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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 12 septembre 2024, n° 20/04137

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Of Course (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boudy

Conseillers :

M. Figerou, Mme Defoy

Avocats :

Me Boerner, Me Lachaume, Me Bertin

TGI Bordeaux, 1re ch., du 19 oct. 2020, …

19 octobre 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

La SCI Loisirs karting, dont le gérant est Monsieur [G] [C], est propriétaire d'un ensemble immobilier à usage industriel et commercial situé à Biganos, en Gironde, qu'elle loue depuis plusieurs années à la Sarl Of Course qui exerce une activité de fabrication et vente d'articles de sport mécanique, plus particulièrement dédiés à la pratique du karting.

M. [C] a été associé de la Sarl Of Course avant de céder l'ensemble de ses parts sociales à la Sarl Acres géré par M. [V] [I], devenu gérant de la Sarl Of Course après la démission en octobre 2013 de M. [Y] [N], beau fils de M. [C].

Depuis le 1er janvier 2015, M. [C] exploite à [Localité 3] sous l'enseigne MF Kart Concept une activité de vente de karts, pièces détachées et accessoires pour la pratique du karting.

Le 24 mai 2018, M. [C] a publié, par l'intermédiaire de son compte Facebook personnel, un commandement de payer qu'il avait fait délivrer le 18 mai 2018 en sa qualité de bailleur à l'encontre de la Sarl Of Course accompagnée du message suivant : 'Suite à la publication de tout pour le kart sur l'arrivée "imminente " de pneus Maxxis à un prix un peu moins cher, je suis déçu que certains pilotes "aiment" pendant que je me démène pour organiser le trophée qui leur permet de pratiquer leur loisir. Si vous êtes à 10 euros près, il y a d'autres sports plus économiques. Of course, un soi-disant professionnel, profite lui aussi directement des efforts que je fais pour maintenir le Trophée dans notre région, pour dire l'intelligence de son gérant. Le problème d'Of Course est plus proche de celui-ci, dont vous trouverez un extrait ci-dessous.'

Suite à la mise en demeure que lui a adressé la Sarl Of Course le 31 mai 2018, M. [C] a, le 7 juin 2018, retiré la photographie de l'acte d'huissier puis le 11 juin 2018 la totalité de la publication.

Par acte du 28 juin 2018, la Sarl Of Course a assigné M. [C] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir réparer son préjudice.

Par jugement du 19 octobre 2020 , le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- condamné M. [C] à payer à la SARL Of Course la somme de 4 554,89 euros en réparation du préjudice moral et des frais de constat d'huissier, consécutifs aux documents et propos dénigrants diffusés sur sa page facebook le 24 mai 2018,

- condamné M. [C] à payer à la SARL Of Course la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [C] aux entiers dépens de l'instance,

- dit n'y avoir lieu d'assortir la présente décision de l'exécution provisoire

M. [C] a relevé appel du jugement le 30 octobre 2020.

Par ordonnance du 11 avril 2024, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Bordeaux a :

- dit n'y avoir lieu de constater la péremption de l'instance,

- dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Sarl Of Coures aux dépens de l'incident.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 8 septembre 2023, M. [C] demande à la cour, sur le fondement de l'article 1240 du code civil :

à titre liminaire,

- de déclarer irrecevable la Sarl Of Course de toutes ses demandes pour défaut de fondement juridique par erreur de visa du bon texte applicable, et de la condamner à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et d'infirmer le jugement du 19 octobre 2020,

à titre principal,

- de le dire et le juger recevable et bien fondé en son appel,

- de dire et juger qu'il n'a pas commis de dénigrement commercial contre la Sarl Of Course,

en conséquence,

- de réformer le jugement du tribunal judiciaire du 19 octobre en toutes ses dispositions,

- débouter la Sarl Of Course de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de la condamner à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction au bénéfice de la SCP Boerner au titre de l'article 699 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire,

- de limiter à 1 euro symbolique, l'indemnisation de la Sarl Of Course, la publication n'ayant duré que 15 jours et l'impact sur le public n'étant pas démontré.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 28 avril 2021, la Sarl Of Course demande à la cour, sur le fondement des articles 1240 du code civil :

- de confirmer le jugement rendu le 19 octobre 2020 par le tribunal judiciaire

de [Localité 4] en ce qu'il a :

- dit et jugé caractérisés les faits de dénigrement commercial commis par M. [C] à son encontre,

- condamné M. [C] à lui payer la somme de 4554,89 euros en réparation de son préjudice matériel,

- condamné M. [C] à lui payer la somme de 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de réformer le jugement rendu le 19 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de

Bordeaux en ce qu'il a :

- condamné M. [C] à lui payer la somme de 4000 euros en réparation de son préjudice moral,

et statuant de nouveau,

- de condamner M. [C] à lui payer la somme de 9 500 euros en réparation de son préjudice moral,

- de condamner M. [C] à lui payerla somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- de condamner M. [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Maître Bertin, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

La Sarl Of Course a notifié des conclusions le 28 mai 2024 postérieurement à l'ordonnance de clôture. Le rabat au jour des plaidoiries a été demandé. Le dispositif n'a pas été changé dans ses nouvelles conclusions.

Elle a demandé un report de la clôture au jour des plaidoiries, faisant notamment valoir que la clôture fixée en mai 2024 n'avait été annoncée qu'en avril 2024.

M. [C] s'est opposé à un report de la clôture.

MOTIFS

Sur la demande de report de la clôture

La présente affaire a été fixée pour être plaidée, par avis du 25 avril 2024, à l'audience du 11 juin 2024, avec une clôture de l'instruction prévue au 28 mai 2024.

Aussi, la cour considère que l'intimée disposait d'un délai suffisant pour déposer de nouvelles conclusions en respectant le délai qui avait été notifié aux parties plus d'un mois auparavant.

Aussi, il n'y a pas lieu de révoquer l'ordonnance de clôture en l'absence de cause grave depuis qu'elle a été rendue et alors que les parties ont disposé d'un temps suffisant pour déposer de nouvelles écritures entre l'annonce de cette clôture et la clôture elle-même.

Toutefois, la cour constate que l'intimée a déposé ses écritures le jour même de l'ordonnance de clôture.

La cour constate également que ces nouvelles conclusions ne soulevaient pas de prétentions ou de moyens nouveaux qui auraient dû appeler une réponse de la part de l'appelant.

En conséquence, il n'y a dès lors pas lieu de rejeter ces écritures des débats en l'absence d'une atteinte portée aux droits de l'appelant.

Sur le fond

M. [G] [C] fait notamment valoir que l'action de la Sarl Of Course est irrecevable. En effet, l'application de la responsabilité de droit commun de l'article 1240 du code civil est exclue aux actions en réparations des abus de la liberté d'expression sur internet, au motif qu'il existe des textes spécifiques applicables à la matière. La responsabilité relève du régime spécial de responsabilité en cascade propre à la presse écrite, dont dispose la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Par ailleurs, les conditions du dénigrement commercial ne sont pas réunies. Afin que le dénigrement commercial soit caractérisé, il faut la réunion de trois conditions: Les propos doivent avoir un caractère péjoratif, être rendus publics et doivent viser une entreprise, une marque ou un produit identifiable. Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier. Les éléments constitutifs du dénigrement commercial ne sont pas réunis et la Sarl Of Course ne rapporte pas la preuve qu'elle a subi un préjudice matériel ainsi qu'un préjudice lié à une atteinte à son image et sa réputation.

La SARL Of course lui réplique que la liberté d'expression est un droit dont l'exercice revêt un caractère abusif dans les cas spécialement déterminés par la loi, dont celui du dénigrement commercial, qui se fonde sur la responsabilité délictuelle de droit commun édicté par l'article 1240 du code civil. Les conditions du dénigrement commercial sont remplies. Dans ces conditions, elle a subi des préjudices qui doivent être réparés, notamment ses préjudices matériel et moral.

***

L'article 1240 du code civil dispose': «' Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'»

L'article 1241 ajoute': «' Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.'»

Fondée sur ces deux articles du code civil', l'action en concurrence déloyale est une action en responsabilité civile qui tend à imposer le respect de certaines limites dans l'exercice des activités économiques par la sanction des actes contraires à la probité professionnelle.

Si les faits de diffamation ou d'injure relèvent de la loi spécifique du 29 juillet 1881 sur la presse, ceux relatifs au dénigrement relèvent bien de l'action en concurrence déloyale.

Une telle action est par ailleurs soumise aux conditions classiques de la responsabilité civile délictuelle.

En l'espèce le message litigieux a été publié sur les réseaux sociaux et était donc public.

Il comportait un dénigrement d'un concurrent dès lors qu'il mettait en cause le professionnalisme de la société Of course': « un soi-disant professionnel'»

Il mettait en outre en doute l'intelligence de son gérant': «'... pour dire l'intelligence de son gérant.'»

En conséquence, le message publié sur le réseau Facebook dénigrait un concurrent direct de M. [C] qui se plaignait d'une pratique de prix inférieurs aux siens car il ne contenait pas une simple critique objective ou une simple comparaison des prix pratiqués par les deux entreprises, mais une mise en cause des compétences et de l'intelligence du représentant de ce concurrent.

Dès lors la SARL Of course a bien été victime d'un dénigrement au sens des articles 1240 et 1241 du code civil.

En suite du dénigrement reconnu ci-dessus, les premiers juges ont justement apprécié les préjudices de l'intimée en condamnant M. [C] à payer à la SARL Of course une somme de 4 554,89 euros en réparation de son préjudice moral et des frais de constat d'huissier, consécutifs aux documents et propos dénigrants diffusés.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

M. [G] [C] succombant à l'action, sera condamné aux entiers dépens et à payer à l'intimée la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Plaise à la cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne M. [G] [C] à payer à la SARL Of course la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [G] [C] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jacques BOUDY, président, et par Madame Audrey COLLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.