CA Lyon, 3e ch. A, 12 septembre 2024, n° 20/07215
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Association WAAA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Jullien, Mme Le Gall
Avocats :
Me Nagel, Me Plumerault, Me Montoya
EXPOSÉ DU LITIGE
Début 2015, M. [N] [F] a créé l'association de droit ivoirien Waaa qui a pour activité l'exploitation d'une radio locale dénommée Radio Racine et a déposé un dossier d'autorisation de fréquence et entamé des démarches pour s'équiper en matériel de radiodiffusion.
En mars 2015, l'association Waaa est entré en contact avec M. [Z] [J] afin d'acquérir le matériel nécessaire pour démarrer la station de radio.
Entre avril et juin 2015, l'association Waaa a versé 32.000 euros à M. [J] en vue de l'acquisition et du transport dudit matériel.
Le matériel n'a jamais été livré à l'association Waaa et celle-ci a réclamé la restitution des sommes versées devant le tribunal de commerce de Lyon par assignation du 15 janvier 2016.
Par ordonnance du 20 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Lyon avait autorisé une saisie conservatoire sur le compte de M. [J] et le 6 septembre 2016, le juge de l'exécution a débouté M. [J] de sa demande de mainlevée de saisie conservatoire. Par un arrêt du 22 mai 2017, la cour d'appel de Lyon a confirmé cette décision.
Par jugement contradictoire du 30 novembre 2020, le tribunal de commerce de Lyon a :
- déclaré être compétent pour statuer sur les demandes dont il est saisi,
- ordonné la résolution de la vente entre M. [J] et l'association Waaa,
- ordonné la restitution à l'association Waaa par M. [J] de la somme de 32.000 euros, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification du présent jugement,
- ordonné la restitution des 32.000 euros assortie du taux d'intérêt légal à compter de la mise en demeure du 4 novembre 2015,
- ordonné la capitalisation des intérêts en vertu des dispositions de l'article 1154 ancien du code civil, nouvellement 1343-2, à compter du jour de la mise en demeure du 4 novembre 2015,
- rejeté les demandes de dommages et intérêts de l'association Waaa et M. [F],
- condamné M. [J] à verser la somme de 1.000 euros à M. [F] et à l'association Waaa au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- rejeté toutes demandes, fins et moyens plus amples ou contraires.
M. [J] a interjeté appel par déclaration du 21 décembre 2020.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 19 mars 2021, M. [J] demande à la cour, au visa des articles L.721-3 et L.110-1 du code de commerce, des articles 1984 et suivants et 1603 et suivants du code civil et de l'article 700 du code de procédure civile, de :
- infirmer la décision querellée en ce qu'elle a :
' ordonné la résolution de la vente entre M. [J] et l'association Waaa,
' ordonné la restitution à l'association Waaa par M. [J] de la somme de 32.000 euros sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification du présent jugement,
' ordonné la restitution de cette même sommes assortie du taux d'intérêts légal à compter de la mise en demeure du 4 novembre 2015,
' ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 4 novembre 2015,
' condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance,
' condamné M. [J] à verser la somme de 1.000 euros aux demandeurs au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' débouté M. [J] de sa demande de résolution du contrat de mandat,
' débouté M. [J] de sa demande de condamnation de l'association Waaa à lui payer la somme de 32.000 euros au titre des frais engagés, de sa commission et des dommages-intérêts pour préjudice subi,
' débouté M. [J] de sa demande d'annulation du contrat de vente,
' débouté M. [J] de sa demande de condamnation de l'association Waaa à lui payer la somme de 32.000 euros au titre des frais engagés, de sa commission et des dommages-intérêts pour préjudice subi.
Statuant à nouveau, par conséquent et à titre principal :
- dire et juger que le contrat querellé est un contrat de mandat,
- dire et juger que le mandat a été correctement exécuté par lui et que c'est en raison de la faute de l'association Waaa que ce mandat n'a pu produire ses fruits,
- constater que ce mandat ne peut plus être accompli à l'heure actuelle,
- constater qu'il a engagé la somme de 10.000 euros à titre de frais pour l'exécution de ce même mandat,
par conséquent,
- résoudre ledit mandat et condamner l'association Waaa à lui payer la somme totale de 32.000 euros, comprenant les frais engagés, sa commission et les dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi,
- débouter les demandeurs de l'intégralité de leurs demandes.
Statuant à nouveau, par conséquent et à titre subsidiaire :
- dire et juger que le contrat de vente n'a pu être réalisé en raison de la faute de l'acquéreur, en l'espèce, l'association Waaa,
- constater que le contrat de vente querellé ne peut plus être honoré à l'heure d'aujourd'hui, faute d'objet à cette même vente,
- constater que M. [J] a engagé la somme de 10.000 euros à titre de frais pour l'exécution de cette même vente,
par conséquent,
- annuler ladite vente et condamner l'association Waaa à lui payer la somme totale de 32.000 euros, comprenant les frais engagés, sa commission et les dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi,
- débouter les demandeurs de l'intégralité de leurs demandes.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 18 juin 2021, l'association Waaa et M. [F] demandent à la cour, au visa des articles 1184, 1991 et suivants, 1589 et suivants du code civil et l'article 700 du code de procédure civile, de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts,
- infirmant le jugement sur ce point, statuant à nouveau :
- condamner M. [J] à verser à l'association Waaa la somme de 5.000 euros au titre du préjudice résultant du manque à gagner lié à la perte d'exploitation de Radio racine en résultant,
en tout état de cause,
- condamner M. [J] à verser à M. [F] la somme de 5.000 euros au titre du préjudice subi résultant de la perte de temps, des tracasseries subies,
- condamner M. [J] à leur verser la somme de 3.000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [J] aux entiers dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 20 décembre 2021, les débats étant fixés au 12 juin 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il est précisé que le litige n'est pas soumis au nouveau droit des contrats issu de l'ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux est antérieur au 1er octobre 2016.
Il est également relevé que la compétence du tribunal de commerce n'est plus en débat, la présente cour ayant en tout état de cause plénitude de juridiction.
Sur la résolution de la vente
M. [J] fait valoir que :
- il a été mandaté avec M. [W] par l'intimée pour rechercher et acquérir du matériel d'occasion, en superviser le transport et le dédouanement ; M. [W] devait également dans le cadre de ce contrat former le futur personnel de Radio Racine ; les intimés qualifient eux-mêmes dans leurs écritures le contrat de mandat et cette qualification fait obstacle à l'application des règles du contrat de vente,
- Radio Racine ne fait pas partie des radios autorisées de diffusion en Côte d'Ivoire ; dès lors, les intimés ont pris acte de la prétendue difficulté des frais supplémentaires pour faire échouer la réalisation du mandat ; l'abandon du projet est démontré par le caractère postérieur à l'introduction de la demande en justice de la demande d'obtention d'une fréquence de radiodiffusion,
- les 'certificat de vente' et 'facture' n'ont été établis que pour permettre le calcul des frais de douane et ne démontrent pas la qualification du contrat en contrat de vente,
- l'importance des frais de douane et le mail de M. [F] du 15 juillet 2015 démontrent que ces frais devaient être pris en charge par l'intimée,
- la faute du mandant justifie la résolution du mandat, en particulier en raison du fort intuitu personae,
- le mandat a été partiellement exécuté, des frais ont déjà été dépensés et son travail doit être rémunéré ; il a également subi un préjudice du fait notamment de la mauvaise foi de l'appelante ; la résolution du mandat justifie la condamnation de l'intimée à lui payer la somme de 32.000 euros,
- à titre subsidiaire, si le contrat doit être qualifié de contrat de vente et non de mandat, il ne peut plus être exécuté aujourd'huit et doit être annulé ; l'intimée a refusé de payer le dédouanement, le colisage et le transport, ainsi que de prendre livraison de la chose vendue ; l'annulation du contrat de vente doit intervenir aux torts de l'intimée,
- les intimées doivent être condamnées au paiement de la somme de 32.000 euros, déjà compensée avec les sommes payées, correspondant à la perte de sa marge bénéficiaire, aux frais engagés et perdus et à son préjudice moral.
L'association Waaa et M. [F] font valoir que :
- il résulte des circonstances que le contrat initial de mandat a fait l'objet d'une novation en contrat de vente ; l'association a initialement mandaté l'appelant afin de rechercher du matériel d'occasion, de procéder à son achat par l'utilisation des fonds confiés par ses soins, et de le lui revendre ; mais il n'a été apparemment procédé qu'à la première phase de l'opération,
- l'appelant a émis un certificat de vente et une facture en qualité de vendeur, réclamant un prix de vente et n'a pas réclamé le paiement d'une rémunération de mandataire ; le contrat litigieux est un contrat de vente,
- la concluante a déféré à toutes les demandes de paiement de l'appelant à hauteur de 32.000 euros, comprenant le paiement de la chose vendue, le dédouanement, le colisage et le transport ; elle a donc bien donné suite aux sollicitations antérieures de l'appelant,
- la vente n'a pu être finalisée par la livraison du matériel du seul fait de l'appelant ; la mise à disposition du matériel était insuffisante, dès lors que l'appelant devait livrer la marchandise à l'adresse de l'acheteur,
- seule une partie de la somme versée a pu faire l'objet de la saisie conservatoire ; l'appelant n'a jamais rapporté la preuve de l'acquisition par ses soins du matériel objet de la vente, et n'a jamais déféré à la sommation de communication de ses relevés bancaires ; l'encaissement du paiement a donc été sans contrepartie ; cette somme doit être restituée à la concluante,
- l'appelant n'a jamais restitué la somme de 32.000 euros perçue par ses soins ni justifié avoir utilisé cette somme pour l'achat du matériel d'occasion objet de l'opération, il ne justifie pas à quel titre il devrait la conserver,
- même si elle est qualifiée en contrat de mandat, l'opération n'a pu aboutir du fait de l'appelant.
Sur ce,
Aux termes de l'article 1984 du code civil, 'Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom'.
Selon l'article 1603 du code civil, le vendeur a l'obligation principale de délivrer la chose qu'il vend.
Enfin, selon l'article 1184 ancien du code civil, version applicable au litige, 'La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances'.
En l'espèce, sur la nature du contrat en cause, les intimés ne contestent pas qu'à l'origine, un contrat de mandat a lié les parties, bien qu'aucun écrit n'ait été formalisé.
Il résulte ensuite des productions que :
- M. [J] a réclamé successivement à M et Mme [F] une somme de 10.000 euros le 7 avril 2015 pour la réservation du matériel radio, puis une somme de 22.000 euros le 21 mai 2015, montant devant ensuite être transféré au fournisseur et les paiements ont été effectués par l'association en quatre virements bancaires selon les justificatifs produits, ce, sur le compte de M. [J],
- le 19 juin 2015, ce dernier a établi en qualité de vendeur un certificat de vente portant sur divers matériels (studio antenne, émetteur + antennes, studio de production) en déclarant avoir vendu à Waaa les matériels litigieux et que toutes les taxes ont été acquittées, et il a établi une facture d'achat du matériel d'un montant de 13.620 euros HT,
- M. [J] ne justifie pas par ses pièces, ne procédant que par affirmations, que seul l'établissement de ces documents permettait l'acheminement du matériel,
- malgré mise en demeure du conseil des intimés, aucune livraison de matériel n'est intervenue, il n'a pas été justifié par l'appelant de l'achat du matériel par ses soins malgré la demande adverse de justificatifs ; le sort du matériel litigieux, s'il a été en main de M. [J] n'est pas précisé et la somme de 32.000 euros a été conservée par M. [J], ce qui n'est pas contesté,
- aucune prestation de mandat n'a été facturée ni réclamée.
M. [J] produit plusieurs pièces au soutien de son argumentation. Cependant, la pièce dénommée attestation émanant de [S] [W] aux termes de laquelle ce dernier fait état de frais de 6.500 euros 'à la charge du client' n'est étayée par aucun justificatif, de même que son affirmation selon laquelle l'association n'aurait pas 'respecté le processus'. Par ailleurs, M. [W] avait lui-même des relations contractuelles avec l'association et agissait au côté de M. [J] de sorte que son attestation, nécessairement subjective, ne peut être en tout état de cause déterminante. Les pièces 2, 3 et 12 (brefs courriels échangés) sont très elliptiques de même que la pièce 5 manifestement remplie et annotée par l'appelant. Les pièces 6 et 7 émanant de M. [R] [X] adressées à MM [J] et [W] ne donnent qu'une version de cette personne mais sont sans effet sur la nature des relations contractuelles entre M. [J] et l'association dans le présent litige. Enfin, les pièces de l'appelant n'établissent pas un échec de la livraison des matériels en raison du refus par l'association d'un prix légitimement mis à sa charge ou d'un refus du lieu de livraison.
Il résulte de tout ce qui précède que le jugement querellé a, à juste titre, au vu des pièces produites, retenu la novation du contrat initial de mandat en contrat de vente.
Il est ensuite établi que l'association s'est acquittée du prix d'acquisition et de transport de matériel mais que par contre, malgré les mises en demeure adverses, M. [J] n'a jamais remis le matériel litigieux et a conservé toutes les sommes versées par l'association, sans être en capacité de démontrer que l'échec de la livraison, à supposer le matériel acquis et conservé par lui, serait imputable à l'acquéreur pour défaut de paiement du prix du transport. Les justificatifs sur ses problèmes de santé sont par ailleurs inopérants.
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu une exception d'inexécution de la part de vendeur et prononcé la résolution de la vente, et en ce qu'il a ordonné la restitution des sommes versées par l'acquéreur.
Sur le préjudice subi par les intimées
M. [J] fait valoir que les intimées sont seules responsables de l'échec du projet.
L'association Waaa et M. [F] font valoir qu'ils ont subi un préjudice de perte de temps et de tracasseries, que l'association a subi un préjudice de manque à gagner lié au retard d'exploitation de Radio Racine et a dû engager de nouvelles liquidités pour acquérir un autre matériel ; le projet de radio n'a jamais pu voir le jour en conséquence des faits à l'origine du litige.
Sur ce,
Les intimées ne versent aucune pièce établissant concrètement l'existence d'un préjudice distinct de celui déjà indemnisé par la restitution des fonds versés et conséquence du comportement fautif de M. [J].
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages intérêts supplémentaires de l'association Waaa et de M. [F].
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
M. [J] qui succombe au principal sur ses prétentions supportera les dépens d'appel et versera à chacun de ses adversaires la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les condamnations de première instance à ce titre seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement déféré.
Y ajoutant,
Condamne M. [Z] [J] à verser à l'association Waaa et à M. [N] [F], chacun, une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [Z] [J] aux dépens d'appel.