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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 12 septembre 2024, n° 23/00284

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Caravaning du (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hauduin

Vice-président :

M. Berthe

Conseiller :

Mme Jacqueline

Avocats :

Me Canu-Renahy, Me Corrote, Me Van Maris, Me Duponchelle

Jur. prox. Abbeville, du 26 août 2022, n…

26 août 2022

DECISION :

M. [E] [T] est propriétaire d'un mobil-home implanté dans le terrain de camping sis [Adresse 4] appartenant à la SARLU Caravaning du [Localité 9], exerçant sous l'enseigne Camping [6].

Par jugement du tribunal de commerce d'Arras du 18 mai 2022, M. [T], exerçant une activité de maçonnerie, a été placé sous le régime de la liquidation judiciaire simplifiée et la SELAL MJS Partners, prise en la personne de Me [L], a été désignée en qualité de liquidateur.

La SARLU Caravaning du [Localité 9] a fait assigner M. [T] devant le tribunal de proximité d'Abbeville par acte d'huissier de justice du 30 mai 2022 afin d'obtenir sa condamnation au paiement d'un arriéré de redevances et d'expulsion.

Par jugement du 26 août 2022, le tribunal de proximité d'Abbeville a constaté l'interruption de l'instance et réservé les dépens.

Par déclaration du 6 janvier 2023, la SARLU Caravaning du [Localité 9] a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions signifiées le 5 décembre 2023, elle demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle entend voir sa créance relative à l'occupation de M. [T] pour l'année 2021 suspendue, jusqu'à la clôture de la liquidation judiciaire ;

- réformer le jugement en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau :

* juger que M. [T] occupe sans droit ni titre la parcelle du camping,

* juger qu'en tout état de cause, l'occupation par le mobil home relevé par constat d'huissier sur la parcelle [Cadastre 8] procède d'une occupation sans droit ni titre,

* condamner M. [T] au règlement de la somme de 1 745 euros TTC à titre d'indemnité d'occupation ou redevances dues pour l'année 2022 ;

* condamner M. [T] au coût de l'acte de commandement de payer délivré par huissier ce à hauteur de 127,62 euros TTC ;

* juger que ces sommes sont majorées des intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure de payer et ce jusqu'à complet paiement,

* ordonner la capitalisation des intérêts ,

* condamner M. [T] à payer au camping la somme de 3 045 euros soit 253,75 euros TTC par mois à titre des indemnités d'occupation à compter du 1er janvier 2023 et jusqu'à la complète libération de la parcelle,

* condamner M. [T] à payer au camping les frais de constat d'huissier de justice engagé pour préserver ses droits,

* juger que M. [T] occupe sans droit ni titre la parcelle de la requérante et y maintient en violation du droit de propriété de cette dernière son mobil home sur la parcelle [Cadastre 8] du camping,

* ordonner à M. [T] de déplacer son mobil home de la parcelle et de tout fonds appartenant à la société Camping Le [Localité 9] dans un délai de 15 jours à compter de la date de la décision à intervenir,

* à défaut, ordonner, au-delà de ce délai, et après une sommation de quitter les lieux restée sans réponse dans un délai de 15 jours à compter de cette sommation, l'expulsion de ladite parcelle et du camping, du mobil home de M. [T], de tous occupants et de tous effets y contenus de leur chef, et autoriser la SARL Le Camping du [Localité 9] à recourir à tous huissiers compétents et au besoin à l'aide de la force publique pour le déplacer et le détruire le cas échéant et procéder aux dites expulsions nécessaires ;

- ordonner à M. [T] de procéder spontanément au démontage de son chalet / mobile home et tous aménagements intérieurs et extérieurs, dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir ;

- juger que passé le délai de 15 jours suivant la sommation de quitter les lieux restée sans suite ou sans effets de la part du défendeur, le mobil home sera considéré comme une chose sans maître, et abandonnée,

- juger que dans cette situation, au-delà de l'expulsion, la société sera autorisée à en disposer et le cas échéant à détruire le mobil home aux frais du défendeur,

- condamner M. [T] à payer à la société Camping le [Localité 9] la somme de 3 000 euros au titre de cette résistance abusive et mauvaise foi,

- débouter M. [T] de toutes ses demandes fins et conclusions,

- Condamner M. [T] à payer à la société Camping le [Localité 9] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'instance.

La SARL Le Camping du [Localité 9] soutient que les dispositions relatives à l'arrêt des poursuites individuelles ne s'appliquent pas sauf à l'égard des demandes en paiement pour l'occupation autorisée en 2021. Elle affirme que faute de paiement complet de la redevance due pour 2021, M. [T] est depuis lors occupant sans droit ni titre en l'absence de renouvellement du contrat. Elle note que l'occupation sans droit ni titre s'opère sans lien avec son activité professionnelle. Elle conteste toute interruption de l'instance sur la période de janvier 2022 jusqu'à complète libération des lieux compte tenu de la date du jugement d'ouverture de la liquidation.

Par ses dernières conclusions signifiées le 19 juin 2023, M. [E] [T] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la SARLU Caravaning du [Localité 9] en ses prétentions, la débouter de son appel et la renvoyer à la procédure de vérification des créances et aux opérations de liquidation du liquidateur, confirmer le jugement entrepris et la condamner aux dépens.

Il expose que l'assignation est postérieure à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire qui entraîne l'arrêt des poursuites. Il relève que Me [L] n'a pas été appelé à la procédure, que la vente du mobil home conduirait à faire figurer le prix de vente à l'actif du compte dressé par le mandataire et qu'il appartient à la société de mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article L. 641-11-1 III du code de commerce pour mettre fin au contrat d'occupation de la place de parking. Il conteste le recours au fondement de la responsabilité délictuelle alors qu'un contrat lie les parties.

La clôture de la procédure a été ordonnée le 14 février 2024 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience tenue à juge rapporteur le 16 mai 2024.

MOTIFS

En application de l'article L. 641-2 du code de commerce, M. [E] [T] a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée par un jugement du tribunal de commerce d'Arras du 18 mai 2022. Me [L] a été désigné en qualité de liquidateur de la société.

Aux termes de l'article L. 641-3 du même code, le jugement qui ouvre la liquidation judiciaire a les mêmes effets que ceux qui sont prévus en cas de sauvegarde par les premier et troisième alinéas du I et par le III de l'article L. 622-7, par les articles L. 622-21 et L. 622-22, par la première phrase de l'article L. 622-28 et par l'article L. 622-30.

En vertu de l'article L. 622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

II.-Sans préjudice des droits des créanciers dont la créance est mentionnée au I de l'article L. 622-17, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.

III.-Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus.

IV.-Le même jugement interdit également de plein droit, tout accroissement de l'assiette d'une sûreté réelle conventionnelle ou d'un droit de rétention conventionnel, quelle qu'en soit la modalité, par ajout ou complément de biens ou droits, notamment par inscription de titres ou de fruits et produits venant compléter les titres figurant au compte mentionné à l'article L. 211-20 du code monétaire et financier, ou par transfert de biens ou droits du débiteur.

Toute disposition contraire, portant notamment sur un transfert de biens ou droits du débiteur non encore nés à la date du jugement d'ouverture, est inapplicable à compter du jour du prononcé du jugement d'ouverture.

Toutefois, l'accroissement de l'assiette peut valablement résulter d'une cession de créance prévue à l'article L. 313-23 du code monétaire et financier lorsqu'elle est intervenue en exécution d'un contrat-cadre conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure. Cet accroissement peut également résulter d'une disposition contraire du présent livre ou d'une dérogation expresse à son application prévue par le code monétaire et financier ou le code des assurances.

Il résulte de l'article L. 622-22 du même code que, sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

Le débiteur, partie à l'instance, informe le créancier poursuivant de l'ouverture de la procédure dans les dix jours de celle-ci.

La SARL Caravaning du [Localité 9] a fait assigner M. [T] devant le tribunal de proximité de Laon postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire simplifiée.

L'enjeu n'est donc pas celui d'une interruption de l'instance mais bien celui d'une interdiction des poursuites en application de l'article L. 622-21 du code de commerce qui dispose le jugement d'ouverture interrompt (dans l'hypothèse où l'instance est antérieure au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire) ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent et/ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

L'article L. 622-17 du code du commerce vise en son I 'les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période' qui sont payées à leur échéance'.

La SARL Caravaning du [Localité 9] demande dans le cadre de la présente instance d'une part le paiement d'un arriéré de redevances lié à l'occupation d'une place de camping par le mobil home acheté par M. [T] au titre duquel elle évoque une suspension des poursuites et d'autre part le paiement d'indemnités d'occupation depuis l'ouverture de la liquidation judiciaire et le retrait du mobil home de la parcelle occupée sans droit ni titre sous peine d'expulsion et de destruction du mobil home.

Elle soutient qu'elle est fondée à agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle car M. [T] serait selon elle occupant sans droit ni titre.

Il résulte cependant des pièces produites que M. [T] et la société Caravaning du [Localité 9] ont formalisé un contrat sous la forme de conditions particulières au forfait signées le 14 septembre 2019 par M. [T] au moment de l'achat par ce dernier du mobil home à un tiers. Il était prévu la formalisation d'un nouveau contrat chaque année.

En septembre 2021, la camping a mis en demeure M. [T] de régler le forfait annuel de 1 745 euros sous peine d'une radiation du listing des clients forfaitaires à l'année.

Il s'en déduit que le contrat de 2019 a été renouvelé sous la forme d'un bail verbal annuel en 2020. La radiation ou la résiliation du contrat n'ont pas été notifiées à M. [T] si bien que les parties restent liées par un contrat qui n'a pas cessé de s'exécuter d'office à la date de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire comme le sous-entend la SARL en sollicitant des indemnités d'occupation à compter de cette date.

La SARL Caravaning du [Localité 9] a d'ailleurs fait signifier à M. [T] le 24 janvier 2022 un commandement de payer des redevances d'occupation se référant à un bail verbal et visant les articles 1217, 1224, 1728 et 1741 du code civil précisant qu'une procédure judiciaire serait diligentée aux fins de résiliation du contrat et d'expulsion à défaut de paiement des redevances.

Comme le soutient M. [T], les parties sont donc liées par un contrat et l'action diligentée par le camping s'analyse en une action en paiement d'un arriéré de redevances, en résiliation du contrat de bail verbal et expulsion de la parcelle.

En application de l'article L. 622-21 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire a donc interdit toute action en justice de la part de la SARL Caravaning du [Localité 9] aux fins de paiement des redevances et de résolution du contrat, sa créance ne correspondant pas à une créance mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce.

Le premier juge aurait donc dû constater l'irrecevabilité des demandes de la SARL Caravaning du [Localité 9] ce qui lui était d'ailleurs demandé par M. [T]. Il a cependant constaté l'interruption de l'instance.

En l'état des prétentions soumises à la cour, M. [T] demande la confirmation du jugement entrepris tout en sollicitant de la cour qu'elle déclare la SARL Caravaning du [Localité 9] irrecevable en ses demandes.

Il convient donc d'infirmer le jugement et de déclarer la SARL Caravaning du [Localité 9] irrecevable en ses demandes.

La SARL Caravaning du [Localité 9], qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a réservé les dépens et la SARL Caravaning du [Localité 9] sera également condamnée aux dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Déclare la SARL Caravaning du [Localité 9] irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de M. [E] [T] ;

Condamne la SARL Caravaning du [Localité 9] aux dépens de première instance et d'appel.