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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 10 septembre 2024, n° 22/15119

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

The Best Vigilance Sécurité Privée (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Dubois-Stevant, Mme Lacheze

Avocats :

Me Rebboah, Me Hatet-Sauval, Me Quenault

T. com. Bobigny, du 20 mai 2022, n° 2021…

20 mai 2022

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

M. [H] [W] a été, du 2 janvier 2017 au 3 juillet 2019, associé et gérant de la société The Best vigilance sécurité privée qui exerçait une activité de gardiennage de tous biens meubles ou immeubles ainsi que la sécurité des personnes s'y trouvant.

Par deux actes du 3 juillet 2019, les parts sociales de la société, alors détenues par M. [W] et M. [I] [F], ont été cédées à M. [G] [L] qui a déposé au greffe du tribunal de commerce de Bobigny lesdits actes, le 6 septembre 2019, ainsi qu'une déclaration de cessation des paiements, le 23 septembre suivant.

Par jugement en date du 10 octobre 2019, le tribunal de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de la société The Best vigilance sécurité privée, désigné en qualité de mandataire liquidateur Me [R] [N] et fixé la date de cessation des paiements au 30 avril 2018.

Par assignation du 17 novembre 2021, Me [N] ès qualités a initié devant ce même tribunal une action en responsabilité pour insuffisance d'actif qu'il chiffre à la somme de 657 846,42 euros à l'encontre de MM. [W] et [L] et a demandé le prononcé de sanctions personnelles.

Par jugement du 20 mai 2022, le tribunal de commerce de Bobigny a :

- dit que M. [W] doit supporter personnellement une partie de l'insuffisance d'actif de la société The Best vigilance sécurité privée et l'a condamné au paiement de la somme de 225 000 euros entre les mains de Me [N] ès qualités ;

- dit que M. [L] doit supporter personnellement une partie de l'insuffisance d'actif de la société The Best vigilance sécurité privée et l'a condamné au paiement de la somme de 75 000 euros entre les mains de Me [N] ès qualités ;

- prononcé une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [W], pour une durée de 7 ans, et à l'encontre de M. [L], pour une durée de 5 ans ;

- condamné solidairement MM. [W] et [L] à payer à Me [N] ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pour condamner M. [W] à contribuer à concurrence de 225 000 euros à l'insuffisance d'actif, le tribunal a retenu une insuffisance d'actif de 657 846,42 euros et les trois fautes de gestion reprochées, à savoir le retard dans la déclaration de cessation des paiements, le non-paiement des créances fiscales et sociales et le caractère incomplet de la comptabilité, estimant que M. [L] était un prête-nom complice de ces fautes.

Pour sanctionner M. [W] par une faillite personnelle d'une durée de 7 ans, le tribunal a retenu les quatre griefs relevés dans l'assignation : le détournement de tout ou partie de l'actif de la société (4 300 euros et une véhicule Renault Clio), l'augmentation frauduleuse du passif en se soustrayant à ses obligations fiscales et sociales ayant donné lieu à un contrôle de l'URSSAF entrainant des majorations à hauteur 611 435,64 euros, l'absence de comptabilité depuis le 1er janvier 2018 et l'abstention volontaire de collaboration avec les organes de la procédure.

Par déclaration du 11 août 2022, M. [W] a fait appel de l'intégralité des chefs de ce jugement.

Par ordonnance sur incident du 16 mai 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté les moyens d'irrecevabilité tirés du caractère tardif des conclusions de Me [N] et du ministère public, déclaré recevables les conclusions d'incident, les conclusions au fond et les pièces notifiées le 28 février 2023 par Me [N] ès qualités, déclaré recevables les conclusions et pièces notifiées le 14 février 2023 par le ministère public, condamné M. [W] aux dépens, condamné M. [W] à payer à Me [N] ès qualités la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a rejeté la demande de M. [H] [W] de ce même chef.

Par une seconde ordonnance du même jour, le conseiller de la mise en état a constaté que Me [N] ès qualités se désistait de son incident de nullité de la déclaration d'appel, M. [W] ayant indiqué sa nouvelle adresse dans ses conclusions d'incident du

15 mars 2023, ordonné l'emploi des dépens de l'incident en frais privilégiés de liquidation judiciaire et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 11 novembre 2022, M. [H] [W] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement du 2 février 2021 en toutes ses dispositions ;

- de rejeter l'intégralité des demandes, fins et prétentions de Me [N] ès-qualités ;

- en conséquence, de juger qu'il n'a commis aucune faute de gestion ou acte frauduleux lorsqu'il était gérant de la société The Best vigilance sécurité privée, n'a pas déposé tardivement une déclaration de cessation des paiements de la société The Best vigilance sécurité privée auprès du tribunal de commerce de Bobigny, n'a pas augmenté frauduleusement le passif de la société, ne s'est pas abstenu de tenir une comptabilité ou de communiquer ou de coopérer avec les organes de la procédure ;

- en conséquence, d'infirmer le jugement déféré notamment en ce qu'il dit qu'il doit supporter personnellement une partie de l'insuffisance d'actif de la société et le condamne à payer la somme de 225 000 euros entre les mains de Me [N] ès-qualités et en ce qu'il prononce à son encontre une mesure de faillite personnelle de gérer pour une durée de 7 ans ;

- en tout état de cause, de condamner Me [N] ès qualités à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 28 février 2023, Me [R] [N] ès qualités demande à la cour :

- de déclarer irrecevables les conclusions de M. [W] ;

- de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, fins moyens et conclusions ;

- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- y ajoutant, de dire que les intérêts se capitaliseront, pour ceux échus depuis une année entière au moins, en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- de condamner M. [W] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens de l'instance et de ses suites dont distraction sera requise au profit de la SCP Caroline Hatet, pour ceux dont elle aura fait l'avance.

Par avis communiqué par voie électronique le 14 février 2023, le ministère public sollicite de la cour qu'elle infirme le jugement du tribunal de commerce de Bobigny du

20 mai 2022 sur le montant de la responsabilité pour insuffisance d'actif, qu'elle condamne M. [W] à payer au liquidateur judiciaire la somme de 150 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif et confirme les autres chefs du jugement entrepris, dont la condamnation de M. [W] à une faillite personnelle pour une durée de sept ans.

M. [G] [L], qui a reçu signification de la déclaration d'appel suivant les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 janvier 2024.

SUR CE,

Bien que M. [W] demande l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, il ne fait valoir aucun moyen quant à la condamnation de M. [L], de sorte que la cour ne peut que confirmer les chefs du jugement concernant ce dernier.

Sur la recevabilité des conclusions de M. [W]

Dans ses écritures du 28 février 2023, dernières écritures sur le fond antérieures à celles déposées dans le cadre de l'incident dont il s'est désisté, Me [N] se prévaut de l'irrecevabilité des conclusions de M. [W] pour non-respect des mentions requises par l'article 960, alinéa 2, du code de procédure civile (domicile inexact).

Le 27 mars 2023, le mandataire liquidateur s'est désisté de son incident de nullité de la déclaration d'appel reposant sur un même moyen (domicile inexact) compte tenu de l'indication par M. [W] de sa nouvelle adresse.

Il ne sera donc pas fait droit à cette fin de non-recevoir.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

L'article L. 651-2 du code de commerce dispose : « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée (') ».

- Sur l'insuffisance d'actif

Selon les écritures de Me [N], le montant du passif définitif et non contesté s'élève à 657 846,42 euros et les actifs sont inexistants. L'insuffisance d'actif équivaut donc au montant du passif définitif et se décompose comme suit : 17 367,11 euros au titre du super-privilège de l'AGS, 391 500,29 euros au titre du privilège du Trésor public, 242 268,78 euros au titre du privilège des caisses sociales et 6 710,24 euros à titre chirographaire.

Ces montants ne sont pas discutés par M. [W].

L'insuffisance d'actif à retenir est donc de 657 846,42 euros. Compte tenu de la date d'exigibilité des dettes de la société, l'insuffisance d'actif existait à la date de la cessation des fonctions de M. [W].

Sur la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements

Le tribunal a reproché à M. [W] de n'avoir déclaré l'état de cessation des paiements de la société The Best vigilance sécurité privée qu'à la date du 23 septembre 2019, soit avec un retard de 15 mois, ce qu'il a jugé être constitutif d'une faute de gestion.

Au soutien de son appel, M. [W] soutient qu'il n'était plus gérant de ladite société à la date du 23 septembre 2019, date de la déclaration de l'état de cessation des paiements, car il avait cédé la totalité de ses parts sociales à un tiers, M. [L] le 3 juillet 2019 et qu'à compter de cette date ce dernier est devenu gérant de droit de la société et n'était pas un gérant de paille, que la date de cessation des paiements fixée par le tribunal au 30 avril 2018 est erronée, que face aux difficultés financières de la société il a tenté de la redresser par la conclusion d'un contrat de sous-traitance avec la société Md Sécurité aux termes duquel la société The Best vigilance sécurité privée effectuait pour le compte de cette dernière la surveillance de plusieurs sites dans la région de Saint-Nazaire (44), source de revenus allant de 42 000 euros à 57 000 euros par mois correspondants, que la société a pu embaucher de nouveaux salariés, redresser son activité et à nouveau payer ses cotisations sociales, qu'il a obtenu de l'administration des attestations de régularité fiscale et de déclaration et paiement de cotisations sociales établies par le Trésor public et par l'URSSAF et que les difficultés financières de la société, loin d'avoir été provoquées par l'exercice de son mandat de gérant pendant la période suspecte, sont consécutives à la baisse importante de l'activité en région parisienne survenue entre 2016 et 2017.

Me [N] expose que M. [W] a été le dirigeant de la société The Best vigilance sécurité privée entre le 2 janvier 2017 et le 3 juillet 2019, date à compter de laquelle il a démissionné de son mandat et a été remplacé par M. [L] qui n'a jamais réellement géré la société compte tenu de la durée de son mandat de 2 mois si l'on se réfère à la date du procès-verbal d'assemblée générale le nommant gérant ou de 15 jours si l'on se réfère à la date du dépôt au greffe des actes de cession et procès-verbaux d'assemblée générale. Il fait valoir que la déclaration de cessation des paiements n'est pas intervenue dans le délai légal, que ce retard est imputable aux deux dirigeants consécutifs, qu'il a causé une aggravation du passif d'un montant au moins égal à 47 666,75 euros correspondant à une créance de l'URSSAF de 5 527 euros au titre de l'année 2019 et à une créance des caisses Humanis de 42 139,75 euros au titre des cotisations impayées des troisième et quatrième trimestres de l'année 2018 et de l'exercice 2019, que le jugement ayant fixé la date de cessation des paiements au 30 avril 2018 a autorité de la chose jugée, que le contrat de sous-traitance versé aux débats par l'appelant échoue à démontrer qu'il n'a pas contribué à l'aggravation du passif car il n'est pas précisé la date à laquelle le contrat a pris fin ni l'importance de ce client puisqu'uniquement trois factures ont été communiquées par

M. [W], que le chiffre d'affaires annoncé, entre 42 000 et 57 000 euros par mois, lui apparaît faible au regard du fait que la société employait 36 salariés selon M. [W], mais aucun au jour du jugement d'ouverture et qu'il ne prouve pas avoir procédé au règlement des cotisations sociales et fiscales.

Le ministère public argue de ce que M. [W] ne peut plus valablement contester la date de cessation des paiements dans la présente procédure, qu'il ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements ainsi qu'en attestent ses tentatives de négociations avec l'Urssaf alors que de son propre aveu (au titre de la faute de gestion évoquée ci-après) le refus de négociation signifiait l'impossibilité pour la société de se redresser.

Sur ce,

Il appartient au dirigeant d'une personne morale de déclarer l'état de cessation des paiements et de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, au point que s'il se soustrait sciemment à cette obligation sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation, le dirigeant est passible d'une interdiction de gérer en application de l'article L. 653-8 du code de commerce.

Il n'est pas nécessaire de prouver une intentionnalité de se soustraire à cette obligation pour caractériser une faute de gestion.

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. [W], alors qu'il est resté gérant de la société The Best vigilance sécurité privée entre le 2 janvier 2017 et le 3 juillet 2019, n'a pas déclaré la cessation des paiements, dont la date a été irrévocablement fixée par le jugement d'ouverture au 30 avril 2018 et s'impose au juge de la sanction, alors qu'il disposait d'un délai de 45 jours à compter de cette dernière date pour y procéder. Il a donc manqué à son obligation déclarative sans pour autant avoir demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Au lieu de cela, il a poursuivi une activité qui s'est révélée déficitaire en dépit des revenus perçus. Postérieurement au 14 juin 2018 à minuit, date d'expiration du délai légal pour déclarer l'état de cessation des paiements, et jusqu'au 3 juillet 2019, date de cessation des fonctions de M. [W], la société The Best vigilance sécurité privée a créé de nouvelles dettes sociales notamment auprès de l'organisme Humanis retraite Agirc Arrco à hauteur de 9 672,19 euros au second semestre 2018 et de 12 084,82 au premier semestre 2019, sans pour autant apurer celles de l'année 2017, pourtant colossales, notamment une dette de cotisations auprès de l'Urssaf de 143 710 euros au titre de l'année 2017, une dette d'environ 260 000 euros hors pénalités auprès du PRS de Loire-Atlantique au titre de la TVA de janvier 2017 à mai 2018, de 56 329 euros auprès du PRS parisien 1 au titre de la TVA de 2017 et de la CFE 2018.

Les pièces relatives au contrat de sous-traitance en vertu duquel la société The Best vigilance sécurité privée a facturé à la société Md Sécurité la somme de 53 361,56 euros en décembre 2018, celle de 57 474,08 euros en février 2019 et celle de 42 801,54 euros en mai 2019 sont inopérantes à démontrer que M. [W] a respecté son obligation de déclarer l'état de cessation des paiements alors qu'en tout de cause, l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement d'ouverture ne permet pas de remettre en cause la date de cessation des paiements.

M. [W] ne peut pas non plus prétendre que le défaut de déclaration de cessation des paiements est imputable à M. [L], celui-ci ayant été désigné gérant le 3 juillet 2019, soit bien après l'expiration du délai légal de 45 jours.

La faute de gestion est donc caractérisée puisque M. [W] a laissé perdurer une activité génératrice de dettes nouvelles, équivalent a minima à 21 757,01 euros (9 672,19 + 12 084,82) pour la société The Best vigilance sécurité privée, alors qu'elle n'était pas en mesure de faire face aux anciennes dont l'importance permet d'écarter l'hypothèse d'une simple négligence.

Sur le non-paiement des créances fiscales et sociales

Le tribunal a retenu cette faute de gestion sans autre forme de motivation, au visa du rapport du juge-commissaire.

Après avoir rappelé la composition des passifs fiscal et social qui représentent chacun respectivement 60% et 33% de l'insuffisance d'actif, Me [N] ès qualités soutient que le fonctionnement de la société The Best vigilance sécurité privée reposait sur les non-paiements de ces créances, permettant au gérant de facturer les prestations accomplies moins cher que leur prix de revient, que sur le bilan du 31 décembre 2017, le poste de rémunérations du personnel s'élève à 416 135 euros alors que les charges sociales ne sont curieusement que de 45 917 euros, soit 11 %, que l'essentiel de la dette fiscale correspond à une proposition de rectification à l'issue d'un contrôle fiscal qui a donné lieu à des pénalités, que la créance de l'Urssaf a été éludée à raison de 150 000 euros, que ce ne sont pas les difficultés financières de la société qui sont à l'origine du non-paiement des cotisations sociales et fiscales mais des déclarations mensongères faites par le dirigeant auprès de ces mêmes organismes, que la dette de l'Urssaf fait suite à un constat de travail dissimulé sur deux sites et qu'il n'existe pas d'actifs permettant de régler les créanciers sociaux et fiscaux alors que la liquidation judiciaire est impécunieuse.

Le ministère public fait valoir que le règlement des créances fiscales et sociales fait partie des obligations du dirigeant en ajoutant qu'il est nécessaire d'établir un lien de causalité entre le manquement allégué et l'aggravation de l'insuffisance d'actif, par, notamment, la preuve de l'existence de pénalités afférentes à ces créances, qu'au vu des créances sociales et fiscales, le passif lui apparaît s'être aggravé du fait de l'incapacité de la société à faire face à ses obligations.

M. [W] réplique que les dettes fiscales et sociales sont anciennes (2016 et 2017), que le Trésor public avait agréé sa proposition d'échéancier de paiement lui permettant de régler mensuellement 4 000 euros, que l'Urssaf contactée par courriel du 11 septembre 2018 l'avait déclinée alors qu'il lui proposait un paiement immédiat et comptant de 20 000 euros ainsi qu'un échéancier mensuel de 5 000 euros, qu'il réfute l'argument selon lequel il aurait fait fonctionner la société à perte, que les factures émises par Md Sécurité le démontrent, qu'il n'a pas eu recours au travail dissimulé, comme le confirme son grand livre comptable.

Sur ce,

Le paiement des charges sociales et fiscales fait partie des obligations d'un dirigeant d'entreprise.

Quoi que prétende M. [W], il résulte des déclarations de créances produites par le mandataire liquidateur que le passif social et fiscal total est ainsi réparti :

Créance du PRS de Loire-Atlantique : 335 171,29 euros au titre de la période allant du 1er janvier 2017 au 30 juin 2019, dont 74 938 euros de pénalités,

Créance du PRS parisien : 56 329 euros au titre de la période allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, sans pénalités,

Créance de l'Urssaf : 156 285,66 euros dont 143 710 euros au titre des cotisations de l'année 2017, 7 005 euros de pénalités au titre de l'année 2017 et 5 527 euros au titre des cotisations de juillet à octobre 2019,

Créance de l'organisme de retraite Humanis : 63 649,69 euros, dont 31 182,13 euros au titre des cotisations de 2107 et 2018, 12 084,82 au titre des cotisations du premier semestre 2019 et 20 382,74 euros au titre des cotisations du second semestre 2019.

Les manquements aux obligations sociales et fiscales concernent donc pour la plupart la période durant laquelle il était gérant de la société The Best vigilance sécurité privée et ont entrainé pour 81 943 euros de pénalités (74 938+7 005).

Compte tenu de leur caractère réitéré sur la totalité de sa période de gérance, les manquements de M. [W] ne sauraient être analysés en une simple négligence et, en ce qu'ils ont ainsi causé une augmentation de l'insuffisance d'actif de plus de 81 943 euros, sont constitutifs d'une faute de gestion.

Sur le caractère incomplet de la comptabilité

Le tribunal a retenu cette faute ayant privé M. [W] d'un outil de gestion qui lui aurait permis de connaître l'absence de rentabilité de l'entreprise et la nécessité de procéder plus tôt à la déclaration de cessation des paiements.

Le mandataire liquidateur ès qualités fait valoir qu'aucune comptabilité (grands livres, balance et journaux) ni aucun élément comptable postérieur au 31 décembre 2017 n'ont été remis et que seuls les bilans des années 2016 et 2017, ayant fait l'objet d'un dépôt au RCS, sont disponibles, que l'absence de comptabilité ne permet ni de déceler d'éventuels prélèvements durant la période suspecte, ni de comprendre les causes des difficultés de la société ni la cause du virement de 4 300 euros fait à M. [W] en juillet 2019, ni le sort d'éventuels actifs de la société puisqu'au jour de la liquidation judiciaire, la société ne disposait plus d'aucun actif, que le défaut de comptabilité a privé les dirigeants d'un outil de gestion qui leur aurait permis d'anticiper les difficultés subies par la société The Best vigilance sécurité privée et qu'il a eu connaissance des dettes sociales et fiscales au moyen des déclarations de créance.

Le ministère public rappelle que le défaut de tenue d'une comptabilité irrégulière est une faute de gestion, tout comme le fait de dresser tardivement des documents comptables et qu'aucune comptabilité n'a été établie pour la période de janvier 2018 à octobre 2019. Il en déduit qu'une faute est caractérisée et que la connaissance par le mandataire d'une partie de la situation passive de la société est insuffisante à démontrer l'établissement de la comptabilité car cette connaissance a pu être établie grâce aux déclarations des créanciers, d'autant plus que l'appelant, à qui incombe la charge de la preuve de comptabilité régulière, ne verse aucun document comptable sur la période.

M. [W] prétend qu'on ne peut lui reprocher de s'être abstenu de tenir une comptabilité régulière de la société en soulignant que le mandataire liquidateur ès qualités a fourni des informations détaillées et chiffrées sur la situation financière de la société, et notamment sur ses dettes fiscales et sociales, que si aucune pièce comptable ou financière n'avait été remise au mandataire liquidateur ès qualités, il n'aurait pu établir ces sommes précisément et qu'il ne détient plus aucune pièce comptable ou financière de la société depuis la cession de ses parts sociales à M. [L] et sa démission de ses fonctions de gérant le 3 juillet 2019.

Sur ce,

La tenue de la comptabilité, c'est-à-dire l'enregistrement des mouvements affectant le patrimoine de la société (grands livres, balance et journaux) et, sous certaines conditions, l'établissement des comptes annuels (bilan, comptes de résultat et annexes) sont des obligations pesant sur la personne morale afin de donner une image sincère de son patrimoine, de sa situation financière et de ses résultats. Il appartient donc à son représentant légal en l'occurrence son gérant d'y pourvoir par la mise en 'uvre de moyens adaptés.

En sa qualité de dirigeant de la société The Best vigilance sécurité privée, M. [W] ne justifie pas de la tenue d'une comptabilité en 2018 et au premier semestre 2019 qu'il n'est pas en mesure de fournir et ne saurait arguer de la cession de l'entreprise à M. [L] pour s'exonérer de sa responsabilité à ce titre, alors que selon toute logique et compte tenu de la date de cessation de ses fonctions, il aurait dû a minima déposer au greffe les comptes annuels de l'exercice 2018 comme il l'avait fait en 2016 et 2017. En outre, le fait que le mandataire liquidateur ait connaissance du passif de la société résulte des déclarations de créances dont il a été destinataire.

Ce manquement a privé M. [W] du bénéfice d'un outil de gestion incontournable qui lui aurait permis de constater que les recettes générées par son activité de sous-traitance ne couvraient manifestement pas les dettes de la société et ses charges d'exploitation.

Par ailleurs, l'absence de comptabilité ne permet pas d'identifier les causes des différents virements et prélèvements venant au débit du compte courant de la société The Best vigilance sécurité privée.

Alors qu'ayant déposé au greffe les comptes des exercices 2016 et 2017, M. [W] ne pouvait ignorer ses obligations à ce titre, et en ce qu'il a perduré pendant les 18 mois précédant la cession de l'entreprise à M. [L], ce manquement constitue une faute de gestion et non une simple négligence.

Sur le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif

M. [W] critique le jugement qui a fixé forfaitairement sa contribution sans autre justification.

Le ministère public est d'avis qu'une condamnation de l'appelant à 150 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif est appropriée au regard des conséquences de ses fautes sur l'insuffisance d'actif.

Sur ce,

M. [W] est âgé de 39 ans. Il a été associé ou gérant de plusieurs sociétés et exerce actuellement en qualité de gérant de la société Efficience gardiennage, SARL dont le siège social est à [Localité 11] (95) et qui exerce une activité de surveillance et de sécurité privée. Selon ses écritures, cette société serait in bonis et parfaitement gérée, générant une activité importante. En ce sens, il produit une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions sociales, établie sur des bases déclaratives.

Il résulte de ce qui a été jugé ci-dessus que l'insuffisance d'actif résultant directement des fautes de M. [W] n'est pas inférieure à 103 700 euros (21 757,01 + 81 943) pour sa partie chiffrable avec précision.

Le fait d'avoir continué une activité non rentable au-delà de la date de cessation des paiements malgré des dettes fiscales et sociales non réglées tout en cessant de tenir une comptabilité a également et nécessairement majoré l'insuffisance d'actif.

M. [W] doit donc être tenu de contribuer à l'insuffisance d'actif à concurrence d'une somme arrondie à 150 000 euros.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. [W] à supporter personnellement une partie de l'insuffisance d'actif de la société The Best vigilance sécurité privée mais infirmé sur le quantum de la condamnation.

Sur la sanction personnelle

Le tribunal a retenu les quatre griefs dans les termes de sa saisine.

Sur les détournements d'actif de la société

Me [N] estime que M. [W] a détourné des actifs de la société la somme de 4 300 euros par virement ainsi qu'un véhicule pour son usage personnel contraire à l'intérêt de la société.

Le ministère public rappelle que l'appelant est accusé d'avoir détourné 4 300 euros par virement et d'avoir fait un usage personnel d'un véhicule Renault Clio mais faute de preuve suffisante, il s'en remet à l'appréciation de la cour.

M. [W] conteste avoir détourné tout ou partie de l'actif de la société et considère que le liquidateur ès qualités ne prouve pas le prétendu détournement frauduleux, et notamment le virement de 4 300 euros mentionné. Il précise que le véhicule qu'il aurait utilisé à des fins personnelles est un véhicule de fonction pour l'un des salariés de la société et qu'à la suite du départ de ce dernier, la société eu beaucoup de difficultés à la récupérer, ce qui prouve qu'il n'en a jamais fait un usage personnel.

Sur ce,

Il résulte de l'application combinée des articles L. 653-4, 5° et L. 653-8 du code de commerce qu'est sanctionné par la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer le fait pour un dirigeant d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

En l'espèce, il est reproché à M. [W] un détournement de l'actif, notamment par la perception d'un virement de 4 300 euros, dont la preuve résulte de la production d'un relevé bancaire de la société qui mentionne M. [W] comme en étant le bénéficiaire.

Ce virement étant intervenu en juillet 2019 (date illisible), sans motif précisé ou allégué, réduisant l'actif de la société The Best vigilance sécurité privée alors en état de cessation des paiements, il est contraire à l'intérêt social.

En revanche, si le liquidateur a pu rechercher un véhicule Clio dans le cadre de l'exercice de sa mission, il ne démontre pas qu'il ait été fait un usage de ce véhicule contraire à l'intérêt social.

Le grief n'en demeure pas moins caractérisé par le détournement de la somme de 4 300 euros.

Sur l'augmentation frauduleuse du passif

Me [N] et le ministère public, se fondant sur les dispositions de l'article L. 653-3 du code de commerce, soutiennent que M. [W] s'est rendu coupable d'une augmentation frauduleuse du passif, compte tenu du prononcé de pénalités, redressement et majoration auprès de l'Urssaf pour un montant de 611 435, 64 euros.

M. [W] conteste avoir augmenté frauduleusement le passif de la société en arguant que le refus de l'Urssaf de prévoir un paiement échelonné des créances qu'elle détenait contre la société a fait obstacle au redressement de la société, alors même qu'un aménagement avait été trouvé avec le Trésor public, précisant que la société avait fait l'objet d'un contrôle fiscal et qu'aucune infraction n'avait été relevée par l'Administration fiscale à la suite de ce contrôle et qu'elle avait émis une attestation de régularité fiscale aux termes duquel il était indiqué que la société était en règle avec ses obligations fiscales.

Sur ce,

Le liquidateur et le ministère public se fondent sur les dispositions de l'article L. 653-3 du code de commerce qui s'applique à « toute personne mentionnée au 1° du I de l'article

L. 653-1 », à savoir « 1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ».

Ce texte n'est donc pas applicable au dirigeant d'une société soumis aux dispositions énoncées au paragraphe précédent.

Pour cette unique raison et alors qu'il a été jugé supra que M. [W] a augmenté le passif de la société The Best vigilance sécurité privée de pénalités résultant du non-paiement de ses dettes sociales et fiscales, le grief ne sera pas retenu.

Sur l'absence de tenue de comptabilité

Me [N] et le ministère public considèrent le grief caractérisé dès le 1er janvier 2018 et que les fautes prévues par l'article L. 635-6 du code de commerce ont été démontrées ci-dessus.

M. [W] rappelle avoir fourni la comptabilité au liquidateur ès qualités et réaffirme ne détenir aucune information depuis son départ de ses fonctions de gérant de ladite société.

Sur ce,

Il résulte des articles L. 653-5, 6° et L. 653-8 du code de commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle ou une interdiction de gérer d'une personne qui a commis les faits suivants : « Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ».

Il a été jugé que M. [W] n'a pas tenu de comptabilité depuis le 1er janvier 2018.

Pour les motifs évoqués supra, le grief sera retenu.

Sur l'absence de coopération avec les organes de la procédure collective

Me [N] estime que l'appelant s'abstient volontairement de coopérer avec les organes de la procédure collective.

En l'absence d'élément de la part de l'intimé sur cette faute, le ministère public s'en rapporter à l'appréciation de la cour.

M. [W] fait valoir que le mandataire liquidateur ès qualités ne justifie aucunement d'un refus de sa part de collaborer avec les organes de la procédure.

Sur ce,

Une lecture attentive du rapport d'information sur le déroulement des opérations de liquidation judiciaire ne permet pas d'affirmer que M. [W] aurait fait montre d'un défaut de coopération avec les organes de la procédure.

Ce grief ne sera donc pas retenu.

Sur la sanction

L'intimé sollicite de la cour qu'elle prononce une sanction de faillite personnelle pour une durée de 7 ans ou, du moins, une mesure d'interdiction de gérer, en faisant état des nombreuses difficultés ayant émergées en lien avec l'exercice de fonction de dirigeant de l'appelant au sein d'autres sociétés.

Le ministère public fait valoir que les fautes démontrées sont graves, nombreuses et constituent des manquements à des obligations légales démontrant la nécessité d'écarter l'appelant un temps de la vie des affaires au moyen d'une faillite personnelle d'une durée de sept années.

M. [W] fait état des autres sociétés in bonis dont il est gérant et argue qu'elles sont parfaitement en règle avec leurs cotisations sociales, ce qui démontre qu'il sait gérer une société et ne saurait commettre de fautes de gestion et encore moins d'actes frauduleux.

Sur ce,

M. [W] est âgé de 39 ans et chef d'entreprise.

La gravité des griefs retenus, qui ont permis de laisser perdurer une activité structurellement déficitaire, justifie de prononcer une faillite personnelle d'une durée de 4 ans.

Le jugement déféré sera donc confirmé sur la mesure prononcée, mais infirmé sur la durée de cette mesure.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M. [W], qui reste sanctionné en appel, sera condamné aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé de ce chef. Dès lors, il ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité procédurale au titre de ses frais irrépétibles.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement et par défaut,

Rejette la fin de non-recevoir tenant aux conclusions de M. [Z] [P] [W] ;

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a fixé la contribution de M. [Z] [P] [W] à l'insuffisance d'actif de la société The Best vigilance sécurité privée à la somme de 225 000 euros et en ce qu'il a fixé la durée de la faillite personnelle à 7 ans ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe le montant de la contribution de M. [Z] [P] [W] à l'insuffisance d'actif de la société The Best vigilance sécurité privée à la somme de 150 000 euros, et le condamne à verser à Me [N], en qualité de liquidateur judiciaire de la société The best Vigilance sécurité privée la somme de 150 000 euros ;

Fixe la durée de la faillite personnelle à 4 ans, et ordonne la modification de l'inscription de la durée de la sanction au Fichier national des interdits de gérer ;

Condamne M. [Z] [P] [W] aux dépens d'appel et accorde aux avocats pouvant y prétendre le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Déboute M. [Z] [P] [W] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Me [R] [N], ès qualités, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.