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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 12 septembre 2024, n° 23/01903

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

A.Meunier Mère et Fils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

Me Mathieu, Me Cartier-Millon

T. com. Grenoble, du 27 mars 2023, n° 20…

27 mars 2023

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 19 novembre 1999 M. [V] [X] a régularisé avec M. [L] [J], agissant en qualité de président du conseil d'administration de la société A. Meunier Mère et Fils un acte de cession d'un fonds de commerce de produits à base de noix connu sous le nom commercial « Alpinox », exploité à [Localité 5] et créée le 8 octobre 1986 comprenant:

- l'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage y attachés,

- la marque « Alpinoix » déposée le 19 avril 1988 et enregistrée à l'Institut Nationale de la Propriété Industrielle (INPI) sous le numéro 1740274 dont le renouvellement a été oublié au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle sous le n° 98/22 NL.Vol II du 29 mai 1988,

- le bénéfice du contrat de non concurrence en date du 1er octobre 1999 entre le vendeur et la Sarl Pitot,

- le matériel, le mobilier commercial, servant à l'exploitation dudit fonds, décrits et estimés en un état dressé directement entre les parties et qui demeurera ci-annexé après mention.

L'acte comportait une clause de non concurrence interdisant au vendeur de créer ou de faire valoir aucun fonds de commerce similaire pendant une durée de 5 ans.

Par acte authentique en date du 30 novembre 2018, reçu par Maître [N] [W], notaire à [Localité 12], M. [X] a cédé à M. [C] [F], un fonds de commerce de négoce de noix, de cerneaux et d'huile de noix sis [Adresse 2] comprenant :

- l'enseigne, le nom commercial, la clientèle, l'achalandage y attachés,

- le fichier de clients déclarés auprès de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, dont la liste est demeurée ci-annexée,

- le site internet auquel est rattachée l'activité cédée, à savoir : « alpinoix.fr » et le nom du domaine : « Alpinox Producteur de Noix alpinoix.fr »,

- l'adresse mail « [Courriel 6] » (code d'accès : 69S93W34),

- l'adresse et les liens pour les réseaux sociaux : Facebook,

- la marque « Alpinoix » régulièrement enregistrée par décision de la Direction de l'Institut Nationale de la Propriété Industrielle (INPI) du 8 novembre 2010 sous le numéro 10 3 780 541 jusqu'en 2020,

- le mobilier commercial, les agencements et le matériel servant à son exploitation dont un inventaire descriptif et estimatif certifié sincère et véritable par les parties est annexé aux présentes,

- un véhicule automobile de marque Ford, type Transit, mis en circulation le 16 janvier 2004 immatriculé [Immatriculation 7],

- un stock de marchandise évalué au 30 novembre 2018 à 7.457,05 euros HT plus un encours auprès de La [Adresse 8] à [Localité 13],

Le prix convenu entre les parties était de 63.000 euros s'appliquant :

- aux éléments incorporels pour 45.000 euros,

- aux éléments corporels pour 17. 500 euros.

Par courrier en date du 15 novembre 2018, M. [F] a confirmé à M. [X] une promesse d'embauche en qualité de commercial en contrat à durée déterminée pour une période de 6 mois prévoyant une période d'essai d'un mois.

Le 6 janvier 2021, M. [F] a reçu une lettre de mise en demeure adressée par le conseil de la société A. Meunier Mère et Fils lui faisant interdiction d'utiliser le nom « Alpinoix » pour désigner son entreprise expliquant exploiter une activité de fabrication et commercialisation de spiritueux ainsi qu'une activité de vente de produits alimentaires et de produits régionaux à base de noix pour l'avoir acquise de M. [X], à compter du 19 novembre 1999, lequel fonds de commerce comporte le nom commercial et la marque « Alpinoix » déposée le 19 avril 1988 et enregistrée sous le numéro 1 740 274 et lui demandant de :

- radier la marque « Alpinoix » enregistrée sous le numéro 3 780 541, de cesser toute utilisation de la dénomination « Alpinoix» à quelque titre que ce soit, notamment au titre de la dénomination sociale, du nom commercial ou de la marque pour désigner des produits à base de noix,

- procéder au retrait des circuits commerciaux des produits revêtus de la dénomination « Alpinoix »,

- supprimer cette dénomination sur tous supports, notamment les étiquettes ainsi que le site internet www.alpinoix.com.

Par acte d'huissier du 6 juillet 2021, M. [F] a fait délivrer assignation à M. [X] devant le tribunal de commerce de Grenoble en indemnisation de ses préjudices.

Par jugement rendu le 27 mars 2023, le tribunal de commerce de Grenoble:

- s'est déclaré compétent pour connaître des demandes de M. [F],

- a condamné M. [X] à payer à M. [F] la somme de 10.000 euros au titre de réduction de prix, correspondant à la valorisation de la marque Alpinoix,

- a condamné M. [X] à payer à M. [F] la somme de 2.385 euros au titre des frais exposés pour modifier l'identité de l'entreprise,

- a condamné M. [X] à payer à M. [F] la somme de 1.500 euros au titre de l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- a jugé recevable et bien fondée la demande d'intervention volontaire de la société A. Meunier Mère et Fils,

- a débouté les parties de toute autre demande,

- a liquidé les dépens à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la décision.

Par déclaration du 16 mai 2015, M. [X] a interjeté appel de ce jugement sauf, en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de réparation du préjudice économique et moral.

Par conclusions d'incident en date du 20 juillet 2023, M. [V] [X] a saisi le conseiller chargé de la mise en état d'un incident consistant à voir déclarer le tribunal de commerce de Grenoble incompétent, de voir renvoyer le dossier devant la cour d'appel de Lyon et de voir condamner M. [F] à verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance juridictionnelle en date du 19 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable devant lui la demande de M. [X] tendant à voir déclarer incompétent le tribunal de commerce de Grenoble et à renvoyer le dossier devant la cour d'appel de Lyon et condamné M. [X] à payer à M. [F] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'incident.

Prétentions et moyens de [V] [X] :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le 17 janvier 2024, M. [X], demande à la cour au visa des articles 1101,1603 et 1217 du code civil et de l'article L.7121 du code de la propriété intellectuelle de :

- constater qu'il a pleinement respecté son obligation de délivrance,

- dire et juger que la marque était tombée dans le domaine public et en conséquence,

- dire et juger qu'il n'a commis aucune faute,

En conséquence,

- débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que le préjudice allégué par le demandeur n'est en rien justifié et le débouter de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [F] à lui payer la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [F] aux entiers dépens.

Pour contester sa responsabilité, il expose que :

- en application de l'article L.712-1 du code de la propriété intellectuelle dans sa version en vigueur depuis le 3 juillet 1992, l'enregistrement d'une marque produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande pour une période de dix ans indéfiniment renouvelable,

- à défaut de renouvellement, la marque tombe dans le domaine public et chacun peut en prendre possession. Le renouvellement s'effectue auprès de l'INPI par simple déclaration, accompagnée du paiement de la redevance correspondante,

- or, si par un acte du 19 novembre 1999 M. [X] a cédé son fonds de commerce à M. [J] notamment la marque, il n'était limité par une interdiction de concurrence que pour une durée de 5 ans, qu'il était donc libre de toute action de concurrence le 20 novembre 2004,

- en outre, en application de l'article L.712-1 du code de la propriété intellectuelle il a pu librement déposer le 8 novembre 2010 la marque Alpinoix, abandonnée par l'acquéreur,

- un dépôt de marque offre une protection à son titulaire pour une période de 10 ans, et l'enregistrement de la marque peut se renouveler indéfiniment, par période de 10 ans, mais il faut toutefois que le titulaire en fasse la demande à l'INPI,

- si depuis le 11 décembre 2019, l'lNPI a l'obligation d'informer le titulaire d'une marque de l'arrivée de l'expiration de l'enregistrement de son dépôt, cette mesure n'existait pas auparavant, et c'est à bon droit qu'il a pu déposer la marque, sans préjudice aucun, puisque le soi-disant titulaire ne s'en est aperçu que dix ans après,

- au moment de la signature du contrat avec M. [F], la marque était valablement la propriété de M. [X] et d'ailleurs, aucune action judiciaire n'a été engagée contre lui du fait de l'inscription de la marque et la validité du dépôt n'est pas contestée, et donc il ne saurait se voir reprocher la moindre faute,

- M. [F] n'explique pas en quoi le fait qu'il ait vendu sa marque une première fois lui porterait préjudice et au demeurant il aura fallu plus de vingt ans au premier acquéreur pour s'apercevoir que la marque avait été perdue,

- M. [F] ne peut alléguer de l'application des dispositions de l'article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle, alors qu'il n'a en aucun cas porté atteinte à des droits antérieurs, puisque la marque était libre.

Pour s'opposer au montant des sommes réclamées, il indique que la somme de 45.000 euros réclamée correspondant à l'intégralité des éléments incorporels est démesurée et injustifiée alors que:

- M. [F] travaille depuis des années et continue de le faire, si bien qu'il tire des revenus de son activité qui ne peut avoir perdu l'intégralité de sa valeur,

- le fonds de commerce comprenait aussi le droit au bail, et le fichier clientèle transmis avec une totale bonne foi, ces éléments contribuent aujourd'hui encore à l'activité du fonds de commerce vendu,

- aucun justificatif comptable n'est communiqué, de sorte que cette demande sera donc rejetée,

- les devis ont été effectués pour les besoins de la cause, s'il y avait eu un vrai préjudice, la cour serait en possession de factures,

- les clients de cette activité suivent un vendeur pour ses compétences, et la qualité de ses produits et de ses réseaux, et non pour une marque, à la notoriété relative, puisque ses deux acquéreurs l'ont oubliée,

- aucune motivation n'accompagne la décision de condamnation,

- la valorisation de la marque n'est accompagnée d'aucune étude, ou aucune pièce,

- au demeurant, durant plus de 20 ans les premiers acquéreurs ont continué à travailler sans être titulaire de la marque,

- l'essentiel des éléments incorporels réside dans le fichier clients de l'entreprise vendu, dans son réseau, la marque n'était que l'habillage.

Prétentions et moyens de M. [F]:

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée le18 mars 2024, M. [F] demande à la cour au visa des articles 1603 et suivants et 1217 et suivants du code civil de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer dans le présent litige,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a jugé que M. [X] avait manqué à ses obligations contractuelles et qu'il devait être condamné à l'indemniser,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce quant au quantum de l'indemnisation accordée,

Statuant à nouveau :

- condamner M. [X] à lui payer :

* la somme de 45.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'éviction sur les éléments incorporels du fonds de commerce,

* la somme de 5.057,77 euros au titre du préjudice matériel subi pour modifier l'identité de son entreprise,

- la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice économique et moral,

- condamner M. [X] au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de sa demande de condamnation de M. [X], il expose que ce dernier a manqué à son obligation de délivrance des éléments du fonds de commerce et à garantir un usage paisible du fonds de commerce alors que :

- lors des négociations entreprises en vue d'aboutir à la réalisation de la vente, M. [X] n'a jamais fait état du fait qu'il avait précédemment développé une activité identique de négoce de produits à base de noix sous le nom « Alpinoix » et qu'il l'avait déjà vendu à un autre opérateur économique situé dans la région de [Localité 9],

- M. [X] a commis une faute en cédant le nom « Alpinoix » alors qu'il avait cédé précédemment ce nom à la société Meunier, qu'il savait que celle-ci l'utilisait et commercialisait, dans le même secteur géographique que lui, des produits à base de noix et ce faisant, il l'a privé de la possibilité d'utiliser le vocable « Alpinoix » à titre de nom commercial et d'enseigne, parfaitement indépendamment du fait qu'il ait frauduleusement déposé la même marque après l'avoir cédée,

- M. [X] ne pouvait céder une enseigne et un nom commercial qu'il avait déjà cédés auparavant,

- en conservant secrète la première vente, M. [X] a manqué de loyauté envers lui et a délibérément cherché à le tromper,

- il peut mettre en jeu la garantie d'éviction qui impose au vendeur de lui garantir une jouissance paisible de la chose achetée.

Il fait également valoir qu'en s'abstenant de lui délivrer l'information portant sur l'existence de la première vente, de nature à compromettre l'exploitation du fonds de commerce, M. [X] a clairement violé les dispositions de l'article 1112-1 du code civil relatives au devoir d'information.

Il ajoute que M. [X] ne s'est pas contenté de taire une information capitale sur le fonds de commerce, mais il a fait de fausses déclarations en vue de le rassurer sur les bonnes conditions d'exploitation du fonds de commerce puisqu'il est expressément précisé dans l'acte de cession que M. [X] déclare concernant la marque : « le cédant garantit l'existence du monopole ainsi cédé» et « la marque n'a fait l'objet d'aucune cession ».

Il soutient encore que le nouveau dépôt de la marque par M. [X] postérieurement à la cession est frauduleux en vertu de l'article L.711-4 du code de la propriété intellectuelle au terme duquel « ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : a) A une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la convention de [Localité 11] pour la protection de la propriété industrielle » et si cet article a été abrogé le 15 décembre 2019, il n'en demeure pas moins qu'il était parfaitement valable au moment où M.[X] a réenregistré sa marque en 2010 et en outre, le principe de l'antériorité d'une marque demeure parfaitement applicable.

Il conteste toute négligence et indique avoir procédé au renouvellement de la marque en temps et en heure comme le démontre le renouvellement de marque produit.

Compte tenu du risque de confusion avec les produits distribués par la société Meunier Mère et Fils à base de noix et sous la même marque, il s'est trouvé contraint de changer de nom pour son activité qui se dénomme désormais « O'Champs du Paradis » mais il s'agit toujours d'une activité de vente de noix et de produits à base de noix et non pas de vente de fraises comme le prétend faussement M. [X].

S'agissant de son préjudice, il indique que :

- il subi un préjudice d'éviction puisqu'il n'a pu utiliser les éléments incorporels cédés et a été contraint de changer de logo, de nom, de charte graphique, de marque sous laquelle il commercialise ses produits et de site web,

- il sollicite donc que lui soit remboursée la fraction du prix affectée à ces éléments à hauteur de 45.000 euros, laquelle demande est parfaitement justifiée puisque l'ensemble des éléments incorporels cédés par M. [X] reposaient sur la légitimité d'utiliser le nom Alpinoix à titre de nom commercial ou d'enseigne.

- il subit un préjudice matériel qu'il chiffre à la somme de 5.057,77 euros correspondant au changement de son site internet, au rachat d'un nom de domaine et au changement de logo et de communication et justifie du devis du designer pour le nouveau logo « O champs du paradis » et les étiquettes pour un montant de 2.015 euros, du devis pour le nouveau nom de domaine et la mise à jour du site web pour 370 euros et de la photographie de toutes les anciennes étiquettes Alpinoix qui ont dues être jetées pour un montant de 2.672,77 euros,

- il subit un préjudice moral puisqu'il a été trompé par M. [X] et un préjudice économique puisqu'il doit consacrer du temps et de l'énergie à modifier son identité commerciale et à expliquer aux clients par téléphone ou autre le changement de nom, la différence avec les établissements Meunier, ce qui constitue un véritable préjudice, de sorte que ces deux préjudices seront réparés par l'octroi de la somme de 10.000 euros.

La société A. Meunier Mère et Fils, n'ayant pas constitué avocat dans le délai légal, la déclaration d'appel lui a été signifiée à personne habilitée par acte d'huissier du 4 juillet 2023. M. [X] a fait signifier selon remise à personne à la société A. Meunier Mère et Fils ses premières conclusions selon acte d'huissier du 12 septembre 2023. M. [F] a fait signifier ses conclusions selon remise à personne à la société A. Meunier Mère et Fils par acte d'huissier du 8 novembre 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2024 l'affaire a été appelée à l'audience du 30 mai 2024 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 12 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Bien qu'il ait interjeté appel de la disposition du jugement se déclarant compétent pour connaître des demandes de M. [F], l'appelant n'entend pas, en l'état de ses écritures, voir infirmer le jugement sur ce point, de sorte que cette disposition du jugement, non critiquée, est confirmée.

Sur les demandes indemnitaires de M. [F]

L'article 12 du code de procédure civile oblige le juge à trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et à donner ou restituer leur exacte qualification aux actes et faits litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions .

Il entre dans l'office du juge de rechercher la règle de droit adéquate et il lui appartient de vérifier l'exactitude de la qualification juridique des faits invoqués par les parties. En l'absence de toute précision dans les écritures du fondement juridique, les juges du fond doivent examiner les faits sous tous leurs aspects juridiques conformément aux règles de droit qui leur sont applicables ( Civ3. 27 juin 2006 n° 05 15394 ). En revanche, il ne leur est pas fait obligation de changer le fondement juridique de la demande, dès lors que le demandeur a précisé celui-ci (Assemblée plénière 21 décembre 2007 n°06 11343).

En l'espèce, dans le dispositif de ses écritures, M. [F] fonde ses demandes indemnitaires à l'encontre de M. [X] sur les dispositions des articles 1603 et suivants et 1217 et suivants du code civil.

Dans les motifs de ses écritures, il invoque également les articles 1104, 1603, 1625 et 1231-1 du code civil et fait reproche à M. [X] d'avoir commis une faute contractuelle en lui cédant la marque Alpinoix, ainsi que l'enseigne et le nom commercial qu'il avait précédemment cédé à la société A. Meunier Mère et Fils, d'avoir manqué à son obligation d'information, d'avoir fait preuve de mauvaise foi contractuelle et d'avoir manqué à son obligation de lui garantir une jouissance paisible du fonds de commerce et d'avoir manqué à l'exécution de ses obligations.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que la demande formée par M. [F] s'analyse en une demande de dommages et intérêts pour manquement de M. [X] à ses obligations contractuelles notamment de bonne foi et d'information.

Or, il est constant qu'après avoir, selon acte du 19 novembre 1999, cédé à la société A. Meunier Mère et Fils un fonds de commerce de produits à base de noix connu sous le nom commercial « Alpinox », exploité sis [Adresse 2] ainsi que la marque « Alpinoix» déposée le 19 avril 1988 et enregistrée à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) sous le numéro 1740274 dont le renouvellement a été publié au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle le 29 mai 1988, M. [X] a, selon acte authentique en date du 30 novembre 2018 reçu par Maître [N] [W], notaire à [Localité 12], cédé à M. [C] [F], un fonds de commerce de négoce de noix, de cerneaux et d'huile de noix sis [Adresse 2] ainsi que la marque « Alpinoix » enregistrée par décision de la Direction de l'Institut Nationale de la Propriété Industrielle (INPI) du 8 novembre 2010 sous le numéro 10 3 780 541 jusqu'en 2020.

Or, quand bien même M. [X] serait autorisé à déposer à nouveau la marque « Alpinoix », en 2010, ce qui n'est pas démontré, alors que si la société A. Meunier Mère et Fils admet par la voix de son conseil dans un courrier du 6 janvier 2021 ne pas avoir procédé au renouvellement de la marque litigieuse, il ressort également des dispositions de l'article L.711-3 4° du code de la propriété intellectuelle, qu'une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment à un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, dont la portée n'est pas seulement locale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle, la cour relève, en tout état de cause, que l'intimé, qui a cédé une première fois son fonds de commerce de produits de noix, avant de reconstituer le même fonds et de le vendre à nouveau 19 ans plus tard à M. [F] sans l'informer de l'existence de la première cession à la société A. Meunier Mère et Fils exploitant des produits similaires dans le même département de l'Isère, et en insérant dans l'acte de vente une mention indiquant que la marque n'a fait l'objet d'aucune cession, a commis une grave déloyauté contractuelle et manqué à sa plus élémentaire obligation d'information.

Il résulte également des éléments de la procédure qu'après avoir été mis en demeure par la société Meunier Mère et Fils le 6 janvier 2021 d'avoir à cesser toute utilisation de la marque « Alpinoix » à quelque titre que ce soit et de retirer des circuits commerciaux les produits revêtus de cette dénomination, M. [F], a modifié le nom commercial sous lequel il exerce son activité de négoce de cerneaux de noix et d'huile de noix, pour adopter la dénomination « O champs du paradis ».

Si M. [F] sollicite la somme de 45.000 euros au titre de l'éviction sur les éléments incorporels du fonds de commerce, force est de constater que s'il a modifié son nom de domaine, il ne démontre pas avoir été évincé par la société Meunier Mère et Fils et produit même aux débats un récapitulatif de déclaration de renouvellement de la marque Alpinoix auprès de l'INPI en date du 5 mai 2021, de sorte que c'est à tort que le jugement déféré a retenu ce préjudice.

En l'absence de preuve de cette éviction, M. [F] n'est pas davantage fondé à demander paiement de la somme de 5.057,77 euros au titre de frais de la modification de l'identité de son entreprise, alors au demeurant que comme le relève justement M [X], il n'est justifié que d'un devis relatif à la création d'un nouveau nom de domaine pour la somme de 370 euros, outre un devis pour la création d'un logo d'entreprise et d'étiquettes pour la somme de 2. 015 euros à l'exclusion des factures correspondantes. Il convient donc d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [X] à verser à M. [F] la somme de 2.385 euros ( soit la somme de 370 euros pour la création d'un nouveau nom de domaine et la somme de 2.015 euros pour la création d'un logo d'entreprise et d'étiquettes).

M. [F] qui se prévaut d'un préjudice économique et moral qu'il chiffre à hauteur de 10.000 euros, ne produit aucune offre de preuve et notamment aucune pièce financière et comptable relative à son entreprise de nature à justifier le dommage économique revendiqué, étant précisé qu'il n'allègue aucunement de l'existence d'une baisse d'activité suite au changement de sa dénomination sociale. En revanche, il est incontestable que M. [F], qui a été trompé par M. [X], lequel a gardé le silence sur la cession de son fonds de commerce de vente de noix exploité sous la marque Alpinoix en 1999, a subi un préjudice moral, résultant notamment de l'incertitude et de l'inconfort dans lesquels l'a nécessairement placé la mise en demeure adressée par la société Meunier Mère et fils d'avoir à cesser toute utilisation de la dénomination « Alpinoix » et qui sera justement réparé par l'octroi de la somme de 5.000 euros. Il convient donc de condamner également M. [X] à lui payer cette somme et de réformer le jugement déféré sur ce point.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens

M. [V] [X] doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à M. [C] [F] la somme de 3.000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel. Il convient en outre de confirmer le jugement déféré sur ces points. Il y a également lieu de débouter M. [V] [X] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné M. [V] [X] à payer à M. [C] [F] la somme de 10.000 euros au titre de réduction de prix, correspondant à la valorisation de la marque « Alpinoix » et en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande en réparation de son préjudice moral et en ce qu'il a condamné M. [X] à verser à M. [F] la somme de 2.385 euros,

Confirme le jugement déféré pour le surplus,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne M. [V] [X] à payer à M. [C] [F] la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral,

Condamne M. [V] [X] à payer à M. [C] [F] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne M. [V] [X] aux dépens d'appel,

Déboute M. [V] [X] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.