CA Versailles, ch. com. 3-2, 10 septembre 2024, n° 22/01251
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Crédit Industriel et Commercial (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerlot
Conseillers :
M. Roth, Mme Cougard
Avocats :
Me Gueilhers, Me Simonneau, Me Dontot, Me Tourneur
EXPOSE DU LITIGE
Le 22 janvier 2015, la SARL Experts & Associés Patrimoine (la société EAP), détenue à 100 % par la société Groupe Experts & Associés (GEA), elle-même entièrement détenue par M. [L], a ouvert un compte de dépôt à vue dans les livres du Crédit Industriel et Commercial (le CIC, ou la banque).
Le 19 mai 2017, M. [D], alors gérant de la société EAP, s'est porté caution de ses engagements auprès du CIC.
Le 23 mai 2017, M. [L] s'est également porté caution de la société EAP auprès du CIC.
Le 10 octobre 2018, M. [D] a déclaré la cessation des paiements de la société Experts & Associés Patrimoine (EPA) au greffe du tribunal de commerce de Paris.
Le 4 juin 2019, ce tribunal a ouvert le redressement judiciaire de cette société.
Le 26 novembre 2019, il a prononcé sa liquidation judiciaire.
Le 6 décembre 2019, le CIC a assigné M. [D] en paiement devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le 14 mai 2021, M. [D] a assigné M. [L] en intervention forcée.
Par jugement du 15 décembre 2021, ce tribunal a :
- dit M. [D] irrecevable dans sa demande de fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agit de la société CIC ;
- débouté M. [D] de sa demande de prononcer la déchéance de son engagement de caution pour disproportion ;
- débouté M. [D] de sa demande de prononcer la déchéance de son engagement de caution pour manquement de la société CIC à son devoir de prudence ;
- débouté M. [D] de sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison du manquement de la société CIC au devoir de mise en garde à une caution non-avertie ;
- annulé le cautionnement pris par M. [D] le 19 mai 2017 ;
- dit qu'il n'y a pas lieu à statuer sur la demande de M. [D] de condamner la société CIC à lui payer la somme de 76 467, 41 euros à titre de dommages-intérêts compensant le préjudice subi en raison du soutien abusif au bénéfice du débiteur principal duquel doit désormais répondre M. [D] en qualité de caution et d'ordonner la compensation entre les créances réciproques des parties ;
- débouté la société CIC de sa demande principale de condamner M. [D], ès qualités de caution de la société Experts & Associés Patrimoine, à lui payer la somme de 73 476, 51 euros au titre du solde débiteur de compte de la société Experts & Associés Patrimoine ;
- condamné la société CIC à payer à M. [D] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;
- condamné la société CIC aux entiers dépens.
Le 2 mars 2022, le CIC a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- annulé le cautionnement pris par M. [D] le 19 mai 2017 ;
- débouté la société CIC de sa demande principale de condamner M. [D], ès qualités de caution de la société Experts & Associés Patrimoine, à lui payer la somme de 73 476, 51 euros au titre du solde débiteur de compte de la société Experts & Associés Patrimoine ;
- condamné la société CIC à payer à M. [D] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
- condamné la société CIC aux entiers dépens.
Le 25 mars 2022, la déclaration d'appel a été signifiée à M. [L] suivant les modalités prévues à l'article 659 du code de procédure civile. Le 9 juin 2022, les premières conclusions de l'appelante lui ont été signifiées selon les mêmes modalités. Celui-ci n'a pas constitué avocat.
Le 31 mai 2023, sur incident, le conseiller de la mise en état a ordonné sous astreinte à M. [D] de communiquer diverses pièces au CIC.
Le 10 janvier 2024, sur incident, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de communication de pièces formulées par le CIC.
Par dernières conclusions du 15 mai 2024, le CIC demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- annulé le cautionnement de M. [D] souscrit le 19 mai 2017 ;
- débouté la société CIC de sa demande de condamnation de M. [D], en qualité de caution de la société Experts & Associés Patrimoine à lui payer la somme de 73 476, 51 euros outre intérêts au taux EURIBOR 3 mois + 5% du 2 juillet 2019 jusqu'au parfait paiement au titre du solde débiteur du compte numéro [XXXXXXXXXX02] ;
- condamné la société CIC à payer à M. [D] la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société CIC aux entiers dépens ;
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a :
- jugé M. [D] irrecevable en se demande de fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir ;
- débouté M. [D] de sa demande :
- de disproportion de son engagement de caution solidaire du 19 mai 2017 ;
- de déchéance dans son engagement pour manquement de la société CIC à son devoir de prudence et à son obligation de mise en garde ;
En conséquence,
- condamner M. [D] en qualité de caution de la société Expert & Associés Patrimoine à payer à la société CIC la somme de 73 476, 51 euros au titre du solde débiteur du compte de la société Expert & Associés Patrimoine, outre intérêts au taux Euribor 3 mois + 5% du 2 juillet 2019 jusqu'au parfait paiement ;
- le débouter de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner M. [D] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
Par conclusions formant appel incident du 24 août 2022, M. [D] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de déchéance de l'engagement de caution et de dommages-intérêts.
Par dernières conclusions du 7 février 2024, M. [D] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a :
- débouté de sa demande de prononcer la déchéance de son engagement de caution pour disproportion ;
- débouté de sa demande de prononcer la déchéance de son engagement de caution pour manquement de la société CIC à son devoir de prudence ;
- débouté de sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison du manquement de la société CIC au devoir de mise en garde à une caution non avertie ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- annulé son cautionnement pris le 19 mai 2017 ;
- débouté la société CIC de sa demande de condamnation de M. [D] à lui payer la somme de 73 476, 51 euros outre intérêts au taux EURIBOR 3 mois +5% du 2 juillet 2019 jusqu'au parfait paiement au titre du solde débiteur du compte numéro [XXXXXXXXXX02] ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- constater la déchéance du droit de la société CIC à se prévaloir du cautionnement en raison du caractère disproportionné des biens et revenus de M. [D] (art. L. 343-4 du code de la consommation) ;
- constater la déchéance du droit de la société CIC à se prévaloir du cautionnement en raison de son manquement à son devoir de prudence lui imposant d'actionner des garanties qui lui aurait permis d'être désintéressée de sa créance ;
En conséquence,
- juger que la société CIC ne peut se prévaloir à l'encontre de M. [D] du cautionnement que ce dernier a consenti ;
- débouter la société CIC de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- constater que la société CIC a manqué à son devoir de mise en garde ;
- condamner la société CIC à payer à M. [D] la somme de 76 467, 41 euros outre intérêts au taux légal applicable à compter du 19 mai 2017 jusqu'à parfait paiement à titre de dommages-intérêts compensant le préjudice causé par le défaut de mise en 'uvre par ladite banque de son devoir de mise en garde ayant pour cause la perte de chance de ne pas avoir contracté l'engagement de caution ;
- constater que la société CIC a manqué à son devoir de vigilance et a soutenu abusivement le débiteur principal ;
En conséquence,
- condamner la société CIC à lui payer la somme de 76 467, 41 euros outre intérêts au taux légal applicable à compter du 19 mai 2017 jusqu'à parfait paiement à titre de dommages-intérêts compensant le préjudice subi en raison du soutien abusif au bénéfice du débiteur principal duquel doit désormais répondre M. [D] en qualité de caution ;
- ordonner la compensation entre les créances réciproques des parties ;
En tout état de cause,
- déclarer la société CIC déchu des intérêts conventionnels liés au cautionnement compte tenu de la méconnaissance de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ;
- lui octroyer les plus larges délais de paiement pour apurer la dette conformément aux dispositions de l'article 1343-5 du code civil prenant la forme d'un échéancier de paiement mensuel sur deux ans ;
- condamner la société CIC à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la débouter de sa demande formulée à ce titre ;
- condamner la société CIC aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Oriane Dontot.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 30 mai 2024.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la mise hors de cause de M. [L]
Aucune prétention n'étant formulée contre M. [L], celui-ci doit être mis hors de cause.
Sur la demande d'annulation de l'acte de cautionnement
Au visa de l'article L. 650-1 du code de commerce, le tribunal de commerce a annulé l'acte de cautionnement souscrit par M. [D], retenant que le CIC avait manqué à son devoir de vigilance et abusivement soutenu la société EAP, alors en difficultés financières, malgré les avertissements de M. [D], en consentant à cette société une autorisation de découvert de 80 000 euros le 19 octobre 2018 et en opérant de multiples virements de la société EAP vers la société GEA.
M. [D] sollicite la confirmation du jugement de ce chef, faisant valoir que la banque a exécuté entre avril et août 2018 des virements de la société EAP vers la société GEA d'un montant total de 190 600 euros, hors l'objet social de la société EAP et malgré ses avertissements ; qu'il n'était qu'un homme de paille, dans la mesure où M. [L] gérait en réalité tant la holding GEA que sa société fille EAP.
Pour solliciter l'infirmation du jugement de ce chef, le CIC soutient n'avoir commis aucune faute dans l'octroi d'un concours à la société EAP. Il souligne qu'il n'avait pas à discuter les ordres de virement régulièrement passés par la société EAP en faveur de la société GEA, ce qui eût été s'ingérer dans sa gestion ; qu'entre octobre 2018 et mars 2019, la société GEA a elle-même viré 126 800 euros à la société EAP, de sorte que les virements contestés par M. [D] étaient compensés. Le CIC affirme en outre qu'aucune fraude ne peut lui être reprochée.
Réponse de la cour
L'article L. 650-1 du code de commerce dispose :
Lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.
Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.
Est ainsi institué le principe de l'immunité des fournisseurs de concours à l'entreprise en difficulté en recherche de financements.
Un découvert en compte autorisé par un établissement bancaire peut constituer un concours au sens de l'article L. 650-1 précité (voir par exemple Com, 23 septembre 2020, n°18-23.221, publié ; 19 septembre 2018, n°17-12.596, publié ; 17 décembre 2013, n°12-21.391).
La responsabilité d'une banque fondée sur les trois exceptions énoncées par ce texte ne peut être recherchée que si les concours sont eux-mêmes fautifs (Com., 27 mars 2012, n°10-20.077, publié ; Com., 11 février 2014, n°12-26.683 ; 28 juin 2016, n°14-23.836 ; 4 mai 2017, n°15-18.259 ; 20 septembre 2017, n°16-12.939 ; Com., 9 octobre 2019, n°16-19.755).
Doit être considéré comme fautif le crédit constituant un soutien abusif comme consenti à une entreprise dont le prêteur connaissait la situation irrémédiablement compromise, ou bien le crédit ruineux comme incompatible avec les capacités de remboursement de l'entreprise.
La fraude s'entend d'un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive (voir par exemple Com, 13 décembre 2017, n°16-21.498, au visa de l'article L. 650-1, ou bien Com., 8 janv. 2020, n° 18-21.452).
En l'espèce, l'octroi d'un découvert en compte de 80 000 euros à la société EAP le 19 octobre 2018, postérieurement à la cessation des paiements déclarée, constitue un concours au sens de l'article L. 650-1 précité.
Cette autorisation de découvert avait été précédée de plusieurs autres, sollicitées par M. [D] en sa qualité de dirigeant de la société EAP : la première, d'un montant de 60 000 euros, consentie le 7 février 2017 ; la deuxième, d'un montant de 100 000 euros, consentie le 30 mars 2017 ; enfin, le 30 novembre 2017, les parties sont convenues du maintien d'une facilité de caisse, mais la diminution progressive, chaque mois, du plafond de la position débitrice du compte, de 80 000 euros à 30 000 euros entre le 24 novembre 2017 et le 25 juillet 2018. La banque démontre que la société EAP a respecté cet échelonnement.
Il n'est pas démontré par les pièces versées aux débats par M. [D] que la banque avait connaissance le 19 octobre 2018 de ce que la situation de la société EAP était irrémédiablement compromise ; sa liquidation judiciaire n'a d'ailleurs été prononcée que le 26 novembre 2019, plus d'un an après, à l'issue d'une période d'observation.
L'octroi de la facilité de caisse litigieuse à la société EAP en octobre 2018 n'était donc pas une opération anormale imputable à faute à la banque.
Les virements opérés entre avril et août 2018 depuis les comptes de société EAP vers ceux de la société GEA ont été exécutés par la banque comme elle y était légalement et contractuellement obligée au vu des ordres reçus d'une personne munie d'un pouvoir régulier de la société EAP ; il n'incombait pas au CIC de vérifier si ces paiements, qui ne constituaient pas un concours à la société EAP, étaient conformes à son objet social ; une telle vérification eût constitué une immixtion dans sa gestion. Enfin, la banque démontre que la société GEA a remboursé un total de 126 800 euros à la société EAP entre octobre 2018 et mars 2019.
Ainsi, les virements émanant de la société EAP vers la société GEA dénoncés par M. [D] n'étaient pas anormaux, de sorte que leur exécution ne peut être considérée comme rendant fautive le concours octroyé en octobre 2018.
Ce concours ne peut pas non plus être considéré comme frauduleux, dès lors que l'octroi d'un découvert en compte à une entreprise ne contrevient à aucune loi impérative ou prohibitive et qu'aucune collusion entre les dirigeants d'EAP et la banque n'est alléguée ni démontrée.
Enfin, il n'est pas allégué que le concours en cause ait été assorti de garanties disproportionnées ; ce n'était au reste pas le cas, dès lors qu'il s'élevait à 80 000 euros et que, pour le garantir, MM. [D] et [L] se sont chacun portés caution des engagements de la société EAP à concurrence de 96 000 euros.
Dans ces conditions, la demande d'annulation de l'acte de cautionnement présentée par M. [D] sur le fondement de l'article L. 650-1, alinéa 2, du code de commerce doit être écartée.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement de ce chef.
Sur l'opposabilité à la caution de son engagement
M. [D] soutient que son engagement de caution était disproportionné à sa situation financière réelle au jour de sa signature, son taux d'endettement étant alors de 42 %.
Réponse de la cour
L'article L. 332-1 du code de la consommation dispose, dans sa rédaction applicable au jour de l'engagement en cause :
Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C'est à la caution qu'incombe la preuve de l'existence de la disproportion manifeste qu'elle invoque.
Pour d'apprécier si un cautionnement est ou non disproportionné, le juge peut se fonder sur les indications non contestées d'une fiche de renseignements, en les confrontant avec les éléments de preuve versés aux débats afin de déterminer la valeur des biens de la caution au jour de la conclusion du cautionnement (Com., 30 août 2023, n° 21-20.222, publié).
Sauf anomalie apparente le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude des biens et revenus déclarés par la caution (Com, 14 décembre 2010, n°09-69.807, publié).
La caution ayant rempli une fiche de renseignements dépourvue d'anomalies apparentes ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier (1re civ., 24 mars 2021, n° 19-21.254, publié).
Peuvent néanmoins être pris en considération les engagements antérieurs déclarés ou dont le créancier avait connaissance ou qu'il ne pouvait ignorer (Com., 26 fév. 2020, n°18-16.243 ; 8 janv. 2020, n°18-19.528 ; 11 avr. 2018, n°16-19.348).
La disproportion de l'engagement de la caution personne physique est sanctionnée par l'inopposabilité de son engagement au créancier professionnel.
En l'espèce, le 19 mai 2017, M. [D] s'est porté caution de la société EAP à hauteur de 96 000 euros.
Le même jour, il a rempli une fiche de renseignements au travers laquelle il a déclaré :
' Être célibataire ;
' être propriétaire de son logement, immeuble estimé 480 000 euros ;
' disposer de revenus annuels nets de 80 000 + 52 000 = 132 000 euros ;
' supporter des charges annuelles d'un montant de 8 864 euros, correspondant au service d'un emprunt récent d'un montant initial de 280 0000 euros ;
' disposer d'une épargne de 10 000 euros.
M. [D] ne propose aucune analyse de cette fiche de renseignements.
La cour estime, comme le tribunal, qu'il n'existe pas de disproportion manifeste entre les biens et revenus de M. [D] tels qu'ils ressortent de cette fiche et le montant de son engagement de caution.
M. [D] ne soutient pas que la fiche était affectée d'anomalies apparentes. Il n'est donc pas admis à soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle que révèle cette fiche.
Dans ces conditions, le jugement entrepris ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a écarté la demande de M. [D] tendant à se voir déclarer inopposable l'acte de cautionnement après avoir écarté le moyen pris de sa disproportion.
Sur le manquement allégué du CIC à son devoir de prudence
M. [D] soutient que le CIC a négligé de prendre d'autres garanties, notamment réelles, que sa caution et celle de M. [L] ; qu'ayant ainsi manqué à son devoir de prudence, elle ne peut se prévaloir du cautionnement litigieux.
Pour écarter cette demande, le tribunal a retenu que le tribunal judiciaire de Paris avait condamné M. [L] à payer à la banque la somme de 73 416,51 euros.
Réponse de la cour
La caution n'est pas fondée à reprocher au créancier de ne pas avoir exigé plus de garanties du débiteur principal ou de tiers.
En toute hypothèse, en l'espèce, la créance de la banque, de l'ordre de 74 000 euros, était entièrement garantie par les cautions de MM. [D] et [L], chacune souscrites à concurrence de la somme de 96 000 euros.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a écarté la demande de M. [D] tendant à se voir déclarer inopposable l'acte de cautionnement après avoir écarté ce moyen.
Sur la demande de déchéance du droit aux intérêts
M. [D] soutient n'avoir pas reçu les informations annuelles dues à la caution.
Réponse de la cour
L'article L. 313-22 du code monétaire et financier dispose, dans sa rédaction applicable au jour de la signature du contrat en cause :
Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée.
La réalisation de cette obligation légale ne peut en aucun cas être facturée à la personne qui bénéficie de l'information.
Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.
La seule production de la copie des lettres d'information prévues à ce texte ne suffit pas à justifier de leur envoi (Com, 25 mai 2022, n°21-11.045, publié).
En l'espèce, l'acte de cautionnement, conclu le 19 mai 2017, stipule, en son article 7, que la caution actionnée est tenue de la somme due par le cautionné, assortie d'intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.
La demande de la banque tendant à voir assortir le principal d'intérêts au taux EURIBOR à 3 mois majoré de 5% est donc infondée.
La banque produit les lettres d'information adressées à M. [D] le 19 février 2018 et le 18 février 2019 ; mais elle ne justifie pas de leur envoi.
Le CIC doit en conséquence être déchu du droit aux intérêts prévu à l'acte de caution, qui ne courront que du jour de l'assignation introductive d'instance, soit du 6 décembre 2019.
Sur la demande en paiement formulée par le CIC
Le montant de 73 476,51 euros réclamé par la banque au titre du solde débiteur de compte de dépôt la société EAP et de l'engagement de caution de M. [D] n'est pas discuté par celui-ci.
Pour les raisons précisées ci-dessus, cette somme portera intérêts à compter du 6 décembre 2019.
Sur la demande indemnitaire formulée par la caution
Au soutien de sa demande de dommages-intérêts, M. [D] fait valoir en premier lieu qu'il n'était pas une caution avertie ; qu'il n'était qu'un dirigeant de paille ; que la banque a manqué à le mettre en garde sur l'étendue de son engagement et la situation financière de la société EAP.
En second lieu, invoquant les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce, il soutient que la banque a manqué au devoir de vigilance qui l'obligeait à déceler et dénoncer les opérations anormales qu'elle constatait ; qu'elle a par des virements multiples abusivement soutenu la société EAP et lui a fait perdre une chance de ne pas se porter caution.
Pour écarter cette demande indemnitaire, le tribunal de commerce a retenu que M. [D] était une caution avertie.
Réponse de la cour
L'engagement de caution litigieux a été souscrit avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 15 septembre 2021.
Des règles prétoriennes applicable à la cause, il résulte que la caution non avertie peut rechercher la responsabilité du créancier en cas de fourniture de crédit inopportun ou excessif au débiteur principal, ou de manquement à son obligation de mise en garde, laquelle porte soit sur l'inadaptation de l'engagement de la caution à ses propres capacités financières, soit sur le risque d'endettement lié pour la caution au risque de défaillance caractérisé du débiteur principal (voir par exemple Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).
Inversement, une caution avertie n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la banque à raison de la faute commise par celle-ci lors de l'octroi d'un crédit abusif au débiteur principal (Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703, publié).
Une caution est avertie si elle est en capacité de mesurer le risque encouru en s'engageant (Com, 29 nov. 2017, n°16-19.416). Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit de sa seule qualité de dirigeant et associé de la société débitrice principale (Com, 22 mars 2016, déjà cité).
C'est au créancier d'établir qu'une caution est avertie et, si elle ne l'est pas, de prouver qu'il s'est acquitté de son obligation de mise en garde (Com, 22 mars 2016, n° 14-20.216, publié).
C'est à la caution non avertie soutenant que la banque était tenue à son égard d'une obligation de mise en garde d'établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (Com., 9 mars 2022, n° 20-16.277, publié ; 5 fév. 2020, n° 18-21.444 ; Com., 3 nov. 2015, n° 14-17.727).
En l'espèce, le CIC démontre par la production du profil LinkedIn de M. [D] que celui-ci, qui se présente comme « expert en gestion d'actifs mobiliers et immobiliers », est diplômé d'une école de commerce, titulaire d'un master 2 de gestion et d'audit financier et d'un master 2 de contrôle/audit/reporting financier ; qu'à l'époque de la souscription de l'engagement de caution litigieux, il disposait d'une expérience professionnelle de cinq ans dans le domaine de la commercialisation de biens immobiliers, mais aussi de la gestion de patrimoine et de l'optimisation fiscale.
La banque démontre en outre par la production du Kbis et des statuts de cette société qu'au jour de l'acte de cautionnement litigieux, M. [D] était l'associé unique et le gérant d'une SAS BPH Consulting, dont la dénomination correspond à ses initiales, crée en 2016 et ayant pour activité l'achat, la vente et la gestion de toutes valeurs mobilières, de tous titres ou actions nominatives au porteur, de toutes obligations, de toute parts sociales.
M. [D] était ainsi une caution avertie, en mesure de mesurer pleinement la portée de son engagement, de sorte que la banque n'était tenue à son égard d'aucun devoir de mise en garde.
Il a été retenu précédemment que la banque n'avait pas commis de faute au sens de l'article L. 650-1 du code de commerce.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a écarté la demande indemnitaire formulée par M. [D] et la demande de compensation subséquente.
Sur la demande de délais de paiement
M. [D] ne verse aux débats aucune pièce relative à sa situation financière actuelle.
Il a en outre, en exécution d'une transaction du 24 février 2023, consigné quelque 88 000 euros en garantie de sa dette envers le CIC.
Sa demande de délais de paiement ne peut, dans ces conditions, qu'être écartée.
Sur les demandes accessoires
M. [D], qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande en outre d'allouer au CIC, compte tenu de la durée de la procédure, l'intégralité de l'indemnité qu'il réclame.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant par défaut, dans les limites de sa saisine,
Met hors de cause M. [L] ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la demande de M. [D] tendant à se voir déclarer inopposable son engagement de caution, en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts et sa demande de compensation ;
L'infirme pour le surplus ;
Et statuant à nouveau,
Dit que le CIC est déchu du droit aux intérêts échus entre le 2 juillet 2019 et le 5 décembre 2019 ;
Condamne M. [D] à payer au CIC la somme de 73 476,51 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2019 ;
Rejette la demande de délais de paiement ;
Condamne M. [D] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne M. [D] à verser au CIC une somme de 5 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.