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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 11 septembre 2024, n° 21/03456

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Config (SA)

Défendeur :

Cinodis (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohée

Avocats :

Me Teytaud, Me Olivier, Me Leclerc

TJ Paris, 4e ch. 2e sect., du 29 oct. 20…

29 octobre 2020

EXPOSÉ DU LITIGE :

La S.A.S CINODIS, anciennement S.A.R.L CB NETWORKS (ci-après la société CINODIS), est spécialisée dans la distribution et le conseil en produits de télécommunications.

La S.A CONFIG (ci-après la société CONFIG) est spécialisée dans la distribution de solutions de sécurité informatique.

Le 10 février 2012, M. [C] [O], ingénieur commercial, a remis sa lettre de démission à son employeur, la société CINODIS. Après réduction de son préavis, il a quitté les effectifs le 29 février 2012 et a intégré le 1er mars 2012 la société CONFIG dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée au poste d'ingénieur commercial.

Par lettre en date du 1er mars 2012, M. [E] [H], ingénieur support, a démissionné de la société CINODIS, son départ est intervenu le 30 avril 2012, après réduction de son préavis et il a intégré le 9 mai 2012 la société CONFIG dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée au poste de technicien en vente.

Le 23 juillet 2012, M. [W] [I], ingénieur commercial, a démissionné de la société CINODIS, après réduction de son préavis, il a quitté les effectifs le 28 septembre 2012 et a intégré le 1er octobre 2012 la société CONFIG dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en tant qu'ingénieur commercial.

Par procès-verbal en date du 23 octobre 2012, la société CONFIG a fait procéder à des constatations sur le téléphone portable mis à la disposition de M. [I] lorsqu'il travaillait pour la société CINODIS. Ont été relevés notamment des échanges téléphoniques entre ce dernier et MM. [H] et [O] ainsi qu'avec le dirigeant et des salariés de la société CONFIG, entre avril et septembre 2012.

Par courrier recommandé en date du 10 décembre 2012, la société CINODIS a mis en demeure la société CONFIG de cesser tout acte de concurrence déloyale à son encontre, lui reprochant le débauchage fautif de ses salariés et le démarchage illicite de sa clientèle.

Par courrier recommandé en date du 10 décembre 2012, la société CINODIS a indiqué à M. [I] que son embauche au sein de la société CONFIG constituait une violation de la clause de non concurrence prévue par son contrat de travail. Elle l'a mis en demeure de cesser toute activité concurrente et l'a informé qu'elle ne lui verserait pas la contrepartie financière prévue au titre de la clause de non-concurrence.

Par ordonnance du 12 novembre 2012 rendue sur requête de la société CINODIS en date du même jour, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné Maître [Y], huissier de justice, aux fins de se rendre au siège social de la société CONFIG et de recueillir tous documents tendant à prouver le débauchage des salariés de la société CINODIS ou le démarchage de ses clients.

Ces opérations se sont déroulées le 30 novembre 2012.

L'ensemble des documents a été séquestré en l'étude de l'huissier de justice.

Par ordonnance du 5 avril 2013, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 12 novembre 2012.

Par ordonnance du 11 juillet 2013, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a levé le séquestre sur la totalité des pièces saisies.

La société CONFIG a interjeté appel de ces deux décisions et a obtenu l'arrêt partiel de l'exécution provisoire par ordonnance du 8 janvier 2014 du premier président de la cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 2 octobre 2014, la cour d'appel de Paris a confirmé les ordonnances des 5 avril et 11 juillet 2013.

Par procès-verbal de remise du 22 janvier 2015, Maître [Y], huissier de justice, a remis à la société CINODIS l'intégralité des pièces jusqu'alors séquestrées.

Par actes d'huissier délivrés les 2 et 14 juin et les 1er et 7 juillet 2016, la société CINODIS a fait assigner la société CONFIG ainsi que MM. [I], [H] et [O] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'indemnisation des préjudices subis du fait de leurs actes de concurrence déloyale et de leur comportement parasitaire.

Par ordonnance du 29 janvier 2018, le juge de la mise en état a :

déclaré M. [I] et la société CONFIG irrecevables en leur exception d'incompétence,

débouté MM. [H] et [O] de leur exception d'incompétence,

fait injonction à la société CONFIG de communiquer certaines pièces,

enjoint aux parties de faire connaître leur éventuel accord à une mesure de médiation.

Par ordonnance du 24 janvier 2019, le juge de la mise en état a ordonné une mesure de médiation, laquelle n'a pas trouvé d'issue favorable.

Par jugement rendu le 29 octobre 2020 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris a:

condamné la S.A CONFIG à payer à la S.A.S CINODIS la somme de 150 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en réparation du préjudice financier résultant des actes de concurrence déloyale,

ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus au moins une année entière, à compter du jugement,

débouté la S.A.S CINODIS de ses demandes de condamnation en réparation du préjudice financier résultant des actes de concurrence déloyale formées à l'encontre de Monsieur [W] [I], de Monsieur [C] [O] et de Monsieur [E] [H],

débouté la S.A.S CINODIS de sa demande en réparation du préjudice financier résultant du comportement parasitaire,

condamné Monsieur [C] [O] à payer à la S.A.S CINODIS la somme de 1.000 euros en réparation de son préjudice moral,

condamné Monsieur [E] [H] à payer à la S.A.S CINODIS la somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral,

débouté la S.A.S CINODIS de ses demandes de réparation du préjudice moral formées à l'encontre de la S.A CONFIG et de Monsieur [W] [I],

débouté Monsieur [W] [I], Monsieur [C] [O] et Monsieur [E] [H] de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive,

condamné la S.A CONFIG à payer à la S.AS CINODIS la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté la S.A.S CINODIS de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigées à l'encontre de Monsieur [W] [I], de Monsieur [C] [O] et de Monsieur [E] [H],

débouté la S.A CONFIG, Monsieur [W] [I], Monsieur [C] [O] et Monsieur [E] [H] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la S.A CONFIG aux dépens, en ce compris les frais d'huissier liés à l'exécution de la mesure d'instruction, avec recouvrement direct au profit des avocats qui en ont fait la demande en application de l'article 699 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire.

La société CONFIG a interjeté appel de ce jugement le 19 février 2021.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société CONFIG par jugement du tribunal de commerce de Paris le 11 juillet 2022, convertie en procédure de liquidation judiciaire par jugement du 7 décembre 2022.

La société CONFIG ayant omis la société CINODIS de la liste de ses créanciers, il a été fait droit à sa demande de relevé de forclusion par ordonnance du juge commissaire du 28 novembre 2022, la société CINODIS procédant régulièrement à sa déclaration de créance au passif de la société CONFIG.

Les organes de la procédure collective sont intervenus dans la présente instance.

Dans leurs dernières conclusions, transmises le 28 mars 2023, la SELARL FIDES, représentée par Maître [B] [K], ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société CONFIG et la société AJRS, représentée par Maître [X] [T], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société CONFIG, appelantes, demandent à la cour de :

Vu l'article 1382 du code civil dans sa version applicable aux faits de l'espèce,

Vu les pièces versées aux débats,

recevoir la SELARL FIDES, en la personne de Maître [B] [K] es qualités de mandataire judiciaire liquidateur et la SELARL AJRS, en la personne de Maître [X] [T] es qualités d'administrateur judiciaire de la société CONFIG, en leurs demandes, fins et conclusions au nom de leur administrée en liquidation judiciaire ;

déclarer que la société CONFIG ne s'est rendue coupable d'aucun acte de concurrence déloyale ni de parasitisme au préjudice de la société CINODIS, en recrutant trois salariés libres de tout engagement au moment de leur embauche, alors que la société CINODIS ne prouve aucune désorganisation subie du fait de ces embauches, ni aucun détournement de clientèle ;

En conséquence,

infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 29 octobre 2020, en ce qu'il a condamné la société CONFIG à payer à la société CINODIS la somme de 150 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en réparation du préjudice financier résultant des actes de concurrence déloyale ;

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société CINODIS de sa demande de réparation de son préjudice financier au titre du comportement parasitaire ;

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société CINODIS de sa demande de réparation au titre du préjudice moral ;

infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société CONFIG de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CONFIG à verser à la société CINODIS la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CONFIG aux dépens ;

Statuant à nouveau,

débouter la société CINODIS de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions;

En tout état de cause,

condamner la société CINODIS à payer à la société CONFIG une somme de 50.000 (cinquante mille) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamner la société CINODIS aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître François TEYTAUD, AARPI TEUTAUD-SALEH, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 8 mars 2023, la société CINODIS, intimée et appelante incidente, demande à la cour de :

Vu les articles 1382, 1383 et 1384 du Code Civil en leur ancienne version applicable au litige,

Vus les articles 200 et suivants du Code de Procédure Civile,

Vu le procès-verbal de constat de Maître [Y] du 30 novembre 2012,

à titre incident, d'infirmer le Jugement rendu le 29 octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de Paris (RG 16/11154) en ce qu'il a :

condamné la société CONFIG à payer à la société CINODIS la somme de 150.000 euros avec intérêt au taux légal à compter du jugement, en réparation du préjudice financier résultant des actes de concurrence déloyale ;

débouté la société CINODIS de sa demande en réparation du préjudice financier résultant du comportement parasitaire de la société CONFIG,

débouté la société CINODIS de sa demande de réparation du préjudice moral formée à l'encontre de la société CONFIG,

Le confirmant pour le surplus,

Et, statuant à nouveau,

fixer la créance de la société Cinodis au passif de la société Config à la somme de 1.589.609,13 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier résultant des actes de concurrence déloyale ;

fixer la créance de la société Cinodis au passif de la société Config à la somme de 75.000 euros en réparation du préjudice financier résultant de son comportement parasitaire,

fixer la créance de la société Cinodis au passif de la société Config à la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral,

fixer la créance de la société Cinodis au passif de la société Config à la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

statuer ce que de droit sur les dépens, dont distraction au profit de Maître Charles-Hubert OLIVIER, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

débouter la société CONFIG de l'intégralité de ses demandes,

fixer la créance de la société Cinodis au passif de la société Config à hauteur des intérêts à valoir sur les sommes précitées au taux d'intérêt légal à compter de l'assignation du 14 juin 2016 devant le Tribunal Judiciaire de Paris,

ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1254 du Code Civil,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

À titre liminaire, la cour prend acte de l'intervention des organes de la procédure collective de la société CONFIG dans la présente instance et constate que les salariés n'ont pas été attraits à la procédure d'appel.

Sur les chefs non contestés du jugement

Le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a :

débouté la S.A.S CINODIS de ses demandes de condamnation en réparation du préjudice financier résultant des actes de concurrence déloyale formées à l'encontre de Monsieur [W] [I], de Monsieur [C] [O] et de Monsieur [E] [H],

condamné Monsieur [C] [O] à payer à la S.A.S CINODIS la somme de 1.000 euros en réparation de son préjudice moral,

condamné Monsieur [E] [H] à payer à la S.A.S CINODIS la somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral,

débouté la S.A.S CINODIS de ses demandes de réparation du préjudice moral formées à l'encontre de Monsieur [W] [I],

débouté Monsieur [W] [I], Monsieur [C] [O] et Monsieur [E] [H] de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive,

débouté la S.A.S CINODIS de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigées à l'encontre de Monsieur [W] [I], de Monsieur [C] [O] et de Monsieur [E] [H],

débouté la S.A CONFIG, Monsieur [W] [I], Monsieur [C] [O] et Monsieur [E] [H] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est donc définitif de ces chefs.

Sur les faits de concurrence déloyale

La société CONFIG conteste les faits de concurrence déloyale qui lui sont imputés, faisant valoir que les départs des trois salariés résultent de la décision de la société CINODIS de modifier unilatéralement les conditions de leur rémunération, en supprimant leurs primes ; que ces démissions sont intervenues sans sollicitation ni approche déloyale de sa part, de surcroît, sur un marché ouvert, flexible et où la mobilité est importante. Elle conteste également le fait que les salariés aient commencé à travailler pour elle avant la fin de leur préavis; que concernant les appels passés avec les salariés, ils prouvent l'absence totale de man'uvre de débauchage ou de sollicitation, puisqu'ils sont à l'initiative de ces derniers, que son gérant ne fait que rappeler pour discuter les conditions d'embauche et d'organisation à l'entrée dans la société.

Sur le détournement de clientèle, elle rappelle que les relations avec les clients communs étaient antérieures à l'arrivée des trois salariés en cause, outre que certains revendeurs, intégrateurs, travaillent indifféremment avec différents grossistes et comparent leurs tarifs et disponibilités. Elle ajoute que la société CINODIS ne démontre pas que la perte de certains clients a sérieusement et durablement impacté son activité et conteste toute responsabilité dans la perte des projets alléguée.

La société CINODIS maintient avoir été victime d'un débauchage fautif de ses salariés MM. [O], [H] et [I] et d'un détournement de sa clientèle par la société CONIFIG, sa concurrente. Sur le débauchage, elle expose que le départ brutal de ses trois salariés les plus qualifiés et expérimentés occupant des postes clés a désorganisé son activité. Elle retient que l'orchestration du débauchage illicite par la société CONFIG été révélée par la mesure d'instruction in futurum, outre l'offre de conditions de rémunération extrêmement favorables qu'ils ne pouvaient refuser. Elle ajoute que M. [I] était lié par une clause de non-concurrence, délibérément violée par CONFIG et que MM. [H] et [O] ont commencé à travailler pour la société CONFIG avant même leur départ effectif.

Sur le détournement de clientèle, elle soutient que M. [I] a conservé son fichier clients et qui a été utilisé par la société CONFIG et que ce démarchage organisé auprès de sa clientèle a été favorisé par une politique tarifaire agressive de la société CONFIG. Elle fait valoir la perte de nombreux clients et projets en raison de ces agissements fautifs.

La cour rappelle que fondée sur les dispositions de l'ancien article 1382 du code civil applicable à la cause, l'action en responsabilité sur le fondement de la concurrence déloyale suppose la réunion de trois éléments, soit une faute commise par la personne dont la responsabilité est recherchée, un dommage et un lien de causalité entre le dommage et le comportement reproché.

En outre, le créancier d'une obligation de non concurrence inexécutée peut engager la responsabilité délictuelle du tiers complice qui a, fautivement, aidé le débiteur de cette obligation à la méconnaître ou qui l'a engagé en toute connaissance. Par ailleurs, le débauchage de salariés d'une société procédant de man'uvres déloyales émanant d'une société concurrente ayant conduit à sa désorganisation constitue également un comportement fautif.

Cependant, l'exercice par un ancien salarié, d'une activité concurrente de celle pratiquée par l'entreprise dans laquelle il était auparavant employé n'est pas constitutif d'actes de concurrence illicite ou déloyale, dès lors que cette activité n'était pas interdite par une clause contractuelle et qu'elle n'a pas été accompagnée d'actes déloyaux ou de pratiques illicites. Ainsi, dans ces conditions, un salarié peut mettre à profit l'expérience et les connaissances qu'il a acquises au profit d'un autre employeur, fût-ce dans le même secteur que celui de la société dont il était antérieurement salarié, et peut, pareillement, préparer sa future activité concurrente à condition que cette concurrence ne soit effective qu'après l'expiration du contrat de travail.

La charge de la preuve incombe au cas présent à la société CINODIS.

S'agissant du démarchage des salariés

Il est établi par la société CINODIS qu'en l'espace de cinq mois, entre février et juillet 2012, trois de ses salariés sur un effectif de dix, ont démissionné pour rejoindre la société CONFIG, soit trois des cinq ingénieurs que comptait la société CINODIS, et plus précisément, deux des trois ingénieurs commerciaux et un des deux ingénieurs support, aux compétences complémentaires.

Il ressort des pièces produites également que les conditions de rémunération offertes à ces salariés ont été particulièrement favorables (hausse substantielle de la part fixe et de la rémunération variable), sans qu'en outre, aucune période d'essai leur soit imposée.

A cet égard, la cour relève que ce n'est qu'a posteriori et pour les besoins de la cause dans laquelle ils étaient à l'époque partie que les trois salariés ont attesté avoir quitté la société CONFIG en raison de la dégradation de leurs conditions de travail et de rémunération, attestations à considérer en conséquence avec circonspection.

Enfin, le fait que ces trois salariés ne sont pas restés salariés sur une longue période au sein de la société CONFIG (soit respectivement durant un, trois et cinq ans) est indifférent quant au comportement fautif dénoncé par la société CINODIS.

Comme l'a relevé le tribunal, la société CINODIS démontre également au travers de la production de divers courriers électroniques que la société CONFIG a eu des échanges avec ses futurs salariés qui excédaient la simple évaluation de leur compétence ou la préparation de leur arrivée, sollicitant de leur part de commencer à travailler pour elle avant leur démission ou leur départ effectif de la société ( demande de reprise d'un devis, de préparation de matériel nécessaire pour réaliser un test') alors qu'elle n'ignorait pas qu'ils étaient encore liés par leur contrat de travail et tenus par une obligation de loyauté à l'égard de leur employeur. En outre, le fait que ces échanges portent sur des clients qui n'étaient pas communs aux deux sociétés est indifférent pour la reconnaissance de leur nature déloyale.

Il ne peut cependant être reproché à la société CONFIG de s'être rendue complice de la violation de la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail de M. [I], celle-ci ayant été jugée nulle par le tribunal de manière définitive.

La cour retient, en conséquence, que le débauchage, dans ces conditions, sur une courte période, d'une équipe opérationnelle portant sur près d'un tiers de l'effectif qualifié de la société CINODIS et le fait que ces salariés ont été amenés à travailler pour leur nouvel employeur avant la fin de leur contrat de travail ou de leur préavis, ont désorganisé la société CINODIS, au-delà d'une simple perturbation, et constituent des actes de concurrence déloyale commis par la société CONFIG, peu important que les deux sociétés ne soient concurrentes que sur une partie de l'activité développée par la société CONFIG.

Sur le détournement de la clientèle

Comme l'a pertinemment relevé le tribunal, dans le cadre des mesures de constat ordonnées sur requête et réalisées le 12 novembre 2012, il a été retrouvé sur l'ordinateur portable attribué à M. [I] par la société CONFIG les fichiers clients dénommés « Chrono » de 2009 à 2012 et des formulaires de devis appartenant à la société CINODIS.

Or, ces fichiers représentent incontestablement des informations stratégiques et confidentielles sur les clients de la société CINODIS permettant de connaître, outre leur identification, la personne à contacter dans chaque société, les offres qui lui ont été adressées, les commandes qui ont été passées, les produits livrés et les factures émises, qui n'étaient donc pas la propriété de M. [I], même si ce dernier a contribué à leur élaboration, alors qu'il était salarié de la société CINODIS.

En outre, comme l'a souligné le tribunal, il ressort des opérations de constat que M. [I] a organisé pour son nouvel employeur dans la semaine suivant son embauche auprès de la société CONFIG des petits déjeuners avec deux clients de la société CINODIS qui n'avaient encore jamais eu recours à la société CONFIG.

Le tribunal a encore justement constaté que les parties avaient versé aux débats la liste de prix PROXIM utilisée par la société CINODIS et la liste de prix PROXIM utilisée par la société CONFIG, que les propriétés du fichier informatique utilisé par cette dernière indiquent qu'il a été créé en mai 2006 par le gérant de la société CINODIS, que le fichier a été modifié par M. [I] depuis son compte CONFIG et qu'il ressortait de l'analyse de ces deux documents que la société CONFIG avait repris, pour l'essentiel, les mêmes prestations que celles proposées par la société CINODIS en diminuant ses prix par rapport à ceux de son concurrent, sur la liste utilisée par la société CONFIG apparaissant des pourcentages de réduction de prix par rapport à ceux pratiqués par la société CINODIS. La cour constate en outre que sur un courriel d'octobre 2012, M. [I] démarche un client de la société CINODIS le questionnant sur les prix pratiqués comparés à ceux de la société CINODIS et lui proposant « une remise de 35% pour vous permettre d'être plus compétitifs et pour vous souhaiter bienvenue chez config », soit une politique tarifaire assez agressive.

Comme l'a ainsi retenu le tribunal, cet ensemble d'éléments démontre que la société CONFIG a utilisé des informations stratégiques appartenant à la société CINODIS afin de mieux cibler et détourner certains clients, caractérisant ainsi des usages déloyaux.

Sur les faits de concurrence parasitaire

La société Config conteste les agissements parasitaires qui lui sont imputés. Elle ajoute que le fichier CHRONO n'appartient pas à la société CINODIS, qui ne prouve pas avoir consenti un quelconque investissement pour concevoir ce document ; que les listes de prix utilisées par les deux sociétés, ne sont pas identiques et que les éléments communs aux deux documents sont génériques et usuels en matière de maintenance et de support technique.

La société CINODIS soutient que la société CONFIG a tiré profit de ses efforts et de son savoir-faire pour détourner sa clientèle, sans rien dépenser ; qu'elle s'est vue privée d'une partie de son activité par le détournement de ses clients et projets par ses anciens salariés débauchés par la société CONFIG qui a souhaité la désorganiser et lui causer d'importants préjudices.

La cour rappelle que le parasitisme, qui consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis, résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité indépendamment de tout risque de confusion.

Le parasitisme se caractérise par le fait, pour un opérateur économique, de se placer dans le sillage d'un autre et de tirer profit, sans contrepartie, du fruit de ses investissements et de son travail ou de sa renommée, en réalisant ainsi des économies considérées comme injustifiées.

Sur ce, s'il a déjà été constaté que la société CONFIG a détourné les fichiers clients « CHRONO » et les listes de prix PROXIM de la société CINODIS, il appartient cependant à cette dernière de démontrer que ces éléments relèvent d'une valeur économique individualisée, fruit d'un savoir-faire et d'investissements.

Or, force est de constater que la société CINODIS ne démontre nullement que ces fichiers sont le fruit d'investissements, d'efforts significatifs ou d'un savoir-faire spécifique, en dehors du caractère stratégique des informations ainsi détournées qui sera pris en compte pour l'évaluation du préjudice résultant de la concurrence déloyale.

En conséquence, la société CINODIS doit être déboutée des demandes formulées à ce titre et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur le préjudice subi par la société CINODIS

La société CONFIG soutient que n'ayant pas concurrencé la société CINODIS de manière déloyale, la demande de réparation du préjudice allégué par cette dernière n'est pas fondée ; que les rapports de commissaires aux comptes et le procès-verbal d'assemblée générale ne mentionnent aucun élément concernant une perte de chiffre d'affaires ou des pertes soudaines de clients.

La société CINODIS estime avoir subi une importe baisse de chiffre d'affaires à raison des fautes des défendeurs et critique l'évaluation faite par le tribunal, estimant que son préjudice a été largement sous-évalué ; que la société CONFIG dissimule le volume réel de chiffre d'affaires détourné ; qu'elle a dû faire face à un concurrent disposant de documents commerciaux stratégiques facilitant son détournement de clientèle, ce qui lui a causé un préjudice ; qu'un préjudice moral résulte de l'inquiétude générée par les agissements des défendeurs quant à la pérennité même de la société qui a été fortement désorganisée et dépouillée d'une partie de son activité.

Sur le préjudice financier

C'est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal après avoir constaté la baisse du chiffre d'affaires de la société CINODIS entre 2012 et 2013, que certains clients de la société CONFIG, qui n'avaient jamais eu recours aux services de la société CINODIS avant l'arrivée du premier salarié débauché, ont commencé à travailler avec elle cessant toute relation commerciale avec la société CINODIS ou baissant drastiquement leur commande, attestant d'une perte de clients ou d'une baisse du nombre de projets en lien avec les agissements déloyaux constatés, tout en prenant en compte la nécessaire volatilité de certains clients dans un marché sectoriel mouvant, les clients n'étant pas attachés exclusivement à un prestataire et alors qu'il n'était pas établi que l'intégralité de la baisse du chiffre d'affaires soit due exclusivement aux agissements en cause, a retenu que le préjudice subi par la société CINODIS devait être réparé à hauteur de la somme de 150.000€, l'appelante incidente ne versant, à hauteur d'appel, aucune pièce de nature à remettre en cause cette juste évaluation.

Sur le préjudice moral

La cour retient que ces agissements ont nécessairement engendré un préjudice moral pour la société CINODIS, eu égard à la particulière déloyauté des agissements en cause et à l'inquiétude générée quant aux conséquences de ces faits sur sa santé financière, qui sera justement indemnisé à hauteur de 10.000€, le jugement étant infirmé en ce qu'il n'a pas fait droit à cette demande.

En outre, dans la mesure où la société CONFIG a fait l'objet, postérieurement au jugement querellé d'une procédure collective et conformément à l'article L.622-22 du code du commerce, il convient pour la cour de fixer le montant de ces condamnations au passif de la société liquidée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La SELARL FIDES, représentée par Maître [B] [K], es qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société CONFIG et la société AJRS, représentée par Maître [X] [T], ès qualités d'administrateur judiciaire de la société CONFIG, succombant, garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées, sauf pour la cour à fixer la créance de dépens et de frais irrépétibles au passif de la procédure collective de la société CONFIG.

Enfin, l'équité et la situation des parties commandent de fixer au passif de la société CONFIG la créance de la société CINODIS pour une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Prend acte de l'intervention de la SELARL FIDES, prise en la personne de Maître [B] [K], ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur, et de la SELARL AJRS, prise en la personne de Maître [X] [T] ès qualité d'administrateur judiciaire de la société CONFIG,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce que le tribunal a débouté la société CINODIS de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et sauf pour la cour à fixer le montant des condamnations au passif de la société CONFIG,

L'infirme sur ce point,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe la créance de la société CINODIS au passif de la société CONFIG à la somme de 150.000€ en réparation du préjudice financier résultant des actes de concurrence déloyale,

Fixe la créance de la société CINODIS au passif de la société CONFIG à la somme de 10.000€ en réparation du préjudice moral résultant des actes de concurrence déloyale,

Fixe la créance de la société CINODIS au passif de la société CONFIG à hauteur des intérêts à valoir sur les sommes précitées au taux d'intérêt légal à compter du jugement du 29 octobre 2020 s'agissant du préjudice financier et à compter du présent arrêt pour le préjudice moral,

Fixe au passif de la procédure collective de la société CONFIG les dépens de première instance et d'appel,

Fixe au passif de la procédure collective de la société CONFIG la créance de la société CINODIS à la somme de 6.000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, s'agissant des frais de première instance,

Fixe au passif de la procédure collective de la société CONFIG la créance de la société CINODIS à la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la procédure d'appel.