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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 11 septembre 2024, n° 23/06321

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Astic Emballage (SAS)

Défendeur :

Entourage (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mme Masson-Bessou, Mme Drahi

Avocats :

Me Sourbe, Me Wuibout, Me Pousset-Bougere

T. com. Saint-Etienne, du 01 août 2023, …

1 août 2023

Exposé du litige

La société Entourage immatriculée le 11 janvier 1956 a pour activité le commerce de gros d'emballage. Ses produits sont destinés à l'Industrie, l'Agroalimentaire et aux Métiers de bouche.

Elle invoque un savoir-faire spécifique en cartonnage, sacherie, papiers, calages et matériels.

La société Astic Emballage immatriculée le 30 janvier 1973 a la même activité de commerce de gros d'emballage que la société Entourage.

Par requête du 1er février 2023, la société Entourage, au motif du débauchage de 3 salariés, du démarchage de clients, et de l'utilisation de produits réalisés sur mesure pour elle-même, a sollicité par requête déposée auprès du président du tribunal de commerce la désignation d'un Commissaire de justice aux fins de réalisation de constat.

Par ordonnance du 24 février 2023, et après avoir sollicité des éléments complémentaires, le Président du Tribunal de commerce de Saint-Etienne a fait droit à la requête.

Les opérations de constat au sein de la société Astic Emballage ont été effectuées le 6 mars 2023.

Par ordonnance de référé du 1er août 2023, le Président du Tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

Confirmé l'ordonnance 20230P119 rendue le 24/02/2023 en toute ses dispositions ;

Ordonné la mainlevée du séquestre et la remise aux parties des tous les éléments issus de la mesure de constat instrumentée par Maître [C] commissaire de justice associé au sein de la S.A.R.L. Auralax, et séquestrés dans le cadre de sa mission telle que définie dans l'ordonnance présidentielle 20230P119 du 24/02/2023 ;

Dit que cette mainlevée ne sera effective qu'à compter du jour où la présente décision sera définitive ;

Débouté la SAS Astic Emballage de toutes ses demandes ;

Condamné la SAS Astic Emballage à régler à la SAS Entourage la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la SAS Astic Emballage aux entiers dépens, dont frais de Greffe taxés et liquidés à 40,66 € TTC ;

Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

La SAS Astic Emballages a interjeté appel par déclaration enregistrée le 3 août 2023.

Par conclusions régularisées au RPVA le 26 septembre 2023, la société Astic Emballages demande à la cour :

Réformer l'ordonnance portant le RG 2023R00120 en date du 1er août 2023, et statuant à nouveau :

A titre principal rétracter purement et simplement l'Ordonnance du 24 février 2023 (2023OP00119) ;

A titre subsidiaire, rétracter l'ordonnance du 24 février 2023 en ce qu'elle a visé les sociétés Diager Legallais et CDPR qui n'entraient pas dans le champ de la requête.

En tout état de cause,

Ordonner la restitution à la société Astic Emballages de tous les éléments en la possession de la société Entourage, de ses huissiers et/ou experts et / ou conseils tels qu'issus des opérations annulées et/ou rétractées ;

Ordonner la destruction des pièces et procès-verbaux conservés par les huissiers de justice et experts ainsi que de tous éléments se rapportant aux opérations annulées et/ou rétractées ;

Condamner la société Entourage à payer à la concluante la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société Entourage aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP Baufume Sourbe.

Par conclusions régularisées au RPVA le 26 octobre 2023, la société Entourage demande à la cour :

Vu l'article 145 du Code de procédure civile,

Confirmer l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Saint-Etienne le 1er août 2023 en ce qu'elle a :

Confirmé l'ordonnance 2023OP119 rendue le 24 février 2023 en toutes ses dispositions ;

Ordonné la mainlevée du séquestre et la remise aux parties de tous les éléments issus de la mesure de constat instrumentée par Maître [C] commissaire de justice associé au sein de la S.A.R.L. Auralaw, et séquestrés dans le cadre de sa mission telle que définie dans l'ordonnance présidentielle 2023OP119 du 24 février 2023 ;

Ordonné que cette mainlevée ne sera effective qu'à compter du jour où la présente décision sera définitive ;

Débouté la société Astic Emballage de toutes ses demandes ;

Condamné la société Astic Emballage à régler à la société Entourage la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Y ajoutant :

Débouter la société Astic Emballage de l'ensemble de ses demandes ;

Condamner la société Astic Emballage à payer à la société Entourage la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé des moyens développés par les parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile il sera fait référence à leurs écritures.

MOTIFS

A titre liminaire, il sera rappelé que les "demandes" tendant à voir "constater" ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du Code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des "demandes" tendant à voir "Dire et Juger" lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Selon l'article 145 du Code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ».

L'article 493 dispose que « l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ».

Selon l'article 494, la requête et l'ordonnance doivent être motivées.

Sur l'existence d'un motif légitime :

Le demandeur doit justifier d'un motif légitime, en ce sens qu'il lui appartient d'établir qu'un litige potentiel existe et qu'il a besoin à ce titre, pour l'engagement éventuel d'une procédure judiciaire, d'éléments de preuve qui lui font défaut.

Il doit établir que le procès est possible, mais l'article 145 du Code de procédure civile n'exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée.

La mesure doit être utile et pertinente.

La société Entourage a invoqué disposer d'un faisceau d'indices concordants laissant penser que la société ASTIC Emballage a recruté aux termes d'un démarchage actif, plusieurs de ses salariés : M. [K] son manager, M. [Y] un de ses quatre développeurs, et Mme [P], assistante commerciale, lesquels ont quitté la société Entourage pour la société Astic entre juin et août 2022.

Elle soutient ainsi subir une véritable désorganisation aux fins de déstabilisation alors que de surcroît, messieurs [K] et [Y] étaient liés par des clauses de non-concurrence délibérément violées par les intéressés.

Elle ajoute que certains de ses fournisseurs ont été sollicités par Astic Emballage sur des produits fabriqués à sa demande, qu'elle subit une importante perte de chiffres d'affaires sur les secteurs de messieurs [K] et [Y].

La cour relève qu'à l'appui de la requête, la société Emballage a communiqué notamment :

un organigramme selon lequel [V] [K] était le manager des développeurs parmi lesquels [L] [Y] ;

un avenant du 16 septembre 2009 au contrat de travail de [V] [K] comportant une clause de non concurrence d'un an sur les départements 73, 74 et une partie du 38 ;

un compte-rendu d'entretien du 22 novembre 2002 de son responsable développement client indiquant que le groupe HTI lui avait expliqué suivre [V] [K] dans sa nouvelle entité ;

une ordonnance de référé du Conseil des Prud'hommes de Valence du 20 décembre 2022 reconnaissant la violation par M. [K], engagé par la société Astic Emballage à partir du 15 juin 2022 de la clause de non concurrence ;

le bulletin de salaire, solde de tout compte de M. [Y] du 4 novembre 2022 ;

la lettre recommandée adressée à celui-ci le 22 août 2002 lui confirmant l'application de la clause de non concurrence pour les départements 01,71,39 et 69 ;

un courriel reçu le 5 décembre 2022 d'un fournisseur indiquant avoir reçu une demande de prix du groupe Astic pour une caisse (COD 183693) fabriquée pour la société Entourage ;

un autre échange de courriels évoquant un autre produit COD 179621 fabriqué pour la société Entourage ;

un troisième échange de courriels avec un autre fournisseur contacté par [V] [K] pour des ceintures habituellement fournies à la société Entourage ;

une attestation de perte de chiffre d'affaires recentré sur les départements des secteurs de [V] [K] et [L] [Y] lors de leur emploi chez la société Entourage.

La cour constate que si la société Astic Emballage produit un arrêt de la cour d'appel de Grenoble disant le CPH de [Localité 3] non compétent et renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Lyon, le contenu de l'ordonnance renseigne sur la situation d'emploi de M. [K] auprès de la société Entourage et de l'existence d'une clause de non concurrence alors qu'il a été recruté par la société Astic Emballage.

Si l'appelante invoque au titre de l'absence d'intérêt légitime, l'absence de production par la société requérante de documents issus de sa comptabilité démontrant que les sociétés Guillot, Atlantic, Legallais, CDPR, Pilot, Diager, Poma, Sacmi, Savours et Ponvert feraient partie de sa clientèle ; et s'est contentée de produire un courriel d'une salariée accompagné d'un tableau listant des clients contactés par Astic Emballage, la cour rappelle que la société Entourage se devait d'apporter des indices de la potentialité d'un litige et non une preuve d'un détournement de clientèle puisque la mesure vise à obtenir la preuve d'une concurrence déloyale.

De par les soupçons de débauchage et demandes présentées par la société Astic Emballage auprès de fournisseurs sur des références de produits fabriqués pour la société Entourage, la cour considère que celle-ci a suffisamment démontré d'un motif légitime à l'appui de sa demande de constat.

Sur la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire :

La nécessité de dérogation au principe du contradictoire doit être expliquée de manière précise et circonstanciée.

La requête doit contenir une motivation sur la nécessité de déroger au principe de la contradiction et expliciter les circonstances qui justifient cette dérogation.

Le juge doit prendre en considération la requête dans son ensemble, la motivation requise pouvant découler de l'exposé par le requérant des circonstances de fait du litige, sans être nécessairement reprise dans un paragraphe dédié de la requête.

Si la requête est motivée, l'ordonnance du juge peut l'être par renvoi à la nature des faits et aux justifications du recours à une procédure non contradictoire énoncée par cette requête

S'il l'estime nécessaire, le juge peut compléter la motivation, à condition de rester dans les limites des circonstances exposées par le requérant.

En sa requête, la société Entourage a fait valoir la nécessité d'éviter que la société Astic Emballage, informée de la volonté de la société Entourage de procéder à des mesures de constat, procède à la dissimulation, l'altération et/ou la destruction de documents pouvant caractériser la commission des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

L'efficacité de la mesure sollicitée était donc subordonnée à un facteur de surprise et de discrétion, exclusif de toute contradiction. Elle a ajouté ne disposer d'aucun autre moyen que celui sollicité par la voie de requête, pour établir la portée des actes de concurrence déloyale commis par la société Astic Emballage.

La cour relève que la société Entourage a également exposé le contexte justifiant la dérogation au contradictoire. Les données informatiques, numériques ou électroniques (courriels) par lesquels ses anciens salariés précédemment cités ont pu utiliser ou communiquer des données lui appartenant ou protégées sont par essence furtives, et susceptibles d'être aisément détruites ou altérées.

L'effet de surprise est justifié. Il ne peut être imposé à la société requérante de solliciter une mesure d'expertise judiciaire.

La cour confirme la décision attaquée ayant retenu la nécessité de déroger au contradictoire.

Sur la mesure ordonnée :

La cour relève que la proportionnalité de la mesure ordonnée n'est pas discutée à hauteur d'appel.

La mesure est en l'espèce circonscrite dans le temps et en son objet par des mots-clefs, personnalisés et pertinents en lien avec le litige.

En conséquence, la cour confirme l'entière décision attaquée.

La décision attaquée a prévu la remise des pièces par le commissaire de justice une fois la décision définitive.

La cour d'appel dit que le commissaire de justice instrumentaire devra remettre les pièces saisies et procès-verbal à la société Entourage une fois acquis le caractère irrévocable du présent arrêt.

Sur les demandes accessoires :

La société Astic Emballage succombant, la cour confirme la décision déférée en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens et la condamne également aux dépens à hauteur d'appel.

La cour confirme en équité la décision déférée sur l'article 700 du Code de procédure civile et y ajoute à hauteur d'appel la condamnation de la société Astic Emballage au paiement d'une somme de 5 000 € sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l'appel,

La cour d'appel,

Confirme la décision attaquée.

Y ajoutant,

Dit que le commissaire de justice instrumentaire devra remettre à la société Entourage le procès-verbal et les pièces saisies une fois acquis le caractère irrévocable du présent arrêt,

Condamne la société Astic Emballage aux dépens à hauteur d'appel,

Condamne la société Astic Emballage à payer à la société Entourage la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel,

Rejette toute autre demande.