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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 septembre 2024, n° 22/13633

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société de Distribution Corse (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Leboucq Bernard, Me de Casalta-Bravo, Me Lusardi, Me Laurent

TJ Marseille, 1re ch. civ., du 9 mai 202…

9 mai 2022

FAITS ET PROCEDURE

La SARL Société de Distribution Corse (ci-après dénommée « la société SODISCO ») a pour activité la vente de vins et spiritueux auprès de divers établissements du secteur hôtelier et de la restauration.

L'EARL [Adresse 5], constituée le 26 mai 2015, a pour activité la culture de la vigne avec vinification.

Depuis au moins 1995, la SARL SODISCO a été en relation commerciale avec M. [B], viticulteur, puis avec son épouse, Mme [B] pour la distribution de leurs produits viticoles issus du domaine [Adresse 5].

En 2015, les enfants des époux [B] ont constitué l'EARL [Adresse 5] pour laquelle la SARL SODISCO a commercialisé les vins sans qu'aucun contrat écrit n'ait été conclu entre les parties.

Par lettre du 2 novembre 2017, l'EARL [Adresse 5] a informé la SARL SODISCO de sa décision de mettre fin à leur relation commerciale, à l'issue d'un préavis de 3 mois à effet du 1er février 2018, au motif que la SARL SODISCO approvisionnait la grande distribution avec les vins [Adresse 5], en violation de la nouvelle stratégie de vente mise en place par celle-ci.

Des échanges sont intervenus entre les parties mais aucune solution amiable n'a été trouvée.

C'est dans ces circonstances que la SARL SODISCO, invoquant une rupture brutale de la relation commerciale établie à compter du 1er février 2018, a, par acte d'huissier signifié le 19 octobre 2019, assigné l'EARL [Adresse 5] devant le tribunal judiciaire de Marseille sur le fondement de l'article L.442-6 I 5° du code de commerce.

Par jugement du 9 mai 2022, le tribunal judiciaire de Marseille a débouté la SARL SODISCO de ses demandes de dommages-intérêts et l'a condamnée à payer à l'EARL [Adresse 5] la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La SARL SODISCO a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 13 juillet 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie életronique le 5 janvier 2024, la SARL SODISCO demande à la Cour de :

Vu le Code Civil,

Vu le Code de Procédure Civile,

Vu le Code de Commerce,

Infirmer les chefs de Jugement dont il est fait appel et par lesquels le Tribunal Judiciaire de Marseille a :

- Débouté la société SODISCO de ses demandes de dommages et intérêts ;

- Condamné la société SODISCO à payer l'EARL [Adresse 5] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Rejeté la demande de la société SODISCO au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné la société SODISCO aux dépens ;

- Ordonné l'exécution provisoire.

Statuant à nouveau,

- Déclarer que la rupture par l'EARL [Adresse 5] des relations commerciales qu'elle entretenait avec la SARL SODISCO revêt un caractère abusif sur le fondement des dispositions de l'article L.442-6 du Code de commerce, I, 5°,

- Déclarer que l'EARL [Adresse 5] avait l'obligation de respecter un délai de préavis raisonnable de 8 mois avant de rompre la relation commerciale,

En conséquence,

- Condamner l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL SODISCO la somme de 13.220,70 euros augmentée des intérêts au taux légal ainsi que les intérêts résultant de leur capitalisation, à compter de la première mise en demeure intervenue le 18 septembre 2018, somme à parfaire au jour de la décision à intervenir,

- Condamner l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL SODISCO la somme de 8.000 euros au titre de son préjudice moral eu égard aux manoeuvres dilatoires et aux arguments fallacieux avancés par l'intimée pour se soustraire à ses obligations,

- Débouter l'EARL [Adresse 5] de toute prétention contraire,

- Condamner l'EARL [Adresse 5] à payer à la SARL SODISCO la somme de 8.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- La condamner en outre aux entiers dépens,

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

En réponse, dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 19 avril 2024, l'EARL [Adresse 5] demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-1, II du Code de commerce,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées au dossier,

A titre principal :

- Confirmer le jugement en date du 9 mai 2022 rendu par le Tribunal judiciaire de Marseille en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- Débouter la SARL Société De Distribution Corse de l'ensemble de ces demandes.

A titre extraordinaire :

- Juger les demandes de la SARL Société De Distribution Corse injustifiées et infondées.

En conséquence,

- Débouter la SARL Société De Distribution Corse de l'ensemble de ces demandes.

En tout état de cause :

- Condamner la SARL Société De Distribution Corse à payer à l'EARL [Adresse 5] la somme de 5.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale

En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques de la relation

Moyens des parties

Au soutien de son appel, la SARL SODISCO revendique une ancienneté de relation de plus de 20 ans avec le fournisseur du vin [Adresse 5], soit à l'origine avec M. [B] puis avec Mme [B] et puis avec l'EARL formée par leurs enfants. Selon elle, la relation commerciale s'est poursuivie dans les mêmes conditions après la création de l'EARL en 2015 dès lors que les produits et les volumes de vente sont restés identiques, les nouveaux gérants sont les enfants des interlocuteurs antérieurs, la même adresse électronique est utilisée et quant à M. et Mme. [B], ils demeurent respectivement bailleur des parcelles et actionnaire de la société. Elle ajoute que la continuité de la relation est aussi démontrée par le maintien de gammes de produits et la fourniture de vins issus de vendanges de 2013 et 2014, donc antérieures à la création de l'EARL. La lettre de rupture, envoyée par les gérants, elle-même faisait état de consignes données « il y a 3 ans déjà ».

En réponse, l'EARL [Adresse 5] expose que la SARL SODISCO ne peut se prévaloir d'une continuité de la relation commerciale nouée avec Mme [B] dès lors que la nouvelle relation commerciale est entretenue avec une personne morale et ses gérants sont des personnes physiques différentes des anciens partenaires, que la méthode culturale, les méthodes de vinification et les produits sont différents et que la stratégie commerciale est différente, en particulier celle tenant à la vente en grande distribution.

Réponse de la Cour

Au sens du texte précité, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

Cette relation peut se nouer successivement entre plusieurs personnes physiques ou morales dès lors qu'il est établi que, dans l'esprit des partenaires, c'est la relation initiale nouée avec l'un qui s'est poursuivie avec l'autre. La seule circonstance qu'un tiers, ayant repris l'activité ou partie de l'activité d'une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment, ne suffit pas à établir que c'est la même relation commerciale qui s'est poursuivie avec le partenaire concerné, si ne s'y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties (Cass, com. 7 juillet 2020 n°18-25.304 et 10 février 2021 n°19-15.369).

La volonté des parties, qui doit être explicite, peut résulter de la similitude des termes du contrat, de l'identité des prestations mais le seul fait qu'il s'agisse des mêmes produits ou d'un flux d'affaires semblable est insuffisant à caractériser une telle volonté commune. Cette dernière est caractérisée s'il résulte des circonstances de la cause que la relation établie s'est poursuivie car, dans l'esprit des deux partenaires, cette substitution n'avait pas d'incidence sur la relation.

En l'espèce, les parties ne contestent pas l'existence d'une relation commerciale établie mais débattent de son point de départ. La SARL SODISCO estime que la relation entre les parties s'inscrit dans la continuité de la relation nouée antérieurement depuis 1995 alors que l'EARL [Adresse 5] considère qu'une nouvelle relation lie les parties depuis son début d'activité au 1er juin 2015. Il y a donc lieu de rechercher concrètement la commune intention des parties de poursuivre la relation commerciale entretenue entre la SARL SODISCO et les ascendants des associés de l'EARL [Adresse 5].

En particulier, la SARL SODISCO estime qu'une telle commune intention des parties ressort des éléments suivants :

- le volume de vente n'a que peu varié après la création de l'EARL puisque la facturation totale sur l'exercice 2014 était de 85.136,97 euros HT et est passé à 96.357 euros HT en 2015 (pièce n°7 SODISCO : extraits de compte [Adresse 5] pour les exercices 2011 à 2017)

- les gérants de l'EARL nouvellement créée ne sont autres que les enfants des anciens partenaires de la relation commerciale qui sont, pour l'un, bailleur des parcelles exploitées par l'EARL [Adresse 5] (pièce n°17 SODISCO : Bail à ferme de M. [J] [B]), et pour l'autre, actionnaire de l'entreprise agricole

- l'adresse mail figurant sur le papier en-tête de l'EARL [Adresse 5] ([Courriel 6]) était déjà utilisée avant la création de cette entreprise et appartient au père des gérants M. [J] [B]

- certains produits préexistants à la création de l'entreprise agricole ont été maintenus et certains produits proposés par l'EARL [Adresse 5] sont issus des vendanges 2013 et 2014, soit la récolte réalisée avant la création de l'entreprise (pièce n°18 SODISCO : nouvelles étiquettes gamme 2015 commercialisée)

- selon les échanges de mails, le développement de nouveaux assemblages et la mise en place de méthodologies particulières de récolte, notamment deux nouvelles cuvées de rouge Ravagnola et Gritole, ont été appliqués dès les vendanges 2014 soit bien avant la création de l'EARL (pièce n° 20 SODISCO courriel de [G] [B] du 9 octobre 2015)

- la lettre de rupture du 2 novembre 2017 des consorts [B] fait état de consignes prétendument données « il y a 3 ans déjà » soit avant même la création de l'EARL (pièce n°1 SODISCO).

En outre, la SARL SODISCO fait grief au jugement de ne pas avoir retenu l'existence de relations commerciales antérieures à 2011. Elle fournit à ce titre des factures de ses clients au titre de l'année 2000 comportant des commandes de bouteilles de vins du [Adresse 5] (pièce n°13 SODISCO : factures passées à la SODISCO au titre de l'exercice de l'année 2000 comportant des commandes de bouteilles de vins du [Adresse 5]i) ainsi que les attestations de l'un de ses VRP, M. [U], et de ses gérants, M. [Z] et Mme [W], faisant état d'un partenariat commercial entre les deux entités depuis 1995, pour certains à titre exclusif et sans discontinuer jusqu'en 2017 (pièce n° 14 SODISCO : attestations de salariés de la société Sodisco).

Toutefois, si des échanges relatifs à une nouvelle politique commerciale sont intervenus entre M. [G] [B] et M. [W] dès avril 2015, suite au mécontentement exprimé par la SARL SODISCO qui a constaté l'existence de ventes en direct, et que le développement de nouvelles cuvées ne constitue pas une modification substantielle de l'objet de la relation commerciale antérieure, l'ensemble des éléments versés aux débats sont insuffisants pour établir une intention réelle et sans équivoque des parties de poursuivre la relation précédemment nouée entre la SARL SODISCO et Mme [B].

Par ailleurs, il est établi que l'EARL [Adresse 5] a cherché, dès sa création en 2015, à se départir de la relation commerciale antérieure et à adopter une nouvelle stratégie commerciale, notamment pour s'adapter au faible rendement en vin. Elle a décidé d'une part, de s'orienter vers le respect d'un mode biologique de production du vin à compter du 12 juin 2015 (pièce n° 7 [Adresse 5] attestation d'engagement et certificat), et d'autre part, de favoriser la vente auprès de cavistes et de petites et moyennes surfaces exclusivement par la sortie progressive des vins de la grande distribution sur [Localité 3] et sa région à partir de l'année suivante et une implantation plus importante en CHR (pièce n° 19 SODISCO et pièce n° 10 [Adresse 5] : échanges de courriels 25, 27 et 29 avril 2015). La montée en gamme des produits viticoles devait également s'appuyer sur le développement de nouvelles cuvées dites « parcellaires » c'est-à-dire que chaque parcelle est isolée, récoltée et vinifiée séparément afin de mettre plus en avant les différents terroirs et renforcer leur identité (pièce n°20 SODISCO et n°11 [Adresse 5] courriel du 9 octobre 2015). La Cour retient qu'il ressort de ces éléments que l'objet de la relation parait en substance pouvant être d'une nature relativement similaire mais que les modalités de distribution diffèrent, en lien avec une modification des modes de culture de la vigne et une montée en gamme, contredisant l'idée d'une reprise de la relation commerciale antérieure.

En conséquence, il ne peut être retenu l'existence d'une prétendue commune intention des parties de poursuivre la relation commerciale telle qu'elle avait été développée avec les époux [B] du seul constat que les relations entre la SARL SODISCO et l'EARL [Adresse 5], tiers à la relation initiale, reprenaient de façon similaire celles qui avaient existé, auparavant, avec les époux [B], sans constater aucun autre élément démontrant la réalité d'une commune intention des parties en ce sens.

Il se déduit de l'ensemble que la relation commerciale est établie entre les parties à compter du démarrage de l'activité de l'EARL [Adresse 5] le 1er juin 2015, soit pour une durée de 2 ans et 5 mois au jour de la notification de la rupture.

- Sur la rupture de la relation et le préavis suffisant

Moyen des parties

S'agissant de la brutalité de la rupture, la SARL SODISCO prétend que le préavis de 3 mois accordé par l'EARL [Adresse 5] est insuffisant au regard de l'ancienneté de la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire dans ce secteur, dès lors qu'au mois de novembre, les vendanges sont achevées et les ventes sont déjà négociées pour l'année suivante. Dans ces circonstances, le délai de préavis aurait dû être égal à 8 mois pour lui permettre de trouver un vigneron équivalent pour la saison suivante, en prospectant sur la période d'avant-saison. En tout état de cause, le délai de préavis ne peut être inférieur à 6 mois, comme il est d'usage dans le secteur de la vente de vins.

En réponse, l'EARL [Adresse 5] soutient que le préavis de 3 mois est amplement suffisant au regard de la durée des relations qui n'est que de 2 ans et 5 mois. Il n'est pas contesté que la SARL SODISCO ne dépendait pas économiquement du [Adresse 5], qui représente moins de 2% de son CA, et qu'aucune exclusivité ne liait les parties. Le préavis est d'autant plus suffisant qu'aucune commande n'a été passée pendant les 3 mois. A titre superfétatoire, le comportement fautif de la SARL SODISCO qui a continué de distribuer les produits auprès de la grande distribution, sans même mettre les produits en avant et malgré le changement de politique commerciale acté entre les parties, a causé un préjudice pour l'image de l'EARL et a saboté sa stratégie commerciale.

Réponse de la Cour

L'article L. 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant.

Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion.

Cet article prévoit, toutefois, la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution suffisamment grave par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

S'agissant de la nécessité du préavis, la Cour relève que les écritures de l'EARL [Adresse 5] ne permettent pas de comprendre clairement si elle invoque un manquement suffisamment grave de ses obligations par la SARL SODISCO pouvant donner lieu à une faculté de résiliation sans préavis. Il ressort en effet que si l'EARL [Adresse 5] affirme d'abord qu'il est « nécessaire de retenir qu'en l'espèce la rupture du contrat n'a pas été fondée sur une faute du distributeur mais sur un choix commercial pris par la défenderesse » (p. 20 en gras de ses conclusions d'intimée) puis quelques lignes plus loin que « le souhait de rompre le contrat de distribution a été en partie induit par le comportement fautif de la SARL SODISCO qui a continué à distribuer les vins de l'EARL [Adresse 5] auprès de la grande distribution » (p. 21 de ses conclusions d'intimée) tout en citant les principes applicables en cas de résiliation sans préavis, elle n'en tire aucune conséquence utile quant à la gravité supposée du manquement de nature à exclure tout préavis.

A cet égard, l'EARL [Adresse 5] se borne à relever que, malgré l'information et les rappels à l'ordre successifs, la SARL SODISCO a commis plusieurs manquements lui ayant porté préjudice financièrement. En effet, alors que cette stratégie commerciale avait pour objet de faire monter en gamme les produits et pallier le manque de volume, le domaine s'est trouvé en rupture de stock de vin blanc. Selon elle toujours, si le vin vendu au distributeur avait été conservé par le Clos pour être vendu en direct, ce dernier aurait réalisé un gain de marge de 14.597 euros (pièces n°19, 20, 21, 22 [Adresse 5]). De ces éléments, il ressort que ces manquements ne sont invoqués qu'à la seule fin pour la Cour de faire une appréciation restrictive du délai de préavis nécessaire à la SARL SODISCO pour se réorganiser.

En tout état de cause, le tribunal a très justement relevé les éléments suivants pour en conclure que seule est établie l'intention de l'EARL [Adresse 5] de ne plus passer par la grande distribution pour l'avenir mais sans interdiction précise et sans calendrier précis pour en sortir :

- Si [G] [B] a fait part de son intention de ne plus distribuer ses vins par la grande distribution au mois d'avril 2015 pour la saison 2016 (pièce n° 20 SODISCO et n°10 [Adresse 5]), les pièces produites ne permettent pas d'établir que ces intentions ont pu être suivies d'effet ;

- Au mois d'octobre 2015, [G] [B] a indiqué que les deux nouvelles cuvées de vin rouge Ravagnola et Gritole n'avait pas vocation à être vendues en grande distribution mais aucune réponse n'est faite ni aucun reproche n'est formulé à l'attention de la SARL SODICO qui dans son courriel du 3 décembre 2015, avec pour objet « politique commerciale 2016 [Adresse 5] » propose de distribuer le Gritole dans de petites et moyennes surfaces (pièce n° 21 SODISCO et n° 12 [Adresse 5]). La SARL SODISCO l'avait informé du fait que la « grande distribution » était une notion large, pouvant couvrir plusieurs types de magasins et que l'exclure entièrement pourrait avoir un effet sur les ventes, dès lors que certaines microrégions ne disposaient pas de caviste, et en indiquant de prévoir des gencod (code-barre permettant de scanner les bouteilles dans la grande distribution) sur les bouteilles. Des procès-verbaux d'huissier de justice ont également constaté que des bouteilles du [Adresse 5] étaient en vente dans un magasin de la grande distribution, Leclerc en l'occurrence (pièces n°10 et 11 SODISCO : PV de constat) ;

- Le dernier courriel produit est un courriel de la SARL SODISCO du 25 octobre 2017 intitulé « [B] en GD », dans lequel est fait le point sur les magasins qui font toujours l'objet de livraisons et pour lesquels M. [W] sollicite des précisions pour l'avenir : « merci de m'indiquer où tu souhaites que nous ne livrions plus » (pièce n° 22 SODISCO et n° 14 [Adresse 5]) ;

- La réponse à ce message est la lettre de rupture du 2 novembre 2017 invoquant la violation des accords passés sur les modalités de commercialisation en grande distribution.

La Cour ajoute que l'ensemble de ces éléments ne sont pas susceptibles de caractériser un manquement suffisamment grave de la SARL SODISCO à ses obligations de nature à la priver du bénéfice d'un délai de préavis raisonnable.

S'agissant du délai raisonnable de préavis, la SARL SODISCO souligne à juste titre que le fait qu'elle n'a passé aucune commande durant les trois mois de préavis accordés est indifférente dès lors que la durée du préavis minimum qui doit être accordé à celui qui subit la rupture s'apprécie au moment de la notification de la rupture, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture. L'usage professionnel invoqué par la SARL SODISCO n'est quant à lui étayé par aucune pièce utile.

Néanmoins, le tribunal a justement relevé que les données relatives au volume de commande de la SARL SODISCO pour les années 2014 à 2017 (pièce n°12 SODISCO), le chiffre d'affaires relatif à la distribution des produits du [Adresse 5] représente un part minime (moins de 2%) du chiffre d'affaires total de la SARL SODISCO. La Cour ajoute que l'EARL [Adresse 5] produit utilement au sein de ses écritures, l'historique des commandes mensuelles de la SARL SODISCO pour les années 2015, 2016 et 2017 (p. 18 et 19 de ses conclusions d'intimée). Ainsi, rien n'empêchait la SARL SODISCO de constituer les stocks nécessaires à la poursuite de son activité. La durée du préavis accordé à été de 3 mois et la relation commerciale établie a duré 2 ans et 5 mois. Dès lors, la Cour considère que le préavis octroyé à la SARL SODISCO était suffisant pour lui permettre de retrouver un nouveau fournisseur équivalent.

Il ressort de ces circonstances que l'EARL [Adresse 5], en accordant un préavis de près de 3 mois à la SARL SODISCO, n'a pas brutalement rompu la relation commerciale au sens des dispositions de l'article L.442-6 I 5° précité et les demandes de dommages-intérêts seront donc rejetées.

Le jugement sera dès lors confirmé.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SARL SODISCO aux dépens de première instance et à payer à l'EARL [Adresse 5] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL SODISCO, succombant en appel, sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la SARL SODISCO sera déboutée de sa demande et condamnée à payer à l'EARL [Adresse 5] une somme complémentaire de 5.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant

Condamne la SARL Société de distribution Corse à payer à l'EARL [Adresse 5] la somme de 5.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Société de distribution Corse aux dépens d'appel ;

Rejette toute autre demande.