CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 septembre 2024, n° 22/10876
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Kuhn-Huard (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Dallery
Avocats :
Me Lallement, Me Migné, Me Bouzidi-Fabre, Me Cornet
FAITS ET PROCEDURE
La société JBM Industrie, prise en la personne de la société [X] et Associés, ès qualités de liquidateur judiciaire, a pour activité toute opération de tôlerie industrielle, fabrique de toute pièce métallique, assemblage, montage et finition de pièces.
La société Kuhn Huard a pour activité la fabrication de machines agricoles et forestières.
Le 21 novembre 1996, suivant contrat de sous-traitance, la société Kuhn Huard a confié à la société Ateliers Michenaud la fourniture de pièces et de sous-ensembles nécessaires à la fabrication de machines agricoles de travail du sol, en particulier des pulvérisateurs. Le 11 mars 1997, suivant avenant n°1 au contrat de sous-traitance et en accord avec la société Kuhn Huard, la société Ateliers Michenaud a confié à la société JBM Industrie la fourniture de pièces destinées à la fabrication des pulvérisateurs.
Le 10 octobre 2003, un contrat de partenariat a été signé entre les sociétés JBM Industrie et Kuhn Huard, pour une durée de 3 ans, renouvelable par tacite reconduction.
Ce contrat a été dénoncé le 14 avril 2009 par Kuhn Huard, mais les relations d'affaires ont perduré.
Le 14 juin 2012, la société JBM Industrie a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon. Un plan de redressement a été arrêté par jugement du 15 janvier 2014.
Le 20 juillet 2015, la société Kuhn Huard a notifié la fin des relations commerciales, avec effet au 1er janvier 2016.
Par jugement du 13 janvier 2016, le tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon a prononcé la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la société JBM Industrie. Un plan de cession a été arrêté le 2 mars 2016.
S'estimant victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie et d'un abus de dépendance économique, la société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie a, par acte du 20 juillet 2020 assigné la société Kuhn Huard devant le tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement du 28 avril 2022, le tribunal de commerce de Rennes a :
- Débouté la société Kuhn Huard de sa demande de communication de pièces,
- Débouté la société [X] Et Associes ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Débouté la société Kuhn Huard de sa demande au titre de la procédure abusive,
- Condamné la société [X] Et Associes ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie à payer à la société Kuhn Huard la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société Kuhn Huard du surplus de sa demande,
- Condamné la société [X] Et Associes ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie aux entiers dépens.
La société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 23 juin 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 6 septembre 2022, la société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie demande à la Cour de :
- Déclarer l'appel de la SELARL [X] et Associes en qualité de liquidateur de la société JBM Industrie recevable et bien fondé et en conséquence :
- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes et statuant de nouveau :
A titre principal,
- Condamner la Société Kuhn Huard à payer la somme de 2 870 996,50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales établies ;
- Débouter la société Kuhn Huard de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires,
A titre subsidiaire,
- Condamner la société Kuhn Huard à payer la somme de 2 252 720,20 euros à titre de dommages et intérêts à raison de l'abus de position dominante provoquant la liquidation judiciaire de la société JBM Industrie,
- Débouter la société Kuhn Huard de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires,
En tout état de cause,
- Condamner la Société Kuhn Huard à payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la Société Kuhn Huard aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL BDL Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures, déposées et notifiées par voie électronique le 1er décembre 2022, la société Kuhn Huard demande à la Cour de :
Vu les articles 142 à 146 du code de procédure civile, L.442-6 du code de commerce dans sa rédaction ancienne, L.420-2 du code de commerce, 32-1 du code de procédure civile et 514-1 du code de procédure civile,
A titre principal :
- Juger que la relation commerciale entre JBM Industrie et Kuhn Huard était précaire et non établie,
- Juger que la rupture n'a pas été brutale,
- Juger irrecevable la demande de la SELARL [X] Et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie,
En conséquence,
- Confirmer le jugement, rendu le 28 avril 2022 par le tribunal de commerce de Rennes, en ce qu'il a débouté la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie de sa demande visant à voir condamner Kuhn Huard à lui verser la somme 2 870 996,50 euros au titre de l'indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
A titre subsidiaire dans le principal, si, par extraordinaire la Cour devait considérer que les parties étaient liées par une relation établie,
- Juger qu'en application des dispositions de l'article L.442-6 du code de commerce dans sa rédaction ancienne, les inexécutions contractuelles imputables à JBM Industrie étaient d'une gravité telle qu'elles permettaient à Kuhn Huard de rompre les relations immédiatement sans préavis,
- Juger irrecevable la demande de la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie,
En conséquence,
- Confirmer le jugement, rendu le 28 avril 2022 par le tribunal de commerce de Rennes, en ce qu'il a débouté la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie de sa demande visant à voir condamner Kuhn Huard à lui verser la somme 2.870 996,50 euros au titre de l'indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
A titre infiniment subsidiaire dans le principal, si, par extraordinaire la Cour devait considérer que les parties étaient liées par une relation établie, que les inexécutions contractuelles imputées à JBM Industrie n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier une résiliation des relations sans préavis et que Kuhn Huard est à l'origine d'une rupture brutale de celles-ci,
- Juger qu'au regard des circonstances, un préavis suffisant a été accordé à JBM Industrie ;
- Juger que la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de JBM Industrie, ne justifie pas de la marge sur coûts variable réalisée par JBM Industrie exclusivement avec Kuhn Huard et qu'elle est défaillante dans l'administration de la preuve et du quantum de son préjudice ;
- Juger que les conditions d'une condamnation en responsabilité sur fondement de l'article L.442-6 du code de commerce dans sa rédaction ancienne ne sont donc pas réunies ;
En conséquence,
- Infirmer le jugement, rendu le 28 avril 2022 par le tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a débouté la société Kuhn Huard de sa demande de communication de pièces ;
- Condamner la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie, à communiquer l'intégralité de ses bilans et comptes de résultat depuis 2008, ainsi qu'une attestation, à jour, d'expert-comptable différenciant la marge brute annuelle globale, ainsi que la marge sur coûts variables globale, de JBM Industrie, et la marge brute annuelle, ainsi que la marge sur coûts variables, exclusivement réalisée avec Kuhn Huard ;
- Confirmer le jugement, rendu le 28 avril 2022 par le tribunal de commerce de Rennes, en ce qu'il a débouté la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie de sa demande visant à voir condamner Kuhn Huard à lui verser la somme 2 870 996,50 euros au titre de l'indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
A titre subsidiaire :
- Juger qu'aucune des conditions juridiques nécessaires à la caractérisation d'un abus de position dominante n'est établie par la SELARL [X] et Associes, ès qualités de Liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie ;
- Juger qu'aucune des conditions juridiques nécessaires à la caractérisation d'un abus dépendance économique n'est établie par la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie ;
- Juger que le fondement de la demande, formulée à titre subsidiaire par la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie, est le même que celui de celle qu'elle formule à titre principal,
- Juger que la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie, ne rapporte pas la preuve, dont la charge lui incombe, d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués,
En conséquence,
- Confirmer le jugement du 28 avril 2022 du tribunal de commerce de Rennes, en ce qu'il a débouté la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie de sa demande visant à voir condamner Kuhn Huard à lui verser la somme 2 252 720,20 euros à raison de l'abus de position dominante provoquant la liquidation judiciaire de la société JBM Industrie ;
En tout état de cause :
- Condamner la SELARL [X] et Associes, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie, à payer à la société Kuhn Huard, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 CPC,
- Condamner la même aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 mars 2024.
***
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la rupture alléguée des relations commerciales établies
Exposé des moyens
La société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie soutient que sa relation commerciale avec la société Kuhn Huard a duré 20 ans, du 11 mars 1997 jusqu'au 1er janvier 2016, terme fixé par la société Kuhn Huard dans sa lettre de résiliation du 20 juillet 2015. Elle allègue que leur relation a perduré après la dénonciation du contrat opérée en 2009, l'appelante ayant non seulement continué à fournir des machines agricoles à l'intimée mais s'étant aussi vue confier la fabrication de nouvelles machines, un système d'approvisionnement de matières premières ayant été mis en place aux fins de permettre la poursuite des relations d'affaires. Elle critique la décision attaquée en ce qu'elle a retenu qu'à la suite de la dénonciation de 2009, les modalités de fonctionnement entre les parties ont été modifiées alors que ces changements ont été imposés par la société Kuhn Huard et qu'en tout état de cause cette dernière a continué de la mandater régulièrement pour la fabrication de ses machines et à lui transmettre à chaque fin d'année un prévisionnel pour l'année suivante. Elle reproche également au tribunal d'avoir relevé qu'elle a été mise en concurrence pour la fabrication de machines en 2012 et en avoir déduit qu'il existait, dès lors, un aléa quant à la poursuite des relations commerciales, alors que c'était la première fois que la société Kuhn Huard faisait référence à une mise en concurrence et qu'in fine la société JBM Industrie s'est vue confier la fabrication des nouvelles machines.
En réponse, la société Kuhn Huard fait valoir que sa relation avec la société JBM Industrie a évolué entre 1997 et 2015, en particulier en 2009 lorsqu'elle a dénoncé le contrat de partenariat de 2003 avec un préavis de 6 mois, à effet du 16 octobre 2009. Elle soutient qu'à l'issue de ce préavis, les parties ont poursuivi leur collaboration mais sans signer de nouveau contrat-cadre, sans engagement de durée et avec une mise en concurrence systématique de la société JBM Industrie. Elle allègue qu'à compter de cette même date, les prévisionnels n'étaient plus que trimestriels et les commandes étaient passées mensuellement par la transmission des confirmations de commandes avec trois mois de visibilité. Kuhn Huard ajoute qu'à compter de 2009, la société JBM Industrie a en outre régulièrement été mise en concurrence et a vu son chiffre d'affaires baisser de manière significative et progressive jusqu'en 2015.Elle précise aussi, s'agissant du plan de continuation, n'avoir pris aucun engagement envers JBM Industrie.
La société [X] et Associés ès qualités réplique, s'agissant du volume d'affaires réalisé entre les parties, que la baisse importante du chiffre d'affaires réalisé entre 2009 et 2010 découle de la crise financière qui a heurté l'ensemble des secteurs économiques et que la seconde baisse de son chiffre d'affaires entre 2013 et 2014 résulte de la procédure collective. Elle souligne que la part du chiffre d'affaires réalisé avec la société Kuhn Huard a toujours été prépondérante malgré la diminution de son chiffre d'affaires total. Elle soutient que JBM Industrie était légitime à espérer la poursuite des relations commerciales, compte tenu en particulier de la présentation de son plan de continuation du 8 octobre 2013 principalement fondé sur la poursuite des relations commerciales avec la société Kuhn Huard et le renforcement de leur partenariat.
Réponse de la Cour
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Le recours à un appel d'offres ne suffit pas à exclure par principe l'existence d'une relation commerciale établie.
Au cas présent, il résulte des pièces versées au dossier que le 21 novembre 1996 la société Kuhn Huard a conclu un contrat de sous-traitance avec la société Ateliers Michenaud pour la fourniture de pièces nécessaires à la fabrication de machines agricoles et que le 11 mars 1997, les sociétés Kuhn Huard, Ateliers Michenaud et JBM Industrie, ont conclu un avenant à ce contrat de sous-traitance pour en étendre l'application « dans tous ses effets et conséquences à la société JBM Industrie » (pièces n°1 et 2, société JBM Industrie).
Le 10 octobre 2003, les sociétés Kuhn Huard et JBM Industrie ont conclu un contrat de partenariat prévoyant notamment qu'en « contrepartie du maintien d'un certain volume de commandes de Kuhn, JBM s'engage à prendre toutes les dispositions nécessaires à l'amélioration continue du tandem qualité-délais ainsi qu'à la réduction progressive des coûts », que « Kuhn s'efforcera de faire connaître l'estimation de ses besoins sur 12 mois glissants. Dans la mesure où le marché le permet, une estimation des besoins de Kuhn sera donnée au-delà de 12 mois » ainsi qu'un engagement de chiffre d'affaires aux termes duquel « sous réserve du respect des clauses du présent contrat, Kuhn s'engage à maintenir et à développer le chiffre d'affaires du fournisseur dans la mesure où le marché du machinisme agricole le permet. » (pièce n°3, société Kuhn Huard).
Par recommandé du 14 avril 2009, la société Kuhn Huard a dénoncé ce contrat de partenariat avec un préavis de six mois prenant effet le 16 octobre 2009 (pièce n°6, société Kuhn Huard).
La Cour observe que la relation commerciale a perduré de manière suivie et significative au-delà de cette échéance, mais à des conditions sensiblement différentes.
Il ressort, en effet, des éléments versés aux débats qu'à compter du mois de décembre 2009, la société Kuhn Huard a commencé à passer ses commandes mensuellement (pièce n°46, société Kuhn Huard) et à fournir des prévisionnels de commandes sur quatre mois et non plus sur douze mois (pièces n°56 à 58, 60 et 61, société Kuhn Huard), ce nouveau mode de fonctionnement ayant, par ailleurs, fait l'objet d'une note interne à la société Kuhn Huard (pièce n°10, société Kuhn Huard).
Les échanges entre les parties, font, en outre, apparaître, qu'à compter de la rupture de la convention de partenariat de 2003, la société Kuhn Huard a non seulement conditionné le maintien de la relation à une amélioration des conditions tarifaires et qualitatives des prestations de la société JBM Industrie, mais a également soumis cette dernière a diverses mises en concurrence.
Par courriel du 1er décembre 2010, la société Kuhn Huard a, ainsi, indiqué à la société JBM Industrie que « suite à notre récente conversation téléphonique, je vous confirme notre volonté de vous conserver comme fournisseur de la gamme Discover, à condition de rester compétitif en prix, délais et qualité » (pièce n°37, société Kuhn Huard).
Par courriel du 15 février 2011, la société Kuhn Huard a, encore, informé la société JBM Industrie sur l'existence d'importants écarts entre ses prix et ceux d'un autre fournisseur (pièce n°32, société Kuhn Huard).
Par courriel du 11 janvier 2012, la société Kuhn Huard a, en outre, refusé les offres formées par la société JBM Industrie en ces termes (pièce n°33, société Kuhn Huard) :
« Concernant le devenir de nos relations, avec M. [N], nous avons analysé l'ensemble des offres et actualisations de tarif reçus ces derniers temps.
En fonction de cette analyse, nous avons pris les décisions suivantes :
- XM3 : malgré une deuxième offre mieux positionnée que la première, nous avons décidé de ne pas vous confier la présérie de 6 machines sur 2012. Cette décision fait suite au mail ci-dessous, que démontre une certaine instabilité dans votre politique tarifaire (qui est confirmé par l'écart significatif entre vos 2 offres de XM3).
- Concernant le tarif 2012 ci-dessous, nous ne le validons pas.
[']
Nous attendons de votre part :
1 ' un tarif 2012 revu à la baisse (d'ici fin Janvier)
2 ' un chiffrage XM3 série 2013 (en Juillet 2012, suivant les plans actualisés suite essais présérie qui vous seront remis à ce moment-là)
De ces 2 actions, nous prendrons les décisions pour 2013. »
Par courriel du 1er juin 2012, la société Kuhn Huard a, à nouveau, informé la société JBM Industrie qu'une de ses offres n'était pas retenue et a sollicité ses offres sur trois autres dossiers (pièce n°35, société Kuhn Huard).
Il résulte également des échanges entre les parties, qu'en 2014 la société Kuhn Huard a alerté la société JBM Industrie a plusieurs reprises sur des problèmes de qualité ainsi que sur la nécessité de limiter les approvisionnements aux quantités commandées (pièces n°62 et 64, société Kuhn Huard).
Ces échanges révèlent, ainsi, une importante évolution des relations des parties depuis la dénonciation de la convention de partenariat, la société JBM Industrie étant régulièrement mise en concurrence avec d'autres sociétés et ne disposant plus d'aucune garantie quant au volume de commandes de la société Kuhn Huard.
La Cour observe, par ailleurs, que corrélativement à cette mise en concurrence, le chiffre d'affaires réalisé par la société JBM Industrie avec la société Kuhn Huard a chuté en passant de 7 843 928 euros en 2009 à 2 179 150 euros en 2010 et a, par la suite, progressivement baissé pour atteindre 1 030 155 euros en 2015 (page n° 13 des écritures de la société JBM Industrie).
La part du chiffre d'affaires réalisé entre les parties dans le chiffre d'affaires total de la société JBM Industrie a parallèlement connu une baisse significative, passant de 98 % en 2009 à 65 % en 2015 (page n° 13 des écritures de la société JBM Industrie).
S'agissant du plan de continuation de la société JBM Industrie présenté le 8 octobre 2013, la société Kuhn Huard y est uniquement mentionnée dans les parties relatives à l'historique et à l'activité de la société sans, pour autant, qu'il soit fait état d'un quelconque engagement de commandes ou de continuité des relations commerciales (pièce n° 13-7, société JBM Industrie).
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la relation commerciale nouée entre les parties le 11 mars 1997 a été précarisée à la suite de la dénonciation de la convention de partenariat intervenue le 14 avril 2009, par la mise en concurrence de la société JBM Industrie, la baisse importante et continue du volume d'affaires ainsi que la modification des conditions de commandes de la société Kuhn Huard.
La société JBM Industrie, qui ne pouvait légitimement dans ces circonstances croire que la relation telle qu'elle avait évoluée s'inscrivait dans un cadre stable et ainsi anticiper de manière légitime la continuité de son flux d'affaires avec la société Kuhn Huard.
Dès lors, la relation d'affaires entre les parties ne constitue pas une relation suffisamment établie au sens de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu que la société JBM Industrie, prise en la personne de la société [X] et Associés, ès qualités de liquidateur judiciaire, est déboutée de sa demande en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale établie alléguée.
Sur l'abus d'exploitation de l'état de dépendance économique allégué
Exposé des moyens
La société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie fait valoir, sur le fondement de l'article L. 420-2 du code de commerce que la société Kuhn Huard a abusé de sa situation de dépendance économique et a provoqué son redressement puis sa liquidation judiciaire. Elle soutient, en ce sens, que le contrat de sous-traitance prévoyait une obligation d'exclusivité l'empêchant de fabriquer ou livrer des machines similaires à des entreprises concurrentes et que la société Kuhn Huard représentait plus de 70 % de son chiffre d'affaires total réalisé entre 2008 et 2015. Elle allègue en outre que sa situation de dépendance s'est renforcée à la suite de son placement en redressement judiciaire par jugement de juin 2012 puisque la société Kuhn Huard qui avait renouvelé son engagement de l'approvisionner en composants nécessaires à la fabrication des machines qui lui étaient confiées tardait à la fournir la plaçant dans l'impossibilité de respecter les prévisionnels et délais de livraison fixés unilatéralement par cette dernière. Elle soutient que la société Kuhn Huard l'a également contraint à baisser ses tarifs en émettant des factures de débit au motif de la fourniture en outillage et d'erreur sur le prix. Elle estime qu'en cessant toute commande suivant un préavis de cinq mois en décembre 2015, la société Kuhn Huard a commis un abus de droit à son égard à l'origine de sa cessation des paiements et de son placement en liquidation judiciaire. Elle sollicite en conséquence la condamnation de la société Kuhn Huard à l'indemniser des préjudices subis à raison de la liquidation judiciaire qu'elle évalue à hauteur de son passif définitif total, soit la somme de 2 252 720,20 euros.
En réponse, la société Kuhn Huard fait valoir que la demande est dépourvue de fondement juridique, l'appelante ayant invoqué tour à tour la rupture brutale, l'abus de dépendance économique et l'abus de position dominante. Elle observe que si la demande est fondée sur l'abus de position dominante, la société JBM Industrie n'établit ni quel est le marché pertinent, ni la position dominante de la société Kuhn Huard sur ce marché, ni un quelconque abus. Elle soutient également que si la demande est fondée sur l'abus de dépendance économique, l'appelante ne peut se prévaloir de la clause d'exclusivité qui n'a jamais été appliquée et qui a, en tout état de cause, cessé à compter de la dénonciation du contrat de partenariat intervenue en avril 2009. Elle ajoute que l'appelante ne démontre pas non plus l'exploitation abusive de son état de dépendance, non plus que l'affectation de la concurrence. La société Kuhn Huard conteste, en outre, le fondement de la rupture brutale de la relation commerciale établie au motif qu'il est le même que la demande au principal et devra être rejetée à ce titre. Elle fait également valoir que la société JBM Industrie n'établit en aucune façon que la rupture a été à l'origine de sa liquidation, cette entreprise ayant connu depuis 2009 une baisse de rentabilité et de chiffre d'affaires.
Réponse de la Cour
La Cour précise à titre préliminaire que l'appelante reproduit dans ses écritures l'article L. 420-2 du code de commerce dans son ensemble, lequel vise l'exploitation abusive d'une position dominante (en son alinéa 1) et l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique (en son alinéa 2). Il résulte cependant des développements de l'appelante qu'elle entend obtenir la condamnation de la société Kuhn Huard sur le seul fondement de l'abus d'exploitation de l'état de dépendance économique (pages 25 à 29 des écritures de la société JBM Industrie).
Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 420-2 du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-698 du 3 juillet 2019, applicable au litige, est prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme.
L'abus de dépendance économique suppose ainsi la réunion de trois conditions cumulatives : l'existence d'une situation de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, une exploitation abusive de cette situation et une affectation, réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.
La situation de dépendance économique impliquant la caractérisation d'un obstacle juridique ou factuel à la faculté de diversification de la société, l'appelante se prévaut en l'espèce, d'une part, de la clause d'exclusivité contenue à l'article 3 du contrat de collaboration du 21 novembre 1996 et, d'autre part, du fait que la société Kuhn Huard représentait plus de 70 % de son chiffre d'affaires total.
Il doit être constaté, cependant, que :
- la clause d'exclusivité litigieuse (qui n'est plus en vigueur) se limite à prohiber la fabrication ou la livraison de pièces à d'autres constructeurs de machines agricoles ainsi qu'à des distributeurs et des importateurs de machines agricoles. Sous l'empire de cette clause, ce fournisseur pouvait donc, conformément à son objet social, fabriquer ou livrer des ensembles et sous-ensembles à d'autres secteurs de l'industrie ;
- le contrat de partenariat le 10 octobre 2003 (dénoncé en 2009) ne contient aucune clause d'exclusivité ;
- de fait, le deuxième client le plus important de JBM industrie est la société Jeulin, un autre concepteur de machines agricoles.
Il s'en suit qu'ainsi que l'a à raison retenu le tribunal, la société JBM Industrie pouvait travailler pour des sociétés concurrentes et avait toute latitude pour diversifier sa clientèle.
La Cour ajoute qu'aucun élément versé au dossier ne fournit d'indices suffisamment probants quant à l'absence d'alternative économiquement viable aux activités de JMB Industrie pour le compte de Kuhl Huard.
Il ressort des débats qu'elle n'a par ailleurs à aucun moment été empêchée, directement ou indirectement, d'avoir d'autres donneurs d'ordre.
La Cour observe, enfin, que l'appelante ne démontre aucune l'affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.
Il s'en suit que la société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie ne démontre pas l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique au sens des dispositions susvisées.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie de sa demande d'indemnisation à ce titre.
1. Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société [X] et Associés, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie, à payer à la société Kuhn Huard la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie, succombant en son appel principal, sera condamnée aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société Kuhn Huard la somme de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement dans ses dispositions soumises à la Cour,
Y ajoutant,
Condamne la société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie aux dépens d'appel qui seront recouvrés suivant la procédure de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne la société [X] et Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JBM Industrie à payer à la société Kuhn Huard la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.