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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 7 septembre 2023, n° 22/05674

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

TEXEL (SAS)

Défendeur :

SOCIETE GENERALE (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme GERARD

Conseillers :

Mme COMBRIE, Mme VINCENT

Avocats :

SELARL CABINET BISMUTH, Me ROCHE

TC MARSEILLE, du 17 mars 2022

17 mars 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société Texel exerce une activité de négoce international et bénéficie de concours bancaires à courts termes comme des crédits documentaires (Credoc) ou des avances en devises (AED).

Elle bénéficiait ainsi d'une ligne de concours de 1,5 millions d'euros consentie par la Société Générale.

Le 21 octobre 2021 la Société Générale a informé la société Texel de la clôture de ce concours avec effet au 20 décembre 2021.Des divergences sont alors apparues entre les parties sur la nature des demandes de financement qui pouvaient se présenter dans cet intervalle, la Société Générale estimant que la date d'échéance des financements ne pouvait excéder le 20 décembre 2021, date d'expiration du préavis, et la société Texel estimant au contraire que la date d'échéance pouvait aller au-delà.

Aucun accord n'ayant été trouvé, la société Texel a saisi le président du tribunal de commerce de Marseille d'un référé d'heure à heure afin d'obtenir le rétablissement des concours bancaires.

Une ordonnance de référé a été rendue le 16 novembre 2021 statuant notamment en ces termes :

« Ordonnons à la SOCIETE GENERALE SA de rétablir les concours bancaires dont bénéficiait la société TEXEL SA, dans les conditions initiales et d'exécuter, sans délai, toute demande de financement dans le cadre de la ligne litigieuse, quelle que soit la date d'échéance du concours dans la limite d'utilisation maximale des lignes pour un montant (de) total de concours de

1 500 000 € (un million cinq cent mille euros) et à condition que la demande de financement soit formée au plus tard le 60ème jour à compter du préavis qui a été notifié en date du 21 octobre 2021 à la société TEXEL SAS par la SOCIETE GENERALE ; et ce, sous astreinte provisoire de 1 000 € (mille euros) par jour de retard de mobilisation de la ligne, à compter de l'expiration de 3 (trois) jours ouvrés suivant la demande de financement ».

Par requête du 24 février 2022 la Société Générale a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille, au visa de l'article 461 du code de procédure civile, d'une demande d'interprétation de l'ordonnance rendue le 16 novembre 2021dès lors que les parties divergeaient sur la durée des concours bancaires à accorder et que dans le même temps, une instance en liquidation de l'astreinte était initiée par la société Texel.

Par ordonnance en date du 17 mars 2022 le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille a statué en ces termes :

-Précisons que les termes « conditions initiales » et « quelle que soit la date d'échéance » contenus dans le dispositif de l'ordonnance du 16 novembre 2021 s'interprètent de la façon suivante :

-le rétablissement des concours a été ordonné dans les conditions initiales, notamment de durée de remboursement, ce qui signifie que la SOCIETE GENERALE ne pouvait imposer une date d'échéance au 20 décembre 2021,

-la date d'échéance des concours est déterminée en référence aux conditions initiales pratiquées par les parties ;

-Enjoignons à Messieurs les Greffiers en Chef du Tribunal de Commerce de Marseille de mentionner la décision interprétative sur la minute et les expéditions de l'ordonnance en date du 5 octobre 2021 ;

Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile,

-Condamnons la SOCIETE GENERALE aux dépens toutes taxes comprises de la présente ordonnance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de Procédure Civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat- greffe de la présente juridiction sont liquidés a la somme de 40,66 € (quarante euros et soixante-six centimes T.T.C.)

Par seconde requête, la société Texel a sollicité l'interprétation des ordonnances des 16 novembre 2021 et 17 mars 2022, requête qui a donné lieu à une seconde ordonnance de référé rendue le 29 avril 2022 par laquelle le juge des référés a déclaré la demande de la société Texel irrecevable.

Par déclaration en date du 15 avril 2022 la société Texel a interjeté appel de l'ordonnance rendue le 17 mars 2022 (RG n°22/05674) et par déclaration en date du 5 mai 2022 a interjeté appel de l'ordonnance rendue le 29 avril 2022 (RG n°22/06603).

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 24 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Texel (SAS) soutient que :

-le juge des référés n'aurait pas dû juger qu'il y avait lieu à interprétation de l'ordonnance de référé dont les termes étaient parfaitement clairs et n'emportaient pas de contradiction entre les motifs et le dispositif ; subsidiairement, dans le cadre de l'interprétation, le juge des référés aurait dû interpréter la notion de « conditions initiales » dès lors que la question était de savoir quelles sont les durées maximales de remboursement des concours à court terme ; l'interprétation faite n'apporte aucun éclairage sur ces conditions et ne fait que reprendre les termes de la première décision voire rend la situation encore plus obscure,

-les « conditions initiales » sont les suivantes : la Société Générale doit assurer un financement à la société Texel lorsque celle-ci en fait la demande et a la possibilité de mettre fin à ces concours en respectant un délai de préavis de 60 jours (article L.313-12 du code monétaire et financier) et une fois les concours bancaires dénoncés, la Société Générale doit faire droit aux demandes de financement jusqu'à l'expiration du prévis,

-en l'absence de contrat ou d'échanges entre les parties, on doit entendre par « conditions initiales » les conditions communes aux concours à court terme, et on doit entendre par « quelle que soit la date d'échéance » qu'il n'y a pas de limitation de durée pour un concours à court terme, lequel est en tout état de cause limité à deux ans,

Ainsi, la société appelante demande à la cour de :

Vu les articles 367, 461 et 803 du Code de procédure civile, Vu l'ordonnance de référé du 16 novembre 2021,
Vu les pièces versées aux débats,

Il est demandé à la Cour de :

- PRONONCER la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 24 octobre 2022 ;

- ORDONNER la jonction des instances RG n° 22/05674 et RG n° 22/06603 pendantes devant la Cour de céans, sous le numéro RG n° 22/06603, en raison de l'existence entre ces litiges d'un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les faire juger ensemble ;

- INFIRMER l'ordonnance rendue le 17 mars 2022 ;
- A TITRE PRINCIPAL,
juger que les dispositions de l'ordonnance de référé du 16 novembre 2021 n'avaient pas à être interprétées ;

- A TITRE SUBSIDIAIRE,

Juger que la notion de « conditions initiales » aurait dû être définie par le premier juge.

Juger que la notion de « conditions initiales » doit s'apprécier au regard des conventions liant les parties, et de la nature du contrat litigieux, à l'exclusion des conditions d'usage.

  • EN TOUT ETAT DE CAUSE, CONDAMNER la SOCIETE GENERALE au paiement à la société TEXEL de la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 15 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la Société Générale (SA) réplique que :

-deux demandes présentées par la société Texel le 21 octobre 2021 ont posé difficulté puisque présentant des échéances aux 20 janvier 2022 et 5 janvier 2022 alors qu'elle estimait que la date d'échéance de ces demandes ne pouvait excéder le 20 décembre 2021, ce qui a conduit la société Texel a saisir le juge des référés ; elle a été amenée ensuite à accorder des financements de six mois à la société Texel mais des divergences ont persisté entre les parties, notamment en l'état de la saisine du juge de l'exécution par la société Texel pour la liquidation de l'astreinte, justifiant sa requête en interprétation,

-le recours en interprétation était justifié au regard d'une compréhension différente des termes de l'ordonnance du 16 novembre 2021,

-les usages des parties n'ont jamais été ceux que décrit la société Texel puisque l'AED le plus long accordé à la société Texel était de 105 jours soit un peu plus de trois mois, même si elle accepté postérieurement à l'ordonnance d'accorder des concours de six mois,

-la société Texel n'a pas sollicité, dans le cadre de son assignation initiale, de fixation à deux ans de la durée des concours ; elle ne peut modifier l'objet du litige et la portée de ses demandes ni solliciter qu'il soit ajouté à ses demandes dans le cadre d'un subsidiaire en interprétation, sauf à solliciter un jugement

Vu l'article 367 du Code de Procédure civile

DONNER acte à SOCIETE GENERALE qu'elle s'en rapporte sur la demande de jonction étant précisé qu'elle entend que les deux procédures visées suivent leur propre déroulement

Vu I article 461 du Code de procédure civile, Vu la requête en interprétation du 24.02.2022,

CONFIRMER la décision querellée en toutes ses dispositions,

DEBOUTER la société TEXEL SA de ses demandes,

Y ajoutant

CONDAMNER la société TEXEL SA au paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile d'une somme de 8.000 € ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS

A titre liminaire il convient de préciser que l'ordonnance de clôture, initialement fixée au 24 octobre 2022, a été reportée au 11 avril 2023 de sorte que la demande de la société Texel tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 24 octobre 2022 est devenue sans objet.

Sur la jonction :

En application des articles 367 et 368 du code de procédure civile la jonction de procédures enrôlées sous des numéros différents peut être ordonnée dès lors qu'elles présentent un lien de connexité tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble.

En l'espèce, il apparaît que les deux appels formés par la société Texel, et enregistrés sous les numéros RG n°22/05674 et RG n°22/06603, portent sur deux ordonnances de référé distinctes, bien que faisant suite toutes deux aux requêtes en interprétation de l'ordonnance rendue le 16 novembre 2021 par le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille.

Dès lors, il n'y a pas lieu à jonction des procédures au cas d'espèce.

Sur l'interprétation de l'ordonnance rendue le 16 novembre 2021 :

Aux termes de l'article 461 du code de procédure civile il appartient à tout juge d'interpréter sa décision si elle n'est pas frappée d'appel.

Si les juges ne peuvent, sous couvert d'interpréter leur décision, en modifier les dispositions précises, il leur appartient d'en fixer le sens lorsqu'elles donnent lieu à des lectures différentes.

En l'espèce, par ordonnance du 16 novembre 2021, le juge des référés, saisi à la requête de la société Texel, laquelle invoquait avoir été privée des concours bancaires de la Société Générale pendant le délai de préavis, a ordonné à la banque le rétablissement sous astreinte des « concours bancaires dont bénéficiait la société TEXEL SA, dans les conditions initiales et d'exécuter, sans délai, toute demande de financement dans le cadre de la ligne litigieuse, quelle que soit la date d'échéance du concours ».

A l'occasion de la mise en 'uvre de la décision, et notamment de la saisine du juge de l'exécution en vue de la liquidation de l'astreinte, les parties ont donné aux termes « dans les conditions initiales » et « quelle que soit la date d'échéance du concours » des interprétations différentes.

Dans le cadre de la présente instance, la Société Générale ne soutient plus que le concours bancaire devait obligatoirement expirer au plus tard au 20 décembre 2021, date d'expiration du préavis, et fait observer que si les usages des parties avant la notification de la clôture des concours bancaires étaient d'accorder des concours d'une durée moyenne de trois mois, elle a été conduite à accepter des concours d'une durée de six mois postérieurement à la décision du juge des référés. Elle ajoute qu'aucun usage antérieur ne fait état de concours bancaires d'une durée de deux ans.

Pour sa part, la société Texel soutient qu'un concours à court terme peut être accordé pour une durée supérieure à trois mois, qu'elle plafonne en tout état de cause à deux ans.

Il ressort de ces éléments que si les termes précités, par leur libellé, sont incontestablement sujets à divergences entre les parties, ces divergences ne ressortent pas tant de la rédaction de l'ordonnance rendue le 16 novembre 2021, que de l'interprétation des usages antérieurs des parties en l'absence de document contractuel permettant d'apprécier les conditions régissant leurs relations contractuelles précédemment à l'arrêt des concours bancaires décidé par la Société Générale.

Au regard des termes de l'assignation introductive délivrée le 5 novembre 2021 par la société Texel sous la forme d'un référé d'heure à heure (pièce 5 de l'intimée), et de ses conclusions (pièce 23), le juge des référés, ne pouvait que statuer sur les demandes de la société Texel telles que présentées dans les mêmes termes que le dispositif querellé de l'ordonnance, sans outrepasser l'objet du litige et les prétentions des parties, sauf à se prononcer ultra-petita.

Au demeurant, l'ordonnance dite interprétative rendue le 17 mars 2022, soumise aux mêmes contraintes, n'est pas de nature à apporter davantage d'éclaircissements sur les points de dissension.

Dès lors, il y a lieu de juger que si divergences d'interprétation il y avait, elles n'étaient que la conséquence de la nécessité d'interpréter les usages des parties à l'occasion de leurs relations contractuelles antérieures, et que cette interprétation excède tant les prévisions de l'article 461 du code de procédure civile susvisé que les pouvoirs du juge des référés.

L'ordonnance rendue le 17 mars 2022 sera dès lors infirmée en toutes ses dispositions.

Chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens dans le cadre de la procédure en interprétation, en première

instance et en appel au visa des articles 699 et 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Constate que la demande de révocation de l'ordonnance de clôture est devenue sans objet en l'état de l'ordonnance rendue le 11 avril 2023,

Dit n'y avoir lieu à jonction des procédures enrôlées sous les numéros suivants RG n°22/05674 et RG n°22/06603,

Infirme l'ordonnance rendue le 17 mars 2022 par le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille,

Statuant en nouveau,

Rejette la requête en interprétation formée par la Société Générale à l'égard de l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille le 16 novembre 2021.