CA Riom, ch. com., 11 septembre 2024, n° 23/01130
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Gaec Henri & Fils (SC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubled-Vacheron
Conseiller :
Mme Theuil-Dif
Avocats :
Me Tachon, Me Raynaud, Me Bardet
Vu la communication du dossier au ministère public le 05 avril 2024 et ses conclusions écrites du 10 avril 2024, reçues au greffe de la troisième chambre civile et commerciale le 12 avril 2024, communiquées le même jour par la communication électronique, aux parties qui ont eur la possibilié d'y répondre utilement ;
Le GAEC [O] [J] et Fils a été constitué selon acte sous seing privé du 6 avril 1978.
Le 16 juillet 2018, une modification statutaire résultant d'une assemblée extraordinaire du même jour, a acté l'attribution de la qualité d'associés et de co-gérants à MM. [D] [O], [N] [O] et [M] [K], les deux premiers disposant de 250 parts et le dernier de 380 parts au sein du groupement.
Se prévalant de sa décision de se retirer du GAEC [O] [J] et Fils, M. [N] [O] a assigné, par acte du 31 août 2018, M. [D] [O] et M. [K] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Cusset aux fins notamment de voir désigner un expert missionné pour procéder à l'analyse de la situation comptable du GAEC et de fournir des éléments d'appréciation quant à la valeur des droits sociaux d'[N] [O], de l'état de son compte associé et plus généralement quant aux conditions financières de ce retrait.
Par ordonnance du 7 novembre 2018, cette demande a été rejetée, au regard notamment de l'absence d'acceptation de ce retrait de la part des autres associés.
Dans un contexte de mésentente entre les associés, M. [N] [O] a assigné, par acte d'huissier de justice du 4 avril 2022, M. [D] [O], M. [K] et le GAEC [O] [J] et Fils devant le tribunal judiciaire de Moulins aux fins de voir prononcer la dissolution judiciaire du GAEC et l'ouverture des opérations de liquidation et de partage.
Par jugement du 20 juin 2023, le tribunal judiciaire de Moulins a :
- débouté M. [N] [O] de sa demande visant à voir constater la nullité du GAEC Petit [J] et Fils,
- débouté M. [N] [O] de sa demande de dissolution judiciaire du GAEC [O] [J] et Fils et des demandes subséquentes d'expertise et de provision,
- rejeté la demande de M. [N] [O] de rétablissement des comptes courants d'associés en fonction des rémunérations décidées avant l'exercice 2017,
- condamné M. [N] [O] à payer à M. [K], M. [D] [O] et le GAEC [O] [J] et Fils une somme de 1.200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de M. [N] [O] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux entiers dépens de l'instance.
Le tribunal a considéré que malgré la mésentente non contestée, le GAEC maintenait son activité et créait des revenus pour ses associés. La demande de dissolution judiciaire ne pouvait donc prospérer en raison de l'absence de situation de paralysie du fonctionnement de la société. Il a relevé qu'il n'était pas saisi d'une demande de retrait judiciairement autorisé d'un associé.
Par déclaration du 12 juillet 2023, enregistrée le 13 juillet 2023, M. [N] [O] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions déposées et notifiées le 3 mai 2024, il demande à la cour :
- de dire son appel recevable et bien fondé,
En conséquence,
- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, et statuant à nouveau,
- de constater la nullité du GAEC [O] [J] et Fils ;
En tout état de cause,
- de prononcer la dissolution anticipée du GAEC [O] Henri et Fils ;
- d'ordonner l'ouverture des opérations de liquidation et partage du GAEC ;
- de désigner un liquidateur en dehors des associés du GAEC ;
Avant dire droit sur l'établissement des comptes de liquidation et partage,
- d'ordonner une expertise judiciaire et de confier à l'expert la mission de :
* Connaissance prise de tous documents juridiques, financiers et/ou comptables utiles à la mission, et notamment :
- Les Assemblées Générales du GAEC depuis leur établissement en 2007 inclus (exercice 2006) ;
- Les grands livres de la comptabilité du GAEC depuis son immatriculation jusqu'à l'exercice 2017 inclus, outre les pièces comptables de l'exercice 2018 ;
- Le détail du compte courant commun associé exercice par exercice, et, à défaut de reconstitution de ce compte avant 2004, l'état et le détail dudit compte de l'exercice 2004 à 2018 inclus, ainsi que toutes pièces justificatives y afférentes année par année.
* Vérification faite des forces actives et passives du GAEC à la date la plus proche du partage :
- déterminer la valeur de ses droits sociaux à cette même date,
- chiffrer l'état précis de son compte courant associé année par année après rectification du compte courant commun associé du GAEC quant aux postes et dépenses ne pouvant le concerner, mais néanmoins affecté à son compte courant associé,
- après avoir accueilli la position de chaque partie, préciser les attributions possibles en meubles et immeubles pouvant lui être affectées,
- préciser les conditions de sa désolidarisation dans le délai de 9 mois à compter de sa saisine après avoir recueilli les dires des parties sur son pré-rapport,
- de dire en tout état de cause que les comptes courants du GAEC seront rétablis en fonction des rémunérations décidées par les gérants avant l'exercice 2017, soit 1,2 SMIC par mois pour Monsieur [D] [O], 1 SMIC par mois pour Monsieur [M] [K] et lui-même,
- de condamner M. [D] [O] et M. [K] aux entiers dépens tant de première instance que d'appel et à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, et la même somme au titre de l'instance d'appel.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que l'absence de travail en commun constitue une cause de nullité du pacte social et qu'elle est de nature à entraîner la dissolution judiciaire du GAEC. Il s'agit en effet selon lui d'un juste motif de dissolution anticipée.
Cette absence de travail en commun constitue également une inexécution de leurs obligations légales et conventionnelles par ses associés et leur mésentente avérée entraîne une paralysie du fonctionnement normal de la société.
Il affirme par ailleurs qu'il n'est jamais convoqué aux assemblées du GAEC, qu'il n'a aucune visibilité sur la comptabilité et que la situation économique du GAEC est catastrophique en raison de la gestion effectuée par M. [D] [O].
Enfin, il soutient que la demande en nullité des assemblées générales d'où procède la demande en rétablissement des comptes courants du GAEC était virtuellement contenue dans celle-ci de telle sorte que le tribunal judiciaire ne pouvait écarter sa demande.
Par conclusions déposées et notifiées le 14 mai 2024, M. [D] [O], M. [K] et le GAEC [O] [J] et Fils demandent à la cour :
- de confirmer le jugement rendu le 20 juin 2023,
Y ajoutant :
- de condamner M. [N] [O] à leur verser la somme de 4.000 euros au visa des articles 696 et 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de la procédure d'appel.
Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir qu'aucun texte ne prévoit la nullité du contrat de société pour défaut de travail en commun et que la demande en nullité est, en tout état de cause, prescrite.
Les justes motifs permettant une dissolution judiciaire ne prévoient pas la disparition de travail en commun, et de plus, le fait allégué doit avoir pour conséquence d'entraver le fonctionnement normal de la société. M. [N] [O] ne justifie aucunement d'une paralysie du fonctionnement ni même d'un dysfonctionnement. Ce dernier est en réalité selon eux à l'origine de la mésentente, ce qui le prive de la prérogative d'agir en dissolution.
Ils ajoutent que le GAEC a une activité normale, que la comptabilité est tenue, de même que les assemblées générales, bien que M. [N] [O] ne s'y rende pas. Les différentes activités de production agricole sont bien exercées en commun, dans le cadre d'une structure sociétaire unique, avec des moyens communs appartenant au GAEC et avec une comptabilité unique.
Enfin, ils soutiennent qu'il ne peut être fait droit à sa demande de rétablissement des comptes courants d'associés en l'absence de demande d'annulation des décisions d'assemblée générale qui fixaient la rémunération des trois associés.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.
Motivation :
I-Sur la nullité du GAEC :
L'article L 323-3 du code rural et de la pêche maritime, au visa duquel M. [N] [O] agit, dispose que les groupements agricoles d'exploitation en commun ont pour objet de permettre la réalisation d'un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial.
Les parties admettent de part et d'autre que la mésentente qui les a désunis font désormais coexister au sein du GAEC deux branches d'élevage distinctes, M. [N] [O] s'occupant seul de l'entreprise d'élevage porcins.
M. [N] [O] soutient que l'absence de travail en commun et la disparition de l'affectio societatis entrainent la nullité du contrat de GAEC.
Cette affirmation se fait au détriment du principe selon laquelle les causes de nullité d'un contrat s'apprécient au moment de la formation de celui-ci.
Le tribunal a par ailleurs observé à juste titre que M. [O] ne justifiait d'aucun fondement légal à sa demande.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
II- Sur la dissolution anticipée du GAEC [O] Henri et Fils :
M. [N] [O] reproche au tribunal de ne pas avoir examiné la demande de dissolution judiciaire sous l'angle de la disparition du travail en commun. Il soutient que les conditions d'existence de la structure induit nécessairement la dissolution anticipée de celle-ci.
Il assure que le GAEC fonctionne de manière anormale et que ses deux associés ne remplissent par leur obligation de loyauté et de bonne foi ; qu'il est victime d'abus de majorité.
Le GAEC est une société d'exploitants au sein de laquelle chaque associé a l'obligation de travailler. Elle a un caractère égalitaire dans les responsabilités de l'exploitation (article R323-31 du code rural et de la pêche maritime). Il en résulte une société a fort intuitu personae.
L'article 23-3 des statuts du GAEC dispose que celui-ci est dissous par décision judiciaire pour juste motif, sur demande d'un ou de plusieurs associés, les autres associés ayant toutefois dans ce cas la possibilité de solliciter du tribunal le retrait du ou des demandeurs dans les conditions prévues à l'article 21 des statuts.
Suivant les dispositions de l'article 1844-7 5° du code civil (auquel renvoie l'article 323-4 du code rural et de la pêche maritime), la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société. L'adverbe notamment permet de considérer le caractère non limitatif de ce texte.
Il revient donc à la cour d'apprécier l'existence de « justes motifs » dont fait partie la mésentente entre associés, sous réserve que celle-ci conduise à la paralysie de la société.
La mésentente existant entre les associés et par suite la disparition de l'affectio societatis ne peut constituer un juste motif de dissolution qu'à la condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société. (Cass. 3e civ., 16 mars 2011, n° 10-15.459).
M. [O] assure que ses associés maintiennent son activité d'élevage dans un état artificiel de précarité en reversant la TVA et les subventions découlant de cette activité sur le compte ouvert au Crédit Agricole) l'entravant délibérément dans ses perspectives d'expansion. Il assure que l'entreprise porcine fonctionne avec un compte différent.
Pour autant il ne produit aucune pièce au soutien de ces affirmations.
Les documents comptables produits pour les exercices 2016 à 2022 montrent que le GAEC fonctionne ; il a une activité. Les assemblées générales sont tenues et les pièces produites montrent que la comptabilité est tenue. Sur l'exercice 2022 les ventes de bovins ont dégagé une marge brute de 148 088 euros, les ventes de porcins une marge brute de 8 221 euros. Le résultat comptable est déficitaire ( -24 136,18 euros) cependant l'activité du GAEC se traduit par son chiffre d'affaires (378 828,51 euros) ses résultats économiques (130 015 euros) et un EBE en hausse (passant de 57 522 euros en 2020 à 157 285 euros (95 947 euros hors aides découplées)).
Alors que les associés se renvoient dos à dos quant aux causes de leur mésentente, il ne résulte pas des pièces du dossier que les assemblées générales auxquelles M. [N] [O] n'était pas présent se soient tenues sans qu'il ait été convoqué. Aucun accusé réception n'est effectivement produit mais les convocations sont produites et M. [N] [O] n'a, en son temps, jamais attaqué la régularité des assemblées générales qui se sont tenues. Il est en revanche établi qu'il a pu être peu collaboratif avec l'expert-comptable chargé de certifier les comptes du GAEC. Ce dernier indique en 2021 (pièce 18) que l'inventaire porc a été saisi avec les quantités présentes au 31.12.20 sans que les naissances et les pertes de l'exercice aient été portées à sa connaissance. Or rien n'empêche M. [O] d'entrer en contact avec l'expert-comptable.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que M. [O] échoue à démontrer que la disparition de l'affectio societatis entre associés du GAEC conduit à la paralysie de celui-ci. Le temps qui s'est écoulé depuis l'apparition de cette mésentente montre qu'elle n'a pas affecté le fonctionnement du GAEC et qu'elle ne porte pas en germe la ruine future de celui-ci.
M. [O] soutient par ailleurs qu'il n'existe plus de travail en commun puisque les deux branches d'activités du GAC sont autonomes et distinctes.
Les dispositions de l'article 1844-7 5° n'étant pas limitatives dans l'énoncé des justes motifs puisqu'elles précisent que ces justes motifs sont « notamment » l'inexécution de ses obligations par un associé, ou la mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société, il convient de dire si l'absence de travail en commun dans le GAEC constitue un juste motif de dissolution.
Il a été jugé que le seul fait que le GAEC se trouve avec un seul associé à la suite du rachat de parts n'emporte pas dissolution du groupement qui ne se résume pas au seul travail en commun.
Par ailleurs, le travail en commun s'entend de la mise en commun au sein du GAEC de l'industrie de chaque associé.
En l'absence de mention spécifique aux statuts, l'obligation de travail en commun ne signifie pas que les associés doivent tous partager la même branche d'activité. En l'espèce, les associés ont mis en commun la totalité de leur activité et M. [O] exerce exclusivement son activité au sein du GAEC, avec des moyens communs. Par suite, le fait de travailler dans des branches distinctes de l'élevage ne suffit pas à justifier la dissolution du GAEC.
III-Sur la demande en rétablissement des comptes courants du GAEC au bénéfice de M. [N] [O] :
Le tribunal a jugé que la demande de M. [O] se heurtait aux dispositions de l'article 768 du code de procédure civile et jugé qu'il n'était pas saisi d'une demande d'annulation des décisions des assemblées générales du GAEC qui fixent les rémunérations des trois associés et co-gérants et ne saurait ordonner un rétablissement des comptes sur d'autres bases que celles résultant de la volonté des associés.
M. [O] objecte qu'il ignore si ces décisions ont été prises en assemblée générale et soutient qu'en tout état de cause ces décisions lui sont inopposables puisqu'il n'a pas été convoqué. Il assure que la demande en nullité des assemblées générales était virtuellement contenue dans la demande en rétablissement des comptes-courants du GAEC.
Sur ce :
A l'instar du tribunal, la cour est saisie par le dispositif des conclusions de l'appelant qui demande que « les comptes du GAEC seront rétablis en fonction des rémunérations décidées par les gérants avant l'exercice 2017(..)
Il ne peut être affirmé que la demande susvisée vaut demande d'annulation d'une assemblée générale dont la date n'est au demeurant pas précisée. Il n'appartient ni au tribunal ni à la cour d'extrapoler les demandes des parties sauf à prendre le risque de statuer ultra petita.
Par ailleurs, et suivant les dispositions de l'article 1844-14 du code civil, les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieures à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue.
En l'espèce, il est établi par les procès-verbaux d'assemblée générale que la rémunération des associés était à l'ordre du jour des assemblées générales.
La résolution fixant la rémunération des gérants selon les modalités suivantes :
2.5 SMIC à M. [D] [O], 1 SMIC à M. [N] [O] et 2 SMIC à M. [M] [K] a été adoptée lors de l'assemblée générale du 5 avril 2018.
M. [O] qui ne justifie d'aucune démarche auprès du gérant pour se plaindre de ne pas avoir été convoqué et n'a engagé aucune action dans les trois années suivant l'assemblée générale du 5 avril 2018, n'est plus recevable à critiquer les décisions prises au sein de ces assemblées.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
IV- Sur les autres demandes :
M. [N] [O] succombant et ses demandes sera condamné aux dépens.
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais de défense.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement , par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Déboute M. [N] [O], M. [M] [K], M. [D] [O] et le GAEC [O] Henri et Fils des demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [N] [O] aux dépens.