CA Grenoble, ch. com., 12 septembre 2024, n° 23/03893
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Jl2s (SAS)
Défendeur :
Synesis (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Kanedanian, Me Riemain, Me Deplantes, Me Cassassolles
Faits et procédure :
1. La société Synesis a été créée en 1998 par monsieur [F], avec pour activité la maintenance informatique et la distribution de matériels informatiques. [D] [Y] a été engagé en 1999 en qualité de technicien, et est devenu, le 28 février 2003, responsable technique avec le statut de cadre. [M] [L] a été engagé le 28 juillet 2014 en qualité de technicien.
2. Le nom de domaine de la société JL2S a été déposé le 30 décembre 2021 par messieurs [Y] et [L]. [D] [Y] a démissionné de ses fonctions le 31 mai 2022 avec effet au 31 août 2022, sans invoquer de raison particulière. [M] [L] a démissionné de ses fonctions le 30 juin 2022 avec effet au 31 août 2022, sans donner de raison à son employeur.
3. La société JL2S a été immatriculée au registre du commerce de Vienne le 21 septembre 2022, pour un commencement d'activité à partir du 15 septembre 2022. Son président est [D] [Y], et son directeur général est [M] [L]. Son objet social est la maintenance informatique et la gestion du parc informatique des entreprises. Son siège social est situé à [Localité 8] (38), distant d'une dizaine de kilomètres de celui de la société Synesis situé à [Localité 9].
4. Constatant à partir du 2 septembre 2022 un grand nombre de résiliations émanant de clients qui étaient gérés directement par messieurs [Y] et [L], la société Synesis a soupçonné des agissements déloyaux et illégaux de la part de la société JL2S et de messieurs [Y] et [L]. En conséquence, elle a sollicité du juge des requêtes du tribunal judiciaire de Bougoin-Jallieu l'autorisation de pratiquer une mesure d'instruction au siège social de la société JL2S.
5. Par ordonnance sur requête du 27 février 2023, la présidente du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a notamment désigné un commissaire de justice, aidé par un informaticien, avec pour mission de se rendre dans les locaux de la société JL2S à [Localité 8] afin de dresser un inventaire du matériel technique présent et se faire remettre les factures d'achat de ce matériel, de se faire remettre et saisir l'ensemble des documents des ventes réalisées par la société JL2S avec différents clients, de saisir tout élément contenant l'un des mots clefs précisés sur la période du 30 avril 2022 au 31 août 2022 puis du 1er septembre 2022 au 2 janvier 2023, de saisir l'ensemble des mails ou courriers échangés entre messieurs [Y] et [L] entre le 30 décembre 2021 et le 31 août 2022 contenant certains mots clefs, de dresser l'inventaire des éléments saisis, de placer sous scellés les documents saisis et de les conserver pendant un délai de 15 jours, délai à l'issue duquel ces documents seront remis à la requérante, sauf pour le requis d'avoir engagé un référé-rétractation entre-temps.
6. Maître [S], commissaire de justice, a exécuté cette ordonnance le 6 avril 2023.
7. Par exploit du 20 avril 2023, messieurs [L] et [Y] ainsi que la société JL2S ont assigné la société Synesis aux fins de rétractation de l'ordonnance du 27 février 2023.
8. Par ordonnance du 3 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a :
- rejeté la 'n de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de [D] [Y] et [M] [L] et les a déclarés recevables en leurs demandes ;
- rejeté la demande de rétractation et les demandes de cantonnement et a maintenu l'ensemble des dispositions de l'ordonnance rendue sur requête le 27 février 2023 ;
- condamné la société JL2S à payer à la société Synesis SAS la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile ;
- condamné la société JL2S SAS, [D] [Y] et [M] [L] aux entiers dépens.
9. La société JL2S SAS, [D] [Y] et [M] [L] ont interjeté appel de cette décision le 10 novembre 2023, en toutes ses dispositions, reprises dans leur acte d'appel.
L'instruction de cette procédure a été clôturée le 2 mai 2024.
Prétentions et moyens de la société JL2S SAS, de [D] [Y] et [M] [L] :
10. Selon leurs conclusions d'appelants remises par voie électronique le 20 décembre 2023, ils demandent à la cour, au visa des articles 145, 646 et 647 du code de procédure civile :
- de les déclarer recevables et bien fondés en leurs demandes,
- en conséquence, d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau, de rétracter l'ordonnance rendue le 27 février 2023 et mise à exécution le 6 avril 2023,
- de débouter la société Synesis de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à titre subsidiaire, si l'ordonnance du 27 février 2023 devait ne pas être rétractée, d'ordonner l'exclusion des pièces à transmettre à la société Synesis de tous documents saisis comportant les mots de passe des clients de la société JL2S et de tous les contrats de maintenance passés par la société JL2S,
- de condamner la société Synesis à payer aux concluants la somme de 5.000 euros chacun par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société Synesis aux entiers dépens en ce compris ceux de l'ordonnance sur requête et de son exécution, outre ceux de la première instance et de l'appel.
Ils exposent :
11. - que la société Synesis a trompé la religion du président du tribunal judiciaire afin d'obtenir l'ordonnance dont la rétractation est sollicitée en fondant sa demande sur de nombreux mensonges, puisqu'elle a prétendu, dans sa requête, que l'intégralité de ses clients dont messieurs [L] et [Y] avaient la charge durant l'exécution de leur contrat de travail, auraient quitté la société pour contracter avec la société JL2S ; qu'elle s'est contentée de lister lesdits clients, au nombre de 42, et de produire un mail de la société Katadyn lui demandant de donner les accès informatiques à la société JL2S ; que cependant, messieurs [Y] et [L] ne géraient pas 42 clients pour l'intimée, mais 90 dont 48 sont probablement toujours sous contrat avec elle; que l'intimée a ainsi gonflé son prétendu préjudice afin de rendre légitime sa demande ; que de nombreux clients ont adressé leur lettre de résiliation dès le mois de septembre 2022, soit avant le départ de messieurs [L] et [Y] ; que l'intimée n'a pas produit de lettres de résiliation afin de pouvoir vérifier leurs dates et leur caractère coordonné ; que plusieurs clients figurant dans la liste établie par l'intimée n'ont pas contracté avec la société JL2S ; que d'autres n'étaient pas gérés par messieurs [L] et [Y] ; que plusieurs des clients
ayant choisi de quitter l'intimée attestent que leur décision a pu en partie être motivée par le fait qu'à partir de septembre 2022, il ne leur a plus été possible d'obtenir de celle-ci des réponses à leurs demandes d'intervention ; que les témoignages produits par les concluants sont recevables, alors que le juge de la rétractation les a écartés pour des motifs infondés ;
12. - que messieurs [L] et [Y] ne disposaient d'aucun accès aux sites et mots de passe des partenaires commerciaux, puisque la partie commerciale était gérée par monsieur [F] et son fils ; que si l'accès au serveur de la société Synesis était libre pour tous les salariés, elle ne démontre pas qu'il était possible d'accéder aux informations commerciales ;
13. - qu'il n'existe aucune raison permettant de déroger au principe du contradictoire, puisque l'essentiel des documents saisis concerne les contrats conclus par la société JL2S avec ses clients, et des éléments comptables ; que les concluants n'ont aucun intérêt à détruire ces éléments indispensables à leur activité ; qu'il n'est pas contesté que certains clients figurant sur la liste établie par l'intimée ont pu contracter avec eux à compter du mois de janvier 2023 ;
14. - qu'il n'existe aucun motif légitime à voir ordonner la mesure d'instruction, puisque messieurs [Y] et [L] n'étaient pas soumis, par leur contrat de travail, à une clause de non-concurrence de sorte qu'ils pouvaient créer une société concurrente dont l'activité a débuté après l'expiration de leur préavis; que l'intimée ne justifie pas d'une concurrence déloyale de leur part et ainsi d'aucun motif concernant une saisie préparatoire à une instance au fond ayant des chances d'aboutir; que la société Synesis tente de tirer une preuve des résiliations «collectives» au 31 décembre 2022 alors même qu'elle ne peut ignorer que tous ses contrats sont systématiquement à échéance au 31 décembre de chaque année ce qui explique la «vague de résiliation» ; que certains clients ont quitté l'intimée en raison d'une augmentation tarifaire ou d'un manque de suivi; que la société JL2S ne pratique pas les tarifs pratiqués par l'intimée, mais un tarif unique pour tous ses clients ; que la société Katadyn a préféré la société JL2S bien qu'une maintenance gratuite lui ait été proposée par l'intimée pour l'année 2023, ce qui indique qu'elle n'avait plus confiance en l'intimée; que la moitié des clients figurant sur la liste établie par l'intimée était des amis proches de messieurs [L] et [Y], et avaient contracté auprès de l'intimée à ce titre ; qu'ils ont rejoint la société JL2S sans aucun démarchage ; qu'un client a été obtenu par la société JL2S suite à un appel d'offre auquel l'intimée n'a pas répondu ;
15. - que l'intimée ne démontre l'existence d'aucun fait de dénigrement, imitation, débauchage, parasitisme ou encore d'une faute d'imprudence ou de négligence constitutifs d'une pratique commerciale déloyale ; que de très nombreuses attestations des clients ayant fait le choix de quitter la société Synesis indiquent que ce choix leur est personnel, qu'ils n'ont nullement fait l'objet du moindre démarchage tant par messieurs [Y] ou [L] que par la Société JL2S, qu'ils ne sont venus auprès de la société Synesis que pour travailler avec messieurs [Y] et [L], qui ont été par la suite leurs seuls contacts au sein de la société Synesis, qu'ils n'ont souvent appris le départ de messieurs [L] et [Y] qu'en reprenant contact avec la société Synesis en septembre ou octobre et sans que le nouveau technicien en charge de leurs installations ne leur soit présenté ;
16. - subsidiairement, que l'intimée ne doit pas avoir accès aux fichiers comprenant les mots de passe des serveurs de clients, qui n'ont aucun intérêt dans le cadre d'une instance future, puisqu'ils ne comportent aucun élément de preuve alors que cela touche à la sécurité de ces clients ; que les contrats de maintenance passés par la société JL2S avec ses clients n'ont pas à être saisis, puisque le commissaire de justice dispose des factures correspondantes, alors que ces contrats ont été rédigés par un avocat payé par la société JL2S, ce qui n'est pas le cas pour ceux établis par l'intimée, de sorte qu'elle ne doit pas s'approprier des contrats plus élaborés.
Prétentions et moyens de la société Synesis :
17. Selon ses conclusions n°2 remises par voie électronique le 15 avril 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 145, 31 et 32 du code de procédure civile :
- de confirmer l'ordonnance du 3 octobre 2023 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a déclaré messieurs [Y] et [L] recevables en leur action ;
- en tout état de cause, de condamner la société JL2S à régler à la concluante la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient :
18. - concernant l'irrecevabilité de l'action de messieurs [Y] et [L], que la mesure d'instruction a été réalisée uniquement au siège de la société JL2S, de sorte que seule celle-ci est recevable à voir rétracter l'ordonnance rendue sur requête ;
19. - concernant l'intérêt légitime de la concluante à faire pratiquer la mesure d'instruction, que l'objet de la présente procédure n'est pas de démontrer la réalité de la concurrence déloyale dont elle est victime, mais simplement de démontrer qu'elle dispose de suffisamment d'éléments troublants à l'encontre de ses anciens salariés et de la société JL2S pour caractériser son intérêt à agir et légitimer ainsi une mesure d'ordonnance sur requête préalablement à tout procès au fond ;
20. - que la concluante démontre ainsi l'existence d'un faisceau d'indices présumant qu'il existerait des raisons de penser que la société JL2S a commis des actes de concurrence déloyale au regard :
* du nom de domaine de la société JL2S en décembre 2021, 6 mois avant la démission des deux salariés ;
* du nombre très important de clients gérés exclusivement par messieurs [Y] et [L] et qui ont fait part à la concluante de leur résiliation effective à la fin de l'année 2022 ;
* de la communication, par monsieur [L], à un client de la concluante, de son numéro de téléphone personnel alors qu'il était démissionnaire ;
* du fait que les lignes téléphoniques mises à la disposition de messieurs [Y] et [L] par la concluante n'ont plus sonné à compter de leur départ effectif de la société ;
- du fait que de nombreux clients ont dénoncé leurs contrats concomitamment au départ de messieurs [Y] et [L] ;
- des nombreuses attestations produites par la société JL2S rapportant la preuve de ce que les clients ayant dénoncé leurs contrats auprès de la concluante ont conclu un contrat avec la défenderesse et ont été préalablement informés du départ de messieurs [Y] et [L] par ces derniers ;
21. - que s'il n'est pas contesté que messieurs [Y] et [L] n'étaient astreints à aucune clause de non-concurrence dans leurs contrats de travail, ils étaient cependant soumis à une obligation de loyauté dans le cadre de l'exécution de leur travail ; qu'en raison de la concomitance entre les dates effectives de leur départ et le début d'activité de la société JL2S, des actes préparatoires à la création de cette société ont été effectués alors que messieurs [Y] et [L] étaient encore salariés de la concluante, notamment par l'octroi d'aides à la création d'entreprise par l'association Initiatives Bièvre Valloires ;
22. - que monsieur [Y], responsable technique au sein de la concluante depuis 23 ans, travaillait en totale autonomie au contact des clients et des partenaires commerciaux; qu'il avait un accès libre au serveur de la concluante sur lequel figuraient toutes les données commerciales dont les tarifs pratiqués; que les clients dont messieurs [Y] et [L] avaient la charge les appelaient directement sur le téléphone portable mis à leur disposition par la concluante, alors que suite à leur départ, ces téléphones n'ont plus sonné, ce qui indique que les clients avaient été informés de ce départ avant qu'il ne soit effectif; que les attestations produites par les appelants confirment que les clients ont été informés de leur départ par eux, avant qu'il ne se réalise, avec communication des numéros de téléphone personnels ; que suite au départ des deux salariés, la concluante n'a plus reçu de demandes d'intervention de ses clients, ce qui laisse à penser que messieurs [Y] et [L] sont intervenus en dehors de tout contrat gratuitement pour éviter un coût supplémentaire à leurs clients ;
23. - qu'au mois de décembre 2022, la concluante a subi une perte brutale de 55 contrats alors que certains clients étaient en relation avec elle depuis plus de 20 ans, entraînant une perte de chiffre d'affaires de 14,05 %; que les bons d'intervention démontrent que les clients concernés étaient exclusivement suivis par messieurs [Y] et [L] ; que la société Katadyn a demandé à la concluante de laisser l'accès à sa console à la société JL2S alors que cette dernière reconnaît avoir conclu un contrat de maintenance avec ce client ; que cela correspond à une partie des clients n'ayant plus demandé d'intervention de la concluante avant la résiliation des contrats ; que des attestations confirment que certains clients ont été démarchés avant la rupture des contrats de travail de messieurs [Y] et [L] ;
24. - que l'ancienneté de ces salariés leur permettait d'avoir connaissance des grilles tarifaires pratiquées par la concluante, leur permettant de faire des propositions commerciales plus intéressantes, ce qui explique les résiliations soudaines de clients de longue date, ce que confirment certaines attestations ;
25. - concernant la nécessité de déroger au principe du contradictoire, qu'un requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse lorsque la mission con'ée à l'huissier a plus de chances de succès si elle est exécutée lorsque la partie adverse n'en est pas préalablement avertie ; que le risque de dépérissement des preuves, s'agissant d'échanges informatiques pouvant être facilement effacés, justifie à l'évidence une mesure non contradictoire; qu'en l'espèce, la grande majorité des éléments recherchés par la requérante est constituée de 'chiers informatiques et de courriels dont la dissipation peut être aisément organisée par les parties requises; que la mesure d'instruction a été circonscrite dans le temps, alors que ses effets ont été limités par l'effet du séquestre des données.
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26. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la recevabilité de l'action de messieurs [L] et [Y] :
27. Selon le premier juge, ces deux personnes sont les associés dirigeants de la société JL2S et l'ordonnance sur requête a autorisé le commissaire de justice désigné par la société Synesis à se faire remettre l'ensemble des e-mails échangés entre eux entre le 31 décembre 2021 et le 31 août 2022, période durant laquelle la société JL2S n'existait pas. Ce seul élément suffit à constater qu'ils sont directement concernés par la mesure d'instruction autorisée et ont un intérêt légitime à agir en rétractation.
28. La cour ne peut qu'adopter ces motifs, puisque s'il est exact que l'ordonnance sur requête a organisé une mesure d'instruction devant se tenir dans les locaux de la société JL2S uniquement, le président du tribunal ayant rejeté toute investigation aux domiciles personnels de messieurs [Y] et [L], cette ordonnance a cependant autorisé la saisie de l'ensemble des mails et courriers échangés entre ces personnes, sur la base de modes-codes, ce qui est de nature à créer un préjudice pour ces personnes, au regard de la teneur de ces messages et courriers, pouvant dépasser les seuls contextes du litige. L'ordonnance déférée sera donc confirmée sur ce point. En tout état de cause, la cour constate que l'intimée, si elle demande de confirmer l'ordonnance du 3 octobre 2023 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a déclaré messieurs [Y] et [L] recevables en leur action, ne forme pas de demande explicite devant elle visant à déclarer irrecevable l'action de ses anciens salariés.
2) Sur la nécessité de déroger au principe du contradictoire :
29. Selon le premier juge, la mesure sollicitée porte sur des investigations et vérifications à réaliser sur supports informatiques, qu'il s'agisse de la recherche de courriels ou de celle de contrats. Le dépérissement de ce type de preuves, pouvant par essence être aisément détruites, altérées ou transférées sur un support tiers, justifie que soit préservé un effet de surprise qui ne peut être assuré que s'il est dérogé au principe du contradictoire. La cour constate que la requête a rappelé les dispositions des articles 493 et 845 du code de procédure civile, et qu'elle s'est appuyée sur le risque de dépérissement des preuves, constituées pour la plupart par des données informatiques pouvant facilement être effacées, alors que les manquements imputés aux appelants, leur gravité et le manque de transparence laissent craindre une possible altération ou destruction des documents à appréhender, constitués par des fichiers informatiques, dont des mails et des courriers. Au regard des indices pesant sur les appelants, la cour ne peut que constater que cette requête a parfaitement motivé la nécessité de procéder non contradictoirement. La cour ajoute que si les intimés soutiennent qu'ils n'avaient aucun intérêt à détruire des données, puisqu'il s'agit d'éléments indispensables à leur activité, les parties oeuvrent dans le domaine informatique, et une copie des données était ainsi aisée à réaliser, avant leur effacement des supports se trouvant au sein de la société JL2S. Il en résulte que la société Synesis était recevable à agir par voie de requête.
3) Sur le bien fondé de la demande de rétractation :
30. Selon le juge des référés, au regard de l'article 145 du code de procédure civile, il ne peut être exigé de la société Synesis qu'elle établisse la preuve de la concurrence déloyale ou des violations du droit des affaires qui l'amèneraient à une instance au fond et le défaut d'une telle preuve, au demeurant non contesté à ce stade et justifiant au contraire la demande de mesure in futurum, ne saurait suffire à rétracter l'ordonnance critiquée.
31. Sur ce point, la cour rappelle qu'en application de l'article 145 précité, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve, avant tout procès, de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
32. Il n'incombe pas ainsi au demandeur à cette mesure de démontrer le bien fondé de l'action qu'il pourra ensuite engager au fond, mais seulement d'établir l'existence de faits pouvant légitimement l'amener à conclure à une concurrence déloyale, l'exécution de la mesure d'instruction étant nécessaire pour ensuite apprécier l'opportunité d'un procès.
33. En l'espèce, comme constaté par le premier juge, il résulte des pièces produites au soutien de la requête :
- que monsieur [Y] et monsieur [L], dont les durées de préavis étaient différentes, ont tous deux démissionné dans un temps proche à effet au 31 août 2022 ;
- que le nom de domaine JL2S a été créé le 30 décembre 2021 date à laquelle messieurs [L] et [Y] étaient tous deux salariés de la société Synesis ;
- que la société JL2S a été créée dès le 15 septembre 2022 ce qui suppose une préparation préalable ;
- que la demande de 'nancement auprès du Réseau Initiative Bièvre Valloire concerne par nature une création d'entreprise et a été évoquée en commission mi-septembre 2022 ce qui impose une constitution d'un dossier en amont soit potentiellement dans une période où les demandeurs à la rétractation étaient encore salariés de la société Synesis ;
- que la société JL2S est implantée sur le même bassin de clientèle que la société Synesis ;
- qu'une cinquantaine de clients suivis par messieurs [L] et [Y] ont résilié leur contrat de maintenance à effet au 31 décembre, certes date d'échéance des dits contrats, mais en envoyant pour nombre d'entre eux le courrier de résiliation dès septembre alors que le préavis évoqué n'est que de deux mois, sans motivation pour aucun d'entre eux, et pour certains à des dates antérieures au départ effectif de messieurs [Y] et [L], comme c'est notamment le cas de la mairie de [Localité 7], pour ensuite recontracter avec la société JL2S ;
- que les salariés ayant repris les lignes téléphoniques portables professionnelles de messieurs [Y] et [L] attestent n'avoir eu aucun appel sur ces lignes alors que les interventions chez les clients ont une récurrence élevée, ce qui laisse à penser à un recours à un autre service de maintenance ;
- enfin, que messieurs [L] et [Y] ne contestent pas avoir vidé leur boîte mails professionnelle avant leur départ.
34. Ainsi que retenu par le juge des référés, ces éléments ne sont pas remis en cause par les pièces produites aux débats par messieurs [L] et [Y] et la société JL2S, les attestations versées ne permettant pour l'essentiel pas d'identi'er le client concerné, n'évoquant que pour partie d'entre elles les motifs du changement de prestataire et émanant pour plusieurs, d'amis revendiqués de messieurs [Y] et [L] dont l'objectivité n'est dès lors pas garantie. Le juge a retenu que ces éléments permettent de considérer qu'une action au fond à l'encontre des anciens salariés de la société Synesis ou de la société JL2S n'est pas manifestement irrecevable et légitiment la demande de la mesure d'instruction sollicitée.
35. La cour, approuvant ainsi l'analyse du premier juge, ne peut que confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance autorisant la mesure d'instruction.
4) Concernant le cantonnement des effets de l'ordonnance à certaines pièces :
36. Pour le premier juge, Il n'est nullement justifié du recours aux services coûteux d'un conseil pour élaborer divers documents ni de l'amateurisine des pièces contractuelles habituellement proposées par la société Synesis qui justifierait que soient exclus des pièces saisies les contrats de maintenance. La société JL2S et messieurs [L] et [Y] qui expliquent dans leurs écritures que les mots de passe des clients sont aisément modifiables par le technicien assurant la maintenance qui dispose des compétences utiles, ne peuvent soutenir que leur protection serait impérative pour la société JL2S et ses clients.
37. Sur le premier point, la cour approuve les motifs retenus par le premier juge, alors que la saisie des contrats de maintenance est de nature à permettre de vérifier les conditions de leur conclusion (date et prix notamment). Le fait que la société JL2S ait supporté des frais pour parvenir à la rédaction de ces contrats ne justifie pas que ces pièces soient exclues de la mesure d'instruction.
38. Concernant par contre les mots de passe permettant l'accès aux serveurs des clients de la société JL2S, la cour relève qu'aucun motif ne permet d'autoriser la saisie de ces éléments, puisque comme soutenu par les appelants, ces mots de passe ne comporte aucun élément de preuve, alors qu'ils concernent la sécurité de ces clients. La cour ajoute que ces derniers ne sont pas appelés dans la procédure, alors qu'une telle mesure est nécessairement de nature à leur occasionné un grief.
39. En conséquence, la cour infirmera l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de cantonnement des appelants. Statuant à nouveau, elle ordonnera l'exclusion de tous documents contenant les mots de passe des clients de la société JL2S des pièces à transmettre à la société Synesis.
40. Pour le surplus, le premier juge a fait une exacte application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, et son ordonnance sera confirmée sur ces points. Le sens du présent arrêt impose de laisser à chacune des parties la charge des frais engagés en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles 145, 493 et suivants du code de procédure civile ;
Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté les demandes de cantonnement de la société JL2S et de messieurs [Y] et [L] ;
Confirme l'ordonnance déférée en ses autres dispositions soumises à la cour;
statuant à nouveau ;
Ordonne l'exclusion de tous documents contenant les mots de passe des clients de la société JL2S des pièces à transmettre à la société Synesis ;
y ajoutant ;
Laisse à chacune des parties la charge des frais engagés en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ainsi que ses dépens d'appel ;
Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.