CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 septembre 2024, n° 22/03687
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Harel (SARL)
Défendeur :
Plastipak Packaging France (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Ribaut, Me Ayache, Me Tiourtite, Me Raducault
FAITS ET PROCEDURE
La SARL Harel exerce une activité principale de collecte et de valorisation de déchets, notamment plastiques, provenant de l'industrie ou des consommateurs.
La SAS Plastipak Packaging France, qui appartient au groupe américain Plastipak, est spécialisée, depuis sa création le 12 juin 2015, dans l'emballage plastique et le recyclage. Dans le cadre de cette activité, elle achète à ses fournisseurs des balles de matières qu'elle lave et broie en paillettes qui sont revendues ou exploitées pour réaliser des matériaux recyclés.
Entre 2013 et 2015, la SARL Harel a entretenu des relations commerciales avec la société Appe France qui lui commandait des balles de bouteilles. Cependant, par jugement du 13 octobre 2014, le tribunal de commerce de Barcelone a ouvert une procédure d'insolvabilité à l'encontre de la société Appe France. Dans ce cadre, des transferts d'activités ont été organisés et la SAS Plastipak Packaging France a repris celle qu'elle exerçait à [Localité 1].
A compter de cette reprise d'activité, la SAS Plastipak Packaging France et la SARL Harel ont entretenu des relations commerciales croisées, la seconde étant simultanément fournisseur de balles de bouteilles en plastiques et acquéreur de résidus de déchets (granules, paillettes et purges). Ces échanges commerciaux n'étaient encadrés par aucun contrat écrit, les parties se rencontrant mensuellement pour négocier les prix et les volumes et formalisant leurs transactions par des bons de commande et des factures.
Parallèlement à ces relations, la SARL Harel explique qu'elle mettait à la disposition gratuite de la SAS Plastipak Packaging France des caisses métalliques de stockage des rebuts destinés à lui être vendus et que, à raison de la disparition ou de la dégradation de 549 caisses sur 900, elle lui a adressé des factures (n° 7-83674-418 du 19 décembre 2019 d'un montant de 25 194 euros TTC pour 247 caisses et n° 7-83718-428 du 12 mars 2020 d'un montant de 26 826 euros TTC pour 302 caisses) que cette dernière a contestées les 16 avril et 5 mai 2020.
Dénonçant dès le 17 avril 2020 un défaut de paiement de ces factures ainsi qu'une rupture brutale de leurs relations commerciales établies, la SARL Harel a :
- par courrier de son conseil du 27 avril 2020, invité la SAS Plastipak Packaging France à se rapprocher d'elle pour régler amiablement le litige relatif à la cessation de leur double partenariat ;
- par courriel du 6 mai 2020, mis en demeure la SAS Plastipak Packaging France de lui régler la somme de 43 366,87 euros au titre du solde de leurs créances réciproques compensées.
C'est dans ces circonstances que la SARL Harel a, par acte d'huissier signifié le 27 juillet 2020, assigné la SAS Plastipak Packaging France devant le tribunal de commerce de Lille en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des relations commerciales établies et par la perte et la dégradation de ses caisses.
Par jugement du 25 janvier 2022, le tribunal de commerce de Lille a statué en ces termes :
DIT la relation commerciale établie sur 6 années entières ;
DIT que la rupture de la relation établie entre les parties au présent litige est brutale ;
DIT que la responsabilité de la société ['] PLASTIPAK PACKAGING FRANCE est engagée ;
FIXE à 3 mois le préavis dont la société HAREL aurait dû bénéficier à la fin de la relation avec la société PLASTIPAK PACKAGING FRANCE ;
CONDAMNE la société PLASTIPAK PACKAGING FRANCE à payer à la société HAREL la somme de 93 690 euros au titre du préavis non alloué ;
CONDAMNE la société PLASTIPAK PACKAGING FRANCE à payer à la société HAREL la somme de 26 010 euros au titre de l'entretien/renouvellement du parc des caisses métalliques, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2020 et capitalisés dans les termes de l'art. 1343-2 du Code Civil ;
PREND ACTE de l'engagement de la société HAREL à payer la somme de 8 653,13 euros à la société PLASTIPAK PACKAGING FRANCE ;
ORDONNE la compensation des sommes dues entre les parties ;
DEBOUTE la société HAREL de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la société PLASTIPAK PACKAGING FRANCE à payer à la société HAREL la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
['] CONDAMNE la société PLASTIPAK PACKAGING France aux entiers dépens ['].
Par déclaration reçue au greffe le 14 février 2022, la SARL Harel a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 octobre 2022, la SARL Harel demande à la cour, au visa des articles L 442-1 II du code de commerce et 1875 et suivants du code civil :
- de dire autant irrecevable qu'infondé l'appel formé par la SAS Plastipak Packaging France et, par suite, la débouter de toutes ses demandes ;
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* fixé à 3 mois seulement le préavis dont la SARL Harel a été indument privée et lui a octroyé seulement la somme de 93 690 euros au titre de celui-ci ;
* fait supporter par moitié à chaque partie le coût d'entretien/renouvellement des caisses et condamné la SAS Plastipak Packaging France seulement à la somme de 26.010 euros de ce chef ;
- statuant à nouveau, de déclarer l'appel de la SARL Harel recevable et bien fondé, et en conséquence :
* au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, de condamner la SAS Plastipak Packaging France, dont la faute consiste dans une rupture brutale et sans préavis de relations commerciales établies avec la SARL Harel depuis 2013, à payer à cette dernière une indemnité compensatrice du préavis dont elle a été privée égale à 1 337 260,92 euros correspondant à quatorze mois de sa marge mensuelle sur coûts variables ;
* au titre de la perte des caisses, de condamner la SAS Plastipak Packaging France à payer à la SARL Harel les factures n° 7-83674-418 du 19 décembre 2019 et n° 7-83718-428 du 12 mars 2020, d'un montant total de 52 020 euros TTC, au titre des 549 caisses prêtées à l'intimée qu'elle a perdues ou endommagées, d'assortir cette condamnation des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2020, date de la mise en demeure et capitalisés dans les termes de l'article 1343-2 du code civil, et de juger que sera déduite de cette condamnation la somme de 23 564,14 euros restant due à la SAS Plastipak Packaging France par la SARL Harel ;
* en toute hypothèse, de :
condamner la SAS Plastipak Packaging France à payer la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme accordée à ce titre en première instance ;
condamner la SAS Plastipak Packaging France aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Vincent Ribaut.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 août 2022, la SAS Plastipak Packaging France demande à la cour, au visa des articles L 442-1 du code de commerce et 1353 et 2276 du code civil :
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 25 janvier 2022 en ce qu'il a :
* dit la relation commerciale établie sur 6 années entières ;
* dit que la rupture de la relation établie entre les parties était brutale ;
* dit que la responsabilité de la SAS Plastipak Packaging France était engagée ;
* fixé à 3 mois le préavis dont la SARL Harel aurait dû bénéficier à la fin de la relation avec la SAS Plastipak Packaging France ;
* condamné la SAS Plastipak Packaging France à payer à la SARL Harel la somme de 93 690 euros au titre du préavis non alloué ;
* condamné la SAS Plastipak Packaging France à payer à la SARL Harel la somme de 26 010 euros au titre de l'entretien/renouvellement du parc des caisses métalliques, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2020 et capitalisés dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;
* débouté la SAS Plastipak Packaging France de sa demande en paiement des factures dues par la SARL Harel ;
* condamné la SAS Plastipak Packaging France à payer à la SARL Harel la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la SAS Plastipak Packaging France aux dépens ;
- statuant à nouveau, de :
* rejeter l'ensemble des demandes de la SARL Harel en ce qu'il n'existe aucune relation commerciale établie ;
* déclarer que la SAS Plastipak Packaging France ne s'est rendue coupable d'aucune rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L 442-1 du code de commerce ;
* rejeter l'ensemble des demandes de la SARL Harel en ce qu'elle est seule responsable de la fin des relations entre la SARL Harel et la SAS Plastipak Packaging France ;
* considérer que la situation économique actuelle justifie légitimement d'une baisse de commandes de la part de la SAS Plastipak Packaging France et qu'aucune responsabilité ne saurait lui impartir ;
* rejeter la demande d'indemnisation de la SARL Harel en ce qu'elle ne justifie ni du fait que son préjudice n'est pas directement la conséquence de la crise sanitaire actuelle, ni de sa marge mensuelle ;
* dire et juger que la durée du préavis ne saurait aucunement être fixé à 14 mois, mais être ramené à zéro, et si par extraordinaire l'imputabilité de la rupture brutale était conférée à la SAS Plastipak Packaging France, déclarer que le préavis ne saurait excéder trois mois ;
- en tout état de cause ; de :
* rejeter l'intégralité des demandes de la SARL Harel au titre de la perte des caisses métalliques, en ce qu'elles sont non justifiées ;
* rejeter l'intégralité des demandes de la SARL Harel à l'encontre de la SAS Plastipak Packaging France ;
* condamner la SARL Harel au paiement de 40 447,65 euros eu égard aux sommes due à la SAS Plastipak Packaging France et prononcer une compensation de cette somme en cas de condamnation financière supérieure de la SAS Plastipak Packaging France à celle allouée en première instance ;
* condamner la SARL Harel à verser 10 000 euros à la SAS Plastipak Packaging France au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner la SARL Harel aux entiers dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la rupture brutale de la relation commerciale
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SARL Harel explique que la relation débutée avec la société Appe en 2013 s'est poursuivie aux mêmes conditions avec la SAS Plastipak Packaging France à compter de la reprise de l'activité de cette dernière en juillet 2015 et revendique ainsi une ancienneté des relations de 7 ans au jour de la rupture. Elle ajoute que les échanges commerciaux, qui reposaient sur la nécessité réciproque d'une garantie des approvisionnements et n'ont jamais impliqué de mise en concurrence par appel d'offres, étaient significatifs, continus et stables, malgré des variations inhérentes au fonctionnement du marché des matières premières plastiques qui n'empêchaient d'ailleurs pas leur croissance régulière (501 294 euros en 2013 à 3 117 234 euros en 2019). Elle en déduit le caractère établi des relations qui représentaient une part essentielle de son chiffre d'affaires, tant en sa qualité de cliente (48,2 % en moyenne entre 2013 et 2019) que de fournisseur (29,82 % en moyenne sur la même période), pour un total cumulé de 78,50 %.
Elle expose que la rupture des relations commerciales, dans leurs deux dimensions (fourniture de balles de bouteilles en plastiques et acquisition de résidus de déchets), est exclusivement imputable à la SAS Plastipak Packaging France qui :
- a passé ses dernières commandes les 18 février 2020 (38 000 euros HT pour 100 tonnes de balles) et 3 mars 2020 (1 656,54 euros HT pour 25 tonnes de rebuts de production), ce tarissement du flux d'affaires n'étant justifié ni par une baisse générale de son activité ni par la défectuosité de ses marchandises, par l'insuffisance des volumes livrés, l'écart entre les quantités commandées et fournies, directement lié à des contraintes imposées par son logiciel de gestion, étant récurrent depuis 2016 et ayant été toléré sans réserve, ou par la pratique non prouvée de prix supérieurs à ceux du marché acceptés complaisamment par un salarié de la SAS Plastipak Packaging France ;
- a divisé ses ventes par deux en octobre 2019 puis par trois en novembre 2019, la dernière livraison intervenant le 31 janvier 2020.
Elle explique que la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 et l'évolution du marché pertinent ne caractérisent pas des circonstances imposant objectivement la rupture brutale des relations qui trouve sa cause unique dans la volonté de la SAS Plastipak Packaging France de diversifier son panel de fournisseurs.
Elle estime que le préavis éludé était de 14 mois à raison de la durée de la relation (7 ans), de sa stabilité et de son importance dans son chiffre d'affaires global, des difficultés de réorientation de son activité inhérentes au marché qui met en concurrence des entreprises ne proposant pas des produits substituables et de solutions aussi avantageuses, en particulier au regard de la proximité géographique des deux partenaires qui permettait des économies substantielles de coût de transport et de temps, de l'atteinte à son image auprès de ses propres fournisseurs à qui elle a dû imposer des baisses de volume et des obstacles dressés à sa réorganisation par la crise sanitaire. Elle évalue sa perte de marge sur coûts variables pour les deux relations à la somme totale de 1 337 260,92 euros.
En réponse, la SAS Plastipak Packaging France expose disposer, depuis sa création en juillet 2015, de plusieurs fournisseurs qu'elle mettait mensuellement en concurrence, peu important l'absence de formalisation d'appels d'offres, en considération des prix pratiqués et des cours du marché, des quantités disponibles et de la qualité des matières. Elle conteste ainsi le caractère établi des relations en soulignant l'absence de tout engagement réciproque. Subsidiairement, elle estime la rupture imputable à la SARL Harel, auteure d'un courrier du 27 avril 2020 adressé alors que les commandes étaient maintenues et porteur d'une accusation agressive et infondée exclusive de la poursuite du partenariat. Elle ajoute que la SARL Harel a commis une faute en pratiquant, avec la complicité d'un ancien salarié sanctionné pour ces faits, des prix supérieurs à ceux du marché fixés sans égard pour la qualité des marchandises, qui n'étaient pas satisfaisantes en dépit de ses alertes répétées, et en l'assignant précipitamment en justice. Elle soutient que, à cette perte de confiance, s'ajoutaient des contraintes objectives extérieures résidant en la baisse générale de son activité, qui a impliqué une diminution progressive de ses commandes et de ses ventes à compter de la fin de l'année 2019 et a été aggravée par la crise sanitaire, ainsi que par la volonté de la SARL Harel de lui livrer des quantités excédant les volumes commandés et par l'attrition de ses propres commandes au début de l'année 2020.
Subsidiairement, elle estime que le préavis éludé ne peut excéder trois mois au regard de l'ancienneté de la relation (5 ans, la reprise de l'activité de la société Appe n'impliquant pas celle de l'antériorité des échanges), du caractère progressif de la diminution du flux d'affaires, de l'absence de situation de dépendance économique, des possibilités de réorientation aisées de l'activité offertes par le marché ainsi que de l'attitude déloyale et contentieuse de la SARL Harel qui ne démontre par ailleurs pas que sa baisse d'activité n'est pas causée par la crise sanitaire et que son image auprès de ses fournisseurs a été dégradée. Elle ajoute que cette dernière ne prouve pas son taux de marge sur coûts variables et ne tient pas compte des facteurs exogènes de réduction de son activité.
Réponse de la cour
En application de l'article L 442-1 II du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
- Sur les caractéristiques des relations commerciales
Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque « la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale »). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).
Il est constant que la SARL Harel a entretenu des relations commerciales avec la société Appe entre 2013 et 2015 et que le transfert de l'activité de cette dernière au bénéfice de la SAS Plastipak Packaging France, immatriculée le 17 juin 2015 (sa pièce 1), a été ordonné dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité espagnole dans des conditions inconnues de la Cour, les communiqués de presse de la SAS Plastipak Packaging France évoquant en toute généralité cette cession et le plaisir d'intégrer les effectifs de la société Appe (pièces 24 et 25 de l'appelante) étant très insuffisants pour en apprécier les modalités concrètes et la pleine portée. Aussi, rien ne démontre la commune intention, qui ne peut s'induire de la seule poursuite de la relation avec le même personnel et aux mêmes conditions, de reprendre le partenariat établi avec la société Appe ainsi que son ancienneté. Dès lors, la relation commerciale entre les parties a débuté le 1er juillet 2015, date du commencement d'activité de la SAS Plastipak Packaging France.
Ces relations étaient duales, la SARL Harel étant parallèlement fournisseur et client de la SAS Plastipak Packaging France. Ainsi, au regard des chiffres non contestés mentionnés dans l'attestation de l'expert-comptable de la SARL Harel (sa pièce 21), partiellement étayée par des exemples des bons de commande et factures et ses comptes annuels 2018 et 2019 (ses pièces 3 à 5, 8 à 11, 20 et 27) ainsi que par le tableau des ventes 2016-2020 de la SAS Plastipak Packaging France (sa pièce 13), la SARL Harel a :
- en sa qualité de fournisseur de balles de plastique au bénéfice de la SAS Plastipak Packaging France (ci-après, « la relation fournisseur »), dégagé à l'occasion de la relation un chiffre d'affaires en croissance continue, hors une baisse marginale la dernière année, de 2015 à 2019 inclus (1 446 322 euros en 2015, 1 558 358 euros en 2016, 1 795 466 euros en 2017, 2 244 841 euros en 2018 et 2 206 064 euros en 2019), soit un chiffre d'affaires annuel moyen sur les trois dernières années non affectées par la rupture alléguée de 2 082 124 euros ;
- en sa qualité d'acheteur des rebuts de productions de la SAS Plastipak Packaging France (ci-après, « la relation acheteur »), dégagé, à l'occasion de la revente de ces derniers valorisés, un chiffre d'affaires plus variable mais néanmoins significatif sur la même période (1 024 401 euros en 2015, 542 084 euros en 2016, 1 191 242 euros en 2017, 1 078 718 euros en 2018 et 911 170 euros en 2019), soit un chiffre d'affaires annuel moyen sur les mêmes années de référence de 1 060 377 euros. Que celui-ci ne soit pas directement généré par la relation commerciale nouée entre la SAS Plastipak Packaging France et la SARL Harel n'a pas d'incidence sur la qualification du partenariat : le flux d'affaires continu constitué par l'achat de marchandises caractérise à lui seul l'existence une relation commerciale. Et, celle-ci étant le support nécessaire de la revente des produits revalorisés dont elle détermine les conditions de possibilité, la SAS Plastipak Packaging France peut être tenue, dans l'hypothèse d'une rupture brutale prouvée, de réparer le préjudice résidant dans la perte de marge sur coûts variables et directement causé par la cessation imprévisible et soudaine de cette activité aval.
Ces deux relations commerciales, dissociées en fait, sont divisibles en droit à raison de leurs différences d'objet et du renversement des positionnements des partenaires qu'elles opèrent, les chiffres d'affaires dégagés étant d'ailleurs distinctement identifiés et ventilés par la SARL Harel et son expert-comptable. Aussi, les conditions de leurs ruptures doivent être examinées de manière indépendante et le cumul proposé par la SARL Harel des chiffres d'affaires et des marges, qui n'ont aucune assiette commune, n'est pas pertinent.
Alors que les éléments comptables analysés révèlent un courant d'affaires stable, continu, significatif et régulier induisant le caractère établi des deux relations commerciales, la SAS Plastipak Packaging France oppose :
- la précarisation de la première par une mise en concurrence systématique. A défaut de tout document révélant l'organisation formelle d'appels d'offres systématiques, seul un courriel interne très tardif du 11 septembre 2019 évoquant une telle procédure sans preuve de sa mise en 'uvre effective et de sa connaissance par son partenaire (pièce 2 de la SAS Plastipak Packaging France), la SAS Plastipak Packaging France allègue le nombre important de ses fournisseurs et la reconnaissance par la SARL Harel de l'absence d'engagement à son profit et de la réalité des négociations mensuelles précédant les commandes. Cependant, outre le fait que ses affirmations ne sont pas étayées, les reproductions intégrées dans ses écritures (pages 10 et 11) ne correspondant à aucune pièce produite et leurs données n'étant ainsi pas vérifiables, la SAS Plastipak Packaging France reconnaît que la SARL Harel était son quatrième fournisseur le plus important en volume sur les 52 qu'elle énumère, signe supplémentaire du caractère significatif de la relation pour les deux parties ainsi que de la régularité et de la stabilité du flux d'affaires. Et, le fait que les partenaires se réunissent périodiquement pour négocier quantités et prix relève du processus usuel de toute collaboration commerciale non encadrée par un contrat écrit sans impliquer une mise en concurrence systématique, l'absence d'engagements réciproques ne faisant pas obstacle à la caractérisation d'une relation commerciale établie appréhendée économiquement. A ce titre, les échanges produits révèlent au contraire que la SAS Plastipak Packaging France a invité la SARL Harel le 5 novembre 2018 à lui garantir des volumes minimaux et des prix pour l'année 2019 et lui proposait même la signature d'un contrat, comportement confortant nécessairement cette dernière, dont la qualité des prestations était de surcroît soulignée, dans sa croyance en la pérennité des relations (pièce 26 de la SARL Harel, courriel adressé par la SAS Plastipak Packaging France : « On travaille la stabilité sur 2019. Toute l'équipe est emballée par la qualité et les tonnages que tu nous livres ! Je veux continuer dans ce sens et même garantir des volumes pour que ce soit plus simple pour toi »). Aussi, à défaut par ailleurs de toute information claire de la SARL Harel sur la réalité d'une mise en concurrence et d'absence d'impact concret de la pratique alléguée sur la croissance continue du chiffre d'affaires, ce moyen manque en fait ;
- la liberté d'achat de la SARL Harel dans la seconde relation, argument pertinent pour apprécier l'imputabilité de la rupture mais non le caractère établi de la relation, cette liberté ayant été exercée avec constance au bénéfice de la SAS Plastipak Packaging France.
En conséquence, la relation fournisseur, établie, a duré 4 ans et 8 mois au jour de sa rupture alléguée en mars 2020 et la relation achat, établie également, avait une ancienneté de 4 ans et 6 mois au jour de sa cessation totale fixée par la SARL Harel au 31 janvier 2020.
- Sur l'imputabilité des ruptures des relations et la détermination du préavis suffisant
L'article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966).
Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.
Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de sa matérialisation concrète dans le tarissement du flux d'affaires ou de la notification de la rupture, qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.
Sur la relation achat
Pour prouver l'existence de la rupture et son imputabilité à la SAS Plastipak Packaging France, la SARL Harel soutient que cette dernière « a subitement réduit ses ventes ['] par deux en octobre 2019, puis par trois en novembre 2019 ['], la dernière livraison [étant] intervenue le 31 janvier 2020 (factures n° 90459829 du 6 janvier 2020 et n° 90461041 du 31 janvier 2020, pièces n° 10 et 11) ».
La SARL Harel étant ici acheteuse, position qui lui confère en première analyse la pleine maîtrise de ses commandes, l'absence de vente n'induit en rien une rupture à l'initiative de la SAS Plastipak Packaging France en l'absence de toute preuve d'un refus de vente ou d'une incapacité d'honorer une demande effective, peu important l'importance économique de la relation pour la SARL Harel et son absence d'intérêt apparent à y mettre un terme. Or, les échanges de courriels produits à ce titre ne révèlent l'existence d'aucune commande passée par la SARL Harel et déclinée par la SAS Plastipak Packaging France, l'objet du mécontentement exprimé le 19 décembre 2019 par la SARL Harel étant trop imprécis pour en déduire l'existence d'un refus de vente et la correspondance des 5 et 25 février 2020 ne rapportant qu'une difficulté ponctuelle d'approvisionnement qui n'a d'ailleurs suscitée aucune récrimination spécifique (pièces 17, 31, 36 et 38 de la SARL Harel).
En conséquence, la SARL Harel ne démontrant pas que le comportement de la SAS Plastipak Packaging France explique le tarissement du flux d'affaires, la rupture n'est pas imputable à cette dernière, constat qui commande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Harel au titre de la cessation brutale de cette relation commerciale établie.
Sur la relation fournisseur
La SARL Harel impute à la SAS Plastipak Packaging France une rupture totale des relations en mars 2020, la dernière facture, d'un montant de 1 656,54 euros, étant datée du 3 mars 2020 (sa pièce 9). La SAS Plastipak Packaging France n'ayant jamais notifié son intention de rompre par écrit, la rupture totale ne peut résulter que d'une variation significative ou du tarissement du flux d'affaires. A ce titre, la SARL Harel démontre que les dernières commandes de la SAS Plastipak Packaging France ont été passées les 18 février 2020 (38 000 euros) et 3 mars 2020 (1 656,54 euros), la relation cessant intégralement à cette date (pièces 8 et 9 de la SARL Harel).
Pour justifier la baisse puis la cessation des commandes qu'elle reconnaît en son principe, la SAS Plastipak Packaging France invoque, sans réellement les articuler malgré leur absence de lien logique et chronologique :
- l'expression par la SARL Harel de sa volonté de rompre dans son courriel du 17 avril 2020 évoquant, outre le litige relatif aux caisses métalliques, « l'arrêt d'approvisionnement malgré un engagement Plastipak » et dans son courrier du 27 avril 2020 dénonçant la rupture brutale des relations commerciales établies et invitant la SAS Plastipak Packaging France à l'indemniser amiablement du préjudice en résultant (pièces 18 et 19 de la SARL Harel). Postérieurs à la cessation effective de la relation fournisseur, ces missives n'ont à l'évidence aucun rôle causal ni dans la rupture consommée à leur date ni dans l'interruption d'un « dialogue » que la SAS Plastipak Packaging France prétend avoir entamé sans le prouver. Et, le fait que la gérante de la SARL Harel ait pu, fin février 2020, alors que le flux d'affaires s'était déjà considérablement réduit et que les parties étaient en litige sur la restitution de caisses métalliques, faire « un esclandre » en se présentant sans rendez-vous dans les locaux de son partenaire n'est pas de nature à objectiver une perte de confiance telle qu'elle fonderait une rupture immédiate (pièce 9 de la SAS Plastipak Packaging France) ;
- la pratique de prix supérieurs à ceux du marché grâce à la complicité d'un de ses salariés, finalement licencié pour ces faits. Cependant, elle ne démontre ni un excès quelconque dans la fixation des prix qu'elle négociait mensuellement selon ses propres déclarations et dont elle connaissait nécessairement l'importance relative au regard de la variété de ses sources d'approvisionnement, le graphique inséré dans ses écritures page 22 ne correspondant à aucune pièce produite, ni la réalité de la collusion frauduleuse qu'elle évoque, l'unique courriel produit à ce titre, rédigé par un concurrent de la SARL Harel et rapportant l'interposition de cette dernière dans ses relations avec la SAS Plastipak Packaging France « entre 2015 et début 2016 », étant très insuffisant pour caractériser la faute alléguée (pièce 14 de la SAS Plastipak Packaging France). Et, si le courriel interne du 10 septembre 2019 (pièce 2 de la SAS Plastipak Packaging France) évoque un prix demandé par la SARL Harel quarante-cinq fois supérieur à celui d'un concurrent, ce simple écart ne permet aucune comparaison utile faute d'analyse des prestations rivales, la SAS Plastipak Packaging France admettant elle-même que « le prix n'est pas le seul élément pris en compte lors des négociations mensuelles » (page 23 de ses écritures) et la proximité géographique entre les partenaires réduisant considérablement les coûts de transport qui s'ajoutent au prix ;
- la dégradation de la qualité des produits fournis par la SARL Harel. Pour l'établir, elle produit trois courriers de réclamation des 23 et 25 janvier et 19 avril 2019 (ses deux pièces 4) à raison de la présence de métal ou de pollution dans les plastiques fournis. Au regard du satisfecit attribué en novembre 2018 par la SAS Plastipak Packaging France (pièce 26 de la SARL Harel déjà citée), ces trois défaillances sont les seules qui ont émaillé la relation. En considération du volume total livré en 2019, elles sont résiduelles et très insuffisantes pour caractériser une faute grave justifiant la rupture brutale des relations ;
- un écart entre les quantités commandées et livrées. Cependant, ainsi que l'établit sa pièce 13, celui-ci existe depuis 2016 et est récurrent et a été toléré par la SAS Plastipak Packaging France. En admettant qu'il ne relève pas d'une modalité d'organisation du partenariat et qu'il soit de ce fait fautif, il n'est pas, objectivement à raison de sa nature et subjectivement au regard de la tolérance prolongée de la SAS Plastipak Packaging France, grave et ne justifie pas, même pris en combinaison avec les réclamations de 2019, la rupture immédiate des relations ;
- la progressivité de la réduction de ses commandes qui aurait rendu la rupture prévisible mais qui n'est toutefois pas établie par son tableau des ventes (sa pièce 13) et est contredite par la progression constatée du chiffre d'affaires de la SARL Harel dans le cadre de la relation fournisseur. Par ailleurs, le courriel interne du 21 février 2020 mentionnant « pas de Q2 Harel en mars » est trop elliptique pour déceler la cause de cette absence d'approvisionnement qui intervient quoi qu'il en soit après la chute drastique des commandes (pièce 6 de la SAS Plastipak Packaging France), quand celui du 8 février 2020 concerne la relation achat (pièce 5 de la SAS Plastipak Packaging France et pièce 30 de la SARL Harel) ;
- la baisse générale de son activité qui n'est toutefois pas étayée : la crise sanitaire est évoquée en toute généralité sans démonstration de son impact concret sur son activité, qui n'est pas perceptible dans les articles de presse produits à ce titre (sa pièce 15), et le premier confinement censé avoir commandé la fermeture des centres de tri est postérieur à la dernière commande du 3 mars 2020.
En conséquence, la SAS Plastipak Packaging France ne prouve ni faute grave imputable à la SARL Harel ni contraintes extérieures objectives annonçant et justifiant la rupture immédiate de la relation commerciale établie qui lui est donc exclusivement imputable et est brutale.
Les parties livrent peu d'éléments sur la structure du marché et sur l'état de la concurrence que s'y livrent les acteurs ainsi que sur les possibilités de redéploiement de son activité par la SARL Harel qui ne bénéficiait en fait ou en droit ni d'une exclusivité ni d'un engagement de volume, quoique celui-ci ait été envisagé. Cette dernière ne conteste pas que la SAS Plastipak Packaging France, dont la place sur le marché pertinent n'est pas précisée, n'était pas le seul client de ses balles de bouteilles en plastique. Et, si, ainsi que le soutient la SARL Harel, les possibilités de réorientation de son activité étaient moindres que ne l'affirme péremptoirement la SAS Plastipak Packaging France, elles étaient néanmoins réelles, rien n'établissant notamment que les groupes évoqués par les parties se fournissent exclusivement en interne.
La SARL Harel oppose en outre à ce constat son état de dépendance économique. Celui-ci, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'appréciation d'un rapport de force économique et juridique, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).
Aux termes de l'attestation de l'expert-comptable de la SARL Harel et de ses comptes annuels 2018 et 2019 (ses pièces 3, 20 et 21 déjà citées), le chiffre d'affaires dégagé à l'occasion de la relation fournisseur représentait en moyenne sur ces deux années 53,22 % de son chiffre d'affaires global, proportion caractéristique d'une importante dépendance économique. Si celle-ci est pour partie la résultante de choix de la SARL Harel qui a peu diversifié ses relations commerciales, notamment à raison de la proximité géographique des partenaires qui réduisait significativement les coûts de transport, elle relève également, à raison de son ampleur et de la place privilégiée de la SARL Harel parmi les fournisseurs de la SAS Plastipak Packaging France, d'une organisation souhaitée par les deux partenaires. En ce sens, elle tempère effectivement les facilités de redéploiement évoquées.
En conséquence, au regard de ces différents éléments combinés (durée de la relation et imprévisibilité totale de leur cessation, caractéristiques du flux d'affaires en progression quasi constante, possibilités de réorganisation acquises mais forte dépendance économique) mais à l'exclusion des évènements postérieurs allégués par les parties et de la perte de l'avantage spécifique tenant à la proximité géographique des partenaires, qui découle de la rupture elle-même et non de sa brutalité, ainsi que de l'atteinte à l'image de la SARL Harel auprès de ses autres fournisseurs et clients, qui n'est pas démontrée, le préavis suffisant sera estimé à 6 mois.
Le préjudice causé à la SARL Harel est constitué de son gain manqué qui correspond à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période). A ce titre, le préjudice subi, qui trouve son siège dans une anticipation déjouée, s'évalue à la date de la rupture à partir des éléments comptables antérieurs à celle-ci qui constituent le socle des prévisions de la victime, sans égard pour les circonstances postérieures telles sa reconversion durant la durée du préavis éludé. Celui-ci s'exécutant aux conditions de la relation, le gain manqué n'est que la projection de celui antérieurement réalisé.
Dans ce cadre, ainsi qu'il a été dit, les années 2017 à 2019 incluses, non affectées par la rupture, sont représentatives et de ce fait pertinentes. Le chiffre d'affaires annuel moyen sur cette période est de 2 082 124 euros. C'est par de justes motifs et calculs que la Cour adopte que le tribunal a fixé à 18 % le taux de marge sur coûts variables de la SARL Harel, au regard des insuffisances de l'attestation de son expert-comptable qui ne sont pas comblées par la nouvelle attestation globalisante communiquée en pièce 46 et des données de ses comptes annuels. Aussi, au regard de la durée du préavis suffisant, le préjudice de la SARL Harel atteint la somme de 187 391,14 euros.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé et la SAS Plastipak Packaging France sera condamnée à payer à la SARL Harel la somme de 187 391,14 euros en réparation intégrale de son préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales.
2°) Sur le prêt gratuit des caisses métalliques
Moyens des parties
Au soutien de ses prétentions, la SARL Harel expose qu'elle a mis gracieusement à disposition de la SAS Plastipak Packaging France des centaines de caisses pour lui permettre d'y stocker ses rebuts et déchets qu'elle récupérait pour les revaloriser et les céder à ses autres clients. Elle en déduit l'existence d'un prêt à usage au sens de l'article 1875 du code civil et estime que la SAS Plastipak Packaging France, détenteur précaire, est tenu de l'indemniser de leur perte et de leur dégradation (549 caisses sur 900), et ce d'autant qu'elle les a utilisées au bénéfice de tiers concurrents.
En réponse, la SAS Plastipak Packaging France explique que la SARL Harel, qui ne prouve pas être propriétaire des caisses litigieuses et ne fournit aucun inventaire, ne justifie ni de sa créance ni d'un transfert des risques, la charge du coût des dégradations éventuelles liées à l'usure du temps dans le cadre d'un usage normal, de surcroît dans son intérêt, lui incombant de ce fait exclusivement.
Réponse de la cour
Conformément à l'article 1353 (anciennement 1315) du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. A cet égard, en vertu de l'article L 110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi.
En vertu des articles 1875, 1876, 1880, 1883 et 1884 du code de commerce, le prêt à usage, qui est essentiellement gratuit, est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi. L'emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à la conservation de la chose prêtée dont il ne peut se servir qu'à l'usage déterminé par sa nature ou par la convention, le tout à peine de dommages-intérêts, s'il y a lieu étant précisé que, si la chose a été estimée en la prêtant, la perte qui arrive, même par cas fortuit, est pour l'emprunteur, s'il n'y a convention contraire, et que, si la chose se détériore par le seul effet de l'usage pour lequel elle a été empruntée, et sans aucune faute de la part de l'emprunteur, il n'est pas tenu de la détérioration.
Enfin, en application des articles 1103 et 1194 du code civil (anciennement 1134) applicables au litige en vertu de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1231-1 à 4 (anciennement 1147, 1149 et 1150) du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprenant quoi qu'il en soit que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution.
Si la SARL Harel démontre que la SAS Plastipak Packaging France utilisait des caisses métalliques qu'elle lui prêtait pour le stockage des rebuts qu'elle lui revendait (pièces 17, 38 et 44 de la SARL Harel ainsi que ses factures en pièces 33 et 34 qui ne sont pas contestées), elle ne produit aucun élément, tel un inventaire ou un constat contradictoire de remise ou de réception suivi d'un état descriptif des caisses conservées au jour de la rupture, permettant d'apprécier :
- le nombre exact de caisses prêtées à la SAS Plastipak Packaging France et encore détenues par celle-ci lors de la cessation des relations, les factures versées au débat sur ce point, par nature insuffisantes pour faire preuve des faits qu'elles consignent, n'ayant été précédées d'aucune commande et ayant été immédiatement contestées (pièces 12 à 14 et 17 de la SARL Harel) ;
- l'état des caisses conservées par la SAS Plastipak Packaging France, les conditions et la date de captation des images insérées dans les écritures de la SARL Harel (page 34) étant, à l'instar de leur objet, indéterminables ;
- l'origine et l'imputabilité des dégradations alléguées, notamment au regard de l'article 1884 du code civil.
Et, si la SAS Plastipak Packaging France a reconnu dans son courriel du 25 février 2020 (pièce 17 de la SARL Harel) être en possession d'un nombre de caisses indéterminé et avoir prêté 74 caisses à des tiers, rien ne prouve que celles-ci soient concernées par le défaut de restitution ou les dégradations invoqués. Par ailleurs, en l'absence de contrat encadrant le prêt, l'usage convenu par les parties ne ressort d'aucune des pièces produites, la SARL Harel ne prouvant de ce fait ni que le prêt ponctuel à des tiers soit fautif ni qu'il lui ait causé un préjudice quelconque au sens de l'article 1880 du code civil.
En conséquence, le jugement entrepris, qui avait relevé la carence probatoire de la SARL Harel sans en tirer les conséquences juridiques, sera infirmé en ce qu'il a condamné la SAS Plastipak Packaging France au titre de la non-restitution et de la dégradation des caisses de la SARL Harel et la demande de cette dernière sera rejetée.
3°) Sur les comptes entre les parties
Moyens des parties
La SARL Harel soutient que les factures n° 00904 : 59471, 59472, 59473, 59829, 59830, 59831, 59832, 60087, 60462, 61041, 64380, 64381, 64382, 64383, 64384, 64385, 64926 et 65175, dont le montant total s'élève à la somme de 8 650,13 euros, correspondent à la condamnation prononcée par le tribunal de commerce et intégralement exécutée. Elle ajoute que la SAS Plastipak Packaging France est tenue de déduire de sa créance un montant de 8 233,38 euros correspondant à des erreurs de facturation.
La SAS Plastipak Packaging France réplique que sa créance atteint la somme totale de 40 447,65 euros.
Réponse de la cour
Conformément à l'article 1353 (anciennement 1315) du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. A cet égard, en vertu de l'article L 110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi.
Il est constant que la SARL Harel, en exécution du jugement entrepris revêtu de l'exécution provisoire de droit, a payé une somme de 8 653,13 euros à la SAS Plastipak Packaging France. Et, ainsi que le relève la SARL Harel, les factures n° 00904, 59471, 59472, 59473, 59829, 59830, 59831, 59832, 60087, 60462, 61041, 64380, 64381, 64382, 64383, 64384, 64385, 64926 et 65175 produites en pièce 17 par la SAS Plastipak Packaging France correspondent à ce paiement.
Aussi, au regard de ces éléments, la SARL Harel, qui ne conteste pas la réalité et la pertinence des autres factures, est débitrice d'une somme totale de 31 794,52 euros. Pour en minorer le montant, elle oppose des erreurs de facturation nécessitant l'émission d'un avoir total de 8 233,38 euros. Néanmoins, les courriels communiqués à ce titre et les « tickets » joints au dernier d'entre eux (ses pièces 47 à 50) ne font état que de ses réclamations non ou insuffisamment étayées : ils ne peuvent valoir preuve de la créance à compenser.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé sur ce point et la SARL Harel sera condamnée à payer à la SAS Plastipak Packaging France la somme de 31 794,52 euros.
4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Succombant, la SAS Plastipak Packaging France, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés directement par Maître Vincent Ribaut conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la SARL Harel la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a :
- dit que la rupture de la relation commerciale établie (relation fournisseur) était brutale et imputable à la SAS Plastipak Packaging France ;
- rejeté les demandes de la SARL Harel au titre de la relation achat ;
- pris acte de l'engagement de la SARL Harel de régler à la SAS Plastipak Packaging France la somme de 8 653,13 euros ;
- condamné la SAS Plastipak Packaging France au titre des frais irrépétibles et des dépens de première instance ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que la SAS Plastipak Packaging France et la SARL Harel ont entretenu une relation commerciale établie (relation fournisseur) durant 4 ans et 8 mois au jour de la rupture brutale effective et fixe à 6 mois la durée du préavis éludé ;
Condamne la SAS Plastipak Packaging France à payer à la SARL Harel la somme de 187 391,14 euros en réparation intégrale du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies ;
Rejette la demande de la SARL Harel au titre du prêt des caisses métalliques ;
Condamne la SARL Harel à payer à la SAS Plastipak Packaging France la somme de 31 794,52 euros au titre des factures impayées ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SAS Plastipak Packaging France au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SAS Plastipak Packaging France à payer à la SARL Harel la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Plastipak Packaging France à supporter les entiers dépens d'appel qui seront recouvrés directement par Maître Vincent Ribaut conformément à l'article 699 du code de procédure civile.