CA Amiens, 1re ch. civ., 12 septembre 2024, n° 22/05016
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
La Rainnevilloise (SARL)
Défendeur :
Établissement Ogez et Fils (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hauduin
Vice-président :
M. Berthe
Conseiller :
Mme Jacqueline
Avocats :
Me Le Roy, Me Foucault, Me Hayere, Me Rohaut, Me De Limerville
ARRET
N°
S.A.R.L. LA RAINNEVILLOISE
C/
S.A.S. ETABLISSEMENT OGEZ ET FILS
CJ/MC/VB/DPC
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU DOUZE SEPTEMBRE
DEUX MILLE VINGT QUATRE
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 22/05016 - N° Portalis DBV4-V-B7G-ITIV
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU DIX NEUF OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
PARTIES EN CAUSE :
S.A.R.L. LA RAINNEVILLOISE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS
Plaidant par Me Agnès FOUCAULT substituant Me Lisa HAYERE de L'AARPI ACLH AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
APPELANTE
ET
S.A.S. ETABLISSEMENT OGEZ ET FILS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Amélie ROHAUT substituant Me Gonzague DE LIMERVILLE de la SCP GONZAGUE DE LIMERVILLE - AVOCAT, avocats au barreau d'AMIENS
INTIMEE
DEBATS :
A l'audience publique du 16 mai 2024, l'affaire est venue devant Mme Clémence JACQUELINE, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 12 septembre 2024.
La Cour était assistée lors des débats de Mme Mathilde CRESSENT, greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre, Présidente, M. Douglas BERTHE, Président de chambre et Mme Clémence JACQUELINE, Conseillère, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 12 septembre 2024, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Graziella HAUDUIN, Présidente de chambre et Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.
*
* *
DECISION :
M. [O] [B] était salarié en qualité de technico-commercial de la SARL La Rainnevilloise, spécialisée dans la livraison de bois de chauffage, cogérée par ses parents, M. [V] [B] et Mme [J] [H] épouse [B], depuis le 1er septembre 2003 lorsqu'il a procédé le 30 juin 2015 à une livraison de bois et stationné son ensemble routier composé d'un tracteur agricole Renault 22 50 441 modèle ARES 640 RZ et d'une remorque chargée de 9 tonnes de bois, assurés auprès d'AXA. Le tracteur avait été acheté par la société La Rainnevilloise à la SARL OGEZ et FILS le 31 mai 2015.
Alors qu'il s'était garé et avait quitté le volant et la cabine, il a constaté que son véhicule avançait sans raison apparente si bien qu'il s'est précipité vers le tracteur agricole en passant devant l'attelage tracteur/remorque se retrouvant coincé entre son tracteur et le véhicule Megan Scenic immatriculé [Immatriculation 5], assuré auprès de la MAIF, stationné devant l'ensemble routier.
Il est décédé des suites de cet accident à l'âge de 33 ans.
L'expert mandaté dans le cadre de l'enquête pénale classée sans suite a conclu à une défaillance du dispositif de freins du tracteur.
Par ordonnance du 14 février 2018, le juge des référés a rejeté les demandes de provision formées par les parents de M. [B] à l'encontre de la SAS Ogez et fils et la MAIF. Il a ordonné une mesure d'expertise comptable en désignant pour y procéder M. [A]. L'expert a déposé son rapport le 5 novembre 2019.
Par acte d'huissier de justice en date du 30 avril 2020, M. et Mme [B] agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants droits de leur fils [O] [B] et la SARL La Rainnevilloise ont fait assigner la MAIF et la SAS Ogez et fils devant le tribunal judiciaire d'Amiens au visa de la loi du 5 juillet 1985 aux fins de voir dire et juger intégral le droit à indemnisation de [O] [B], victime piéton de l'accident de la circulation survenue le 30 juin 2015, et de voir condamner la MAIF à supporter l'indemnisation des préjudices résultant de l'accident.
A titre subsidiaire, ils ont demandé de voir dire et juger que la responsabilité contractuelle de la SAS Ogez et fils était engagée pour manquement à l'obligation de sécurité pesant sur elle à l'égard de son cocontractant.
Par acte d'huissier de justice en date du 10 novembre 2020, la MAIF a fait assigner la société AXA France IARD en intervention forcée aux fins de la voir condamner à la garantir de toute condamnation en principal frais et intérêts pour le cas où le tribunal entrerait en voie de condamnation à l'encontre de la MAIF sur les demandes formées par M. et Mme [B] agissant tant en leurs noms personnels qu'en leur qualité d'ayants droits et/ou sur les demandes de la SARL La Rainnevilloise.
Par acte d'huissier en date du 18 janvier 2021, les époux [B]-[H] et la SARL La Rainnevilloise ont fait assigner en déclaration de jugement commun la MSA de Picardie.
Les frères de [O] [B], MM. [W] et [P] [B], sa grand-mère, Mme [S] épouse [H], sa compagne, Mme [E] [U], et son ex-compagne, Mme [G] [Z] en sa qualité de représentante légale de son fils [I] [B] sont intervenus volontairement à la procédure.
Par jugement du 18 mai 2022, le tribunal judiciaire d'Amiens a notamment :
Déclaré le jugement commun et opposable à la Mutualité Sociale Agricole ;
Fixé à la somme de 77 093,45 euros le préjudice économique de l'enfant mineur [I] [B], consécutif au décès de son père ;
Condamné la MAIF à payer :
- Aux époux [B]-[H] la somme de 30 000 euros chacun en réparation de leurs préjudices d'affection, et la somme de 3 654,12 euros au titre des frais d'obsèques ;
- A Mme [S] épouse [H], la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice d'affection ;
- A Messieurs [W] et [P] [B], chacun la somme de 8 000 euros en réparation de leurs préjudices d'affection ;
- A Mme [E] [U] la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice d'affection ;
- A Madame [G] [Z] en sa qualité de représentante légale de son fils [I] [B] la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice d'affection de ce dernier.
Dit que les indemnités ainsi allouées produiront intérêts au double du taux légal à compter du 2 mars 2016 et jusqu'au jour du jugement devenu définitif ;
Débouté Mme [G] [Z] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice économique ;
Débouté les époux [B]-[H] de leur demande d'indemnisation d'un préjudice économique ;
Débouté la SARL La Rainnevilloise de sa demande d'indemnisation d'un préjudice économique;
Condamné la SARL La Rainnevilloise à garantir la société d'assurances MAIF des condamnations au paiement des dommages intérêts prononcées à l'exclusion des intérêts prévus à l'article L 211-13 du code des assurances ;
Débouté la société d'assurances MAIF du surplus de ses demandes ;
Condamné la société d'assurances MAIF aux entiers dépens de l'instance ;
L'a condamnée à payer aux époux [B]-[H], à Messieurs [P] et [W] [B], à Mme [Z] es-qualité de représentante légale de [I] [B], et à Mme [S] épouse [H], la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, Rejeté les demandes des autres parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit attachée au jugement.
Par requête, les époux [B]-[H] agissant en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de leur fils [O] [B] décédé, la SARL La Rainnevilloise, Mme [F] [Z] agissant en qualité de représentante légale de son fils mineur [I], MM. [W] et [P] [B], Mme [C] [S] épouse [H] et Mme [E] [U] ont saisi le tribunal judiciaire d'Amiens d'une omission de statuer demandant au tribunal de compléter sa décision en jugeant que la Société Ogez et fils sera condamnée à garantir la SARL La Rainnevilloise de toute condamnation prononcée à son encontre.
Ils soutenaient que la société Ogez et fils est tenue de la garantie du vice caché affectant le tracteur agricole vendu par elle à la SARL La Rainnevilloise qui est à l'origine de l'accident ayant provoqué le décès de M. [B], ainsi que de la garantie de produits défectueux en vertu des articles 1245 et suivants du code civil, ajoutant qu'elle était débitrice d'une obligation de sécurité en vertu de l'article 1231-1 du Code Civil.
Madame [G] [Z] et la société La Rainnevilloise ont interjeté appel le 21 juillet 2022. La MAIF a fait de même le 28 juillet 2022.
Par ordonnance du 26 septembre 2022, les procédures ont été jointes sous le numéro 22/03566.
Par jugement en date du 19 octobre 2022, le tribunal judiciaire d'Amiens a déclaré irrecevable la requête en omission de statuer au motif qu'elle avait été déposée le 2 août 2022 par les consorts [B] et la SARL La Rainnevilloise, soit postérieurement à l'appel interjeté du jugement, dit que dans l'entête du jugement rendu le 18 mai 2022 par le tribunal dans l'affaire RG n°20/1036 il convient d'ajouter les noms de M. [P] [B], de M. [W] [B], de Mme [C] [S] épouse [H] et de Mme [E] [U] et leurs qualités d'intervenants volontaires, dit que la décision rectificative sera mentionnée sur la minute et les expéditions du jugement du 18 mai 2022, dit que les dépens resteront à la charge du Trésor Public.
La SARL La Rainnevilloise a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 25 novembre 2022.
Par ses dernières conclusions signifiées le 7 juin 2023, la SARL La Rainnevilloise demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
- réformer la décision en ce qu'elle a déclaré irrecevable la requête en omission de statuer déposée le 2 août 2022 par les consorts [B] et la SARL La Rainnevilloise ;
Et statuant à nouveau,
Déclarer recevable la requête en omission de statuer déposée le 2 août 2022 par la SARL La Rainnevilloise;
Statuer sur la demande d'appel en garantie formée par la SARL La Rainnevilloise à l'encontre de la Société Ogez et fils qui a été omise dans la décision rendue le 18 mai 2022 et compléter cette décision,
Juger que la société Ogez et fils sera condamnée à garantir la SARL La Rainnevilloise de toutes condamnations prononcées à son encontre,
Condamner la Société Ogez et fils au règlement de la somme de 3 500 euros au visa de l'article
700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Elle soutient que sa requête est recevable car la juridiction qui a omis de statuer est compétente pour compléter sa décision et que la cour d'appel, saisi d'un appel du jugement comportant une omission de statuer, ne peut par définition pas statuer sur un chef de jugement inexistant.
Elle indique avoir déposé sa requête en omission de statuer le 13 juillet 2022 avant qu'un appel soit interjeté du jugement le 21 juillet 2022.
Sur le bien fondé de sa demande, elle expose qu'elle sollicitait au terme de ses dernières conclusions que la société Ogez soit condamnée à la garantir de toute condamnation.
Elle soutient que la responsabilité de la société Ogez est engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés, que l'action n'est pas prescrite car le délai de prescription de deux ans a commencé à courir à compter du dépôt du rapport définitif de l'expert le 15 décembre 2019.
Subsidiairement, elle soutient que la société Ogez a manqué à son obligation autonome de sécurité sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil car l'état d'usure du frein à main était tel qu'il était nécessairement préexistant à la cession. Elle conteste que le régime spécifique de responsabilité du fait des produits défectueux ait remplacé l'obligation autonome de sécurité. Elle affirme que les régimes peuvent se cumuler et que le délai de prescription en matière contractuelle est de cinq ans si bien que son action est recevable.
Par ses dernières conclusions signifiées le 3 mai 2023, la SAS Etablissements Ogez et fils demande à la cour de juger recevable mais mal fondée la SARL La Rainnevilloise dans son appel, en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Amiens le 19 octobre 2022 et notamment en ce qu'il a déclaré irrecevable la requête en omission de statuer, déposée le 2 août 2022, si par extraordinaire la juridiction de céans devait considérer que la requête en omission de statuer était recevable, débouter la SARL La Rainnevilloise de sa demande d'appel en garantie formée à l'encontre de la Société Ogez et fils, juger que la responsabilité de la société Ogez et fils dans l'accident survenu le 30 juin 2015 n'est pas démontrée, débouter la SARL La Rainnevilloise de ses demandes plus amples ou contraires, condamner la SARL La Rainnevilloise au règlement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La SAS Ogez et fils expose que la requête en omission de statuer est postérieure à l'appel interjeté par la société La Rainnevilloise.
Elle soutient ensuite que l'action fondée sur les dispositions de l'article 1641 du code civil est prescrite. Elle expose que l'assignation délivrée contre la MAIF le 13 novembre 2017 n'a pas d'incidence la concernant. Elle ajoute qu'aucun acte n'a pu interrompre la prescription. En tout état de cause, elle met en avant que l'existence de vices cachés n'est pas démontrée et notamment l'antériorité du vice par rapport à la vente.
Sur l'action fondée sur sa responsabilité contractuelle, elle affirme que le régime de la responsabilité civile des produits défectueux a absorbé l'obligation spécifique de sécurité du vendeur professionnel. Elle expose que cette action est également prescrite. Sur le fond, elle expose que le véhicule de plus de dix ans acheté d'occasion ne présentait pas un vice inhérent à sa fabrication si bien que seule l'action en garantie des vices cachées serait applicable si elle était recevable.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 6 décembre 2023 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 16 mai 2024.
MOTIFS
A titre liminaire, il convient de relever que la cour n'est pas saisie des dispositions du jugement relatives à la rectification d'une erreur matérielle et aux dépens.
- Sur la recevabilité de la requête
Selon l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs ou omissions matérielle qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.
Selon l'article 463 du même code, la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut également compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir s'il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
La demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l'arrêt d'irrecevabilité.
Le juge est saisi par simple requête de l'une des parties, ou par requête commune. Il statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées.
La décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement et donne ouverture aux mêmes voies de recours que celui-ci.
En l'espèce, la société La Rainnevilloise justifie avoir reçu le 13 juillet 2022 un accusé de réception par le biais du RPVA de sa requête aux fins de réparer une omission de statuer. Elle justifie par ailleurs avoir joint à son message RPVA du même jour adressé au greffe et aux autres parties ladite requête.
Dans ces conditions, la requête en omission de statuer reçue au greffe avant l'appel interjeté par la société La Rainnevilloise le 21 juillet 2022 est recevable.
En application de l'article 568 du code de procédure civile qui dispose que, lorsque la cour d'appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction, il convient de statuer sur la demande de rectification de l'omission de statuer. Il n'est pas contesté par la société Ogez et fils et il est établi par la production des dernières conclusions de la SARL La Rainnevilloise devant le tribunal judiciaire qu'elle l'avait saisi d'un appel en garantie de la société Ogez sur lequel il n'a pas été statué.
- Sur le bien fondé de la requête
L'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
L'acheteur peut notamment demander la condamnation du vendeur au versement de dommages-intérêts à condition de prouver la connaissance par le vendeur de l'existence du vice au moment de la vente.
Le vendeur professionnel est présumé connaître le vice affectant le bien vendu.
Selon l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.
En l'espèce, il résulte notamment des pièces de la procédure pénale que le frein à main du tracteur vendu par la société Etablissement Ogez et fils à la société La Rainnevilloise le 31 mai 2015 était défaillant, qu'il n'a pas pu assurer l'immobilisation du véhicule qui s'est mis en mouvement et a conduit [O] [B] à se précipiter devant le tracteur avant d'être écrasé entre l'ensemble tracté et un véhicule stationné devant lui.
La découverte du vice affectant le système de freinage du véhicule date des jours qui ont suivi l'accident puisque le tracteur a été examiné par un expert, dans le cadre de la procédure pénale en cours, le 1er juillet 2015. La société La Rainnevilloise soutient ne pas en avoir pris connaissance avant le classement sans suite de la procédure prononcé le 30 octobre 2015 et faute d'autre élément de preuve de la prise de connaissance de la défaillance avant cette date, il sera retenu que cette date correspond à la découverte par la société du vice.
Si la société La Rainnevilloise a fait assigner la MAIF en référé le 13 novembre 2017, l'objet de la demande tenait à la mise en oeuvre d'une expertise financière et comptable en vue d'évaluer son préjudice économique à la suite de la survenue du décès de [O] [B]. Il était sans lien avec une action en garantie des vices cachés. Dès lors, contrairement à ce que soutient la société La Rainnevilloise, il ne peut être retenu que le délai de prescription de deux ans a recommencé à courir à compter du rapport définitif de l'expert comptable le 15 décembre 2019.
L'assignation en référé de la société Ogez, le 4 janvier 2018, visant à obtenir le paiement d'une provision est intervenue plus de deux ans après la découverte du vice.
Dans ses conditions, l'action en garantie des vices cachées est prescrite.
A titre subsidiaire, la SARL La Rainnevilloise invoque la responsabilité contractuelle de la société Etablissement Ogez et fils pour manquement à son obligation autonome de sécurité sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil au motif que la responsabilité du vendeur peut être engagée en raison du défaut de sécurité du produit vendu.
La société Ogez et fils retient pour sa part que le litige relève du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux des articles 1245 et suivants du code civil. L'article 1245 du code civil dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Selon l'article 1245-6 du même code, si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.
L'article 1245-17 du code civil précise que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux "ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité".
Si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra contractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui tiré d'un défaut de sécurité. La Cour de justice des Communautés européennes a eu l'occasion de préciser que la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'un régime de responsabilité reposant sur le même fondement que celui mis en place par la directive du 25 juillet 1985 (CJCE, 25 avril 2002, C-183/00). Dès lors, la responsabilité du fait des produits défectueux est cumulable avec la responsabilité contractuelle et délictuelle pour faute ou la garantie des vices cachés (Cass.1re civ., 17 mars 2016, n° 13-18.876), la faute devant toutefois être distincte du défaut de sécurité du produit (Cass.1re civ., 10 décembre 2004, n° 13-14.314).
En l'espèce, l'action de la société La Rainnevilloise vise à établir la responsabilité du vendeur en raison du défaut de sécurité du tracteur.
Son action relève donc des dispositions des articles 1245 et suivants du code civil.
Or, cette action est conditionnée par un double délai de prescription :
- celui de l'article 1245-15 du code civil qui dispose que sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent chapitre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice ;
- celui de l'article 1245-16 du même code qui dispose que l'action en réparation se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
Le tracteur avait été mis en circulation le 23 décembre 1998 si bien que l'action de la société La Rainnevilloise est également irrecevable au titre du défaut de sécurité du tracteur.
L'action est aussi irrecevable en application de l'article 1245-16 du code civil puisque plus de trois ans se sont écoulés entre la découverte du dysfonctionnement des freins le 30 octobre 2015 et l'assignation par la SARL La Rainnevilloise de la société Ogez et fils le 30 avril 2020 pour obtenir sa garantie.
La demande de la SARL La Rainnevilloise est donc mal fondée et elle sera déboutée de son appel en garantie.
- Sur les autres demandes
La SARL La Rainnevilloise qui succombe en ses demandes sera condamnée aux dépens d'appel et au paiement au profit de la société Ogez et fils d'une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe, dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement entrepris au titre des chefs soumis à la cour ;
Statuant à nouveau,
Déclare recevable la requête en omission de statuer,
Statuant sur l'appel en garantie de la société Etablissements Ogez et fils par la SARL La Rainnevilloise,
Déclare mal fondées les demandes de la SARL La Rainnevilloise au titre de la garantie des vices cachés et de la responsabilité des produits défectueux ;
Déboute la SARL La Rainnevilloise de son appel en garantie de la société Etablissement Ogez et fils ;
Condamne la SARL La Rainnevilloise aux dépens d'appel ;
Condamne la SARL La Rainnevilloise à verser à la société Etablissements Ogez et fils une indemnité de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.