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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-3, 5 septembre 2024, n° 21/05313

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SCCV Le Quatre (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perret

Conseillers :

Mme Girault, M. Maumont

Avocats :

Me Gourion-Richard, Me Martin Imperatori, Me Cheysson, Me Chehat, Me Dubois-Spaenle

TJ Nanterre, 2e ch., du 10 juin 2021, n°…

10 juin 2021

FAITS ET PROCEDURE :

La ville de [Localité 8], aménageur de l'écoquartier des [Localité 6], a lancé au premier trimestre 2015 une consultation d'acquéreurs, notamment pour le lot 4ter de la zone d'aménagement concerté (ZAC) des [Localité 6], à savoir un terrain de 587 m2, cadastré section H n°[Cadastre 2], correspondant à la description suivante : " Lot n°4 ter bis dans l'ilot Sud pour une constructibilité totale de 3 756 m2 de surface de plancher dont 3 510 m2 de surface de plancher de bureaux et 246 m2 de surface de plancher de commerces, sur la base d'un prix minimum de 5 200 200 euros HT".

Par délibération n° 74 du conseil municipal de [Localité 8] du 8 octobre 2015, l'offre d'achat du terrain nu émanant du groupement constitué entre les sociétés ldevi, Palladio et Spinc (ci-après " le groupement ") a été retenue au prix de 5 270 400 euros HT, complété d'un intéressement au bénéfice de 20 % de l'amélioration du chiffre d'affaires par rapport à 30 974 200 euros, consenti au bénéfice de la ville. La promesse devait être formalisée au plus tard le 30 mars 2016 et la réitération intervenir au plus tard le 28 février 2017.

Pendant trois ans, le groupement a engagé des études et conçu un projet en concertation avec la ville de [Localité 8] qui a modifié plusieurs fois le calendrier prévisionnel.

Il a déposé une demande de permis de construire à la mairie de [Localité 8] le 15 mai 2017. L'agrément préfectoral pour la construction des bureaux a été donné le 12 juillet 2017. Le cahier des charges de cession de terrains (CCCT) a été approuvé par arrêté municipal du 25 août 2017.

Le 29 septembre 2017, une promesse unilatérale de vente du terrain a été régularisée entre le groupement et la commune de [Localité 8], prévoyant notamment :

- la signature de l'acte authentique de vente au plus tard le 31 mai 2018, sous réserve de réalisation des conditions suspensives, et sauf prorogation,

- une condition suspensive stipulée au profit du promettant et du bénéficiaire prévoyant l'obtention par le bénéficiaire d'un permis de construire exprès, purgé de tout recours, autorisant la réalisation de l'opération de construction,

- une condition suspensive stipulée au profit du bénéficiaire (le groupement) liée à la régularisation de contrats de réservation portant sur au moins 35% du nombre de mètres carrés de bureaux dépendant de l'immeuble.

Par arrêté du 4 octobre 2017, la maire de [Localité 8] a accordé le permis de construire qui est devenu définitif le 20 mars 2018. Il a été transféré, par arrêté du 7 août 2018, à la société [Localité 8] Le Quatre, dont les associés sont les sociétés Idevi et Palladio, qui s'est substituée dans les droits et obligations du groupement.

Le 30 octobre 2018, la commune de [Localité 8] a pris acte de la renonciation de la société [Localité 8] Le Quatre à se prévaloir de la condition suspensive d'une pré-commercialisation de 35 % du nombre de mètres carrés de bureau.

Par acte authentique du 20 décembre 2018, la société Banque cantonale de Genève a prêté à la société [Localité 8] Le Quatre une somme de 6 850 000 euros pour l'acquisition sur une durée de 3 ans, remboursable par affectation de 100 % du prix de la revente et au plus tard in fine.

En exécution d'une délibération du conseil municipal du 13 décembre 2018 et, par acte authentique du 21 décembre 2018, la ville de [Localité 8] a vendu à la société [Localité 8] Le Quatre le lot 4 ter de l'écoquartier [Adresse 9] au prix de 6 876 072 euros dont 4 011 042 payés comptant le jour de la signature, et 2 865 030 payable à terme, le 21 décembre 2019 au plus tard.

Aux termes de cet acte, l'acquéreur s'est engagé à entreprendre les travaux de construction dans un délai d'un an et à fournir au plus tard le 21 décembre 2019, une garantie d'achèvement des travaux devant profiter à la commune de [Localité 8] et à tout acquéreur des locaux à construire. Il y est également visé la renonciation de la société [Localité 8] Le Quatre aux 35 % de commercialisation.

L'acte comporte en outre une clause sanctionnant l'absence de commencement des travaux dans les délais impartis et prévoyant outre la restitution du bien à la venderesse, la restitution à l'acquéreur du prix de cession, diminué de 10 %, à titre de dommages et intérêts forfaitaires.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 décembre 2019, la société [Localité 8] Le Quatre a écrit à la maire de [Localité 8] et lui a demandé confirmation de la renonciation de la ville à mettre en 'uvre la clause résolutoire, faisant état de trois rendez-vous les 25 septembre, 20 novembre et 9 décembre 2019 lors desquels les services de la commune lui auraient fait part " du souhait de la ville de reconsidérer le développement de l'opération prévue sur le lot 4 Ter au profit d'une zone d'espace vert " et où auraient été recherchées des modalités amiables de mise en 'uvre de cette décision avec indemnisation des dépenses engagées.

Par lettre du 18 décembre 2019, le notaire de la commune a confirmé le souhait de la ville de " poursuivre la vente " et a rappelé les engagements de travaux de l'acquéreur et leur sanction.

Par lettre remise à personne du 20 décembre 2019, la société [Localité 8] Le Quatre a indiqué que le non-respect des engagements de démarrage des travaux était la conséquence directe du souhait de la ville de réaliser un espace vert en lieu et place de l'immeuble envisagé sur l'ilot 4 ter, situation qui l'a conduite à suspendre la commercialisation de l'opération. Elle y relevait par ailleurs que le terrain n'était pas libre de toute occupation puisque servant de lieu de stockage pour une entreprise disposant d'un marché avec la commune.

Les travaux n'ont pas débuté.

Par courrier du 20 février 2020, le conseil de la commune de [Localité 8] a indiqué à celui de la société [Localité 8] Le Quatre que celle-ci était en situation d'inexécution contractuelle résultant de ses difficultés de commercialisation, raison pour laquelle la ville lui avait proposé " d'étudier la faisabilité d'une rétrocession du lot 4 Ter en échange d'un autre lot sur la ZAC plus facile à commercialiser " et qu'elle n'était pour rien dans sa carence à exécuter leurs engagements contractuels.

Aucun accord amiable n'ayant été trouvé, la société Puteaux Le Quatre a présenté une requête pour être autorisée à assigner la ville de Puteaux à jour fixe devant le tribunal judiciaire de Nanterre, en résolution de la vente aux torts du vendeur, justifiant l'urgence par les engagements financiers auxquels elle devait faire face du fait de l'impossibilité de réaliser le projet immobilier sur son terrain.

L'autorisation a été donnée le 30 novembre 2020 et la société [Localité 8] Le Quatre a fait assigner la ville de [Localité 8] par acte du 9 décembre 2020.

Le même jour, la commune de [Localité 8] et l'établissement public territorial Paris Ouest La Défense ont fait signifier à la société [Localité 8] Le Quatre :

- une sommation d'avoir à commencer les travaux de construction dans le délai d'un mois et leur intention, à défaut, de se prévaloir de la clause pénale et résolutoire de l'acte de vente ;

- un commandement de payer le solde du prix de vente de 2 865 030 euros ou de remettre une garantie de paiement et leur intention, à défaut, de se prévaloir de la clause pénale et résolutoire de l'acte de vente.

A l'audience du 28 janvier 2021, l'affaire a été renvoyée au 15 avril 2021.

Le 30 janvier 2021, le service de publicité foncière de Nanterre 3 a certifié que la société [Localité 8] Le Quatre avait fait une demande de publication de l'assignation. Par courriel du 9 mars 2021, ce même service a indiqué subir un retard de huit mois pour la publication des actes de sorte qu'il ne serait pas en mesure de transmettre avant septembre 2021 la mention de publicité visée à l'article 30.5 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955.

Par jugement du 10 juin 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- débouté la société [Localité 8] Le Quatre de l'ensemble de ses demandes,

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire de l'acte de vente du 21 décembre 2018 au 10 janvier 2021,

- condamné la commune de [Localité 8] à restituer à la société [Localité 8] Le Quatre la fraction de prix payée de 4 011 042 euros diminuée de 10% du prix de la cession, conformément à la convention des parties,

- ordonné la publication du jugement au service de publicité foncière compétent,

- condamné la société [Localité 8] Le Quatre aux dépens,

- condamné la société [Localité 8] Le Quatre à payer à la commune de [Localité 8] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par acte du 18 août 2021, la société [Localité 8] Le Quatre a interjeté appel.

Par acte authentique du 17 décembre 2021, les parties ont constaté le transfert de propriété du terrain litigieux et la commune a restitué à la société [Localité 8] Le Quatre la fraction du prix de vente payé aux termes de l'acte de vente du 21 décembre 2018, déduction faite de la somme de 573 006 euros correspondant à 10 % du prix de cession hors taxes.

Par dernières écritures du 21 février 2024, la société [Localité 8] Le Quatre prie la cour de :

- la déclarer recevable et fondée en son appel,

Y faisant droit,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a :

* débouté la société [Localité 8] Le Quatre de l'ensemble de ses demandes,

* constaté l'acquisition de la clause résolutoire de l'acte de vente du 21 décembre 2018 au 10 janvier 2021,

* condamné la commune de [Localité 8] à restituer à la société [Localité 8] Le Quatre la fraction de prix payée de 4 011 042 euros diminuée de 10% du prix de la cession,

* ordonné la publication du jugement au service de publicité foncière compétent,

* condamné la société [Localité 8] Le Quatre aux dépens,

* condamné la société [Localité 8] Le Quatre à payer à la commune de [Localité 8] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

En conséquence,

A titre principal,

- retenir la mauvaise foi de la ville de [Localité 8] dans l'exécution de la vente conclue avec la société [Localité 8] Le Quatre le 21 décembre 2018,

- déclarer l'éviction, par la ville de [Localité 8], dont souffre la société [Localité 8] Le Quatre dans la possession paisible du lot 4 ter de l'ilot Sud de la [Adresse 9], situé [Adresse 1],

A titre subsidiaire,

- caractériser l'absence de délivrance par la ville de [Localité 8] à la société [Localité 8] Le Quatre du lot 4 ter de l'ilot sud de la [Adresse 9], situé [Adresse 1], objet de la vente conclue entre la ville de [Localité 8] et la société [Localité 8] Le Quatre le 21 décembre 2018,

En toute hypothèse,

- prononcer la résolution de la vente conclue entre la ville de [Localité 8] et la société [Localité 8] Le Quatre le 21 décembre 2018, aux torts exclusifs de la ville de [Localité 8],

- condamner la ville de [Localité 8] à restituer à la société [Localité 8] Le Quatre la somme de 573 006 euros correspondant à 10% du prix de cession et conservée par la ville de [Localité 8] lors de la conclusion de l'acte en date du 17 décembre 2021 constatant l'exécution du jugement entrepris,

- condamner la ville de [Localité 8] à payer à la société [Localité 8] Le Quatre la somme de 6 621 368,97 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la société [Localité 8] Le Quatre du fait des agissements de la ville de [Localité 8],

- débouter la ville de [Localité 8] de l'intégralité de ses demandes,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au service de la publicité foncière compétent, aux frais de la ville de [Localité 8],

- condamner la ville de [Localité 8] à payer la somme de 10 000 euros à la société [Localité 8] Le Quatre au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la ville de [Localité 8] aux entiers dépens,

- dire qu'ils pourront être directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que :

- alors que la commercialisation était en cours, la ville a soudainement annoncé qu'elle mettait un terme au projet, préférant créer en lieu et place de l'immeuble à construire un espace vert ; il a alors été proposé à la société [Localité 8] Le Quatre une indemnisation ainsi qu'un projet de substitution, propositions qui ne se sont toutefois jamais concrétisées ;

- la ville a manqué à son obligation de délivrance, en ce que l'encombrement du terrain litigieux par les matériels et matériaux d'une société partenaire de la ville, démontre que cette dernière n'a jamais souhaité lui donner la pleine possession du terrain ;

- la ville a manqué à sa garantie d'éviction en faisant subir à son acquéreur, d'une part, une éviction matérielle, en ce qu'elle est à l'origine de la présence continue d'entreprises de travaux publics sur le terrain vendu et, d'autre part, une éviction morale, compte tenu de ses velléités de modification du projet d'aménagement, de nature à décourager les investisseurs potentiels et à générer un doute sur le véritable propriétaire des terrains ;

- la ville a manqué à son obligation de bonne foi puisqu'alors qu'elle avait intérêt à ce que son acquéreur exécute son engagement de réalisation des travaux dans les délais, elle l'a délibérément empêché de le faire en décidant de la réalisation d'un jardin en lieu et place du programme de construction ;

- la résolution de la vente devant être prononcée aux torts exclusifs de la ville, celle-ci se trouve redevable, outre de la restitution de l'intégralité du prix, de dommages-intérêts destinés à l'indemniser de l'ensemble des dépenses liées au développement du projet (2 962 900, 97 euros) et du gain manqué (3 658 468 euros, soit 11, 8 % du chiffre d'affaires de l'opération visé dans l'acte de vente) ;

- la clause dont se prévaut la ville a été rédigée de manière équivoque et ne peut valoir comme clause résolutoire ; elle ne peut emporter aucun effet, de sorte que le juge ne peut pas simplement constater la résolution de plein droit et doit retrouver son plein pouvoir d'appréciation ; à cet égard, il lui appartient de vérifier si des éléments ont pu conduire à ce que l'acquéreur se retrouve, du fait du vendeur, dans une situation le contraignant à ne pas exécuter l'une de ses obligations, et à prendre en compte le jeu de l'exception d'inexécution ;

- en outre, il est de jurisprudence constante qu'une clause résolutoire n'est pas acquise, si elle a été mise en 'uvre de mauvaise foi par le créancier ou si c'est la propre inexécution du créancier qui est à l'origine de l'inexécution qu'il allègue ;

- en lui annonçant, ainsi qu'au public, sa volonté de réaliser un jardin à la place du programme de construction, la ville l'a délibérément empêchée de réaliser son projet et d'exécuter son obligation de commencer les travaux dans les délais impartis ; elle a en outre délibérément refusé de faire application de l'article 20.2 prévoyant une période de rencontre, suspendant toutes sanctions ;

- de surcroît, l'occupation illégale de son terrain, dont la commune est à l'origine pour avoir donné l'autorisation à une entreprise chargée de réaliser des travaux pour son compte de stocker du matériel sur le terrain vendu, a également contribué à empêcher le début des travaux ;

- pour les mêmes motifs, la résolution judiciaire ne peut être obtenue pour défaut de réalisation des travaux dans les délais, alors que cette situation est imputable à la commune et cette dernière ne peut pas davantage invoquer le défaut de paiement du solde du prix puisqu'il est stipulé dans l'acte de vente la renonciation à une telle cause de résolution et que la ville n'a pas même tenté d'appeler la garantie à première demande souscrite.

Par dernières écritures du 16 février 2024, la commune de [Localité 8] prie la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire,

- juger que la société [Localité 8] Le Quatre n'a pas réglé la partie du prix payable à terme, le 21 décembre 2019 au plus tard,

- prononcer la résolution de la vente aux torts de la société [Localité 8] Le Quatre,

- confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal judiciaire de Nanterre a débouté la société Puteaux Le Quatre de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal judiciaire de Nanterre a condamné la société Puteaux Le Quatre aux dépens, ainsi qu'à payer à la commune de Puteaux la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause,

- ordonner la publication du " jugement " à intervenir au service de publicité foncière compétent,

- condamner la société [Localité 8] Le Quatre à régler à la commune de [Localité 8] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec recouvrement direct, selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamner la société [Localité 8] Le Quatre aux entiers dépens.

A cet effet, elle fait valoir que :

- elle a tout mis en 'uvre pour que le programme immobilier de la société [Localité 8] Le Quatre voit le jour, acceptant l'ensemble des demandes de modification du calendrier prévisionnel comme les demandes de prorogation de permis de construire ; c'est fort opportunément, à quelques jours seulement de la date d'exigibilité de ses obligations que l'acquéreur a tenté de faire supporter à la commune son incapacité à commercialiser le projet en imaginant que l'échec de la commercialisation aurait pour origine la volonté de la commune de lui substituer un projet de jardin public qui n'a pourtant jamais été prévu par la ville ;

- elle n'est à l'origine d'aucune éviction ; elle est étrangère au trouble allégué tenant à l'occupation du terrain par des engins de chantier, qui n'est pas établi et qui serait en tout cas le fait d'un tiers dont il n'est pas démontré qu'il aurait reçu une quelconque autorisation de la mairie ; en outre, le projet de jardin, qui n'a jamais été porté par la ville, repose sur les seules allégations fallacieuses de l'appelante qui, ce faisant, se prévaut non d'un trouble dans la possession paisible de la chose mais d'un simple trouble " moral " ;

- l'obligation de délivrance du terrain a été remplie le jour de la signature de l'acte de vente, soit le 21 décembre 2018, l'acquéreur en ayant eu la jouissance pleine et entière à compter de cette date, étant précisé, d'une part, que l'appelante ne s'est jamais plainte auprès de la ville de la présence de stocks et d'engins de chantier sur son terrain avant le 20 décembre 2019, soit près d'un an après la signature de l'acte de vente ; d'autre part, que la ville a accordé le permis de construire et l'a même prorogé le 3 juillet 2020 ;

- outre que la mauvaise foi dans l'exécution d'un contrat ne peut en aucun cas être sanctionnée par la résolution de celui-ci, il apparaît que la ville a exécuté le contrat de bonne foi ; à preuve, les discussions qui ont eu lieu entre les parties courant novembre 2019 et qui avaient pour objet les difficultés de la société Le Quatre à commercialiser son programme ;

- n'étant responsable d'aucune inexécution contractuelle, elle ne peut être tenue d'indemniser les préjudices invoqués, de surcroît alors que les sommes réclamées ne sont pas justifiées ni le lien de causalité établi avec les prétendues inexécutions qui lui sont reprochées ;

- la clause résolutoire est valable en tant que telle et doit conduire le juge à considérer comme une inexécution fautive du contrat de vente le fait de ne pas avoir entrepris la construction dans le délai imparti ;

- cette clause est exercée de bonne foi, puisque la commune n'a jamais empêché la société [Localité 8] Le Quatre de débuter les travaux, a accepté de la rencontrer pour trouver une solution afin de remédier aux difficultés de commercialisation et lui a même proposé la rétrocession du lot 4 ter en échange d'un autre lot sur la ZAC, peut-être plus facile à commercialiser, proposition qui n'a reçu aucune réponse ;

- à titre subsidiaire, elle est en droit de demander la résolution judiciaire du contrat pour inexécution du paiement du prix de vente, la société [Localité 8] Le Quatre ayant tout fait pour empêcher la ville d'appeler la garantie à première demande.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la demande principale de résolution de la vente aux torts du vendeur

1.1. Sur les manquements allégués à l'obligation de délivrance

L'obligation de délivrance, qui compte parmi les obligations principales du vendeur, au sens de l'article 1602 du code civil, a pour objet la délivrance de la chose, soit, aux termes de l'article 1604 du même code, " le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur ". L'article 1605 précise que " l'obligation de délivrer les immeubles est remplie de la part du vendeur lorsqu'il a remis les clefs, s'il s'agit d'un bâtiment, ou lorsqu'il a remis les titres de propriété ".

Outre la désignation du terrain vendu, l'acte de vente précise que l'acquéreur est propriétaire du bien à compter du jour de la signature, et qu'il en a la jouissance à compter du même jour par la prise de possession réelle, les parties déclarant que le bien est entièrement libre de location ou occupation ou encombrements quelconques (art. 12. 1 et 12.2).

Or, le moyen développé par l'appelant, qui fait grief à la mairie d'avoir autorisé l'occupation de son terrain par l'entreprise Watelet, chargée de marchés publics, ne tend pas à remettre en cause le fait qu'à la date de l'entrée en jouissance, le terrain était libre de tout encombrement et conforme aux stipulations contractuelles, de sorte que les constats d'huissier versés aux débats, datés du 17 décembre 2019 et 3 septembre 2020, et donc postérieurs à la prise de possession du terrain par l'acquéreur, ne sont pas en mesure d'établir un quelconque manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme.

Le moyen est donc rejeté.

1.2. Sur la mise en 'uvre de la garantie d'éviction du vendeur

L'article 1625 du code civil énonce que le vendeur doit à l'acquéreur " la possession paisible de la chose vendue ". En application des dispositions des articles 1626 et 1628 du même code, le vendeur doit s'abstenir de tout acte qui porterait une atteinte quelconque aux prérogatives dont l'acheteur est investi en sa qualité de propriétaire, quelle que soit la nature du trouble causé à l'acquéreur, de fait ou de droit, sans être tenu de garantir le trouble de fait causé par un tiers.

(a) L'appelante se prévaut, tout d'abord, d'une " éviction matérielle " qu'elle impute à la commune, en lui reprochant une voie de fait, celle d'avoir autorisé l'entreprise Watelet à occuper le terrain vendu.

A deux reprises, le 17 décembre 2019 et le 13 janvier 2020, l'huissier requis par l'appelante a constaté un encombrement complet du terrain par divers matériaux de voirie. Au terme de ses premières constatations, l'huissier précise : " ayant interrogé les quelques ouvriers qui se trouvaient sur [le terrain], ils m'ont déclaré qu'ils étaient de l'entreprise Watelet (comme l'indique le camion), et que ce terrain servait de zone de stockage pour les travaux de voirie de la ville de [Localité 8], pour laquelle ils travaillaient ". Cette dernière affirmation est corroborée par les autres éléments versés aux débats (pièce n° 64 et 65 du dossier de l'appelante) établissant que l'entreprise en question a effectivement été chargée de marchés publics au sein de la [Adresse 9].

Contrairement à ce qu'indique l'intimée dans ses écritures, aucune confusion n'est possible quant au terrain dont l'encombrement a été constaté, et qui correspond bien à celui vendu, la référence dans les constats au " lot 4 " après mention de l'adresse exacte et des références cadastrales du " lot 4 ter " litigieux ne pouvant s'analyser que comme une erreur de plume de l'huissier, ce que viennent d'ailleurs confirmer les propres constats d'huissier diligentés par la commune les 16 octobre 2020 et le 21 janvier 2021 et dont il apparait, au vu des photographies annexées, qu'ils ont été dressés dans les mêmes lieux, même si aux dates de ces deux derniers constats le terrain avait été libéré de tout encombrement et la parcelle reclôturée.

Ces éléments permettent d'établir la réalité du trouble causé par l'occupation du terrain et les liens d'affaires entre l'entreprise à l'origine de cette occupation et la commune. Cependant, il n'existe aucun indice probant permettant d'établir, fût-ce par présomption, que cette occupation illicite du terrain s'est faite avec l'autorisation de la commune ou sur instructions de celle-ci, au mépris des droits de propriétaire de la société [Localité 8] Le Quatre.

La venderesse ne pouvant être tenue de répondre des troubles de fait causés par un tiers, sauf à établir qu'elle y aurait personnellement concouru, c'est par une appréciation exacte des circonstances que le tribunal a écarté le moyen allégué tiré de l'éviction matérielle de l'acquéreur.

(b) La société [Localité 8] Le Quatre se prévaut, ensuite, d'une " éviction morale " tenant à la volonté de la ville de réaliser un nouveau projet, en lieu et place de l'immeuble à construire, dénommé " jardins des mots et merveilles ".

La commune de [Localité 8] répond que les allégations de l'appelante sont " parfaitement mensongères " et ne sont corroborées par aucun élément objectif, aucun projet de jardin public n'ayant été mis en 'uvre par la commune, ni même envisagé et approuvé par son conseil municipal.

Toutefois, pour justifier de la réalité d'un tel projet concernant le terrain dont elle est devenue propriétaire, l'appelante produit le plan d'architecte d'un projet d'espace vert, établi le 7 novembre 2019, sur lequel la ville de [Localité 8] figure comme maître d'ouvrage (pièce n° 41), ainsi qu'un devis adressé à la mairie de [Localité 8] par le maitre d''uvre (Land'Act) dont les mentions au titre des " références " et " missions " permettent d'établir qu'un projet d'esquisse a été commandé par la mairie le 11 juillet 2019, pour la réalisation du " jardin 4ter " (pièce n° 81). Ce fait est corroboré par le courrier du cabinet d'architecte [E] [B], dont il n'est pas contesté qu'il était à la fois l'architecte du projet de la société [Localité 8] Le Quatre mais également l'architecte de la [Adresse 9] et, à ce titre, en relation directe avec les services de la mairie (pièce n° 82). A cet égard, il est produit le courriel envoyé par le chef de projet de la direction des espaces publics de la ville de [Localité 8] au cabinet d'architecte, le 25 avril 2020, dans lequel il est indiqué expressément qu'" à la demande du maire il faut supprimer l'îlot 4Ter qui devient un jardin ". Et se plaignant, de manière générale, des directives reçues du chef de projet, l'architecte indiquait à d'autres interlocuteurs, dans un mail daté du 27 avril 2020 : " Pour exemple, sa demande de passer le lot 4ter en jardin est impossible. Encore une fois on ne peut pas dire au promoteur avec qui on a un projet sur le lot 4ter que d'un autre côté on fait une esquisse pour supprimer son bâtiment et mettre un jardin, c'est contraire à toute déontologie, confiance, accords avec notre client promoteur ! " (pièce n° 53 appelante).

Les éléments versés aux débats suffisent à établir l'existence d'un projet parallèle à celui porté par la société [Localité 8] Le Quatre, consistant en la création d'un jardin sur le terrain vendu, et dont la venderesse est à l'origine.

L'absence de mention de ce projet d'aménagement dans le recueil incomplet des comptes rendus du conseil municipal que la commune de [Localité 8] verse aux débats (pièces n° 9 et 12 de l'intimée) ne permet aucunement de contredire cet état de fait, tandis que la distinction que l'intimée suggère dans ses écritures entre les décisions de la commune et les souhaits de son maire est en l'espèce inopérante, la société [Localité 8] Le Quatre pouvant légitimement croire en la réalité des pouvoirs exercés par le maire ou les services de la mairie, au nom de la commune.

Toutefois, la mise en jeu de la garantie d'éviction du vendeur implique que l'acquéreur ait été privé en raison du comportement de l'acheteur de certaines utilités de son bien. Or, les démarches accomplies par la commune auprès d'architectes n'étaient pas en elles-mêmes de nature à compromettre la possession paisible de l'acheteur ou à diminuer la jouissance du terrain et, de fait, elles ne se sont accompagnés d'aucun acte matériel ou juridique venant remettre en cause concrètement le programme de construction sur lequel la société [Localité 8] Le Quatre avait jusque-là travaillé en concertation avec la ville.

Il y a lieu de relever que le permis de construire, accordé à la société [Localité 8] Le Quatre en 2017, a été prorogé le 3 juillet 2020, soit près d'un an après que l'appelante a pris connaissance de l'existence du projet de jardin envisagé par la commune. Bien que l'appelante soutienne qu'une telle prorogation était de droit, il reste qu'en vertu de l'article R. 424-21 du code de l'urbanisme, la prorogation n'est possible que " si les prescriptions d'urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n'ont pas évolué de façon défavorable ". Or, force est de constater que la commune n'a pas 'uvré à ce que lesdites prescriptions évoluent de façon défavorable, en vue de refuser la prorogation du permis de construire, ce alors que l'appelante prête à la mairie un pouvoir de nuisance important.

A cet égard, la société [Localité 8] Le Quatre explique qu'ayant appris l'existence d'un changement du projet d'aménagement lors d'une réunion le 25 septembre 2019, elle n'était plus à même de poursuivre de bonne foi la commercialisation de son bien à défaut de pouvoir passer sous silence, auprès d'acquéreurs potentiels, le projet de jardin porté par la ville. Elle explique ainsi qu'aucun investisseur n'aurait accepté d'acquérir un projet immobilier dont la ville ne voulait plus, étant donné que " la ville aurait pu utiliser tous les moyens dont elle dispose pour empêcher la réalisation du projet : refus de délivrer le moindre permis modificatif, arrêté d'interruption de chantier, visites de chantier récurrentes, refus de délivrer la conformité, etc. " et que " quand bien même ces moyens auraient été contraires au droit, les délais d'annulation par les juridictions administratives des décisions illégales prises par la ville auraient été incompatibles avec les délais de réalisation d'un projet immobilier de cette nature ".

Les risques évoqués demeurent cependant purement théoriques et ne sont étayés par aucun élément objectif. La société [Localité 8] Le Quatre ne démontre pas, par exemple, avoir été confronté au refus d'un investisseur potentiel d'acquérir dans ces circonstances et avoir été objectivement empêché de commercialiser son projet et de construire sur le terrain.

Dès lors, si elle peut traduire une réticence de l'acquéreur à exploiter pleinement ses prérogatives de propriétaire du terrain dans le souci de se ménager de bonnes relations avec la commune, " l'éviction morale " alléguée, de nature purement subjective, et ne reposant sur aucun comportement obstructif réel, ne relève pas de la garantie d'éviction due par la venderesse.

Le tribunal a, à juste titre, écarté ce moyen.

1.3. Sur la mauvaise foi prêtée à la venderesse

Aux termes de l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Toutefois, " si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle, elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties " (Com 10 juill. 2007, n° 06-14.768).

Ainsi, la bonne foi, qui n'est pas une obligation au sens strict, sauf à se matérialiser comme telle dans les stipulations contractuelles, constitue, au sens des dispositions invoquées, une incombance dont l'inobservation expose son auteur non à une condamnation, mais à la perte des avantages attachés à l'accomplissement de ce qui constitue un simple devoir à la charge des contractants.

Il en résulte que la mauvaise foi du vendeur qui n'est pas significative de l'inexécution d'une obligation contractuelle n'est pas en soi un motif de résolution du contrat de vente (Cf. Civ. 1er, juill. 2020, n° 18-26.352).

Dès lors, la société [Localité 8] Le Quatre qui se prévaut de la mauvaise foi de la commune ne peut prétendre obtenir pour ce motif la résolution judiciaire de la vente. Elle ne peut pas davantage se prévaloir à ce titre d'une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de la venderesse, puisque le souhait de la marie de voir réaliser un jardin en lieu et place de l'immeuble initialement envisagé ne pouvait résister au contrat conclu, qui a force de loi entre les parties, et ne l'empêchait pas d'exécuter ses propres engagements.

Il y a donc lieu d'écarter l'ensemble des moyens soulevés par l'appelante au soutien de sa demande de résolution du contrat aux torts exclusifs du vendeur et de rejeter ses demandes indemnitaires afférentes.

2. Sur les demandes reconventionnelles

2.1. Sur la mise en 'uvre de la clause résolutoire

Aux termes des articles 1224 et 1225 du code civil, la résolution du contrat peut résulter de la mise en 'uvre d'une clause résolutoire, soit une clause précisant les engagements dont l'inexécution entrainera la résolution du contrat.

Il est de jurisprudence constante que pour pouvoir être mises en 'uvre en tant que telles, et priver le juge de son pouvoir d'appréciation quant au bien-fondé de la résolution alléguée sur leur fondement, " les clauses résolutoires doivent exprimer de manière non équivoque la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à leur convention " (Civ. 3e, 12 oct. 1994, no 92-13.211).

En l'espèce, la clause 20.6 de l'acte de vente, dénommée " résolution en cas d'inobservation des délais ", dont la nature de clause résolutoire est contestée par l'appelante, est ainsi rédigée :

" Tout manquement par l'acquéreur aux obligations imposées dans le Cahier des Charges de Cessions de Terrains (CCCT) et notamment aux délais qu'il prévoit pourra justifier la résiliation du contrat par le Vendeur également aménageur pour faute de l'Acquéreur.

Cette résiliation pour faute, aux torts de l'Acquéreur, pourra notamment et en particulier être prononcée si l'Acquéreur ne respecte pas les délais indiqués dans le CCCT pour procéder aux formalités suivantes :

- absence de commencement des travaux dans les délais impartis.

La résiliation pour faute ne pourra être prononcée qu'après mise en demeure, adressée par le Vendeur également Aménageur, de respecter ses obligations dans le délai d'un mois et invitant l'Acquéreur à présenter ses observations éventuelles.

Sous réserve des dispositions qui suivent, la résiliation de l'ensemble contractuel pour faute de l'Acquéreur ne lui ouvrira droit au versement d'aucune indemnité.

Lorsque la résiliation de l'ensemble contractuel intervient après la signature des présentes, elle entraine la résolution de plein droit de cet acte de vente ['] ".

Il ressort de cette clause que le manquement dont l'inexécution entraîne la résolution du contrat est précisé (" absence de commencement des travaux dans les délais impartis ") et présente clairement l'hypothèse comme offrant au vendeur la faculté de résilier le contrat (" ['] pourra justifier la résiliation du contrat par le Vendeur [']), l'effet d'une telle résiliation étant par ailleurs précisé (" elle entraine la résolution de plein droit de cet acte de vente ").

Dès lors, les seules références à un " ensemble contractuel " et au " prononcé " de la résiliation, quoi qu'impropres, ne compromettent pas la bonne compréhension de la clause qui offre effectivement au vendeur la faculté de résoudre le contrat pour le motif énoncé et ce sans recours au juge.

Toutefois, une clause résolutoire ne peut être utilement invoquée par un créancier de mauvaise foi (Civ. 3e, 25 janv. 1983), l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, prévue à l'article 1104 du code civil, faisant obstacle à la mise en 'uvre par le créancier de ses prérogatives contractuelles, tirée d'une clause résolutoire ou d'une clause pénale rédigées à son profit.

Or, il résulte des circonstances de la cause, que la commune a élaboré, postérieurement à la vente et avant même l'expiration du terme laissé à l'acquéreur pour débuter la construction de l'immeuble, un projet d'urbanisme incompatible avec les attentes communes du vendeur comme de l'acquéreur, telles qu'elles ressortaient des clauses de l'acte de vente au jour où il a été signé.

Bien que la commune de [Localité 8] prétende que les discussions qui ont eu lieu entre les parties courant novembre 2019 avaient pour objet les difficultés de l'acquéreur à commercialiser son programme, la thèse défendue par l'appelante, selon laquelle a été envisagée lors de ces réunions la rétrocession du terrain à la commune moyennant l'indemnisation de la société [Localité 8] Le Quatre, apparaît crédible. Outre les pièces attestant de la volonté de la commune de modifier le projet d'aménagement, il est notamment justifié de négociations autour d'une offre d'acquisition initiale d'un montant de 26 millions d'euros adressée à la société [Localité 8] Le Quatre le 29 juillet 2019 (pièces n° 75, 39 et 40 de l'appelante) qui ne permettent pas d'accréditer la thèse de la venderesse tenant à de prétendues difficultés de commercialisation. De même, les modifications de calendrier accordées par la commune, au fur et à mesure de l'avancement du projet porté par la société [Localité 8] Le Quatre, ne sont pas probantes et s'expliquent suffisamment par la nature du projet et son ampleur.

Les échanges de courriels des associés de la société [Localité 8] Le Quatre au sujet d'un tableau des dépenses, élaboré dans le courant du mois d'octobre 2019 (pièce n° 80), comme le courrier explicite du notaire, en date du 10 novembre 2019, au sujet du projet de rétrocession du terrain (pièce n° 44) ou encore la lettre de résiliation du contrat de commercialisation avec le mandataire de la société [Localité 8] Le Quatre le 2 décembre 2019 en raison d'une " situation de force majeure " (pièce n° 71) viennent corroborer le fait que la commune a effectivement entamé des négociations avec l'acquéreur pour permettre la modification du projet d'aménagement.

La commune de [Localité 8] ne peut dès lors se prévaloir d'une clause résolutoire tenant à l'absence de réalisation des travaux dans un certain délai, alors qu'elle était la première à souhaiter que le projet de construction n'aboutisse pas, pour permettre la réalisation d'un jardin évoqué de surcroît dans le programme électoral du maire, en perspective des élections municipales du 15 mars 2020 (pièce n° 27 de l'appelante).

Dans ces conditions, et alors que la mauvaise foi de la commune de Puteaux est établie, c'est à tort que le tribunal a constaté l'acquisition de la clause résolutoire de l'acte de vente et condamné la ville à restituer à la société Puteaux Le Quatre la fraction payée de 4 011 042 euros diminuée de 10 % du prix de cession, en application de la clause pénale.

Le jugement doit être réformé sur ce point, pour voir rejeter la demande présentée à ce titre par la commune de [Localité 8], sans qu'il y ait lieu de condamner la ville de [Localité 8] à restituer la somme de 573 006 euros versée en exécution du jugement déféré, dès lors que l'infirmation du jugement sur ce point ouvre droit à restitution de cette somme de plein droit.

2.2. Sur la résolution judiciaire du contrat de vente

Aux termes de l'article 1224 du code civil " la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice ".

Visant ce dernier cas, l'article 1227 du même code indique que " la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice ".

La résolution n'étant pas d'ordre public, il est permis aux parties de convenir que l'une d'elles se contentera de l'action en exécution forcée en cas d'inexécution d'une obligation (Cf. Civ. 3ème, 3 nov. 2011, n° 10-26.203). Ainsi résulte-t-il, en l'espèce, de la clause 13.8.3 du contrat que la commune de [Localité 8] a expressément renoncé au droit tenant à la résolution de la vente pour non-paiement de la partie payable à terme, en contrepartie de la garantie à première demande souscrite par l'acquéreur, en sorte que la résolution judiciaire ne peut pas être obtenue pour cette cause.

En revanche, il ne fait pas de doute que dans les rapports entre les parties, le manquement de l'acquéreur à son obligation de construire dans le délai prévu, constitue une inexécution suffisamment grave justifiant de prononcer la résolution judiciaire du contrat, dès lors que le vendeur est présenté dans l'acte comme aménageur et qu'il est intéressé aux bénéfices de l'opération de commercialisation.

Ainsi, même si la mauvaise foi de la commune conduit à la priver des prérogatives que lui offre le contrat, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a pas empêché la société [Localité 8] Le Quatre d'exécuter son obligation, cette dernière ayant fait le choix de renoncer à son projet de commercialisation et de construction au prétexte du souhait de la commune de modifier le projet d'aménagement plutôt que d'exécuter l'une des principales obligations à sa charge. L'inexécution contractuelle n'étant pas imputable à la commune, celle-ci apparaît donc bien fondée à solliciter la résolution du contrat aux torts exclusifs de l'acquéreur.

A titre superfétatoire, il sera observé qu'aux termes de l'acte authentique intitulé " dépôt de pièces de jugement constatant la résolution de la vente ", établi le 17 décembre 2021 consécutivement au jugement déféré, les parties ont déclaré que la présente décision n'aurait pas d'incidence sur la restitution du bien à la commune de [Localité 8], ce qui dénote leur volonté commune de résoudre la convention.

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société [Localité 8] Le Quatre prospérant partiellement en son appel, les dépens de la présente instance seront mis à la charge de la commune de [Localité 8], en application de l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande en outre d'indemniser la société [Localité 8] Le Quatre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel, dans la limite de 8 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, par arrêt contradictoire, mis à disposition,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- débouté la société [Localité 8] Le Quatre de sa demande de voir prononcer la résolution de la vente conclue entre elle et la ville de [Localité 8] aux torts exclusifs du vendeur,

- ordonné la publication du jugement au service de publicité foncière compétent,

- condamné la société [Localité 8] Le Quatre aux dépens,

- condamné la société [Localité 8] Le Quatre à payer à la ville de [Localité 8] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Prononce la résolution judiciaire de la vente conclue entre la commune de [Localité 8] et la société [Localité 8] Le Quatre,

Condamne la commune de [Localité 8] à restituer à la société [Localité 8] Le Quatre la fraction de prix payée de 4 011 042 euros,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Y ajoutant,

Condamne la commune de [Localité 8] aux dépens de l'instance d'appel,

Condamner la commune de [Localité 8] à régler à la société [Localité 8] Le Quatre la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Charlotte GIRAULT, Conseiller pour la présidente empêchée et par Madame K. FOULON, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.