la cessation des paiements de la société Majas Restauration imputable à MM. [P] et [U] [B] est caractérisée.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

La clôure de l'instruction a été prononcée le 27 novembre 2023.

Motifs

1. Sur la prescription de l'action dirigée contre M. [P] [B]

Les appelants soutiennent qu'aucune assignation n'a été délivrée à M. [P] [B] au titre de la société Majas Restauration et qu'à supposer que des conclusions aient été déposées au tribunal par le liquidateur le 22 septembre 2022, elles n'ont pu interrompre la prescription qu'au jour où elles ont été reprises oralement à l'audience.

Aux termes de l'article L. 651-2 précité l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ; en cas de pluralité de dirigeants de droit ou de fait, en l'absence de solidarité légale entre eux, l'action engagée dans le délai prévu par la loi contre l'un d'eux n'interrompt pas la prescription à l'égard des autres.

Selon l'article L. 653-1 du code de commerce, l'action en faillite personnelle se prescrit elle aussi par trois ans à compter du jugement prononçant l'ouverture de la procédure collective.

Dans une procédure orale, selon l'article 446-1 du code de procédure civile, c'est oralement, à l'audience, que les parties présentent leur prétentions et moyens, de sorte que les conclusions écrites ne saisissent le juge et n'ont, partant, d'effet interruptif de prescription, que du jour où elles sont déposées à une audience, même si elles ont été prélablement communiquées au juge et aux autres parties.

Si, selon l'article 446-4 du code de procédure civile invoqué par l'intimé la date des prétentions et des moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre parties, seule la saisine du juge par ces conclusions opère l'effet interruptif de prescription prévu à l'article 2241 du code civil.

En l'espèce, la liquidation judiciaire de la société Archa Restauration a été prononcée le 8 juin 2016.

Le 12 avril 2019, le liquidateur a assigné M. [P] [B] en responsabilité pour insuffisance d'actif de la société Archa Restauration et en sanction.

Le 27 septembre 2019, cette procédure collective a été étendue à la société Majas Restauration.

Il est établi par les mentions du jugement entrepris, p. 6 in alto, que le 22 septembre 2022, à l'audience, le liquidateur a déposé des conclusions tendant à la condamnation de M. [P] [B] au titre de l'insuffisance d'actif de la société Majas Restauration.

Comme le soutient l'intimée à juste titre, ces conclusions ont valablement saisi le tribunal de commerce à cette date et par là interrompu le cours de la prescription.

La fin de non-recevoir ne peut en conséquence qu'être écartée ; l'action dirigée contre M. [P] [B] sera donc déclarée recevable.

2. Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [I] [B]

2.1 Sur le montant de l'insuffisance d'actif

Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, 'lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaîre une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribuéàcette insuffisance d'actif, déider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribuéàla faute de gestion. En cas de pluralitéde dirigeants, le tribunal peut, par déision motivé, les délarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple néligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilitéau titre de l'insuffisance d'actif ne peut êre engagé. (')'.

L'insuffisance d'actif est égale à la différence entre le montant du passif admis et le montant de l'actif réalisé; le passif admis correspond aux créances antérieures au jugement d'ouverture, vérifiés par le liquidateur et admises par le juge-commissaire ; l'actif réalisé aux sommes détenues par le liquidateur, y compris en suite de démarches de recouvrement tendant à la reconstitution du gage commun des crénciers.

En l'espèce, une fois pris en compte le dégrèvement de 103 751 euros octroyé par l'administration fiscale à la société Archa Restauration à la demande du liquidateur, l'insuffisance d'actif de cette société doit être retenu, non pour les quelque 268 000 euros visé au jugement entrepris, mais pour la somme de 164 612,95 euros calculé par le liquidateur.

2.2 Sur la qualité de dirigeant de M. [I] [B]

La société Archa Restauration a été créée le 24 férier 2010 en vue d'une activité de restauration ; son gérant, M. [I] [B], avait conservé cette qualité au jour du jugement d'ouverture.

2.3 Sur les fautes de gestion reprochées à M. [I] [B]

Sur la faute de non-déclaration de la cessation des paiements

Selon l'article L. 640-4 du code de commerce, l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Constitue une faute de gestion le fait de ne pas demander l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire dans ce délai; cette faute peut emporter la responsabilité du dirigeant en application de l'article L. 652-1 précité notamment lorsqu'elle a permis de poursuivre une activité déficitaire.

Mais l'omission de la déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal peut constituer une simple négligence, exclusive de faute de gestion, même lorsque le dirigeant n'a pas ignoré cet état.

La date de cessation des paiements à retenir pour apprécier l'existence d'une telle faute est celle fixée par le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report. En l'espèce, le jugement d'ouverture, désormais irrévocable, a fixé la date de cessation des paiements au 29 juillet 2015 ; M. [I] [B], qui ne l'a jamais déclarée, ne conteste pas cette faute.

Les appelants soutiennent toutefois qu'il n'y a pas de lien entre l'absence de déclaration de la cessation des paiements et le passif ; que les résultats de la société étaient devenus positifs en 2014.

Mais entre le 12 septembre 2015, date postérieure de 45 jours à celle à laquelle la cessation des paiements aurait dû être déclarée au plus tard, et le jugement d'ouverture, le passif de la société s'est aggravé à hauteur d'un montant global de 136 707,10 euros calculé par le tribunal de commerce, par des motifs non critiqués.

Dans le même temps, l'actif n'a pas augmenté.

La faute de non-déclaration de cessation des paiements, exempte de négligence, est donc en lien direct avec l'aggravation de l'insuffisance d'actif.

Sur la faute de non tenue de comptabilité

Les articles L. 123-12 à L. 123-28 et R.123-172 à R.123-209 du code de commerce imposent aux commerçnts personnes physiques et personnes morales la tenue d'une comptabilité donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, au moyen de la tenue d'un livre journal et d'un grand livre. Les mouvements doivent être enregistrés chronologiquement au jour le jour et non en fin d'exercice, seuls les comptes annuels étant établis à la clôture de l'exercice.

Constitue une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 précité le fait, pour un dirigeant, de contrevenir à cette obligation de tenir une comptabilité et de dresser des comptes annuels réguliers, sincères et donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise, dès lors que l'absence de comptabilité ou la tenue d'une comptabilité irrégulière prive l'entreprise d'un outil permettant de connaîre l'évolution réelle de sa situation financière et de déceler les difficultés ; l'absence de tenue de toute comptabilité peut être déduite de la non-production de la comptabilité au liquidateur.

En l'espèce, les appelants ne contestent pas la faute d'absence de tenue de comptabilité reprochée à M. [I] [B], mais soutiennent en substance qu'elle a été sans conséquence, puisque le fonds de commerce était donné en location-gérance.

Toutefois, cette faute exempte de négligence a directement aggravé l'insuffisance d'actif, dès lors qu'elle n'a pas permis au dirigeant de constater la situation financière de la société Archa Restauration et d'agir en conséquence.

Sur la faute de poursuite d'une exploitation déficitaire

Faute de production d'éléments comptables pertinents sur la période 2010-2014, seuls les comptes annuels 2014 étant produits, la démonstration d'une poursuite d'exploitation déficitaire n'est pas faite.

La faute n'est donc pas retenue.

Sur la faute de détournement des actifs de la société Archa Restauration

Le détournement des actifs ou de la clientèle de la société en liquidation judiciaire constitue une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 précité

En l'espèce, alors que le fonds de commerce de restauration sis à [Localité 15], [Adresse 10], figurait à l'actif du bilan de la société Archa Restauration pour l'année civile 2014, ce fonds de commerce a été donné le 22 mai 2015 par la société Majas Restauration, dont M. [I] [B] était alors le gérant de droit, en location-géance à une société Brasserie de la place ; la société Archa Restauration n'a cependant perçu aucun loyer.

Il est ainsi démontré que M. [I] [B] a activement participé au détournement du fonds de commerce de la société Archa Restauration au profit de la société Majas Restauration. Ce détournement est en lien évident avec l'insuffisance d'actif constatée, dès lors que les produits générés par l'activité du fonds de commerce détourné ont fait défaut à la société Archa Restauration.

2.4 Sur le montant de la contribution de M. [I] [B] à l'insuffisance d'actif

Le dirigeant d'une personne morale peut être déclaré responsable sur le fondement de l'article L. 651-2 précité même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif et condamné à supporter en totalité ou en partie les dettes sociales, même si sa faute n'est à l'origine que d'une partie d'entre elles ; le juge n'a pas à déterminer la part de l'insuffisance d'actif imputable à chacune des fautes retenues.

Le montant de la contribution du dirigeant fautif à l'insuffisance d'actif doit être fixé dans le respect du principe de proportionnalité.

En l'espèce, les fautes de gestion retenues à l'encontre M. [I] [B] sont en lien direct avec l'insuffisance d'actif constatée.

Pour toute production en cause d'appel, les appelants se bornent à verser aux débats le jugement entrepris. La gravité des fautes retenues, tenant à une carence complète du dirigeant et de surcroît à un détournement de l'actif essentiel de la société conduit la cour à retenir la somme de 70 000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif.

Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement en ce sens.

3 Sur la responsabilité de MM. [P] et [U] [B] pour insuffisance d'actif de la société Majas Restauration

3.1 Sur l'insuffisance d'actif de la société Majas Restauration

Les motifs par lesquels le tribunal de commerce a fixé l'insuffisance d'actif de cette société ne sont pas critiqués.

Il convient de retenir qu'elle s'élève à 279 202,87 euros, comme le démontre le liquidateur.

3.2 Sur la qualité de dirigeant de MM. [P] et [U] [B]

La société Majas Restauration a été constituée le 25 mai 2011 en vue d'une activité de restauration avec pour gérant M. [I] [B] ; il est suffisamment établi par le liquidateur, par la production d'extraits du site societe.com, que le 4 septembre 2015 lui a succédé en cette qualité son frère [P], puis, le 26 août 2018, leur père [U] [B].

M. [P] [B] a donc eu la qualité de dirigeant de droit de la société Majas Restauration du 4 septembre 2015 au 26 août 2018, son père [U] du 26 août 2018 au jugement d'extension de la procédure de liquidation judiciaire prononcée le 27 septembre 2019.

3.3 Sur les fautes de gestion reprochées à MM. [P] et [U] [B]

Sur la faute d'absence de délaration de la cessation des paiements

Les appelants soutiennent que M. [P] [B] n'a pas pu connaitre l'état de cessation des paiements de la société Majas Restauration ; qu'il n'était pas à l'origine des difficultés ; que l'insuffisance d'actif n'a pas augmenté durant la période de sa gestion.

Ils prétendent encore que M. [U] [B] n'a géré la société Majas Restauration que durant 13 mois ; qu'il n'avait pas connaissance de la situation, puisque le fonds de commerce était donné en location-géance à une autre société.

La cour retient que la date de cessation des paiements de cette société a été fixée au 29 juillet 2015 par le jugement d'extension du 27 septembre 2019 ; que c'est de manière inopérante que les appelants soutiennent, d'une part, que cette date ne reflète pas la réalité de la situation de l'entreprise, dès lors qu'ils n'ont pas contesté le jugement d'extension, d'autre part, qu'ils n'étaient pas conscients de cette situation, puisqu'ils ont été les dirigeants de droit successifs de l'entreprise au cours de cette période et que la location-géance n'a pas pour effet de rompre l'équilibre d'exploitation et financier de la société Majas Restauration appelé à être assuré par la perception de loyers.

Comme le démontre le liquidateur, plus de la moitié du passif, soit 153 589,99 euros, est né durant la période suspecte, sans que l'actif social ait été accru à due concurrence.

L'absence de déclaration de la cessation des paiements constitue donc, contrairement à ce qu'a retenu le jugement entrepris, une faute de gestion exclusive de négligence en lien direct avec l'insuffisance d'actif. Elle est imputable tant à M. [P] [B] qu'à M. [U] [B] dès lors que ni l'un ni l'autre n'ont jamais déclaré l'état de cessation des paiements constaté avant leur désignation respective en qualité de gérant.

Sur la faute de défaut de tenue de comptabilité

Il n'est pas contesté que, durant la période suspecte, les comptes de la société Majas Restauration n'ont pas été déposés au tribunal de commerce, ni qu'aucune comptabilité n'a été remise au liquidateur.

Comme l'a justement retenu le tribunal, cette absence de comptabilité a privé les dirigeants d'un outil essentiel au contrôle de la situation de l'entreprise ; contrairement à ce que soutiennent les appelants, cette absence d'instrument de mesure a contribué au passif, dont une partie significative est née durant les quatre années qu'a duré la période suspecte sans que l'actif social n'ait été accru à due concurrence.

Cette faute de gestion exclusive de toute négligence est donc, comme le soutient le ministère public à juste titre, en lien direct avec l'insuffisance d'actif.

Sur la faute de « gestion erratique » de la société Majas Restauration

Le jugement entrepris n'a pas retenu cette faute ; comme le font valoir à juste titre les appelants, la gestion erratique d'une entreprise n'est pas, en elle-même et à elle seule, de nature à constituer une faute de gestion exclusive de néligence au sens de l'article L. 652-1 du code de commerce.

Mais au travers de cette faute, le liquidateur reproche en réalité à MM. [P] et [U] [B] une gestion de la société Majas Restauration contraire à son intérêt social.

Or, en organisant, le 9 février 2017, le détournement du fonds de commerce qui appartenait initialement à la société Archa Restauration, devenu patrimoine commun à la société Majas Restauration par l'effet du jugement d'extension, au profit de la société Jemidrou, contrôlée par son père [U], M. [P] [B] a agi contre l'intérêt de la société Majas Restauration. En ne mettant pas fin à ce transfert irrégulier lorsqu'il est devenu dirigeant de droit de la société Majas Restauration, M. [U] [B] a lui aussi commis une faute de gestion ayant nui à l'intérêt de cette société

Comme le relève le liquidateur, ces fautes de gestion manifestement exemptes de négligence ont directement conduit à la liquidation judiciaire de la société Majas Restauration, par extension de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Archa Restauration.

Ces fautes ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société Majas Restauration, dès lors que celle-ci a été privée des revenus procurés par le fonds de commerce détourné.

Cette faute est donc constituée.

3.4 Sur le montant de la contribution de MM. [P] et [U] [B] à l'insuffisance d'actif de la société Majas Restauration

Il résulte de ce qui précède que les fautes retenues des appelants sont en lien direct avec l'insuffisance d'actif constatée. Les appelants ne justifiant pas de leur situation personnelle, la gravité des fautes retenues tenant à une carence des dirigeants et à une gestion contraire à l'intérêt social justifie une condamnation au paiement d'une somme de 150 000 euros au titre de leur contribution à l'insuffisance d'actif.

Leur solidarité est justifiée par le fait qu'ils se sont succédés en qualité de dirigeant de droit au cours de la période suspecte, de telle sorte que chacun d'eux a contribué aux fautes relevées.

Le jugement est donc infirmé en ce sens.

4. Sur les sanctions personnelles

L'article L. 653-4 du code de commerce dispose :

Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Aux termes de l'article L. 653-5 de ce code, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

En vertu des dispositions de l'article L.653-8 du code de commerce, l'interdiction de gérer peut être prononcée, à la place de la faillite personnelle, dans les cas prévus aux articles L.653-3 à L.653-6 ; elle peut l'être également à l'encontre de toute personne physique dirigeant de droit qui aura, sciemment, omis de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la déclaration de cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procéure de conciliation.

4.1 Sur la sanction réclamée contre M. [I] [B]

Les éléments ci-avant développés démontrent que c'est sciemment que M. [I] [B] a omis de déclarer la cessation des paiements de la société Archa Restauration et qu'il a détourné le fonds de commerce constituant le principal élément de l'actif de cette société faisant ainsi des biens de l'entreprise, dans un intérêt personnel lié à celui des membres de sa famille qui dirigeaient la société Majas Restauration, un usage contraire à l'intérêt social.

Comme indiqué ci-dessus, le grief de défaut de tenue d'une comptabilité complète est également établi.

En revanche, la cour, par les motifs ci-dessus exposés, ne retient pas la poursuite de l'exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements.

Ces faits constituent un comportement dolosif au sens des articles L. 653-4 et L. 653-5 précité.

Au soutien de son appel, M. [I] [B] affirme que la sanction qui lui est infligée est disproportionnée eu égard à son jeune âge au moment des faits.

Si l'année du détournement d'actif de la société Archa Restauration, à savoir 2015, M. [I] [B] éait en effet âgé de 28 ans, force est de constater que selon les éléments versés aux débats par le liquidateur, il avait exercé auparavant, notamment, les fonctions de gérant de la société Le Bienvenu, ayant eu pour activité la restauration traditionnelle, dès sa constitution en février 2006 et jusqu'à sa radiation en juin 2013.

Il a également exercé à compter de janvier 2008, les fonctions de gérant de la société TINE, ayant eu le même type d'activité avant d'être placé en redressement judiciaire en mai 2009, suivi d'une liquidation judiciaire en octobre 2009, procédure clôturée pour insuffisance d'actif en octobre 2017.

Il sera, par ailleurs, relevé que M. [I] [B] a exercé les fonctions de gérant de la société Majas Restauration entre mai 2011 et juin 2015, son frère [P] [B] lui ayant succédé dans cette fonction en septembre 2015.

Au regard de la gravité des griefs caractérisés à son encontre et compte tenu de l'existence d'une expérience dans la gestion des affaires malgré son jeune âge au moment des faits, la cour, infirmant le jugement, prononce à son encontre une interdiction de gérer d'une durée de 7 ans.

4.2 Sur la sanction réclamée contre M. [P] [B]

Ainsi qu'il a été démontré M. [P] [B] a sciemment omis de déclarer la cessation des paiements de la société Majas Restauration et a usé des biens de la société de manière contraire àl'intérêt social, au profit de celui de la société Jemidrou dont il a été gérant entre le 21 mars 2014 et 1er septembre 2018.

Pour des motifs ci-dessus développés, le grief du défaut de tenue d'une comptabilité complète est également établi.

Ces faits constituent un comportement dolosif au sens des article L. 653-4 et L. 653-5 précité.

Les appelants font valoir que M. [P] [B], était d'une particulière jeunesse au moment des faits.

Si M. [P] [B] était, en effet, âgé de 24 ans au moment où il a succédé à son frère [I] [B] en tant que gérant de la société Majas Restauration, il résulte des éléments produits aux débats qu'il a également exercé les fonctions de gérant de la société Jemidrou entre mars 2014 et septembre 2018 et qu'il occupe cette même fonction au sein de la société Lasculade depuis février 2014.

Au regard de la gravité des griefs caractérisés à son encontre et compte tenu de son expérience dans la gestion des affaires, la cour, infirmant le jugement, prononce à son encontre une interdiction de gérer d'une durée de 5 ans.

4.3 Sur la sanction réclamée contre M. [U] [B]

Ainsi qu'il a été démontré M. [U] [B] a sciemment omis de déclarer la cessation des paiements de la société Majas Restauration et a usé des biens de la société de manière contraire à l'intérêt social, au profit la société Jemidrou, dont il est devenu gérant à compter du 1er septembre 2018, succédant à son fils [P] [B].

Pour des motifs ci-dessus développés, le grief d'absence de tenue d'une comptabilité complète est également établi.

Ces faits constituent un comportement dolosif au sens des articles L. 653-4 et L. 653-5 précité.

En revanche, le grief d'obstacle au bon déroulement de la procédure ne saurait être retenu à l'encontre de M. [U] [B], dès lors que le liquidateur, qui se borne à soutenir qu'il « est établi que M. [U] [B] n'a pas participé au bon déroulement des opérations de liquidation judiciaire de la société Majas Restauration », ne produit pas d'éléments probants à l'appui de cette affirmation.

Il ressort des éléments du dossier, que M. [U] [B] a, par ailleurs, exercé les fonctions de gérant des sociétés JAM'S entre avril 2004 et janvier 2013, GKL entre juin 2014 et septembre 2019 et Jemidrou, placée en liquidation judiciaire en mars 2020, étant observé que le tribunal de commerce d'Aix-en -Provence a prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 10 ans à l'encontre de M. [U] [B] au titre de l'exercice du mandant social de celle-ci.

Au regard de la gravité des griefs caractérisés à son encontre et de son expérience dans la gestion des affaires compte tenu de différents mandats sociaux exercés avant les faits, la cour, infirmant le jugement, prononce à son encontre une interdiction de gérer d'une durée de 8 ans.

5. Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a mis à la charge de MM. [B] les dépens de première instance, outre une indemnité de procédure.

Les appelants, qui succombent, seront condamnés solidairement aux dépens d'appel, avec la distraction sollicitée.

Il convient en outre d'allouer au liquidateur, ès qualités, la somme forfaitaire prévue au dispositif au titre des frais non compris dans les dépens d'appel.

Par ces motifs,

La cour

Déclare recevable l'action dirigée contre M. [P] [B] ;

Infirme le jugement, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne M. [I] [B] à payer à maître [N], ès qualités, la somme de 70 000 euros avec intérêts au taux légal et capitalisés à compter du 19 avril 2019, au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif de la société Archa Restauration ;

Condamne in solidum MM. [P] et [U] [B] à payer à maître [N], ès qualités, la somme de 150 000 euros avec intérêts au taux légal et capitalisés à compter du 19 avril 2019, au titre de leur responsabilité pour insuffisance d'actif de la société Majas Restauration ;

Prononce à l'encontre de M. [I] [B], né le [Date naissance 6] 1986 à [Localité 13], de nationalité française, une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, d'une durée de 7 ans ;

Prononce à l'encontre de M. [P] [B], né le [Date naissance 2] 1991 à [Localité 13], de nationalité française, une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, d'une durée de 5 ans ;

Prononce à l'encontre de M. [U] [B], né le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 14], de nationalité française, une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, d'une durée de 8 ans :

Condamne in solidum MM. [U], [I] et [P] [B] aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Me Dontot, avocat au barreau de Versailles ;

Condamne in solidum MM. [U], [I] et [P] [B] à verser à maître [N], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens d'appel.

Dit qu'en application des articles 768 et R.69-9° du code de procédure pénale, la présente décision sera transmise par le greffier de la cour d'appel au service du casier judiciaire après visa du ministère public.