CA Lyon, 8e ch., 11 septembre 2024, n° 23/06199
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Prismaflex International (SA)
Défendeur :
Charvet Industries (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mme Masson-Bessou, Mme Drahi
Avocats :
Me Poli, Me Laffly, Me Duverne-Hanachowicz
Exposé du litige
La société Charvet Industries immatriculée le 4 novembre 2014 est spécialisée dans la conception, le développement et la fabrication de panneaux d'affichages lumineux et écrans digitaux.
La société Prismaflex International immatriculée le 27 juin 1988 est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation dans tout pays notamment de panneaux LED relevant des secteurs d'activité de la publicité extérieure ou intérieure, de la signalétique ou de la décoration.
La société Charvet Industries et la société Prismaflex International sont ainsi concurrentes sur le marché français.
La société Prismaflex International ayant envisagé l'acquisition de la société Charvet Industries, les deux sociétés ont conclu le 29 juin 2020 un accord de confidentialité destiné à encadrer les négociations, l'organisation des audits préalables et l'échange des documents confidentiels.
Les négociations ont cessé en septembre 2020.L'accord prévoyait un non-débauchage en vigueur jusqu'en septembre 2022.
Par courrier du 8 décembre 2022, le conseil de la société Charvet Industries a mis en demeure la société Prismaflex International de notamment cesser les sollicitations auprès des collaborateurs de la société Charvet Industries, ainsi que tout acte déloyal et parasitaire à l'égard des clients et prospects.
Evoquant la détention d'un modèle communautaire, un rapprochement et signature d'un accord de confidentialité, des recrutements successifs de plusieurs salariés, caractérisant selon elle une situation de nature à engager la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle de la société Prismaflex international, la société Charvet industries a saisi le président du tribunal de commerce de Lyon d'une requête aux fins de désignation d'un huissier de justice.
Par ordonnance du 6 mars 2023, le président du tribunal de commerce de Lyon a fait droit à la requête tout en réduisant la mission sollicitée quant aux recherches relatives à l'imitation du modèle communautaire n°007190137-0001.
La mesure a été exécutée le 28 mars 2023.
Par assignation du 18 avril 2023, la société Prismalex a assigné la société Charvet en référé aux fins d'obtenir la rétractation de l'ordonnance sur requête.
Par ordonnance de référé du 18 juillet 2023, le président du tribunal de commerce de Lyon a :
Déclaré être compétent pour statuer sur le litige opposant les parties ;
Écarté la pièce n°13 portant sur des échanges confidentiels entre avocats ;
Rétracté partiellement l'ordonnance n° 20230P00689 rendue le 6 mars 2023 ;
Limité la mission du Commissaire de justice à la saisie des seuls éléments contenant certains mots clefs mentionnés dans la requête à l'exclusion des mots suivants : MURANO, STYLE, ALLURE ;
Ordonné au Commissaire de justice de restituer à la société Prismaflex International les documents saisis lors de ces opérations et faisant référence à ces trois mots ;
Rejeté l'ensemble des autres demandes des parties ;
Dit qu'il n'y a pas lieu à indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Laissé les dépens à la charge de la société Charvet Industries.
La société Prismaflex a interjeté appel par déclaration enregistrée le 31 octobre 2023.
Par conclusions régularisées au RPVA le 12 décembre 2023, la société Prismaflex demande à la cour :
Vu les articles 32-1, 145, 493 et suivants du Code de procédure civile,
Vu les articles L. 521-3-1, L. 522-2, R. 522-1 du Code de la propriété intellectuelle,
Vu l'article L. 211-10, D. 211-6-1, R. 211-17 du Code de l'organisation judiciaire,
Constater que le président du Tribunal judiciaire de Paris avait compétence exclusive pour autoriser l'ordonnance sur requête,
Constater que les mesures ordonnées le 6 mars 2023 sont totalement disproportionnées en ce qu'elles permettraient à la société requérante d'accéder à des pans entiers de l'activité de la société Prismaflex International, de façon exhaustive et sans limitation, de sorte qu'elles ne peuvent pas être qualifiées de « légalement admissibles »
Constater que ni l'ordonnance rendue le 6 mars 2023 ni l'ordonnance rendue le 18 juillet 2023 ne caractérisent in concreto de circonstances spécifiques et propres au cas d'espèce justifiant de déroger au principe du contradictoire et ne justifient du motif légitime exigé par l'article 145 du Code de Procédure Civile.
En conséquence,
Confirmer l'ordonnance rendue le 18 juillet 2023 par le Président du Tribunal de commerce de Lyon, en ce qu'elle a :
Écarté la pièce n°13 portant sur des échanges confidentiels entre avocats ;
Considéré que le Commissaire de justice ne pouvait saisir les éléments contenant les mots clefs suivants : MURANO, STYLE, ALLURE ;
Ordonné au Commissaire de justice de restituer à la société Prismaflex International les documents saisis lors de ses opérations et faisant référence à ces trois mots ;
Rejeté les demandes de la société Charvet Industries ;
Laissé les dépens à la charge de la société Charvet Industries.
Infirmer l'ordonnance rendue le 18 juillet 2023 par le Président du Tribunal de commerce de Lyon, en ce qu'elle a :
Déclaré que le Président du Tribunal de commerce de Lyon était compétent pour statuer sur le litige opposant les parties ;
Rétracté seulement partiellement l'ordonnance n° 20230P00689 rendue le 6 mars 2023 ;
Rejeté l'ensemble des autres demandes de la société Prismaflex International ;
Dit qu'il n'y a pas lieu à indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Et, statuant à nouveau,
Rétracter l'ordonnance n°2023OP00689 rendue le 6 mars 2023 par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Lyon sur requête de la société Charvet Industries ;
En conséquence :
Prononcer la nullité des opérations diligentées le 28 mars 2023 par Maître [M] [S], Commissaire de Justice associée au sein de la SELARL Chezeaubernard Lyon, en exécution de l'ordonnance rétractée et la nullité du procès-verbal correspondant avec toutes les conséquences de droit ;
Ordonner à la société Charvet Industries d'enjoindre au Commissaire de Justice qu'elle a mandaté de procéder à la restitution à la société Prismaflex International de l'intégralité des pièces appréhendées lors de ces opérations, et notamment de l'intégralité des copies réalisées à cette occasion, ce dans les sept jours à compter de la signification de l'ordonnance intervenir, et passé ce délai, sous astreinte de 5 000 € par jour de retard ;
Ordonner à la société Charvet Industries d'enjoindre au Commissaire de Justice qu'elle a mandaté de procéder à la destruction de tout support qui aurait servi aux transferts desdites donnés dans un délai de 48 heures à compter de la signification de l'ordonnance intervenir, et passé ce délai, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard ;
Ordonner à la société Charvet Industries de faire interdiction au Commissaire de Justice qu'elle a mandaté et aux éventuels experts informatiques dont il aurait été accompagné, de faire mention ou de révéler à quelque titre que ce soit les informations auxquelles ils ont eu accès dans le cadre des opérations qu'ils ont menées ;
A titre infiniment subsidiaire, si par impossible la Cour d'appel considérait que la mesure d'instruction a été valablement ordonnée :
Rétracter partiellement l'ordonnance n°2023OP00689 rendue le 6 mars 2023 par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Lyon sur requête de la société Charvet Industries et modifiée par ordonnance du 18 juillet 2023 ;
Limiter la mission du Commissaire de Justice à la saisie des seuls éléments en rapport avec les faits litigieux ET contenant certains mots-clés mentionnés dans la requête, à l'exclusion des mots-clés suivants :
[T] ou [J] [T]
[B] ou [I] [B]
[H] ou [E] [H]
[N] ou [L] [N]
LMI RECRUTEMENT
MURANO
ALLURE
STYLE
PREMIUM.
Ordonner la restitution et le maintien sous séquestre provisoire des pièces saisies et fixer le délai dans lequel la société Prismaflex International devra lui remettre les éléments listés à l'article R153-3 du Code de commerce.
En tout état de cause,
Condamner la société Charvet Industries à payer à la société Prismaflex International la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts provisionnels ;
Condamner la société Charvet Industries à payer à la société Prismaflex International la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la même aux entiers dépens de la procédure.
Par conclusions régularisées au RPVA le 20 septembre 2023, la société Charvet Industries demande à la cour :
Vu les articles 145, 496, 497 et 700 du Code de procédure civile ;
Confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Lyon le 18 juillet 2023 dans toutes ses dispositions ;
Débouter la société Prismaflex International de l'ensemble de ses demandes subséquentes ;
Confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Lyon le 6 mars 2023 ;
Condamner la société Prismaflex International à payer la somme de 10.000 € à la société Charvet Industries sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Pour plus ample exposé des moyens développés par les parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile il sera fait référence à leurs écritures.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les 'demandes' tendant à voir 'constater' ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du Code de procédure civile et ne saisissent pas la cour lorsqu'elles développent en réalité des moyens.
Par ailleurs, la cour constate que la déclaration d'appel du 31 juillet 2023 n'a pas saisi la cour de la disposition de l'ordonnance attaquée ayant écarté la pièce n° 13 portant sur des échanges confidentiels entre avocats.
La cour devant statuer dans les limites de sa saisine, elle n'a pas à confirmer comme demandé par l'appelante, une disposition qui ne lui a pas été dévolue.
Selon l'article 145 du Code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ».
I Sur la compétence matérielle du président du tribunal de commerce :
Par application de l'article L 521-3-1 du Code de la propriété intellectuelle 'les actions civiles et les demandes relatives aux dessins et modèles, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire.'
Selon l'article D 211-6-1 du Code de l'organisation judiciaire et le tableau VI en annexe, le tribunal judiciaire de Lyon est compétent pour connaître des actions en matière de modèle pour les procédures du ressort des cours d'appel de Chambéry, Grenoble, Riom et Lyon.
Selon l'article R 211-17 du Code de l'organisation judiciaire, le tribunal judiciaire compétent pour connaître des actions en matière de marques de l'Union Européenne, dessins et modèles communautaires, dans les cas et conditions prévues par le Code de la propriété intellectuelle, est celui de Paris.
La société Primaflex invoque la compétence exclusive du président du tribunal judiciaire de Paris, la société Charvet Industries faisant valoir en sa requête l'existence d'un dépôt de modèle communautaire correspondant à sa nouvelle gamme Allure&Style qui serait copiée par le modèle 'Murano'.
L'appelante soutient que la compétence du tribunal de commerce ne subsiste que si l'action est totalement étrangère au droit de propriété intellectuelle.
Elle ajoute qu'en sa requête la société Charvet Industries :
affirme développer et protéger des modèles innovants, être propriétaire exclusif d'un dépôt de modèle communautaire, lequel serait copié, et consacre une page reprenant un vocabulaire spécifique propre au droit des dessins et modèles,
évoque une mise en demeure de son conseil du 8 décembre 2022 et reprend la réponse du conseil de Prismaflex,
indique que la mesure aura principalement pour objet de conserver ou établir les éléments de preuve démontrant l'imitation de produits par le modèle Murano et demande notamment de pouvoir identifier les produits référence Murano en vue d'établir (...) l'imitation du modèle n°(...) déposé (...). les mots clés comportent 'style& allure ou style et allure' 'style', 'allure', 'Murano'.
La société Charvet Industries soutient que pour relever de la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris, les mesures de constat doivent être liées de façon indissociable à des actes portant atteinte au droit de la propriété industrielle alors qu'elle a sollicité la mesure d'instruction sur un double fondement :
la responsabilité contractuelle du fait de la violation de l'accord de non débauchage du 20 juin 2019,
la responsabilité délictuelle,(embauches successives entre 2019 et 2021 de salariés stratégiques, appropriation d'informations confidentielles relatives à l'activité, pertes subséquentes entre 2021 et fin 2022 des dizaines de marchés représentant une perte de chiffre d'affaires de 500'000 €, découverte fin 2022 d'un produit imitant les caractéristiques du modèle communautaire.
Elle ajoute que les mesures sollicitées au titre des soupçons de concurrence déloyale n'impliquent donc pas que soient nécessairement examinés les droits de propriété industrielle.
La cour rappelle que :
La juridiction compétente pour connaitre de la demande de mesure de constat est par principe celle qui sera compétente pour connaître le fond du litige que la mesure d'instruction a pour but de préparer ;
Il suffit que le litige soit de nature à relever, ne serait-ce qu'en partie, de la compétence de cette juridiction.
En l'espèce, le litige oppose la société Charvet Industries ayant son siège dans l'Ain, ressort de la cour d'appel de Lyon, et la société Prismaflex International ayant son siège dans le département du Rhône et donc dans le ressort de la cour d'appel de Lyon.
Certes, la requérante a fait état de la découverte à la fin de l'année 2022 d'un produit estampillé Prismaflex imitant les caractéristiques d'un modèle communautaire de la société Charvet Industries.
La cour relève cependant que la société intimée a indiqué en sa requête l'objet de celle-ci : situation de gravité de nature à engager une double responsabilité : contractuelle pour violation de l'accord de confidentialité, délictuelle par imitation des produits et débauchage des salariés et par acte parasitaires.
En page 11 de sa requête, elle indique entendre sanctionner les seuls agissements parasitaires de sa concurrente sur les fondements de la concurrence déloyale et de la responsabilité contractuelle sans envisager la contrefaçon de dessins et modèles.
La cour relève qu'en l'espèce, la mesure de constat n'est pas liée de façon indissociable à des actes portants atteinte au droit de la propriété intellectuelle.
C'est à juste titre que le président du tribunal de commerce a, en son ordonnance du 6 mars 2023 indiqué que le constat ne devait pas porter sur des faits relatifs aux droits de propriété industrielle et qu'ensuite le même juge saisi en rétractation, a retenu sa compétence tout en indiquant devoir limiter partiellement l'ordonnance quant à la portée d'informations collectées par huissier de justice par certains mots clefs. L'exception doit être rejetée et la décision attaquée confirmée.
II Sur les mérites de la requête :
L'article 493 du Code de procédure civile dispose que « l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ».
En l'espèce si le dispositif des conclusions de l'appelante vise après la question de la compétence du premier juge, la disproportion des mesures ordonnées, la cour doit au préalable se prononcer sur la nécessité du recours à une procédure non contradictoire et sur l'existence d'un motif légitime.
- Sur la dérogation au contradictoire :
La nécessité de déroger au principe du contradictoire doit être expliquée de manière précise et circonstanciée.
Le juge, saisi d'une demande en rétractation ne peut se fonder pour apprécier de cette nécessité sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance. Il doit apprécier l'existence de cette condition au jour où le juge des requêtes a statué.
En la décision attaquée, le premier juge a considéré que des faisceaux d'éléments pouvant être caractérisés de concurrence déloyale ou de parasitisme étaient démontrés, justifiant de la nécessité de la dérogation au contradictoire.
La cour relève qu'en sa requête, la société Charvet Industries a invoqué un risque de dépérissement de preuve en raison de l'attitude de la société Prismaflex International qui n'avait pas hésité à violer l'accord de non-sollicitation de personnel et du comportement parasitaire et particulièrement déloyal selon lequel son ancien salarié [I] [B] n'aurait pas hésité dès son arrivée chez Prismaflex à se présenter initialement comme représentant de chez Charvet Industries. La requête est appuyée par un courriel du 12 mars 2019 adressé par cet ancien salarié à un client de son ancien employeur.
La société requérante invoque ensuite la volatilité des données informatiques concernées et le risque d'obstacle à la manifestation de la vérité.
La cour constate qu' avant de solliciter une mesure de constat par requête du 10 février 2023, le conseil de la société Charvet Industries avait adressé à sa concurrente un courrier en la forme recommandée lui reprochant une tentative de déstabilisation par le départ chez Prismalflex de plusieurs de ses salariés occupant des postes stratégiques et la perte subséquente de multiples clients, la violation en connaissance de cause des engagements de non-débauchage, la découverte plus récente d'actes de contrefaçon.
La lettre détaillait les embauches contestées et chiffrait la perte de chiffre d'affaires annuelles. La société Charvet Industries en concluait que la société Prismaflex aurait utilisé les informations stratégiques et confidentielles obtenues dans le cas des négociations pour s'approprier de nouveaux marchés se rendant coupable de concurrence déloyale.
S'y ajoutaient la violation de l'accord de non-débauchage en vigueur jusqu'à septembre 2022 en évoquant deux recrutements et une indemnité de 65'530 € que la société Charvet Industries était en droit de réclamer.
Enfin était reprochée la copie d'un panneau d'affichage Led, modèle n°007190137-0001 déposé le 5 novembre 2019 en classe n°20-03.
La société Charvet Industries, précisait se réserver le droit de saisir la juridiction compétente.
La cour considère que certes, les données informatiques, numériques ou électroniques (courriels) sont jugées par essence furtives, susceptibles d'être aisément détruites ou altérées. Cette volatilité ne peut suffire à justifier en l'espèce le recours à une mesure non contradictoire puisqu'en l'état des échanges entre les deux sociétés aucun effet de surprise ne pouvait être attendu de l'ordonnance sur requête.
En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'existence d'un motif légitime et la proportionnalité des mesures d'instructions sollicitées et ordonnées, l'ordonnance sur requête du 6 mars 2023 doit être rétractée en sa totalité.
La cour constate la perte de fondement juridique de la mesure de constat exécutée le 28 mars 2023 et la nullité qui en découle, nullité qui s'étend aux actes accomplis lors de la mesure executée le 28 mars 2023.
En son ordonnance sur requête du 6 mars 2023, le président du tribunal de commerce avait prévu le séquestre par le commissaire de justice de l'ensemble des éléments durant une durée maximale d'un an.
L'ordonnance déférée a rejeté notamment la demande de maintien de séquestre présentée par la société Prismaflex.
La société Charvet Industries a donc été en possession des pièces saisies lors de la mesure de constat exécutée le 28 mars 2023 avec la limitation prévue par l'ordonnance du 18 juillet 2023 comme cela ressort d'un courriel en réponse du 9 octobre 2023 de Me [S], huissier de justice indiquant avoir transmis au conseil de la société Lamy lexel 'en son temps' les fichiers, une fois les mots clefs écartés.
La cour doit prévoir la restitution par la société Charvet Industries mais également le séquestre des pièces restituées en cas de pourvoi.
Ainsi la société Charvet Industries doit sous astriente de 300 € par jour de retard pour garantir l'exécution du présent arrêt dans le délai de 15 jours à compter de sa signification, remettre à la Selarl Chezeaubernard Lyon, Commissaire de justice, l'intégralité des pièces saisies en original ainsi que copie du procès-verbal de saisie, à charge pour le commissaire de justice de les séquestrer jusqu'à décision irrévocable et définitive sur la rétractation en cas de recours en cassation et à défaut de pourvoi dans le délai, à remettre l'intégralité des pièces susvisées à la société Prismaflex.
Il est fait interdiction à la société Charvet Industries et plus généralement à quiconque, de faire état ou usage du constat d'huissier et de toutes autres pièces annexées aux saisies en exécution de l'ordonnance rétractée dans quelque cadre que ce soit temps que la décision de rétractation n'est pas remise en cause.
III Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive :
Aux termes de l'article 32-1 du Code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à des dommages-intérêts.
La société Prismaflex International sollicite la somme provisionnelle de 25 000 € invoquant un détournement volontaire de la procédure spécifique de saisie contrefaçon, la production d'une pièce couverte par le secret professionnel et le secret des correspondances, le caractère excessif et général de la mesure d'instruction destinée à permettre l'accès à des données confidentielles du concurrent en constituant elle-même un instrument de concurrence déloyale.
Elle ajoute que, la société Charvet a pu exploiter des dizaines de milliers de pièces extrêmement confidentielles.
La cour répond qu'en l'état, le détournement volontaire de la procédure de saisie-contrefaçon n'est pas prouvé, que la pièce couverte par le secret professionnel doit être comprise à défaut d'explication comme étant la pièce n°13 écartée par le premier juge.
La seule rétractation de l'ordonnance sur requête ne démontre pas à elle seule un abus dans la procédure de recours à l'ordonnance sur requête.
La société Charvet Industries a, lors du dépôt de sa requête produit 15 pièces, notamment son courrier de mise en demeure du 8 décembre 2022 et selon son bordereau de communication de pièces, en pièce 13 le courrier de réponse du conseil de la société Prismaflex International.
Il n'est pas démontré d'une faute la société Charvet Industries puisque celle-ci a informé le président du tribunal de commerce du contexte, de ses soupçons envers Prismaflex de nature à lui permettre d'engager la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle.
Si la pièce numéro 13 à laquelle la cour n'a pas accès n'était pas un courrier officiel, il n'y a pas de preuve d'une intention de nuire mais de faire connaître la réponse par l'adversaire à la mise en demeure.
La requête et le projet d'ordonnance proposé au président du tribunal de commerce et non retenu par lui ne prévoyaient ni la remise à la société Charvet Industries des pièces saisies, ni leur séquestre.
La remise des pièces par le commissaire de justice à la société requérante a découlé de la décision déférée, non d'un comportement fautif de la société Charvet Industries.
La demande de dommages intérêts pour procédure abusive n'est pas caractérisée.
La cour confirme la décision attaquée.
IV Sur les demandes accessoires
Le premier juge a laissé les dépens à la charge de la société Charvet Industries. La cour confirme cette disposition sauf à indiquer plus exactement que la société Charvet Industries est condamnée aux dépens.
La cour condamne également la société Charvet Industries aux dépens à hauteur d'appel.
En équité la cour condamne la société Charvet Industries à payer à la société Prismaflex International la somme de 10'000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sa propre demande sur le même fondement ne peut qu'être rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel,
Statuant dans les limites de l'appel,
Confirme l'ordonnance de référé rendue le 18 juillet 2023 par le tribunal de commerce de Lyon en ce qu'elle a :
déclaré le président du tribunal de commerce de Lyon compétent pour statuer sur le litige opposant les parties,
rejeté la demande de dommages et intérêt pour procédure abusive,
laissé les dépens à la charge de la SA Charvet Industries sauf à la condamner à ce titre,
L'infirme sur le surplus
Statuant à nouveau :
Rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 6 mars 2023 par le président du tribunal de commerce de Lyon autorisant la mesure d'instruction au siège de la SA Prismaflex International,
En conséquence :
Constate que la saisie opérée le 28 mars 2023 par la Selarl Chezeaubernard Lyon en exécution de l'ordonnance du 6 mars 2023 est de nul effet, la nullité s'étendant à l'ensemble des actes réalisés dans le cadre de la mesure d'instruction, soit notamment le procès-verbal de constat établi par l'huissier de justice,
Dit que la société Charvet Industries procédera la restitution à la Selarl Chezeaubernard Commissaire de justice, de l'intégralité des pièces saisies en original ainsi que d'une copie du procès-verbal de saisie, sous astreinte de 300 € par jour de retard passé 15 jours à compter de la signification du présent arrêt,
Dit que la Selarl Chezeaubernard, Commissaire de Justice, devra séquestrer ces pièces jusqu'à l'expiration du délai de pourvoi, puis en l'absence de recours les remettre à la société Prismaflex ou en cas de pourvoi jusqu'à décision irrévocable et définitive de rétractation,
Dit que toute copie, quelqu'en soit le support, éventuellement faite par le commissaire de justice instrumentaire ou par l'expert informatique l'ayant le cas échéant assisté, doit être détruite par les soins du commissaire de justice, de même que le rapport le procès-verbal de saisie établi à l'occasion de la saisie litigieuse, et ce, dans un délai de 15 jours , soit passé le délai de pourvoi, en l'absence de recours, soit de la notification de la décision irrévocable et définitive de la rétractation en cas de pourvoi,
Dit qu'un procès-verbal de ses opérations de restitution et destruction sera, en l'absence de recours ou en cas de décision irrévocable de la rétractation de l'ordonnance sur requête, établi aux frais de la société Charvet Industries,
Fait interdiction à la SA Charvet Industries, et plus généralement à quiconque de faire état ou usage du constat d'huissier de toutes pièces annexées aux saisies en exécution de l'ordonnance rétractée dans quelque cadre que ce soit tant que la décision de rétractation n'est pas remise en cause.
Y ajoutant,
Condamne la SA Charvet Industries aux dépens à hauteur d'appel,
Condamne la société Charvet Industries à payer à la société Prismaflex International la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Rejette toute autre demande.