CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 11 septembre 2024, n° 23/12671
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Acomex (EURL)
Défendeur :
Lussiol (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gerard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Imperatore, Me Ladouce, Me Joly
EXPOSE DU LITIGE
A compter du mois de novembre 2015 la société Acomex est devenue l'agent commercial de la société Lussiol avec pour mandat la distribution de luminaires auprès de grandes surfaces et ce, pour les territoires et collectivités d'outre-mer et l'Afrique.
Des dissensions sont apparues dès l'année 2017 entre les deux sociétés.
Le 2 avril 2021 la société Acomex, estimant que la société Lussiol était responsable de la rupture du mandat d'agent commercial, a saisi le tribunal de commerce de Draguignan afin d'obtenir le paiement d'une indemnité de cessation à hauteur de 22 226 euros et d'une indemnité de préavis d'un montant de 2 778,24 euros hors taxe.
Par jugement en date du 26 juillet 2022 le tribunal de commerce a fait droit à l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Lussiol et s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Dunkerque, lieu du siège social du défendeur.
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Par acte du 8 août 2022 la société Acomex a interjeté appel du jugement, et a été autorisée par ordonnance du 12 août 2022 à assigner la société Lussiol à jour fixe.
Le 9 mars 2023 la présidente a prononcé le retrait du rôle de l'affaire à la demande des parties.
L'affaire a fait l'objet d'une décision de réenrôlement le 11 octobre 2023.
Par ordonnance d'incident en date du 16 mai 2024 le conseiller de la mise en état, saisi par la société Lussiol d'une demande tendant à écarter certaines pièces des débats aux motifs que ces pièces seraient des faux, a rejeté la demande, estimant que cette question relevait de la compétence de la cour.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 30 avril 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Acomex (Eurl) demande à la cour de :
Vu les articles 83 et suivants du code de procédure civile,
Recevoir la société Acomex en son appel et le dire bienfondé,
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Débouter la SAS Lussiol de son exception d'incompétence mal fondée ;
Vu l'article 46 du CPC,
Déclarer le Tribunal de Commerce de Draguignan territorialement compétent pour connaître des demandes de la société Acomex ;
Vu l'article 508 du CPC,
Dire et juger qu'il est de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive et en conséquence évoquer le fond du dossier ;
Vu les articles L134-11 et L134-12 du Code de Commerce,
Condamner la SAS Lussiol à régler par provision à la société Acomex les indemnités suivantes, outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 15 février 2021 :
- 2.278,24 € HT au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté ;
- 22.226 € au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat ;
Vu l'article R134-3 du Code de Commerce,
Condamner la SAS Lussiol, sous peine d'une astreinte de 500 € par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, à communiquer à la société Acomex la copie de toutes les factures adressées depuis le 1 er janvier 2017 à la clientèle de son secteur géographique, accompagnée des comptes clients correspondants ;
Vu l'article L134-6 du Code de Commerce,
Condamner la société Lussiol à régler à la société Acomex la somme de 1.122,84 € TTC au titre de sa facture de commissions du 30 novembre 2020
Donner acte à la société Acomex de ce qu'elle se réserve de compléter ses demandes au titre des indemnités ci-avant évoquées dès lors que la SAS Lussiol aura déféré à la demande de communication d'éléments comptables ;
Vu l'article 700 du CPC,
Condamner la SAS Lussiol à régler à la société Acomex la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens ceux d'appel distraits au profit de Maître Pierre-Yves Imeratore, membre de la Selarl LX Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.
Au soutien de son appel, la société Acomex fait valoir que :
- les pièces contestées par la société Lussiol ne constituent pas des faux et n'ont pas lieu d'être écartées,
- en application de l'article 46 du code de procédure civile, le tribunal compétent pour connaître du litige est celui de l'exécution de la prestation de services ; or, l'agent commercial centralise l'exécution de ses prestations de service pour le compte du mandant au lieu de son domicile professionnel, lequel est situé en l'espèce à Lorgues (83), de sorte que le tribunal de commerce de Draguignan est bien compétent ; la jurisprudence produite par la société Lussiol n'est plus d'actualité,
- sur le fond, compte-tenu des délais écoulés, l'évocation du litige par la cour est justifiée ; ainsi, la rupture du mandat n'est nullement due à son initiative de démissionner, contrairement à ce que soutient la société Lussiol, mais résulte des seuls dysfonctionnements et manquements du mandant à ses obligations,
- la carence de la société Lussiol dans la communication des éléments comptables nécessaires au calcul de ses commissions et indemnités justifie sa condamnation sous astreinte à produire ces documents
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Par conclusions en réponse enregistrées par voie dématérialisée le 7 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Lussiol (Sas) demande à la cour de :
Vu les articles 42 et suivants du CPC et la jurisprudence précitée, vu les articles L 134-11 et suivant, L 442-6§5 du Code de commerce, 1240 du Code civil, et 1383 et 1383-2 du Code civil,
Confirmer le jugement rendu par le tribunal de Commerce de Draguignan, en ce qu'il s'est déclaré incompétent territorialement au profit du tribunal de Commerce de Dunkerque.
Se déclarer incompétente au profit du tribunal de Commerce de Dunkerque.
A titre subsidiaire, au cas où la Cour se reconnaîtrait territorialement compétente :
Débouter en l'état l'EURL Acomex, de sa demande tendant à voir évoquer le fond de l'affaire, en même temps que la compétence territoriale.
A titre infiniment subsidiaire, au cas où la Cour entendrait statuer sur le fond,
Donner acte à l'EURL Acomex de l'aveu judiciaire relatif à l'imputabilité de la rupture.
Débouter l'EURL Acomex de l'ensemble de ses demandes.
Donner acte à la SAS Lussiol de la production spontanée de pièces suffisantes pour statuer.
Donner acte à la SAS Lussiol de ce qu'elle procédera au règlement de la facture de novembre 2020 de 1 122, 84 euros TTC, dès que Acomex l'aura adressée à son service comptable.
Juger que la rupture du contrat d'agent commercial est le fait de l'EURL Acomex.
Condamner en conséquence cette dernière :
- Au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis de 2 733,28 euros TTC
- Au paiement de dommages et intérêts pour brusque rupture, d'un montant de 95 000 euros.
Condamner l'EURL Acomex au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamner l'EURL Acomex au paiement d'une somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du CPC, ainsi qu'en tous les frais et dépens.
La société Lussiol réplique que :
- elle conteste l'évocation par la cour sollicitée par la société Acomex dès lors qu'en saisissant le tribunal de commerce de Draguignan elle a retardé elle-même l'issue du litige et ne saurait la priver d'un degré de juridiction,
- au visa de l'article 42 du code de procédure civile la juridiction compétente est par principe celle du siège social du défendeur, lequel est situé dans le Nord (59) ; le siège social invoqué par la société Lussiol correspond au domicile personnel de M. [N] ; le règlement CE invoqué par l'appelante n'a pas lieu de s'appliquer s'agissant de deux sociétés françaises,
- sur le fond, elle est bien-fondée à dénoncer la production par la société Acomex de faux, dont elle demande qu'ils soient écartés des débats ; il n'y a pas lieu par ailleurs à la communication sous astreinte de documents, ceux-ci ayant d'ores et déjà été communiqués et ayant permis d'ailleurs à la société Acomex de chiffrer ses demandes d'indemnités ; la société Acomex est à l'origine de la rupture du mandat dès lors qu'elle a fait le choix de ne plus travailler avec elle en démissionnant ; elle conteste l'ensemble des griefs qui lui sont faits concernant le manquement à ses obligations et dénonce au contraire les insuffisances de son mandataire.
MOTIFS
Sur la compétence territoriale :
Il résulte de l'article 42 du code de procédure civile que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
Néanmoins, en application de l'article 46 du code de procédure civile le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service en matière contractuelle.
Si la mission de l'agent commercial peut comporter des prestations de démarchage et de prospection sur les sites correspondant à son périmètre d'intervention, ces prestations ne sauraient à elles-seules caractériser la prestation contractuelle de l'agent.
Ainsi, l'agent commercial, qui gère les commandes, et plus généralement les relations avec la clientèle et le mandant, qui procède à la facturation de ses commissions, centralise ses activités de prestations de services au siège ou à l'adresse de l'agent commercial.
Par ailleurs, les indemnités de fin de contrat, en ce qu'elles supposent une discussion sur le respect des obligations réciproques des parties, au travers notamment de l'appréciation de la faute grave de l'agent commercial de nature à le priver du bénéfice de ces indemnités, impliquent, lorsqu'elles sont contestées, un débat sur l'exécution des prestations des parties au contrat de mandat.
Dès lors, le litige portant sur le bien-fondé et le quantum des demandes indemnitaires de l'agent ne peut être dissocié de celui de l'exécution du contrat d'agent commercial et des modalités de sa rupture.
En l'espèce, en l'absence de contrat écrit entre les parties, le mandant n'établit pas que l'activité de prospection de l'agent prévalait sur toute autre prestation, et ne précise pas davantage le lieu d'exécution principal, étant rappelé que la zone de prospection s'étend de l'Afrique aux territoires et collectivités d'outre-mer.
Il résulte de ce qui précède que la société Acomex disposait dès lors d'une option de compétence et était bien-fondée à saisir le tribunal de commerce de Draguignan, tribunal du lieu du siège social de la société, domiciliée à Lorgues dans le Var, et lieu d'exécution principale de ses prestations.
Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Dunkerque, lieu du siège social du défendeur, et en ce qu'il a laissé la charge de dépens à la société Acomex.
Sur la demande d'évocation :
Aux termes des dispositions de l'article 568 du code de procédure civile, lorsque la cour d'appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.
L'évocation ne fait pas obstacle à l'application des articles 554, 555 et 563 à 567.
En l'espèce, en dépit des délais écoulés, la nature de l'affaire ne nécessite pas qu'il soit fait exception au premier degré de juridiction, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'évoquer l'affaire au fond.
Il en résulte notamment que le débat relatif aux pièces dont l'exclusion est demandée relève du seul juge du fond, ces pièces n'ayant pas d'incidence sur l'appréciation de la compétence territoriale.
Sur les frais et dépens :
La société Lussiol, partie succombante, conservera la charge des dépens de première instance et d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et sera tenue de payer à la société Acomex la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 juillet 2022 par le tribunal de commerce de Draguignan,
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
Dit le tribunal de commerce de Draguignan compétent pour connaître des demandes de la société Acomex à l'encontre de la société Lussiol formées par assignation du 2 avril 2021,
Renvoie les parties devant ce même tribunal afin qu'il soit statué au fond sur leurs demandes respectives, en ce compris la demande tendant à voir écarter certaines pièces des débats,
Dit n'y avoir lieu à évocation du litige,
Condamne la société Lussiol aux dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société Lussiol à payer à la société Acomex la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.