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Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 12 septembre 2024, n° 22/02755

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ecolab Énergies (SARL), Mecanic'Sud (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soubeyran

Conseillers :

M. Bruey, Mme Franco

Avocats :

Me Slinkman, Me Beauregard, Me Combe, Me Guizard

TJ Béziers, du 25 avr. 2022, n° 20/02596

25 avril 2022

FAITS ET PROCÉDURE

1- En 2014, le GFA de [Localité 7] (ci-après le GFA) propriétaire d'un domaine agricole, a entrepris de s'équiper d'une éolienne de pompage, laquelle devait être installée sur un ancien puits de forage, et était constituée d'un mât, d'une hélice éolienne et d'un système de pompage.

2- Selon un devis du 3 juin 2015, le GFA a consulté la SARL Ecolab energies pour la fourniture et la mise en oeuvre de l'éolienne de pompage en kit.

Le 6 juillet 2016, une facture a été éditée pour un montant de 7 117,84 € TTC comprenant l'étude de dimensionnement, la fourniture et la livraison, sans inclure la pose et la mise en service.

3- Le GFA de [Localité 7] a fait appel à la SARL Mecanic'sud pour l'installation de cette éolienne pompe afin d'en assurer le montage, l'assemblage, l'amorçage et la modification dans le but d'alimenter en eaux une étendue de son domaine trop éloigné du puits. Les travaux ont été réalisés dans ce cadre.

4- A la suite de dysfonctionnements lors du pompage des eaux, le GFA de [Localité 7] a sollicité une expertise judiciaire.

Par ordonnance de référé du 9 janvier 2018, le tribunal de grande instance de Béziers a désigné M. [S] [W], ultérieurement remplacé par M. [D] [P], en qualité d'expert judiciaire, lequel a eu notamment pour mission de constater les désordres et les dysfonctionnements éventuels.

Le 15 octobre 2020, M. [P] a déposé son rapport.

5- Le 5 novembre 2020, par courrier, le conseil du GFA a sollicité auprès des sociétés Mecanic'sud et Ecolab energies la réparation de l'installation.

C'est dans ce contexte, que par actes des 2 et 4 décembre 2020, le GFA de [Localité 7] a fait assigner la SARL Ecolab energies et la SARL Mecanic'sud.

6- Par jugement contradictoire du 25 avril 2022, le tribunal judiciaire de Béziers a :

Condamné in solidum les SARL Ecolab energies et Mecanic'sud à payer au GFA de [Localité 7] la somme de 16 349,84 € à titre de dommages-intérêts ;

Dit que dans les rapports entre co-obligés l'indemnisation sera supportée à parts égales ;

Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

Condamné in solidum les SARL Ecolab energies et Mecanic'sud à payer au GFA de [Localité 7] la somme de 2 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné in solidum les SARL Ecolab energies et Mecanic'sud aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire.

7- Le 23 mai 2022, la SARL Mecanic'sud a relevé appel de ce jugement.

Le 17 juin 3022, la SARL Ecolab Energies à également relevé appel.

Une ordonnance de jonction des dossiers est intervenue le 24 janvier 2023.

PRÉTENTIONS

8- Par uniques conclusions remises par voie électronique le 16 août 2022, la SARL Mecanic'sud demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

A titre principal, écarter toute responsabilité de la SARL Mecanic'sud et débouter le GFA de [Localité 7] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'endroit de la SARL ;

A titre subsidiaire, constater que la faute du GFA de [Localité 7] exonère la SARL Mecanic'sud de toute responsabilité et débouter le GFA de [Localité 7] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'endroit de la SARL ;

Reconventionnellement, condamner le GFA de [Localité 7] à payer à la SARL Mecanic'sud la somme de 400 € au titre de la mise en oeuvre d'une rehausse sur la cheminée au refoulement du pompage ;

En toute hypothèse, condamner le GFA de [Localité 7] à payer à la SARL Mecanic'sud la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de procédure de référé, du coût des honoraires de l'expert judiciaire de la présente procédure.

9- Par uniques conclusions remises par voie électronique le 15 novembre 2022, la SARL Ecolab energies demande à la cour d'accueillir comme régulier en la forme et justifié au fond l'appel incident régularisé par la SARL Ecolab energies à l'encontre du jugement entrepris, de réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ayant tels égards que de droit à l'encontre du rapport d'expertise judiciaire de M. [P], et statuant à nouveau, de :

Mettre hors de cause la SARL Ecolab energies ;

Débouter purement et simplement le GFA de [Localité 7] de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire, si la cour s'estimait insuffisamment informée, ordonner une contre-expertise judiciaire, confiée à tel expert judiciaire qu'il plaira à la cour de désigner, avec pour mission celle initialement confiée à M. [P] ;

En tout état de cause, s'entendre condamner le GFA de [Localité 7] ou tel succombant au paiement d'une somme de 3 000 € par application des dispositions.

10- Par dernières conclusions remises par voie électronique le 8 février 2023, le GFA de [Localité 7] demande en substance à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au stade d'appel, condamner les sociétés Mecanic'sud et Ecolab energies in solidum à verser au GFA de [Localité 7] la somme de 3 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

11- Vu l'ordonnance du clôture du 14 mai 2024.

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les responsabilités encourues

12- la SARL Ecolab energies concepteur de l'installation, soutient la faute exonératoire de responsabilité du maître de l'ouvrage qu'elle qualifie également de maître d'oeuvre en ce qu'il lui a fourni des éléments erronés sur la profondeur de la nappe et sur le linéaire et la pente du réseau de refoulement. Elle indique avoir établi ses plans et devis sur la base des renseignements fournis sur le questionnaire rempli par le GFA dont plusieurs, simples à vérifier, se sont avérés erronés.

Elle soutient également que la responsabilité de Mecanic' Sud est engagée qui aurait du se rendre compte de l'inadéquation de l'installation plutôt que d'insister et de tenter d'adapter l'éolienne à la station de pompage mal configurée et installée en dépit du plan de montage par elle préconisée.

13- la société Mécanic'Sud poursuit à titre principal la responsabilité exclusive de la société Ecolab Energies en se référant au rapport d'expertise concluant à cette unique responsabilité ; à titre subsidiaire, elle souligne la faute du GFA qui a fourni des indications erronées.

14- le GFA poursuit la confirmation du jugement au vu des constatations et conclusions de l'expert qui a décrit des circonstances mettant en exergue le manquement au devoir de conseil de la société Ecolab Energies et les erreurs de la société Mécanique Sud qui était en mesure d'appréhender toutes les données utiles relatives au site et n'y a pas procédé, pas plus qu'elle n'a diagnostiqué la cause des désordres, l'inadaptation technique du système et n'a pas préconisé le remplacement de la pompe à membrane par une pompe à piston.

Les deux professionnels ayant concouru au même dommage doivent être condamnés in solidum à le réparer.

15- pour une opération unique de conception/vente du matériel et d'installation d'une éolienne de pompage, le GFA, non professionnel de la matière et ne disposant pas de compétences techniques nécessaires, a contracté avec deux entreprises spécialisées :

- un contrat d'entreprise avec la société Ecolab energies qui a conçu et dressé les plans de l'ensemble de l'installation sur les indications données à distance par le GFA ;

- un contrat d'entreprise avec la société Mecanic Sud, qui lui avait été indiquée par la première qui a procédé à l'installation et à la tentative de mise en route.

Ces deux contrats restent autonomes et chacun reste responsable à l'égard du GFA de sa faute contractuelle.

17- la seule réponse du GFA au questionnaire adressé par la société Ecolab ne suffit pas à lui conférer la qualité de maître d'oeuvre ;

18- au delà des critiques formelles adressées par la société Ecolab au rapport de l'expert judiciaire qui aurait fourni des appréciations d'ordre juridique, les termes de ce rapport dans leurs développements techniques permettent à la cour de statuer, sans nulle nécessité de recourir à une contre expertise.

18 - sur le fondement juridique retenu par le GFA en appel, - il assignait en première instance sur le fondement de la garantie des vices cachés- l'entrepreneur concepteur est tenu d'un devoir de conseil. Le manquement à ce devoir constitue une faute ouvrant droit à réparation s'il est en causalité avec le dommage. Professionnel de sa matière, il doit s'enquérir des besoins de son client, attirer son attention sur les contraintes techniques et lui faire préciser tout point qui non seulement lui paraîtrait utile mais qui est commandé par ses connaissances techniques.

19- des débats et du rapport d'expertise de M. [P], il résulte que la société Ecolab Energies a conçu l'installation, sans déplacement sur les lieux, sur la base des réponses apportées au questionnaire adressé au GFA. Ce questionnaire, tel que reproduit dans le rapport d'expertise, auquel il n'aurait été apporté qu'une réponse orale, interroge le GFA sur divers besoins et configurations de l'existant. Les réponses dont les parties conviennent qu'elles ont été données oralement contiennent des inexactitudes par rapport à l'existant au jour de la livraison en ce qu'elles donnent un niveau d'eau dans le puits à 3 mètres de profondeur et une distance à couvrir de 100 m sur terrain plat.

20- cependant, la cour partage l'analyse des premiers juges en ce que Ecolab a manqué à son devoir de conseil en ne s'interrogeant pas sur l'implantation exacte de l'éolienne dans le département de l'Hérault, sujet à de brusques et importants événements pluvieux, le niveau des basses eaux étant atteint en août/septembre. Elle sollicitait de façon générale la profondeur du point d'eau par eaux basses (octobre/novembre) en métropole. Or, à l'automne 2014, date à laquelle les mesures ont été prises par le GFA à hauteur de 3 mètres, sur un questionnaire adressé le 2 octobre 2014, d'importantes précipitations avaient eu lieu en septembre et novembre notamment, surchargeant le niveau des nappes et réduisant en conséquence la profondeur d'eau dans le forage.

La société Ecolab, basée dans la Meuse, professionnel ignorant de la climatologie de la région Occitanie, a fait fi des fluctuations possibles de la nappe et l'ampleur de la pluviométrie et ainsi manqué à son devoir de conseil en n'attirant pas l'attention de son client sur les possibles variations de niveau au moment de la prise de mesures.

20- ce manquement est en causalité directe avec le préjudice puisqu'à la date de la première intervention en juin 2016, le niveau d'eau du forage était de -6,80 mètres, incompatible avec le fonctionnement de la pompe à membrane compte tenu d'effets de cavitation sur la tuyauterie d'aspiration de la pompe. Le choix de la pompe à membrane fait par la société Ecolab s'est donc avéré inadapté alors qu'une pompe de technologie à piston était en mesure de fonctionner pour les niveaux de nappe réels.

21- la cour est du même avis que l'expert [P] qui met sur ce point hors de cause la société Mecanic Sud intervenue uniquement pour le montage d'équipements sur la base d'une conception fausse de l'installation sur les plans et notes de calcul d'Ecolab.

22- la réponse erronée apportée par le GFA relative au dénivelé (égal niveau au lieu de 1,5 à 2 mètres) et à la distance (100 mètres au lieu de 230 mètres) est sans incidence puisque selon l'expert, non utilement contredit par les expertises non contradictoires que la société Ecolab a cru bon de faire établir en contestation du rapport d'expertise judiciaire, le niveau du terrain entre le forage et les lagunes n'intervient pas pour le dimensionnement du système de pompage.

Quant à la distance, l'expert, développant ses connaissances techniques quant à la hauteur manométrique de la pompe a pu sans excéder sa mission conclure que la formulation du questionnaire sollicitant la distance entre le lieu de forage et le lieu où doit être amenée l'eau était imprécise pour un non-sachant compte tenu du manque d'information visant à préciser la profondeur d'enfouissement de la conduite, conclusion que la cour fait sienne.

23- il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la société Ecolab est engagée pour manquement à son devoir de conseil.

24- s'agissant de la société Mecanic Sud, qui n'était mandatée que pour procéder à l'installation de l'éolienne et du système de pompage conçue par la société Ecolab, elle ne pouvait être tenue que d'une obligation de moyens et non de résultat. Aucune désordre propre n'est imputable à son action puisque elle a travaillé sur la base des plans qui se sont avérés erronés en l'état de la réalité de la situation du terrain que la société Ecolab n'avait jamais cru utile de vérifier, elle a échangé avec Ecolab pour tenter de remédier à une situation de dysfonctionnement structurel et a tenté par ses interventions qui en définitive se sont avérées inefficaces de modifier ces installations, mettant en oeuvre tous les moyens nécessaires pour parvenir à bonne fin.

25- en l'absence de faute contractuelle de la SARL Mecanic' Sud, sa responsabilité sera écartée et le jugement infirmé en ce qu'il l'a condamnée in solidum avec la société Ecolab qui doit seule dédommager le GFA de son préjudice.

26- la société Ecolab ne conteste pas le principe et le quantum du préjudice tel que retenu par les premiers juges sur la base des éléments énoncés au rapport. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'arrête à la somme de 16349,84€.

27- Pour des raisons de commodité de lecture du dispositif de l'arrêt, le jugement sera cependant infirmé en toutes ses dispositions.

28- Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Ecolab Energies supportera l'intégralité des dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement

Infirme le jugement en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau et y ajoutant

Condamne la SARL Ecolab Energies à payer au GFA de [Localité 7] la somme de 16349,84€ à titre de dommages et intérêts;

Déboute le GFA de [Localité 7] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la SARL Mecanic'Sud et les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Condamne la SARL Ecolab Energies aux dépens de première instance et d'appel.

Condamne la SARL Ecolab Energies à payer au GFA de [Localité 7] la somme de 2500€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, la même somme au titre de l'appel.

Condamne la SARL Ecolab Energies à payer la même somme sur le même fondement à la SARL Mecanic'Sud.