CA Bordeaux, 4e ch. com., 11 septembre 2024, n° 24/01264
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Château Haut Brignon (SCEA)
Défendeur :
Selarl Firma (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocat :
Me Fribourg
Par jugement du 18 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a, sur assignation de la Mutualité Sociale Agricole, prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société civile d'exploitation agricole [Adresse 4] et désigné la société Firma en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 27 janvier 2023, le tribunal a ordonné la poursuite de la période d'observation pour une durée de 4 mois, renouvelée pour une durée de 6 mois le 26 mai 2023.
La débitrice a déposé le 7 novembre 2023 au greffe du tribunal un projet de plan tendant au paiement de l'intégralité du passif en dix pactes annuels progressifs.
Par rapport du 16 janvier 2024, le mandataire judiciaire a émis un avis défavorable, en rappelant que le débiteur n'avait donné aucun élément comptable sur les derniers exercices, ce qui ne permettait pas de relater de l'évolution des performances de la société.
Le 18 janvier 2024, le juge commissaire a rendu un rapport défavorable à l'adoption du plan.
Le 18 janvier 2024, le procureur de la République a émis un avis favorable à l'adoption du plan, sous réserve de la production de pièces permettant d'en justifier la pertinence.
A l'audience du 19 janvier 2024, la société Firma a conclu à la conversion de la procédure en liquidation judiciaire.
Par jugement prononcé le 8 mars 2024, le tribunal judiciaire a statué ainsi qu'il suit :
- rejette le plan de redressement judiciaire proposé par la société [Adresse 4] ;
- dit n'y avoir lieu à poursuite de la période d'observation de la procédure de redressement judiciaire ouverte au nom de la société Château Haut Brignon par jugement du 18 novembre 2022 ;
- prononce la conversion de la procédure de redressement judiciaire en procédure de liquidation judiciaire de la société [Adresse 4] qui met fin à la période d'observation ;
- maintient l'activité de la société Château Haut Brignon pendant une durée de trois mois, conformément aux article L641-10 et R641-18 du code de commerce ;
- désigne Madame Marie-Aude Del Boca en qualité de juge commissaire ;
- désigne Madame Caroline Raffray et Madame Marine Lacroix, en qualité de juges commissaires suppléants ;
- nomme la société Firma, [Adresse 3] en qualité de liquidateur et désigne Maître [X] [W] pour la représenter dans l'accomplissement du mandat qui lui est confié ;
- désigne Maître [V] [Z], [Adresse 1], commissaire de justice, aux fins de réaliser l'inventaire ;
- dit que le liquidateur procédera aux opérations de liquidation en même temps qu'il achèvera éventuellement la vérification des créances et qu'il établira l'ordre des créanciers ;
- dit que le liquidateur poursuivra les actions introduites avant le jugement de liquidation par le mandataire judiciaire et qu'il pourra introduire les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire ;
- dit que le siège social sera réputé fixé au domicile du représentant légal ;
- fixe à 12 mois à compter de la publication de ce jugement le délai dans lequel le liquidateur devra établir la liste des créances mentionnées à l'article L 641-13 du code de commerce ;
- fixe en application de l'article L 643-9 du code de commerce un délai de deux ans à compter de ladite décision, au terme duquel la clôture de la présente procédure devra être examinée ;
- ordonne les mesures de publicité et d'information prévues par la loi ;
- ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
La société [Adresse 4] a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 18 mars 2024.
La déclaration d'appel ainsi que l'ordonnance du 25 mars 2024 de fixation à bref délai ont été signifiées à la société Firma le 3 avril 2024.
***
Par dernières conclusions notifiées le 24 avril 2024, la société [Adresse 4] demande à la cour de :
Statuant en application des dispositions des articles L631-1 alinéa 2 et suivants du code de commerce,
- infirmer le jugement entrepris ;
- renvoyer le dossier devant le tribunal aux fins d'homologation du plan et afin que les organes de la procédure puissent être désignés et les opérations de publicité ordonnées ;
Statuer ce que de droit quant aux dépens.
Par avis notifié le 27 mai 2024, le Ministère public propose à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a rejeté le plan de redressement proposé au motif de l'absence de production de documents comptables et de justificatifs de la poursuite viable de l'activité. En outre, si les créanciers représentant 92.21% du passif déclaré sont réputés avoir accepté le plan, tant le mandataire judiciaire que le juge commissaire ont émis un avis défavorable en raison non seulement de l'absence de documents comptables et financiers 'tangibles' de la situation réelle de la société mais encore de sa situation prévisionnelle sur les prochaines années.
Le Ministère public fait valoir qu'il n'a pas été destinataire des justificatifs produits mais s'en rapporte sur une possible viabilité de l'activité qui en l'état n'est pas démontrée.
A l'audience des plaidoiries du 12 juin 2024, la société Château Haut Brignon a été autorisée à présenter un note en délibéré aux fins de production de documents au soutien de sa demande en adoption d'un plan de redressement.
Par courrier en délibéré notifié le 16 juillet 2024 par RPVA et déposé au greffe le 18 juillet suivant, le Conseil de la société [Adresse 4] a transmis les pièces suivantes :
- engagement de cautionnement de la société par actions simplifiée Divin en date du 3 juillet ;
- attestation notariée de propriété immobilière en date du 8 janvier 2013 ;
- extrait de deux actes authentiques reçus les 20 mai 2016 et 29 mars 2017 par la société civile professionnelle [M] et [H] [Y], notaire à [Localité 6].
Par courrier en date du 18 juillet 2024, la société Firma a fait connaître à la cour que l'absence totale de fonds l'avait empêchée de constituer avocat en appel et a communiqué la copie des pièces reçues de la société [Adresse 4] -soit les mêmes que celles qui ont été adressées à la cour et au Ministère public par courrier du 16 juillet précédent-, ainsi que l'état du passif au 18 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. L'article L.631-1 du code de commerce dispose :
« Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
Cette condition s'apprécie, s'il y a lieu, pour le seul patrimoine engagé par l'activité ou les activités professionnelles.
La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation et, le cas échéant, à la constitution de classes de parties affectées, conformément aux dispositions des articles L. 626-29 et L. 626-30. La demande prévue au quatrième alinéa de l'article L. 626-29 peut être formée par le débiteur ou l'administrateur judiciaire.»
2. Au visa de ce texte, la société Château Haut Brignon fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté le plan de redressement qu'elle proposait.
Elle fait valoir en appel qu'elle fait partie d'un groupe de sociétés à vocation viticole dont le dirigeant est Monsieur [F] [G] et qui ont pour holding la société par actions simplifiée Divin.
L'appelante précise qu'elle espère un apport en compte courant de sa société mère pour relancer la commercialisation ; que ses actifs, son patrimoine foncier et ses stocks garantissent le paiement de l'ensemble des créanciers, qui sont uniquement des créanciers institutionnels au premier rang desquels la Mutualité sociale agricole, si le plan dont elle propose l'adoption n'est pas respecté.
La société [Adresse 4] ajoute qu'elle est en mesure de disposer d'une trésorerie provenant de la vente d'actifs immobiliers détenus d'une part par son représentant légal M. [G] et d'autre part par sa holding, la société Divin.
Sur ce,
3. Il doit être observé que l'appelante ne fonde pas sa proposition de plan de redressement sur la démonstration de ses capacités intrinsèques à développer une activité propre à améliorer sa situation et honorer le paiement de son passif de 416.418,36 euros en dix pactes annuels progressifs ainsi qu'elle le propose.
Cette société n'est titulaire d'aucun compte bancaire.
Elle a fait réaliser un rapport de sa situation financière par le Cabinet Groupe BSF, qui insiste préalablement sur le fait que la comptabilité 2023 n'a pas été auditée et ne repose que sur les données communiquées par la direction.
Ce rapport n'est soutenu par aucun autre élément comptable.
Le compte de résultat au 30 septembre 2023 présente une situation négative de 46.039 euros et le prévisionnel d'exploitation proposé par le Groupe BSF pour les années 2024 à 2026 reste négatif : -25.300 euros, -25.614 euros et -25.218 euros.
4. Par ailleurs, l'appelante a, dès l'ouverture de la procédure collective sur assignation de la MSA, fait état de divers actifs immobiliers détenus par d'autres sociétés du groupe, par la société mère ou encore par M. [G] et a fait connaître que leur cession était en cours aux fins d'apports en compte courant des associés de la débitrice.
Ainsi, la viabilité de l'entreprise ne résulterait pas de ses capacités mais de soutiens externes. Au demeurant, si l'existence de ces actifs est démontrée, il apparaît que, depuis 2022, la société [Adresse 4] n'a pas fait la preuve de l'engagement de négociations de vente voire de promesses de vente sérieusement conclues.
5. Enfin, 'l'engagement de cautionnement' produit en cause d'appel ne peut être pris en considération faute d'éléments suffisants relatifs à la situation patrimoniale de M. [G] et de la société Divin. Il doit être observé que la production des actes d'acquisition de divers immeubles à [Localité 7] et en Gironde n'est pas suffisante dans la mesure où les extraits des actes authentiques qui y sont relatifs ne permettent pas de déterminer si les acquéreurs ont eu recours à l'emprunt et si les biens considérés seraient ou non grevés de sûretés au titre d'éventuels emprunts.
6. Dès lors, c'est par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le premier juge, après avoir souligné qu'il ressortait de l'analyse globale de la situation de la société [Adresse 4] qu'elle ne possédait aucune stratégie économique autre que celle consistant à vendre des actifs détenus par des tiers et qu'elle n'avait pas été en capacité de démontrer une activité bénéficiaire suffisante pour apurer son passif pendant la période d'observation de quinze mois, a rejeté le plan de redressement proposé et a prononcé la conversion de la procédure en procédure de liquidation judiciaire.
La cour ajoute que l'appelante fait état de stocks et d'actifs dont elle ne rapporte pas la preuve.
Il n'est donc pas démontré que la société Château Haut Brignon est en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, le prévisionnel réalisé avec difficulté par l'expert comptable révélant une situation irrémédiablement compromise rendant son redressement impossible au sens de l'article L.640-1 du code de commerce.
Le jugement déféré sera dès lors confirmé ; les dépens de l'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 8 mars 2024 par le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Y ajoutant,
Ordonne l'emploi des dépens de l'appel en frais privilégiés de la procédure collective.