CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 12 septembre 2024, n° 23/11836
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Pharmacie des Pins (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pacaud
Conseillers :
Mme Neto, Mme Perraut
Avocats :
Me Simon-Thibaud, Me Badie, Me Job, Me Samak, Me Thiebaut
EXPOSE DU LITIGE
La SELARL Pharmacie des Pins exploite une officine de pharmacie située [Adresse 2]. Son capital social d'un montant de 200 000 euros est divisé en 20 000 parts réparties entre trois associés de la manière suivante :
- 13 000 parts, soit 65 % du capital, pour Mme [O] [X] née [R] ;
- 1 000 parts, soit 5 % du capital, pour M. [U] [X] ;
- 6 000 parts, soit 30 % du capital, pour Mme [W] [Y].
Ils co-géraient la société jusqu'au 10 juillet 2023.
Ces trois associés sont par ailleurs liés par un pacte d'associé signé le 13 mars 2019 aux termes duquel Mme [W] [Y] s'est engagée à acquérir les titres de Mme et M. [X], après avoir acquis le même jour le fonds de commerce, suivant un calendrier, à savoir :
- 12 % à 36 mois, soit le 14 mars 2022 ;
- 13 % à 72 mois, soit le 14 mars 2025 ;
- 22 % à 108 mois, soit le 14 mars 2028 ;
- 23 % à 144 mois, soit le 14 mars 2031.
Cet engagement était soumis à la condition suspensive de l'obtention par Mme [Y] de financements bancaires.
Se prévalant de manquements commis par Mme [Y] à ses engagements résultant du pacte d'associé et à ses obligations professionnelles ainsi que d'un conflit entre les associés rendant impossible le fonctionnement de la société, Mme et M. [X] ont convoqué Mme [Y], le 28 mars 2023, à une assemblée générale extraordinaire pour le 28 avril 2023.
Concomitamment, Mme [Y] a sollicité une procédure de conciliation auprès du conseil de l'ordre des pharmaciens de la région PACA Corse.
Les parties ont été convoquées à une réunion du 13 avril 2023 qui sera reportée au 24 mai 2023.
Par ordonnance en date du 27 avril 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse saisi par Mme [Y] en la forme des référés, par acte d'huissier en date du 20 avril 2023, a ajourné l'assemblée générale du 28 avril 2023 jusqu'à la date de la réunion de conciliation fixée par le conseil de l'ordre au 24 mai 2023.
A la date du 24 mai 2023, aucune conciliation n'est intervenue entre les parties.
Le 21 juin 2023, Mme et M. [X] ont convoqué Mme [Y] à une assemblée générale extraordinaire pour le 10 juillet suivant aux fins de statuer sur son exclusion en tant qu'associée et la révocation de son mandat de co-gérante.
L'assemblée générale du 10 juillet 2023 s'est déroulée en présence des trois associés et de Me [E] [T], commissaire de justice désigné par ordonnance sur requête du président du tribunal judiciaire de Grasse en date du 29 juin 2023. Il a décidé d'exclure Mme [Y] en tant qu'associée et de révoquer ses fonctions de co-gérante.
Par ordonnance sur requête en date du 11 juillet 2023, le président du tribunal de commerce d'Antibes a désigné Me [S], MJ [S], en qualité de mandataire ad hoc de la société Pharmacie des Pins avec pour mission de la gérer pendant deux mois.
Saisi d'une demande de rétractation de cette ordonnance, le juge des référés du tribunal de commerce d'Antibes a, par ordonnance en date du 25 septembre 2023, constaté la fin de la mission du mandataire ad hoc.
Contestant les décisions prises lors de l'assemblée générale du 10 juillet 2023, Mme [Y] a fait assigner, par acte d'huissier en date du 24 juillet 2023, la société Pharmacie des Pins, Mme et M. [X] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse aux fins d'obtenir la suspension des effets de ladite assemblée.
Par ordonnance en date du 31 août 2023, ce magistrat a :
- débouté les défendeurs de leurs moyens de nullité de l'assignation et d'irrecevabilité des demandes ;
- dit n'y avoir lieu à référé et rejeté la demande de Mme [Y] tendant à voir ordonner la suspension des effets de l'assemblée générale extraordinaire de la société Pharmacie des Pins en date du 10 juillet 2023 ;
- condamné Mme [Y] à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 000 euros à la société Pharmacie des Pins, Mme et M. [X] ;
- condamné Mme [Y] aux dépens ;
- rejeté toutes autres demandes.
Pour rejeter les moyens de nullité de l'assignation et d'irrecevabilité des demandes, il a considéré que l'objet du litige n'entrait pas dans le cadre des dispositions prévues par l'article 750-1 du code de procédure civile dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une action en paiement n'excédant pas 5 000 euros, ni d'une demande relative à l'une des actions mentionnées aux articles R 211-3-4 et R 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
Sur le fond du référé, il a estimé qu'aucun trouble manifestement illicite ne résultait du refus de reporter l'assemblée générale qui s'était tenue le 10 juillet 2023 et des conditions dans lesquelles elle avait eu lieu. Il a relevé que Mme [Y], qui avait été régulièrement convoquée et connaissait les résolutions soumises au vote ainsi que les griefs formés à son encontre, n'établissait aucune atteinte aux droits de la défense, aux statuts ou une quelconque règle.
Suivant déclaration transmise au greffe le 19 septembre 2023, Mme [Y] a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a débouté les défendeurs de leurs moyens de nullité de l'assignation et d'irrecevabilité des demandes.
Aux termes de ses dernières écritures transmises à la cour le 21 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, elle demande à la cour de réformer l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a débouté les défendeurs de leurs moyens de nullité de l'assignation et d'irrecevabilité des demandes, et statuant à nouveau :
- d'ordonner la suspension des effets de l'assemblée générale extraordinaire de la SELARL Pharmacie des Pins en date du 10 juillet 2023 ayant prononcé son exclusion ;
- de débouter les intimés de leurs demandes ;
- les condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner aux dépens avec distraction au profit de la SCP Badie, Simon-Thibaud-Juston, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle justifie sa demande de suspension par le fait que son exclusion en tant qu'associée de la société Pharmacie des Pins a été faite en violation des dispositions de l'article R 5125-21 du code de la santé publique en ce qu'elle n'a jamais contrevenu aux règles de fonctionnement de cette société, ce que révèle l'absence de sanction prononcée à son encontre pour les mêmes faits ou des faits connexes préalablement à la décision qui a été prise. De plus, elle soutient que la décision d'exclure un associé ne peut résulter que d'une procédure prévue par les statuts qui ne doit pas être abusive et qu'elle doit reposer sur un motif stipulé par ces derniers conforme à l'intérêt social et l'ordre public. Elle estime que tel n'a pas été le cas dès lors que la décision a été prise par deux associés qui sont mariés et ont des intérêts communs, ce qui constitue un abus de majorité. Elle fait état d'un jugement en date du 23 mai 2016 rendu par le tribunal de grande instance de Carpentras qui a jugé que les textes autorisant l'exclusion d'un associé d'une société d'exercice libéral n'étaient pas applicables aux sociétés ne comptant que deux associés. Elle considère donc que le non-respect des conditions règlementaires et statutaires en matière d'exclusion d'un associé constitue un trouble manifestement illicite justifiant de suspendre les effets de l'assemblée générale extraordinaire du 10 juillet 2023 qui a décidé de l'exclure. Elle souligne que si le juge des référés ne peut annuler les délibérations prises par une assemblée générale, il a le pouvoir d'en suspendre les effets, le temps que la juridiction du fond, qu'elle envisage de saisir, se prononce sur sa demande d'annulation de la décision d'exclusion.
Aux termes de ses dernières écritures transmises à la cour le 17 mai 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la société Pharmacie des Pins, Mme et M. [X] sollicitent de la cour qu'elle confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle n'a pas prononcé la nullité de l'assignation et :
- à titre principal, statuant à nouveau,
* prononce la nullité de l'assignation pour absence de mention des diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ;
* prononce l'irrecevabilité des demandes n'ayant pas été précédées de telles diligences ;
- à titre subsidiaire,
* déboute l'appelante de ses demandes ;
* constate l'existence d'une contestation sérieuse et dit n'y avoir lieu à référé ;
- en tout état de cause,
* condamne par provision l'appelante à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* la condamne aux dépens avec distraction au profit de Me Jonathan Samak en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Concernant la nullité de l'assignation et l'irrecevabilité des demandes de l'appelante, ils se prévalent des dispositions des articles 54 et 750-1 du code de procédure civile ainsi que celles de l'article R 4235-40 du code de la santé publique pour soutenir que l'assignation délivrée par Mme [Y] ne comporte pas la mention des diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative, et ce, d'autant que la demande porte sur une somme intérieure au taux de ressort et que l'appelante ne justifie d'aucune urgence ou intérêt légitime au sens des dispositions susvisées.
Concernant le trouble manifestement illicite, ils soutiennent que le juge des référés ne peut s'immiscer dans le fonctionnement d'une société qu'en cas d'irrégularités faisant peser sur l'assemblée générale contestée un risque d'annulation. Ils exposent que l'exclusion d'un associée est prévue par les dispositions de l'article R 5125-21 du code de la santé publique, les statuts et le pacte d'associé signé entre les associés. Ils relèvent que l'assemblée générale du 10 juillet 2023 est régulière et que Mme [Y] a eu le temps de préparer sa défense et se défendre, sachant qu'elle était présente et y a participé. Ils soulignent que Mme [Y] ne conteste en réalité que la mesure d'exclusion prise à son encontre. Ils exposent toutefois que le juge des référés ne peut se faire juge de l'opportunité de la réunion d'une assemblée ou de l'exclusion d'un associé. Ils relèvent que les griefs formés à l'encontre de Mme [Y] ont été exposés dans le rapport joint à la convocation, à savoir l'accomplissement d'actes contrevenant au fonctionnement de la société portant atteinte aux intérêts ainsi qu'à l'image de la société et constituant des manquements à ses obligations professionnelles, le non-respect du pacte d'associé et l'exercice d'activités extra-professionnelles et une attitude non professionnelle lors de congrès professionnels portant atteinte à l'image de la société. Ils exposent que Mme [Y] a tout fait pour empêcher la tenue de l'assemblée générale ayant statué sur son exclusion et n'a toujours pas répondu aux propositions de règlement amiable et de conciliation de ses associés.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 28 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité de l'assignation et l'irrecevabilité des demandes
En application de l'article 750-1 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme d'argent n'excédant pas 5 000 euros ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux articles R 211-3-4 et R 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
Si toute tentative de résolution amiable du litige n'est pas, par principe, exclue en matière de référé, l'absence de recours à un mode de résolution amiable dans une telle hypothèse peut, le cas échéant, être justifiée par un motif légitime au sens de l'article 750-1, alinéa 2, 3° du code de procédure civile tenant soit à l'urgence manifeste, soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative.
Il est admis que les dispositions légales instituant une procédure de médiation préalable et obligatoire ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent.
En l'espèce, Mme [Y] a saisi le juge des référés afin qu'il ordonne des mesures, et en l'occurrence la suspension des effets de décisions prises lors d'une assemblée générale, pour faire cesser le trouble manifestement illicite qu'elle subit.
Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, il ne s'agit donc pas d'une action tendant au paiement d'une somme d'argent n'excédant pas 5 000 euros, pas plus que d'une demande relative aux actions mentionnées aux articles R 211-3-4 et R 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
Au contraire, l'absence de recours à un mode de résolution amiable se justifie par la nature même de la demande en justice visant à obtenir la cessation d'un trouble manifestement illicite.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté les intimés de leurs moyens de nullité de l'assignation et d'irrecevabilité des demandes.
Sur la suspension des effets de l'assemblée générale du 10 juillet 2023 pour trouble manifestement illicite
Il résulte de l'article 835 alinéa 1 que le président peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Si l'existence de contestations sérieuses sur le fond du droit n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un trouble manifestement illicite, l'absence d'évidence de l'illicéité du trouble peut en revanche justifier qu'il refuse d'intervenir. En effet, même lorsque le juge est appelé à faire cesser un trouble manifestement illicite, le trouble illicite doit être évident, comme doit l'être la mesure que le juge des référés prononce en cas d'urgence.
La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.
En l'espèce, l'article 13. 4 des statuts de la société Pharmacie des Pins, qui n'est que la reprise de l'article R 5125-21 du code de la santé publique réglementant la société d'exercice libéral de pharmaciens d'officine, énonce que :
L'exclusion d'un associé d'une société d'exercice libéral de pharmaciens d'officine peut être décidée, lorsqu'il contrevient aux règles de fonctionnement de la société, par les autres associés statuant à la majorité renforcée prévue par les statuts, calculée en excluant les associés ayant fait l'objet d'une sanction pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, l'unanimité des autres associés exerçant au sein de la société et habilités à se prononcer en l'espèce devant être recueillie.
Aucune décision d'exclusion ne peut être prise si l'associé n'a pas été régulièrement convoqué à l'assemblée générale, quinze jours au moins avant la date prévue et par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, et s'il n'a pas été mis à même de présenter sa défense pour les faits précis qui lui sont reprochés.
Une décision d'exclusion peut être contestée devant le tribunal de grande instance du siège social.
Les parts sociales de l'associé exclu sont soit achetées par un acquéreur agréé par les associés subsistants, soit achetées par la société qui doit alors réduire son capital.
A défaut d'accord sur le prix de cession des titres ou sur leur valeur de rachat, il est recouru à la procédure de l'article 1843-4 du code civil (R 5125-21 du code de la santé publique).
Dès lors que le pouvoir conféré aux associés de la société Pharmacie des Pins d'exclure un autre associé est une prérogative prévue par les statuts, Mme [Y] ne peut valablement soutenir que la décision d'exclusion prononcée à son encontre ne repose sur aucun fondement juridique.
De plus, il apparaît qu'elle respecte, avec l'évidence en référé, la procédure contractuellement fixée.
En effet, les pièces de la procédure démontrent que l'exclusion de Mme [Y] a été prise, lors de l'assemblée générale des associés du 10 juillet 2023, à la majorité renforcée des voix, seule Mme [Y], qui a pris part à la décision, disposant de 6 000 parts sociales, ayant voté contre tandis que les deux autres associés, disposant de 14 000 euros parts sociale, ayant voté pour. S'il apparaît que cette résolution a été adoptée par les associés majoritaires, il n'appartient pas au juge des référés de rechercher si l'exclusion a été faite dans l'unique dessein de favoriser leurs intérêts au détriment de l'intérêt général de la société et, partant, de retenir un abus de majorité.
Le principe du contradictoire et les droits de la défense ont été, de toute évidence, respectés, ce que révèle la lettre de convocation, en date du 21 juin 2023, à l'assemblée générale extraordinaire du 10 juillet 2023, aux termes de laquelle les motifs justifiant la procédure d'exclusion sont précisés, à savoir :
- l'accomplissement d'actes contrevenant au fonctionnement de la société, portant atteinte aux intérêts ainsi qu'à l'image de la société et constituant des manquements à ses obligations professionnelles [caractérisé par l'] administration par Madame [Y], à plusieurs reprises, malgré l'alerte qui lui a été faite (...) de doses non réglementaires de Vaccin COVID, [de] multiples erreurs de délivrance ayant engendré diverses plaintes de clients (...), ces faits [ayant] donné lieu à deux signalements et une enquête en cours de l'ARS et comportent un risque majeur pour les parties et pour l'officine, [de] multiples erreurs de caisse signalées à Madame [Y] mais restées sans réponse de sa part [et] le refus de communication de [sa part] avec ses associés qui contrevient au bon fonctionnement ainsi qu'aux intérêts de la société, engendre un climat délétère et des risques importants notamment psychosociaux pour le personnel de l'officine ;
- le non-respect du pacte d'associés signé entre les associés (...) qui prévoit l'exclusion de l'associé qui contrevient audit pacte (article III-6), [sachant que] Madame [Y] a pris divers engagements, notamment en vue du rachat des parts de ses coassociés suivant un calendrier définit au pacte [mais que], malgré les propositions et relances qui ont été faites par ses coassociés, Madame [Y] n'a respecté aucun de ses engagements ni n'a engagé une quelconque démarche à cette fin.
Ces motifs sont les mêmes que ceux qui apparaissent dans la première convocation de Mme [Y] à l'assemblée générale extraordinaire fixée au 28 avril 2023, laquelle a été reportée, à sa demande, par ordonnance en date du 27 avril 2023, rendue par juge des référés du tribunal judiciaire de Grasse, dans l'attente de l'issue de la tentative de médiation par le conseil régional de l'ordre des pharmaciens PACA Corse, saisi par Mme [Y] en application de l'article R 4235-40 du code de la santé publique qui dispose que les pharmaciens qui ont entre eux un différend d'ordre professionnel doivent tenter de le résoudre[et] s'ils n'y parviennent pas, ils en avisent le président du conseil régional ou central compétent de l'ordre. Il s'avère que les parties ne sont parvenues à aucun accord à l'issue de la réunion de médiation qui s'est tenue le 24 mai 2023. Le conseil des intimés s'est rapproché de celui de l'appelante, par courrier en date du 24 mai 2023, afin de lui proposer, un rachat de l'intégralité de ses titres et dire, qu'à défaut de signature d'une promesse de cession dans un délai de quatre semaines, l'exclusion de Mme [Y] serait inscrite à l'ordre du jour d'une assemblée générale extraordinaire.
Bien avant d'avoir envisagé l'exclusion de Mme [Y], il apparaît que des échanges ont eu lieu, au cours de l'année 2022, entre les associés suite au non-respect par Mme [Y] de ses engagements résultant du pacte d'associés signé le 13 mars 2019, et notamment de son obligation d'acquérir les parts sociales de Mme et M. [X] en quatre fois selon un calendrier, la première cession devant intervenir au printemps 2022, sous la condition suspensive pour Mme [Y] d'obtenir, pour chaque cession, un financement en justifiant des démarches faites en ce sens. Alors même que le père de Mme [Y] faisait grief aux autres associés de ne pas avoir respecté leurs propres engagements, tenant notamment à l'effectif nécessaire, Mme et M. [X] ont proposé la signature d'un protocole d'accord transactionnel au plus tard le 30 novembre 2022 prévoyant notamment une clause de sortie alternative sous certaines conditions.
L'Agence Régionale de Santé a, par ailleurs, dressé un rapport d'inspection après une enquête inopinée réalisée le 7 mars 2023 au sein de la pharmacie à la demande de l'ordre des médecins suite à deux signalements de Mme et M. [X] concernant des erreurs de délivrances effectuées par Mme [Y]. Il a été relevé des écarts par rapport à la réglementation ainsi que des manquements nécessitant des actions correctives de la part des pharmaciens titulaires afin de se mettre en conformité avec les dispositions prévues par le code de la santé publique, les bonnes pratiques de dispensation et de préparation. Il a été également relevé que le climat de travail actuel au sein de l'officine impactait la réalisation des opérations pharmaceutiques, de sorte qu'une issue favorable à cette tension entre les titulaires devait être trouvée rapidement.
Mme [Y] a donc bénéficié d'un an et demi pour émettre ses observations sur les motifs d'exclusion formulés à son encontre par les deux autres associés, de sorte qu'il ne peut être fait grief à ces derniers d'avoir reporté, une fois de plus, la date de l'assemblée générale extraordinaire, à laquelle l'appelante a effectivement participé en prenant part aux votes.
Il reste que Mme [Y] discute les motifs d'exclusion retenus à son encontre. S'il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur la validité de la décision prise par une assemblée générale, notamment en retenant un abus de majorité et/ou l'absence de justes motifs, il entre dans ses pouvoirs d'en suspendre les effets dès lors qu'elle a été prise, à l'évidence, en violation des dispositions statutaires, ce qui caractérise un trouble manifestement illicite.
En l'occurrence, l'exclusion d'un associé est possible dès lors qu'il contrevient aux règles de fonctionnement de la société. Si les statuts se réfèrent aux associés ayant fait l'objet d'une sanction pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, cette condition n'est pas requise pour l'associé concerné par la décision d'exclusion qui doit être prise mais uniquement pour déterminer les associés pouvant participer et prendre part au vote.
En outre, si les statuts ne se réfèrent qu'au motif d'exclusion tenant à l'atteinte portée aux règles de fonctionnement de la société, ce motif est, en toute vraisemblance, licite comme étant conforme aux dispositions de l'article 1833 alinéa 2 du code civil qui énonce que la société est gérée dans son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.
Or, dès lors qu'il est fait grief à Mme [Y] d'avoir eu des agissements contraires aux règles de fonctionnement de la société, et notamment d'être à l'origine de la mésentente existant entre les associés, l'exclusion apparaît avoir été prononcée pour satisfaire à l'intérêt de la société, étant rappelé qu'il n'appartient pas au juge des référés, mais à la juridiction du fond éventuellement saisie d'une demande de nullité de la résolution qui a été prise et/ou de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, de se prononcer sur le caractère réel, juste et légitime des motifs avancés pour justifier l'exclusion.
Dès lors qu'aucun abus ne résulte, avec l'évidence requise en référé, de l'utilisation du pouvoir des associés d'exclure Mme [Y] de la société Pharmacie des Pins en application de ses statuts, l'appelante ne rapporte pas preuve d'un trouble manifestement illicite résultant de la violation évidente d'une règle de droit, et en l'occurrence les statuts de la société de la société Pharmacie des Pins, portant tant sur l'existence même du pouvoir d'exclusion que sur les motifs d'exclusion, l'organe décisionnaire, la procédure décisionnelle et la forme décisionnelle.
Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et rejeté la demande de Mme [Y] tendant à voir ordonner la suspension des effets de l'assemblée générale extraordinaire de la société Pharmacie des Pins en date du 10 juillet 2023.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Mme [Y], succombant en appel, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens et à verser aux intimés la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance non compris dans les dépens.
Elle sera également condamnée aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de Me Jonathan Samak, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité commande en outre de condamner Mme [Y] à verser aux intimés la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens.
En revanche, en tant que partie perdante, elle sera déboutée de sa demande formée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [W] [Y] à verser à la SELARL Pharmacie des Pins, Mme [O] [X] née [R] et M. [U] [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [W] [Y] de sa demande formée sur le même fondement ;
Condamne Mme [W] [Y] aux dépens de la procédure d'appel, avec distraction au profit de Me Jonathan Samak, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.