CA Grenoble, ch. com., 12 septembre 2024, n° 23/03728
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Civile Immobilière (SCI) Frères
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Tidjani, Me Tauleigne, Me Medina
EXPOSE DU LITIGE
Par acte de commissaire de justice du 30 mai 2023, la SCI [Z] Frères a fait délivrer assignation à la SARL Établissements [Z] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu, aux fins de la voir condamner au règlement d'arriéré locatif d'un montant de 90.806,47 euros, ensuite d'un commandement visant la clause résolutoire dressé en date du 15 mars 2023 et resté infructueux, de juger la résiliation du bail les liant et d'ordonner l'expulsion immédiate de tout occupant des locaux loués sis [Adresse 1] à [Localité 2].
Par ordonnance du 10 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bourgoin-Jallieu a :
- dit n'y avoir lieu à référé,
- rejeté les demandes réciproques de la SCI [Z] Frères et de la SARL Établissements [Z],
- débouté les parties de leurs demandes de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI [Z] Frères aux entiers dépens.
Par déclaration du 25 octobre 2023, la SCI [Z] Frères a interjeté appel de cette ordonnance, sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de la SARL Établissements [Z] tendant à voir dire que le commandement n'a pas d'effet sur la prescription et déboutant cette dernière de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prétentions et moyens de la SCI [Z] Frères :
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 24 novembre 2023, la SCI [Z] Frères, demande à la cour au visa des articles 54 et 56, 648, 700, 751, 753, 834 et 835 du code de procédure civile, des articles 1103 et 1104, 1300 à 1303-4 du code civil et de l'article 145-41 du code de commerce de :
- infirmer l'ordonnance de référé du 10 octobre 2023 en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé, rejeté ses demandes et l'a condamnée aux dépens,
- juger l'absence de règlement des causes du commandement de payer par la société débitrice la SARL Établissements [Z],
Dès lors,
- juger en constatant l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de bail des locaux, par l'effet du commandement de payer la visant en date du 15 mars 2023, resté infructueux,
En conséquence,
- ordonner la résiliation du bail,
- ordonner l'expulsion immédiate de tout occupant du local [Adresse 1] à [Localité 2] ainsi que tout occupant de son chef, y compris, si besoin avec l'assistance de la force publique et/ou d'un serrurier,
- ordonner la séquestration des meubles et facultés immobilières se trouvant dans les lieux, soit dans l'immeuble, soit dans un garde meuble, au choix du défendeur et frais et risques de la défenderesse,
- condamner la SARL Établissements [Z] à lui régler, par provision la somme de 90.806,47 euros au titre des causes du commandement et des sommes dues au titre des mois d'avril et mai 2023, outre intérêts au taux contractuel,
- condamner la SARL Établissements [Z] à lui régler la somme de 1.498,81 euros à titre d'indemnité d'occupation mensuelle pour l'occupation postérieure à la délivrance du commandement de payer, outre intérêts au taux contractuel,
- débouter la SARL Établissements [Z] de toutes ses demandes,
Pour autant, juger qu'elle renonce au bénéfice du statut des baux commerciaux en sollicitant une gratuité de son occupation,
- condamner la SARL Établissements [Z] à lui régler la somme de 4.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sarl Établissements [Z] aux entiers dépens de l'instance lesquels comprendront les frais des commandements.
Au soutien de ses prétentions, elle expose que :
- le juge des référés devait faire application du contrat, constatant comme il l'indique aux termes de la motivation de l'ordonnance rendue le 10 octobre 2023, que les parties sont liées par un contrat de bail, lequel prévoit un loyer à acquitter, que le commandement visant la clause résolutoire a bien été délivré et devait, par application des stipulations contractuelles liant les parties, procéder à la condamnation des sommes non prescrites au titre du loyer et à la résiliation du bail,
- l'application stricte des dispositions dont certaines d'ordre public contenues aux articles 1103 et 1104 du code civil devait conduire le juge des référés à ordonner la résiliation du bail et à condamner au titre du contrat au paiement des loyers non prescrits alors que il ne saurait y avoir de contestation sérieuse lorsque l'obligation en cause est celle constatée par une disposition contractuelle claire, non équivoque, incontestée et le temps écoulé ne peut avoir d'autres conséquences que l'application des règles de la prescription et aucunement la disparition du titre ou de l'obligation,
- en opposant à des stipulations contractuelles claires et précises, pour autant constatées par le juge des référés lui-même, l'argumentaire de la SARL Établissements [Z] visant à faire état de sa turpitude et du défaut de règlement, le juge des référés a tranché au fond la contestation en faveur du débiteur et au détriment du contrat, ce qui ne relève pas du périmètre de sa compétence,
- à ce stade, l'argumentaire de la Sarl Établissements [Z] en référé, selon lequel le bail commercial antérieurement authentique se serait transformé donc en droit, nové, au bénéfice d'une convention à titre gratuit est irrecevable, la constatation et l'intention de nover relève du juge du fond, la jurisprudence étant, sur ce point, constante, cet argumentaire ne peut prospérer en référé,
- les sommes réclamées sont exigibles et il n'existe pas de contestation sérieuse, alors que :
* le positionnement de Mme [F] [Z], co-gérante de la SCI [Z] Frères visant à laisser accroire à une modification de la convention en une convention gratuite au profit de la SARL Établissements [Z] est, constitutif d'une faute du mandataire et ne peut aucunement être de nature à annihiler les paiements fixés et déterminés par le bail de 1997, qui avait été lui-même précédé d'un bail notarié de 1976,
* Mme [F] [Z] n'a pas qualité pour exonérer le locataire de tout paiement, seule une assemblée générale de l'ensemble des indivisaires aurait pu y procéder et cette décision est contestable et contraire à l'intérêt social, voir fautive.
Prétentions et moyens de la SARL Établissements [Z] :
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 15 décembre 2023, la SARL Établissements [Z] demande à la cour au visa des articles L.145-41 et suivants du code de commerce et des articles 2224 à 2241 et 1343-5 du code civil de :
- confirmer purement et simplement l'ordonnance de référé en ce qu'elle a constaté de multiples contestations sérieuses,
En tout état de cause,
- prononcer la prescription de toutes sommes remontant à cinq années avant l'assignation en date du 30 mai 2023,
A titre subsidiaire,
- échelonner dans la limite de deux années le paiement des sommes dues et dire que les échéances reportées porteront intérêts à taux réduit au moins égal au taux légal et que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital,
En tout état de cause,
- condamner la SCI [Z] Frères à lui payer la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, elle expose que :
- depuis le 1er janvier 2011, la SCI [Z] Frères a décidé de ne plus appeler le loyer de la SARL Établissements [Z] qui bénéficie de cette façon d'une occupation désormais gratuite,
- or, il n'y a eu aucune novation, mais simplement, force est de constater, comme l'a fait le juge des référés, que durant 12 ans la SARL Établissements [Z] a bénéficié d'une gratuité des loyers, de sorte que il doit être constaté qu'il existe un accord manifeste des parties de ne pas appeler les loyers depuis le 1er février 2011,
- la qualification juridique de la dispense de versement de loyers pendant plus de 12 années constitue une contestation sérieuse de la créance qui ne permet pas à la cour de constater que le commandement était fondé et que le bail doit être résilié,
Par jugement du 7 mai 2024, le tribunal de commerce de Vienne a prononcé la liquidation judiciaire simplifiée de la SARL Etablissements [Z] et désigné la SELARL MJ Alpes, représentée par Me [P] [I], en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 14 juin 2024, la cour d'appel a demandé aux parties, par note en délibéré sous 15 jours, de bien vouloir faire connaître leurs observations sur les conséquences de la liquidation judiciaire de la SARL Établissements [Z] sur l'instance en référé relative à la résiliation du bail et à l'expulsion du preneur.
Selon note en délibéré du 25 juin 2024, la SCI [Z] fait valoir que l'instance est interrompue conformément aux dispositions de l'article 369 du code de procédure civile, lequel dispose que l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire. Elle ajoute que ce même jugement entraîne, conformément aux dispositions de l'article L.622-21, arrêt des poursuites individuelles et qu'elle procède à la déclaration de sa créance dès lors que, par l'effet de la loi, elle considère qu'elle ne peux plus solliciter une condamnation de la société Établissements [Z], mais uniquement une éventuelle fixation au passif des sommes qui lui sont dues.
Selon note en délibéré du 26 juin 2024, la SARL Établissements [Z], fait valoir qu'il y a une interruption des poursuites du fait de la mise en liquidation judiciaire et que la SCI, qui a choisi de ne pas poursuivre la procédure en appelant en cause le mandataire liquidateur et en procédant à sa déclaration de créance, devra s'expliquer devant le juge-commissaire sur ce désistement intervenu de son propre chef et qu'il appartiendra donc au juge-commissaire d'accepter ou de rejeter la créance déclarée par le bailleur. Elle fait également valoir que la mesure d'expulsion est interrompue par la procédure collective et qu'il convient d'en rester à la décision de première instance sur ce sujet.
Selon seconde note en délibéré du 26 juin 2024, la SCI [Z] fait valoir que le juge des référés ne dispose pas de prérogatives d'appréciation du passif et que cette compétence est dévolue au juge commissaire, de sorte qu'il appartient au juge des référés de se dessaisir dès l'ouverture d'une procédure collective, ce qui est d'ailleurs la position de la cour en pareille situation et qu'enfin, nul ne saurait dénier que l'ordonnance de référé n'a pas autorité de la chose jugée, ni que le juge de l'admission au passif soit le juge commissaire et non la cour statuant en référé.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2024, l'affaire a été appelée à l'audience du 14 juin 2024 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 12 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, la cour relève qu'il n'est formé ni appel principal, ni appel incident à l'encontre des chef de l'ordonnance rejetant la demande de la SARL Établissements [Z] tendant à voir dire que le commandement n'a pas d'effet sur la prescription et déboutant cette dernière de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que ces chefs de dispositif ne sont pas dévolus à la cour.
Par ailleurs, la cour rappelle qu'elle a sollicité des parties uniquement une note en délibéré de sorte qu'elle n'est pas saisie des conclusions de désistement notifiées par l'appelante par voie dématérialisée le 25 juin 2024 et de la demande de report de la clôture en date du 6 juin 2024, étant au demeurant rappelé que de telles demandes méconnaissent absolument les principes qui président à la procédure civile alors que l'affaire a été appelée à l'audience du 14 juin 2024 et que la décision a été mise en délibéré pour être prononcée le 12 septembre 2024.
Aux termes de l'article L.622-21 I du code de commerce, le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
Ce principe d'arrêt des poursuites tendant au paiement d'une somme d'argent ou en résolution d'un contrat pour non paiement de sommes d'argent, est un principe d'ordre public, qui doit être relevé d'office par le juge.
Par ailleurs, s'agissant des instances en cours au jour de l'ouverture de la procédure, l'article L.622-22 du code de commerce dispose que sous réserve des dispositions de l'article L.625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa
créance. Ces instances sont reprises dès que le créancier a produit à la juridiction saisie une copie de la déclaration de sa créance et qu'il a mis en cause le mandataire judiciaire et l'administrateur, lorsque ce dernier a pour mission d'assister le débiteur, mais elles tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Cette procédure ne doit être suivie que pour les instances au fond ; l'article L.622-22 ne s'applique pas aux instances en référé, y compris lorsque l'ouverture de la procédure est intervenue pendant la procédure d'appel (Cass.com.12 juil. 1994, n°91-20.843; Cass. com., 6 oct.2009, n°08-12.416.; Cass.com. 29 septembre 2015, n°14-17.513; Cass. com. 9 juillet.2002, n°99-12.803.; Cass. com.15 mars 2005, n°03-16.450).
En application de ces dispositions, l'instance en référé tendant notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par un preneur à bail commercial contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par l'article L.622-21 I susvisé (Cass.com; 19 septembre 2018, n°17-13.210).
De même, selon la cour de cassation, la clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement des loyers et charges n'est définitivement acquise avant l'ouverture de la procédure collective du preneur que si cette acquisition est constatée par une décision de justice passée en force de chose jugée avant la date d'ouverture ; en l'absence d'une telle décision, le bailleur ne peut plus poursuivre l'action tendant à la constatation de la résiliation du bail (3ème Civ. 26 mai 2016, n°15-12 750; Cass. com 12 juillet 2017 n°16.10-167 ).
En l'espèce, la SCI [Z] Frères a interjeté appel de l'ordonnance de référé disant n'y avoir lieu à référé et rejetant ses demandes de voir constater la résiliation du bail consenti à la SARL Établissements [Z] sur des locaux commerciaux situés à Le Grand Temps, de voir ordonner l'expulsion de cette dernière et sa condamnation à lui payer une provision outre une indemnité d'occupation.
Or, cette instance en référé n'est pas interrompue par l'ouverture de la liquidation judiciaire de la SARL Établissements [Z] le 7 mai 2024 dès lors que l'article L.622-22 du code de commerce précité, ne s'applique pas aux instances en référé, y compris lorsque l'ouverture de la procédure est intervenue pendant la procédure d'appel, ce qui est le cas en l'espèce, l'appel ayant été interjeté le 25 octobre 2023.
En outre, l'action introduite par la SCI [Z] Frères, bailleresse, le 30 mai 2023, avant le placement en liquidation judiciaire le 7 mai 2024 de la SARL Établissements [Z], preneuse, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure et dont il a été interjeté appel le 25 octobre 2023 ne peut être poursuivie, dès lors qu'elle n'a ainsi donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée.
En conséquence, la cour, saisie de l'appel formé par la SCI [Z] contre l'ordonnance ayant dit n'y avoir lieu à référé, doit être confirmée, par substitution de motifs, le premier juge ayant fondé sa décision sur l'existence d'une contestation sérieuse.
Il convient également de condamner la SCI [Z] aux dépens et confirmer l'ordonnance déférée sur ce point. Enfin, il convient de débouter la SCI [Z] et la SARL Etablissements [Z] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme par substitution de motifs l'ordonnance déférée, en ses dispositions soumises à la cour,
Rejette les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCI [Z] aux dépens d'appel.
Signé par Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente et par Mme Alice RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.