Cass. 3e civ., 11 juillet 2024, n° 23-12.491
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
SMA (SA)
Défendeur :
Cadusun (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Boyer
Avocat général :
M. Burgaud
Avocats :
SCP Gadiou et Chevallier, SCP Alain Bénabent
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 décembre 2022), la société Cadusun a confié, en 2010, à une entreprise assurée auprès de la société Sagena, la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques sur les toitures de deux bâtiments agricoles appartenant à M. [E].
2. Se plaignant de dysfonctionnements affectant la production d'énergie de l'installation, la société Cadusun a, après expertise, assigné la société Sagena, devenue SMA, en réparation sur le fondement de la garantie décennale.
3. En cours d'instance, M. [E] et la société Cadusun ont conclu un bail emphytéotique portant sur l'emprise des panneaux photovoltaïques et leurs accessoires.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société SMA fait grief à l'arrêt de la condamner à payer certaines sommes à la société Cadusun, alors :
« 1°/ que la loi attache l'action en garantie décennale à la propriété de l'ouvrage ; que, si les droits réels temporaires dont dispose l'emphytéote sur l'installation qu'il a réalisée sur le bien donné à bail peuvent éventuellement lui permettre de revendiquer le bénéfice de la garantie décennale, en cas de désordres affectant cette installation, ils ne peuvent, par principe, l'autoriser à se prévaloir de cette garantie afin d'obtenir réparation de désordres affectant le bien préexistant, et survenus antérieurement à la signature du bail ; que la cour d'appel a énoncé que le bail emphytéotique du 14 janvier 2020 conférait à l'emphytéote, la société Cadusun, un droit réel immobilier sur l'emprise des panneaux photovoltaïques, leurs accessoires et l'espace non bâti les surplombant et qu'à ce titre, elle avait qualité pour agir en responsabilité décennale ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que les installations litigieuses avaient été commandées « courant 2010 », certes par la société Cadusun, mais réalisées la même année par la société Energie Bio, « sur des bacs secs sur les versants Sud des toitures de deux poulaillers et d'un hangar appartenant à M. [E] », ce dont il résultait que, nonobstant la signature, près de dix ans plus tard, du bail emphytéotique conférant un droit réel immobilier à la société Cadusun sur ces installations, seul M. [E] avait la qualité de maître d'ouvrage des panneaux photovoltaïques précédemment réalisés sur des biens qui lui appartenaient, et qui ne faisaient l'objet d'aucun bail emphytéotique, et lui seul pouvait donc agir, sur le fondement de la garantie décennale, en réparation des désordres survenus avant la conclusion du bail emphytéotique, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil ;
2°/ que par exception, une stipulation expresse du bail emphytéotique peut conférer à l'emphytéote la qualité de maître d'ouvrage, nécessaire pour exercer l'action en garantie décennale contre les constructeurs, s'agissant de désordres affectant le bien préexistant, et survenus préalablement à la conclusion du bail emphytéotique ; qu'en se bornant à affirmer que le bail emphytéotique du 14 janvier 2020 conférait à l'emphytéote, la société Cadusun, un droit réel immobilier sur l'emprise des panneaux photovoltaïques, à leurs accessoires et à l'espace non bâti les surplombant et qu'à ce titre, elle [avait] qualité pour agir en responsabilité décennale, sans caractériser l'existence, au sein du bail emphytéotique conclu le 14 janvier 2020, d'une clause expresse autorisant la société Cadusun à exercer l'action en garantie décennale contre le constructeur des installations photovoltaïques réalisées sur les bâtiments appartenant à M. [E] en 2010, soit dix ans avant la signature du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1792 du code civil, ensemble l'article 1134, devenu 1103 du même code. »
Réponse de la Cour
5. Le bail emphytéotique, régi par les articles L. 451-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, est une convention par laquelle le bailleur transfère au preneur, pour une durée supérieure à dix-huit ans et pouvant aller jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, la charge de l'entretien et de la valorisation d'un patrimoine immobilier en conférant à celui-ci un droit réel, cessible, saisissable et susceptible d'hypothèque lui permettant notamment, sauf clause contraire, de profiter de l'accession pendant la durée de l'emphytéose et d'acquérir au profit du fonds des servitudes actives et de les grever, par titres, de servitudes passives, pour un temps n'excédant pas la durée du bail, en contrepartie de l'accession sans indemnité en fin de bail de tous travaux et améliorations réalisés par le preneur au profit du bailleur.
6. Sauf stipulation contraire, le preneur est tenu de toutes les contributions et charges de l'héritage et des réparations de toute nature tant en ce qui concerne les constructions existant au moment du bail que celles qui auront été élevées en exécution de la convention, mais il n'est pas obligé de reconstruire les bâtiments détruits par cas fortuit, force majeure, ou par un vice de construction antérieur au bail.
7. Il en résulte que, compte tenu de son objet, sauf stipulation contraire, l'emphytéose emporte, par elle-même, dès l'entrée en jouissance par l'effet du bail et pendant toute la durée de celui-ci, transfert du bailleur au preneur des actions en garantie décennale et en réparation à raison des désordres affectant les ouvrages donnés à bail.
8. Ayant relevé que la société Cadusun et M. [E] avaient conclu un bail emphytéotique portant sur l'emprise des panneaux photovoltaïques, leurs accessoires et l'espace non bâti les surplombant, la cour d'appel, devant laquelle l'assureur ne se prévalait d'aucune stipulation par laquelle le bailleur se serait réservé l'action en garantie décennale sur les ouvrages existant au moment du bail, en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la société Cadusun avait, dès la conclusion du bail emphytéotique, qualité à agir sur ce fondement, à raison des désordres affectant ces panneaux.
9. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SMA aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SMA et la condamne à payer à la société Cadusun la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille vingt-quatre.