CA Montpellier, 2e ch. civ., 12 septembre 2024, n° 23/06164
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sea Side (SARL)
Défendeur :
Sea Side (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Torrecillas
Conseillers :
Mme Carlier, Mme Herment
Avocats :
Me Bertrand, Me Herail, Me Masson, Me Desson
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique en date du 22 décembre 2005, M. [X] [S] et Mme [C] [T] épouse [S] ont consenti à M. [I] [J] et Mme [V] [O] un bail commercial portant sur un local à usage commercial ou professionnel et une terrasse, correspondant aux lots portant les numéros 1035, 1258 et 1260, dans un ensemble immobilier sis [Adresse 7] et [Adresse 5] au [Localité 8], destinés à l'exploitation de tous commerces à l'exclusion des activités de sex-shop, de salon de massage et de discothèque, et plus largement à l'exclusion de toutes activités contraires aux bonnes moeurs, moyennant le paiement d'un loyer annuel de 23 580, 43 euros TTC.
Une cession du fonds de commerce est intervenue entre M. [I] [J] et Mme [V] [O], d'une part, et la société Sea Side, d'autre part, aux termes d'un acte authentique en date du 3 juin 2010. Le bail commercial a été cédé à la société Sea Side.
Par jugement du 8 juillet 2020, le tribunal de commerce de Béziers a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Sea Side et a désigné maître [K] en qualité de mandataire judiciaire.
Puis, aux termes d'un jugement rendu le 16 juin 2021, le tribunal de commerce de Béziers a adopté un plan de redressement pour une durée de dix ans à l'égard de la société Sea Side et a désigné maître [K] en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Un commandement de payer la somme de 8 195, 05 euros à titre principal et visant la clause résolutoire insérée au bail a été délivré le 10 mars 2023 à la société Sea Side à la demande de Mme [C] [T] épouse [S].
Par acte en date du 11 juillet 2023, Mme [C] [T] épouse [S] a fait assigner la société à responsabilité limité unipersonnelle Sea Side en référé devant le président du tribunal judiciaire de Béziers afin qu'il :
- constate la résiliation de plein droit du bail commercial du 22 décembre 2005 par l'effet de la clause résolutoire inscrite au bail,
- ordonne l'expulsion de la société Sea Side des lieux loués, ainsi que de tous occupants de son chef, avec si nécessaire l'assistance de la force publique et d'un serrurier, passé le délai de quinze jours après la signification de la décision à intervenir,
- condamne la société Sea Side à lui payer une indemnité d'occupation de 2 618, 27 euros par mois, jusqu'à la libération effective des lieux loués,
- condamne la société Sea Side à lui payer une provision de 16 046, 86 euros, au titre des loyers et charges impayés, avec intérêts au taux légal à compter du commandement de payer en date du 10 mars 2023,
- condamne la société Sea Side à lui payer une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, incluant le coût du commandement de payer et de l'assignation.
Cette assignation a été dénoncée à maître [K], en qualité de mandataire judiciaire de la société Sea Side, par acte du 11 juillet 2023.
Aux termes d'une ordonnance rendue le 24 novembre 2023, le président du tribunal judiciaire de Béziers statuant en référé a :
- constaté la résolution du bail commercial conclu entre Mme [C] [T] épouse [S] et la société à responsabilité limitée unipersonnelle Sea Side portant sur les locaux sis [Adresse 7] et [Adresse 5] au [Localité 8],
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société Sea Side ou de tous occupants de son chef des locaux situés [Adresse 7] et [Adresse 5] au [Localité 8], dans le delai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance,
- dit que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneraient lieu à l'application des dispositions des articles L433-1 et L433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
- condamné la société à responsabilité limitée unipersonnelle Sea Side prise en la personne de son représentant légal à payer à Mme [C] [T] épouse [S] la somme provisionnelle de 29 140, 21 euros, correspondant aux loyers impayés,
- dit que cette condamnation porterait intérêts au taux légal à compter de la signification de l'ordonnance,
- condamné la société à responsabilité limitée unipersonnelle Sea Side à payer à Mme [C] [T] épouse [S] une indemnité d'occupation mensuelle jusqu'à libération effective des lieux et à la remise des clés, égale au montant du loyer, soit 2 618, 27 euros, augmentée des charges et taxes afférentes qu'elle aurait dû payer si le bail n'avait pas été résilié,
- condamné la société Sea Side à payer à Mme [C] [T] épouse [S] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes ainsi que toutes demandes plus amples ou contraires,
- rappelé que la décision bénéficiait de l'exécution provisoire de droit.
Par déclaration en date du 15 décembre 2023, la société Sea Side a relevé appel de cette ordonnance en critiquant chacune de ses dispositions.
Maître [X] [K], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Sea Side, est intervenu volontairement à l'instance.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 14 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, maître [X] [K], pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Sea Side, demande à la cour de :
- recevoir en la forme son appel et au fond y faire droit,
- in limine litis, débouter Mme [C] [T] épouse [S] de ses demandes tendant à faire déclarer son appel irrecevable,
- au fond, infirmer et réformer l'ordonnance de référé rendue le 24 novembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Béziers,
- débouter Mme [C] [T] épouse [S] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [C] [T] épouse [S] à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Il mentionne que par conclusions notifiées le 22 décembre 2023, portant incident devant le conseiller de la mise en état, l'intimée a invoqué l'irrecevabilité de l'appel au motif que les demandes formées par l'appelant constitueraient des demandes nouvelles, alors que l'article 905 du code de procédure civile ne prévoit pas la désignation d'un conseiller de la mise en état, qu'en tout état de cause, il ne formule pas de demande nouvelle et que l'intimé opère manifestement une confusion entre l'irrecevabilité de l'appel et l'irrecevabilité des demandes nouvelles.
Il rappelle que selon les dispositions de l'article L.622-21 I du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent et précise que ces dispositions sont applicables à la liquidation judiciaire conformément à l'article L.641-3 du code de commerce.
Il ajoute qu'il est de jurisprudence constante que la combinaison des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce et des règles applicables à la procédure collective a pour effet que la clause résolutoire d'un bail commercial n'est réputée acquise que si le commandement de payer a été délivré et l'action en paiement introduite avant le jugement d'ouverture de la procédure collective, et que d'autre part, la décision constatant la résiliation du bail est passée en force de chose jugée avant le jugement d'ouverture. Il précise que tel n'est pas le cas en l'espèce.
Il précise qu'il justifie de toutes les conditions utiles à la réformation de l'ordonnance entreprise et qu'en l'état, les demandes de la bailleresse ne peuvent tendre qu'à la fixation de sa créance au passif de la procédure collective de la société Sea Side et que le contrat de bail commercial ne saurait être résilié pour défaut de paiement des loyers du fait de l'arrêt des poursuites individuelles en découlant.
Il en déduit que l'ordonnance de référé rendue le 24 novembre 2023 doit être entièrement réformée et Mme [C] [T] épouse [S] déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 9 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, Mme [C] [T] épouse [S] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance rendue le 24 novembre 2023 en totalité,
En conséquence,
- rejeter l'intégralité des demandes formées par le mandataire judiciaire comme étant infondées,
- condamner maître [K] es qualité de liquidateur judiciaire de la société Sea Side au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elle explique que si en application d'une jurisprudence constante, le liquidateur peut invoquer l'effet réel de la liquidation judiciaire afin de céder judiciairement le bail en application des dispositions de l'article l 641-12 du code de commerce pour faire échec à l'acquisition de la clause résolutoire, dans le cadre du présent appel, le liquidateur qui est appelant, ne justifie pas des montages futurs, à savoir d'une vente amiable ou judiciaire d'un plan de cession de fond ou des éléments d'actifs ou autre.
Elle ajoute que la demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile n'est pas justifiée, dans la mesure où elle a été trompée par le locataire qui a usé de manoeuvres pour retarder la procédure et organiser son insolvabilité.
Elle souligne qu'il serait injuste et inéquitable que la demande d'infirmation soit accueillie alors que la liquidation judiciaire est postérieure à la précédente décision et que la dette locative est très importante.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon les dispositions de l'article L. 622-21 I du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
Ces dispositions sont applicables dans l'hypothèse de l'ouverture d'une liquidation judiciaire en application de l'article L. 641-3 du code de commerce.
En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats qu'aux termes d'un jugement rendu le 13 décembre 2023, le tribunal de commerce de Béziers a prononcé la résolution du plan de redressement adopté le 16 juin 2021 à l'égard de la société Sea Side et mis fin à la mission de maître [X] [K], commissaire à l'exécution du plan, a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 24 novembre 2023, a ouvert à l'égard de la société Sea Side une procédure de liquidation judiciaire et a nommé maître [X] [K] en qualité de liquidateur et maître [U] [L] en qualité de juge commissaire.
En l'espèce, à la date de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Sea Side, l'ordonnance rendue le 24 novembre 2023 et signifiée à l'appelante le 5 décembre 2023, n'était pas passée en force de chose jugée.
L'action en résiliation du contrat de bail fondée sur le non paiement des loyers antérieurs au jugement d'ouverture est une action en résolution d'un contrat fondé sur le défaut de paiement d'une somme d'argent au sens de l'article L. 622-21 du code de commerce.
Cette action introduite par le bailleur avant la mise en liquidation judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure, ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement.
La cour infirmera donc la décision déférée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail et ordonné l'expulsion de la société Sea Side et déclarera irrecevables les demandes de la bailleresse tendant à la résiliation du bail et à l'expulsion de la locataire fondées sur le défaut de paiement de loyers échus antérieurement au jugement prononçant l'ouverture de la liquidation judiciaire.
Du reste, l'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance ayant condamné la société Sea Side au paiement d'une provision et d'une indemnité provisionnelle d'occupation et de dire n'y avoir lieu à référé, les demandes en paiement étant devenues irrecevables en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par le texte susvisé.
S'agissant des frais irrépétibles et des dépens, la cour observe qu'il n'est pas contesté que Mme [C] [T] épouse [S] était fondée à engager une procédure tendant au constat de la résiliation du bail et à la condamnation à titre provisionnel de la société Sea Side au paiement d'un arriéré locatif et d'une indemnité mensuelle d'occupation.
Elle observe également que la société Sea Side n'a pas fait état à l'occasion de l'instance engagée en référé devant le président du tribunal judiciaire de Béziers de la saisine du tribunal de commerce d'une demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, de sorte que la juridiction ne pouvait prendre en considération cet élément, et que c'est à juste titre qu'elle a maintenu ses prétentions.
Dans ces conditions, il n'apparaît pas équitable de lieu de laisser à la charge de Mme [C] [T] épouse [S] les dépens de première instance et d'appel, ainsi que les frais engagés en marge des dépens, ces sommes devant être mises à la charge de la société Sea Side.
Pour relever du traitement préférentiel prévu à l'article L. 622-17 du code de commerce, une créance de frais irrépétibles et de dépens doit non seulement être postérieure au jugement d'ouverture du débiteur, mais également respecter les autres critères fixés par ce texte, c'est à dire être utile au déroulement de la procédure collective ou être due au débiteur en contrepartie d'une prestation à lui fournie après le jugement d'ouverture (Com, 2 décembre 2014, n°13-20311).
Tel n'est pas le cas en l'espèce, la juridiction ne peut donc prononcer une condamnation de ces chefs.
En l'absence de caractérisation des conditions requises, la créance de dépens et de frais irrépétibles ne peut faire l'objet que d'une fixation.
La décision déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné la société Sea Side aux dépens, outre le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour fixera au passif de la procédure collective de la société Sea Side, la créance de Mme [C] [T] épouse [S] à la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés pour les instances de première instance et d'appel, ainsi que les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de condamnation en paiement de l'arriéré locatif et d'une indemnité mensuelle d'occupation,
Déclare irrecevables les demandes tendant au constat de la résiliation du bail et à l'expulsion de la société Sea Side,
Fixe au passif de la procédure collective de la société Sea Side la créance de Mme [C] [T] épouse [S] à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Fixe au passif de la procédure collective de la société Sea Side les dépens de première instance et d'appel, comprenant notamment le coût du commandement de payer du 10 mars 2023.