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Décisions

CA Grenoble, 1re ch., 13 juin 2023, n° 21/03351

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

ACME (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Clerc

Conseillers :

Mme Blatry, Mme Lamoine

Avocats :

Me Le Mat, Me Benichou

TJ Grenoble, du 14 juin 2021, n° 19/0415…

14 juin 2021

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon deux devis acceptés du 18 décembre 2015 M. [P] [L] et Mme [N] [L] ont confié à la société ACME la réalisation de travaux de fabrication et de pose de meubles de cuisine et de salles de bain pour un prix total de 33'500 euros.

Un acompte de 8 500 euros a été versé au titre des travaux d'aménagement de la cuisine et un acompte de 1 500 euros a été versé au titre des travaux portant sur les salles de bain.

Les travaux ont été réalisés au début du mois de décembre 2016 et intégralement payés le 21 décembre 2016 en l'absence de tout procès-verbal de réception.

Par courrier du 22 mars 2017, les époux [L] se sont plaints de divers désordres et malfaçons, qui ont été décrits dans un procès-verbal de constat du 2 novembre

2017 (notamment bois présentant des épaisseurs différentes, découpes et collages approximatifs, mauvais encastrement et défaut d'alignement des éléments, joints mal réalisés, décollements, absence de tiroirs et de niches dans les salles de bains).

La société ACME est intervenue à plusieurs reprises en vue de remédier aux désordres allégués, sans donner toutefois satisfaction aux maîtres de l'ouvrage.

Les époux [L] ont sollicité en vain le 6 novembre 2017 la réparation des désordres, ou à défaut le remboursement intégral du prix payé et l'enlèvement du mobilier.

Par acte d'huissier du 23 février 2018 ils ont sollicité en référé la désignation d'un expert judiciaire.

Par ordonnance en date du 25 avril 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Grenoble a désigné M. [B] [C] en qualité d'expert avec mission de décrire les désordres, non-conformités et malfaçons allégués, de se prononcer sur leur caractère apparent ou non au jour du paiement intégral du prix et d'évaluer le coût des travaux de réfection nécessaires.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 11 juin 2019 dont il résulte en substance que les plans d'implantation étaient sommaires et imprécis et que les travaux étaient affectés de divers désordres.

Par acte d'huissier du 20 septembre 2019, les époux [L] ont fait assigner la société ACME devant le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins :

d'entendre prononcer la nullité du contrat conclu entre les parties et ordonner la restitution du prix payé de 33'500 euros, outre dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices moral (7 000 euros) et de jouissance (1 000 euros), à défaut d'accord sur la chose objet du contrat, subsidiairement d'entendre prononcer la résolution judiciaire du contrat en présence de nombreux manquements de la société ACME à ses obligations contractuelles et ordonner le paiement des mêmes sommes, plus subsidiairement d'entendre condamner la société ACME à leur payer la somme de 27'841,81 euros au titre du coût des travaux de reprise des ouvrages sous déduction de la fourniture et de la pose de l'électroménager, outre dommages et intérêts pour préjudice moral (7 000 euros).

La société ACME s'est opposée à l'ensemble de ces demandes en soulevant l'irrecevabilité de l'action en présence d'une acceptation sans réserve de l'ouvrage et d'un paiement total du prix, en concluant au mal fondé de la demande de résolution du marché de travaux et subsidiairement en demandant au tribunal de limiter la condamnation, toutes causes de préjudices confondues, à la somme de 13'464,64 euros représentant le coût des reprises estimé par l'expert judiciaire.

Par jugement en date du 14 juin 2021, le tribunal judiciaire de Grenoble a prononcé la nullité du contrat conclu entre les parties le 18 décembre 2015, a condamné la société ACME à rembourser aux époux [L] la somme de 33'500 euros, outre une indemnité de procédure de 1 500 euros, a dit que la société ACME devra reprendre à ses frais l'ensemble des meubles objet du contrat annulé, a débouté les époux [L] de leur demande de dommages et intérêts et condamné la société ACME aux entiers dépens.

Le tribunal a considéré en substance :

que la société ACME n'a pas procédé à une étude d'implantation sérieuse des mobiliers, puisqu'elle n'a réalisé qu'une ébauche de plan non cotée ne comportant pas les dimensions exactes des éléments,

qu'il résultait de l'expertise que les réglages et l'alignement des façades des portes et tiroirs n'étaient pas conformes aux règles de l'art,

que la société ACME avait ainsi manqué à son obligation de s'informer des besoins de l'acquéreur non professionnel et d'informer ensuite celui-ci des contraintes techniques de l'ouvrage à réaliser en méconnaissance de l'article L. 111'1 du code de la consommation,

qu'en l'absence de plans techniques précis les époux [L] n'avaient pas pu valablement donner leur accord sur la chose vendue et son prix, de sorte que le contrat devait être annulé en application de l'article 1583 du Code civil,

que la demande en dommages et intérêts n'était pas fondée alors que les époux [L] avaient pu néanmoins faire un usage normal des mobiliers.

La SARL ACME a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 20 juillet 2021 aux termes de laquelle elle critique le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté la demande accessoire en dommages et intérêts.

Vu les conclusions n°2 déposées et notifiées le 25 février 2022 par la SARL ACME qui demande à la cour, par voie de réformation du jugement :

de déclarer M. et Mme [L] irrecevables en leur action à l'exception de leur demande visant les caches des prises électriques,

en conséquence de débouter les époux [L] du surplus de leurs prétentions et de rejeter la demande de résolution du marché de travaux,

subsidiairement de limiter toute condamnation éventuelle à la somme de 13'464,64 euros et de rejeter toutes prétentions supplémentaires,

de débouter les époux [L] de leur appel incident,

de condamner les intimés au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euros s'il devait être fait droit à sa demande principale.

Elle fait valoir :

que la prise de possession des ouvrages et le paiement de l'intégralité du prix valent réception,

que l'ensemble des désordres allégués étaient visibles à la réception ainsi que l'a constaté l'expert judiciaire, à l'exception des caches des prises électriques,

que les ouvrages ont néanmoins été réceptionnés sans réserve, ce qui couvre les défauts de conformité et les vices apparents,

que bien que l'expert judiciaire a relevé que les plans d'implantation des meubles non approuvés par le maître d'ouvrage sont sommaires et imprécis et ne comportent pas les dimensions exactes des éléments, l'existence même du contrat ne s'en trouve pas affectée en présence de devis récapitulatifs détaillés expressément acceptés, alors au surplus que l'expert n'impute pas les désordres relevés à un défaut de cotes ou de mesures,

qu'il y a bien eu en effet accord sur la chose et sur le prix, l'existence d'éventuelles malfaçons ou non façons ne pouvant en aucun cas justifier une annulation pour défaut de consentement,

qu'en toute hypothèse l'expert a chiffré à la somme de 13'464,64 euros TTC le coût des réparations nécessaires, comprenant notamment le remplacement du plan de travail de la cuisine (9 120 euros TTC), qui peut être effectué aisément, de sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résolution du marché en présence de désordres ne rendant pas les ouvrages impropres à leur destination,

que les époux [L] ne sont ni recevables ni fondés à réclamer pour la première fois en appel une somme totale de 67'293,17 euros sur la base de devis non contradictoires, alors que le chiffrage de l'expert judiciaire est très inférieur, ni demander réparation d'un prétendu préjudice de jouissance puisqu'ils font un usage normal de leur cuisine.

Vu les conclusions n°2 déposées et notifiées le 28 mars 2022 par Mme [N] [L] et M. [P] [L] qui demandent à la cour :

à titre principal

de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat, condamner la société ACME à leur rembourser la somme de 33'500 euros, outre une indemnité de procédure de 1 500 euros, et à reprendre possession des meubles à ses frais,

d'infirmer le jugement pour le surplus et de condamner la société ACME à leur payer les sommes de 7 000 euros en réparation de leur préjudice moral et de 2 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,

à titre subsidiaire

de prononcer la résolution judiciaire du contrat et de condamner la société ACME à leur payer les mêmes sommes,

à titre infiniment subsidiaire

de condamner la société ACME, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à leur payer les sommes de 30'850,17 euros selon devis de la société Schmidt du 29 décembre 2021, de 36'443 euros selon devis de la société Art et finition du 18 novembre 2021, de 7 000 euros en réparation de leur préjudice moral et de 2 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,

en tout état de cause

de condamner la société ACME à leur payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre une nouvelle indemnité de même montant en application de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner le société ACME aux dépens comprenant les frais d'expertise.

Ils font valoir :

Sur la nullité du contrat

que le contrat conclu avec un professionnel en charge de la conception, de la fabrication et de la pose de mobilier de cuisine et de salle de bains, qui constitue à la fois une vente de meubles et une prestation de services, est un contrat mixte dont la validité est soumise à l'exactitude des métrés et des plans d'implantation approuvés par le client,

qu'en application des articles 1101, 1108, 1602, 1583 du Code civil et L. 111'1 ancien du code de la consommation l'acheteur ou le bénéficiaire d'une prestation de services ne peut donner son consentement libre et éclairé que s'il a été informé de toutes les caractéristiques du bien ou du service, après que le professionnel se soit informé sur ses besoins et lui ait fourni toute information lui permettant d'apprécier l'adéquation du matériel à l'utilisation prévue,

qu'il n'y a pas de consentement valable en matière de fourniture et de pose d'éléments de cuisine et de salle de bains si l'objet du contrat n'a pas été préalablement déterminé par un plan technique approuvé tenant compte de la configuration des lieux,

qu'en l'espèce la société ACME n'a établi qu'un plan sommaire et imprécis ne comportant pas les dimensions exactes des meubles qu'elle n'a pas soumis à leur approbation, de sorte que l'objet de la vente n'a pas pu être déterminé et que leur consentement n'a pas été éclairé,

qu'il ne peut être tiré argument du caractère prétendument visible des défauts alors qu'aucun procès-verbal de réception n'a été établi, qu'ils ont informé la société ACME de l'existence des désordres après avoir pris possession de leur maison, que les interventions de cette dernière n'ont pas permis de corriger les malfaçons dues à un défaut de métré et que l'obligation d'information précontractuelle pesant sur le professionnel en application du code de la consommation est d'ordre public,

que c'est par conséquent à bon droit que le tribunal a prononcé la nullité du contrat et ordonné la restitution du prix payé et du mobilier installé,

Sur la résolution judiciaire du contrat

que la société ACME a commis une faute contractuelle en ne procédant pas à des mesures exactes, en s'abstenant de réaliser des plans d'implantation précis et détaillés conformes aux dimensions des pièces et en ne soumettant pas ces plans à leur approbation,

que ces manquements à l'origine des nombreux désordres esthétiques décrits par l'expert judiciaire présentent un caractère suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat en application de l'article 1184 du Code civil,

Sur le préjudice

que les graves manquements de la société ACME aux règles de l'art leur causent un préjudice important alors que les désordres, qui s'aggravent dans le temps, nécessitent selon l'expert le remplacement et le réglage de nombreux éléments,

qu'étant en droit d'attendre la livraison d'ouvrages exempts de vices, ils sont aujourd'hui recevables en vertu de l'article 566 du code de procédure civile et bien fondés à réclamer la dépose et la repose d'une nouvelle cuisine et de nouvelles salles de bains pour un coût total de 67'293,17 euros selon deux devis des 18 et 29 novembre 2021,

que même si les ouvrages sont opérants ils ne peuvent en jouir pleinement, puisque notamment l'îlot central de la cuisine doit être protégé en permanence, ce qui justifie l'allocation des sommes de 7 000 euros en réparation de leur préjudice moral et de 2 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance.

L'instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 21 mars 2023.

MOTIFS

Le contrat conclu entre les parties selon deux devis acceptés du 18 décembre 2015 porte sur la fabrication et la pose d'éléments de cuisine et de salles de bains.

Les ouvrages ont été conçus et fabriqués par la société ACME pour répondre aux besoins spécifiques des époux [L] sur la base de plans d'implantation. Il ne s'agit donc pas d'éléments standards puisque le mobilier devait être adapté aux dimensions et à la configuration particulière des pièces de l'habitation.

La relation contractuelle doit dès lors être qualifiée de contrat d'entreprise régi par les dispositions des articles 1787 et suivants du Code civil, et non pas de contrat de vente.

L'expert judiciaire a constaté s'agissant des meubles de la cuisine :

les façades, les caissons et les étagères présentent des chants dont les découpes et les collages sont approximatifs, des éclats et des décollements, les surfaces des façades mélaminées et des chants PVC n'étant pas toujours jointives, deux étagères présentent une épaisseur différente, fileur de finition du rangement bas non jointif avec le panneau vertical gauche du caisson (espace de 3 mm), panneaux latéraux du caisson du lave-vaisselle non jointifs avec le plateau supérieur (espace comblé par un joint silicone) et habillage de la porte du lavevaisselle présentant à droite un retrait de 3 mm par rapport à la paroi verticale, façade du tiroir sous le lave-vaisselle non alignée avec la façade de cet appareil, habillage bas du lave-vaisselle non fixé, cuve de l'évier en résine de synthèse présentant de légères marques rectilignes horizontales, façades des tiroirs sous l'évier non alignées, dégradation des caches des blocs des prises électriques encastrées dans les plans de travail, plinthes n'affleurant jamais le bas des caissons et laissant un vide par rapport au niveau du sol, joint grossier en silicone entre le linéaire de meubles et le mur, présence d'un vide dans le rangement de gauche entre la première étagère basse et la plainte laissant apparaître le carrelage, joint blanc irrégulier entre l'habillage fixe de la façade et le plafond, mauvais alignement des fours (espace plus important à droite qu'à gauche), défaut d'alignement des quatre portes situées à droite des fours, défaut d'horizontalité de l'interrupteur inférieur à droite du linéaire de mobilier, caisson situé à droite du réfrigérateur présentant quatre traces de percement grossièrement rebouchées, façade fixe de l'îlot central abîmée à l'angle supérieur droit, défaut d'alignement entre le montant gauche et le panneau vertical gauche du caisson de l'îlot central, panneau de d'habillage de la cave à vin directement fixé sur le côté de celle-ci empêchant l'entretien et l'éventuel dépannage de cet élément.

S'agissant de la salle de bains de l'étage l'expert a relevé :

collages et découpes approximatifs des façades et des caissons, défaut d'alignement des façades des portes et des tiroirs, vasque en résine de synthèse présentant de légères marques rectilignes horizontales en partie supérieure, défaut d'alignement entre le panneau gauche du caisson et le plan vasque, plinthes non correctement fixées au meuble et présence d'un espace à la jonction entre les deux plinthes,

S'agissant enfin de la salle de bains du rez-de-chaussée l'expert a constaté :

collages et découpes approximatifs des façades et des caissons, vasque en résine de synthèse présentant de légères marques rectilignes horizontales en partie supérieure, plan vasque et caisson non jointifs.

L'expert judiciaire a estimé que ces désordres de nature purement esthétique ne compromettaient pas la destination ou la solidité de l'ouvrage, et en réponse aux dires des parties qu'ils ne justifiaient pas le remplacement total des mobiliers, l'ensemble pouvant être récupéré après réglages et alignements.

En conclusion il a considéré :

que les plans d'implantation des meubles de la cuisine et des salles de bains, non approuvés par les clients, sont sommaires et imprécis comme ne comportant pas les dimensions exactes des éléments,

que la prestation réalisée dans la cuisine n'est pas totalement conforme à la commande (présence de deux tiroirs coulissants sous l'évier en remplacement d'un tiroir et d'une poubelle à tri sélectif et création d'un espace de rangement complémentaire à l'extrémité gauche),

qu'à l'exception de la dégradation des caches des blocs des prises électriques l'ensemble des désordres était visible à la réception,

qu'il n'était pas en mesure de se prononcer sur le caractère visible à la réception des rayures présentes sur l'évier et les vasques en résine de synthèse,

que la société ACME a manqué à son obligation de fournir et poser une cuisine et des salle de bains conformes aux règles de l'art en termes de finition, de réglage et d'alignement,

que les désordres nécessitent des travaux de réglage, finition, collage, fixation ,ajustement et alignement de divers éléments (fileurs de finition, chants PVC, plinthes de la salle de bains de l'étage et façades mélaminés), ainsi que de remplacement de deux étagères et des plinthes de la cuisine pour un coût de 1991 euros TTC,

que le remplacement du plan de travail de la cuisine et des plans vasques des salles de bains est également nécessaire pour un coût de 11'473,64 euros TTC,

que les devis de remplacement total de l'ensemble des meubles et des éléments électroménagers des sociétés Schmidt et Art & finitions ne peuvent être retenus en présence de désordres n'affectant que le réglage et l'alignement des façades des portes et des tiroirs,mais en aucun cas la totalité des caissons et l'électroménager, qu'il n'était pas en mesure de se prononcer sur l'origine des désordres affectant le les plans de travail de la cuisine et des deux salles de bains (défaut de fabrication du matériau ou défaut d'entretien).

Sur la demande principale d'annulation du contrat

Si l'expert judiciaire a constaté que les plans d'implantation des meubles de la cuisine et des salles de bains étaient sommaires et imprécis comme ne comportant pas les dimensions exactes des éléments, il n'a à aucun moment considéré que les travaux réalisés par la société ACME étaient affectés d'une erreur de conception, ni que l'imprécision des plans était à l'origine des désordres, dont il a constaté au contraire qu'ils relevaient de défauts d'exécution remédiables à l'origine d'un préjudice exclusivement esthétique en l'absence de toute atteinte à la destination ou à la solidité des ouvrages.

C'est ainsi qu'il a relevé pour l'essentiel que les façades de divers éléments et plusieurs plinthes présentent des découpes et des collages approximatifs, des erreurs d'alignement et des bords non jointifs, que plusieurs joints en silicone sont irréguliers et grossièrement exécutés et que le plan de travail de la cuisine et les plans vasques des salles de bains présentent de légères rayures horizontales, sur l'origine précise desquelles il n'a pas été d'ailleurs en mesure de se prononcer.

Ni l'imprécision des plans d'implantation, qui n'a pas joué de rôle causal dans l'apparition des désordres, ni le fait qu'ils n'ont pas été expressément approuvés, n'ont cependant fait obstacle à l'expression d'un consentement valable à l'opération d'aménagement.

L'objet du contrat et ses éléments essentiels étaient, en effet, parfaitement déterminés par les devis descriptifs et estimatifs détaillés des 15 et 19 octobre et 17 et 18 décembre 2015 décrivant chacun des éléments de cuisine et de salles de bains et des appareils électroménagers, ainsi que par les deux devis récapitulatifs acceptés du 18 décembre 2015, ce dont il résulte que la société ACME a satisfait à son obligation générale d'information précontractuelle.

Au demeurant tout manquement éventuel aux dispositions des articles L. 111'1 et suivants du code de la consommation ne pourrait être sanctionné au plan civil qu'en vertu des règles de droit commun de la validité des contrats.

Ainsi, dès lors qu'il est soutenu à tort que la société ACME ne se serait pas informée sur les besoins effectifs de ses clients, ni assurée de la faisabilité du projet, le contrat ne saurait être annulé pour absence de consentement libre et éclairé.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat conclu entre les parties le 18 décembre 2015 et condamné la société ACME au remboursement de la somme de 33'500 euros.

Sur la demande subsidiaire de résolution du contrat

La responsabilité spécifique des constructeurs des articles 1792 et suivants du code civil n'est pas applicable dès lors que les équipements de cuisine et de salles de bains étaient destinés à l'aménagement intérieur d'un bâtiment existant et que les désordres, de nature exclusivement esthétique, ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination, l'expert ayant relevé, ce qui n'est pas contesté, que les ouvrages peuvent être normalement utilisés malgré des erreurs d'alignement, des décollements, une mauvaise réalisation des joints et la présence de traces et de rayures inesthétiques.

La prise de possession et le paiement intégral du prix du marché font présumer de la réception tacite des travaux, peu important l'absence de procès-verbal de réception contradictoire.

Aucun élément du dossier ne permet de détruire cette présomption de réception sans réserve dès lors que ce n'est que plusieurs mois après le paiement intégral des factures intervenu le 21 décembre 2016 que les époux [L] se sont plaints pour la première fois de l'existence de divers désordres. Le premier courrier de réclamation est, en effet, en date du 22 mars 2017, tandis que les désordres ont fait l'objet d'une description détaillée par constat d''huissier du 2 novembre 2017 suivi d'une lettre recommandée de mise en demeure du 6 novembre 2017.

Il est de principe que l'entrepreneur ne répond pas des désordres apparents à la réception et non réservés.

L'expert judiciaire a considéré que les désordres étaient visibles à la réception à l'exception de la dégradation des caches des blocs des prises électriques.

Il n'explique pas toutefois précisément en quoi ils auraient présenté un caractère apparent pour un maître d'ouvrage profane.

Or, il résulte de ses constatations techniques que les désaffleurements, les défauts d'alignement et les bords non jointifs se mesurent en quelques millimètres seulement sans altérer l'aspect général des éléments de cuisine et de salle de bains, ce qui ressort des nombreuses photographies annexées à son rapport, étant observé que rien ne permet d'affirmer que les décollements étaient déjà présents à la livraison.

L'expert explique en outre qu'il n'est pas en mesure de se prononcer sur le caractère visible à la réception des légères rayures présentes sur l'évier et les vasques en résine de synthèse, lesquelles d'ailleurs n'apparaissent pas sur les photographies, ni même sur celles prises de plus près le 2 novembre 2017 par l'huissier [V].

La cour estime dès lors que les défauts litigieux, qui n'affectaient pas grossièrement l'aspect extérieur des mobiliers et qui n'altéraient en rien leurs fonctionnalités, n'ont pu se révéler qu'à l'usage pour des utilisateurs normalement attentifs et vigilants, de sorte que la société ACME ne peut se prévaloir de leur caractère apparent à la réception pour échapper à toute responsabilité.

Il est cependant constant que les malfaçons n'empêchent pas un usage normal des équipements en présence de dommages exclusivement esthétiques.

Ainsi, même si le coût des travaux de reprise estimé par l'expert est élevé, elles ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier la résolution du contrat, alors que l'expert a très clairement indiqué qu'elles n'affectent que le réglage et l'alignement des façades des portes et des tiroirs, mais en aucun cas la structure des caissons ni les éléments électroménagers.

La demande subsidiaire de résolution du contrat d'entreprise sera par conséquent rejetée.

Sur la demande très subsidiaire en dommages et intérêts

Il résulte des développements précédents que la cuisine et les salles de bain fournies et posées par la société ACME sont affectées de défauts d'exécution engageant la responsabilité contractuelle de cette dernière, qui était tenue de délivrer des ouvrages exempts de tous désordres, y compris d'aspect.

L'expert judiciaire, qui a formellement exclu toute indemnisation sur la base des devis de remplacement total de l'ensemble des éléments de cuisine et de salles de bains des sociétés Schmidt et Art & finitions en l'absence de toute atteinte à la destination ou à la solidité des mobiliers et des équipements électroménagers, a évalué au vu des devis présentés le coût des travaux de reprise nécessaires à la somme de 13'464,64 euros TTC au titre d'une part des travaux de dépose, de remplacement, d'alignement et de finition de divers éléments (façades mélaminées, étagères, plinthes, panneaux d'habillage) pour une somme de 1991 euros, et d'autre part du remplacement du plan de travail de la cuisine et des plans vasques des salles de bains pour une somme de 11473,64 euros.

La société ACME sera par conséquent condamnée au paiement de la somme de 13'464,64 euros TTC à titre de dommages et intérêts.

Les maîtres d'ouvrage, qui eu égard au prix du marché de travaux étaient en droit d'attendre une prestation irréprochable, subissent depuis plusieurs années des défauts de finition malgré plusieurs interventions de la société ACME n'ayant pas remédié à l'ensemble des imperfections.

Ils justifient ainsi avoir subi un préjudice moral et de jouissance ouvrant droit à une indemnisation supplémentaire.

Il leur sera alloué de ces chefs la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Obtenant partiellement gain de cause en appel la société ACME ne saurait toutefois être condamnée à de quelconques dommages et intérêts pour recours abusif.

L'équité commande en revanche de faire à nouveau application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des intimés.

Les dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise judiciaire, sont à la charge de la société ACME.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a alloué à M. et Mme [L] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau :

déboute M. [P] [L] et Mme [N] [L] de leurs demandes d'annulation et de résolution du contrat d'entreprise conclu entre les parties le 18 décembre 2015,

déclare la SARL ACME responsable des défauts d'aspect affectant les mobiliers et équipements de cuisine et de salles de bains installés au domicile de M. et Mme [L],

condamne la SARL ACME à payer à M. [P] [L] et Mme [N] [L] les sommes de 13'464,64 euros TTC en réparation de leur préjudice matériel et de 2000 euros en réparation de leur préjudice moral et de jouissance,

dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour recours abusif,

condamne la SARL ACME à payer à M. [P] [L] et Mme [N] [L] une nouvelle indemnité de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette la demande formée de ce chef par l'appelante,

Condamne la SARL ACME aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise judiciaire.