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Décisions

CA Colmar, 2e ch. A, 12 septembre 2024, n° 22/01466

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Mjm (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

Mme Denort, Mme Hery

Avocats :

Me Spieser-Dechristé, Me Hohmatter, Me Cahn

CA Colmar n° 22/01466

11 septembre 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Selon statuts du 6 janvier 2005, la SCI [Adresse 7] a été constituée par MM. [W] [U] et [Y] [P], à parts égales, tous deux étant désignés en qualité de co-gérants.

La SCI a fait l'acquisition d'un immeuble de rapport qu'elle a financé au moyen d'un emprunt d'un montant en principal de 242 000 euros, contracté auprès de la Société Générale, selon offre acceptée le 17 janvier 2005, garanti par une hypothèque de 1er rang sur le bien acquis, et par le cautionnement personnel et solidaire des deux co-gérants.

L'octroi du prêt était conditionné à l'adhésion de MM. [P] et [U] au contrat d'assurance groupe souscrit par la Société Générale auprès de la Sogecap pour les risques décès et perte totale et irréversible d'autonomie à hauteur, chacun, de 50 % du montant du prêt.

Suite au décès de M. [Y] [P] survenu le [Date décès 1] 2010, la société Sogecap a versé, en juillet 2011, à la Société Générale la somme de 97 123,92 euros.

Par jugement du 15 décembre 2015, le tribunal de grande instance de Mulhouse qui avait été saisi d'une demande de dissolution de la SCI [Adresse 7] par les époux [Z] [P] et [H] [L], parents et héritiers de [Y] [P], a désigné Me [T], en qualité de mandataire ad hoc.

Par jugement du 30 mai 2017, le même tribunal a ordonné la dissolution de la SCI et sa liquidation désignant Me [W] [T] en qualité de liquidateur. Me [T] a été remplacé le 8 août 2019 par la Selarl MJM [T] et associés.

L'immeuble ayant appartenu à la SCI a été vendu en 2018, toutefois la clôture de la liquidation n'a pu intervenir en raison d'un désaccord entre les associés sur le traitement comptable et juridique de l'indemnité versée au titre de l'assurance décès, dont le montant avait fait l'objet d'un placement sous séquestre auprès de la Caisse des dépôts et consignations.

Selon exploits du 13 mai 2020, M. [W] [U] a fait citer les époux [P] devant le tribunal judiciaire de Mulhouse aux fins de voir juger que l'indemnité d'assurance devait être considérée comme un actif social de la SCI. La Selarl MJM [T] et associés est intervenue volontairement, à l'instance, en sa qualité de liquidateur de la société.

Par jugement du 15 mars 2022, le tribunal a :

- rejeté la demande de M. [W] [U] tendant à traiter l'indemnité d'assurance-décès versée à la Société Générale comme un actif social à partager entre les associés,

- rejeté la demande de la Selarl MJM [T] et associés tendant au partage par moitié entre les associés de la somme sous séquestre,

- ordonné la libération au profit exclusif de M. [Z] [P] et Mme [H] [J] [L], épouse [P] de ladite somme de 97 123,92 euros dont le séquestre auprès de la Caisse des dépôts et consignations a été prononcé par ordonnance RG n°13/00932 du 14 février 2020 ;

- rejeté la demande d'indemnité de M. [W] [U] au titre de travaux effectués par ses soins au sein de l'immeuble, propriété de la SCI [Adresse 7] ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [W] [U] ;

- rejeté la demande de M. [Z] [P] et Mme [H] [J] [L], épouse [P] portant condamnation de M. [W] [U] à leur payer la somme de 26 235,79 euros ;

- rejeté la demande respective des parties tendant à la prononciation de la clôture des opérations de liquidation de la SCI [Adresse 7] ;

- rejeté la demande de la Selarl MJM [T] et associés tendant à la radiation du Registre du Commerce et des Sociétés de Mulhouse de la SCI [Adresse 7] ;

- rejeté la demande de la Selarl MJM [T] et associés tendant à la transcription au Registre du Commerce et des Sociétés de Mulhouse de la décision ;

- condamné M. [W] [U] à verser à M. [Z] [P] et Mme [H] [J] [L], épouse [P], la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande de M. [W] [U] formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté les demandes, principales et subsidiaire, formées par la Selarl MJM [T] et associés au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [W] [U] aux dépens ;

- rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

Le tribunal, après avoir rappelé les dispositions des articles 1832, 1857 et 1121, dans leur version applicable au litige, a considéré que, s'agissant d'une assurance-décès garantissant un prêt souscrit par une société, lorsque l'assureur se substitue à l'associé-assuré décédé pour régler le capital restant dû, agissant ainsi pour le compte dudit assuré, à hauteur de la part de celui-ci dans le capital social, ce paiement qui représente la part de l'assuré dans la dette sociale correspond à un apport dont il doit être tenu compte par son inscription au compte courant de l'associé décédé.

Le tribunal a ensuite retenu qu'il n'était pas démontré que la société avait réglé les primes d'assurance, et que l'adhésion à l'assurance avait pour objet de couvrir le risque pesant sur la contribution de chacun des deux associés dans la dette d'emprunt de la SCI.

Il a déduit du tout que l'assureur s'était substitué à son assuré, et que l'indemnité d'assurance correspondait à la contribution de celui-ci à la dette sociale, de sorte qu'elle s'apparentait à un apport à la SCI [Adresse 7] devant être inscrit au compte courant d'associé de feu [Y] [P], la circonstance que le versement de l'indemnité ait entraîné libération à due concurrence de la SCI, étant sans emport, tout comme les moyens tirés du traitement fiscal de l'indemnité.

Le tribunal a rejeté la demande de M. [U] au titre des travaux réalisés dans l'immeuble, en l'absence de justificatifs, ainsi qu'au titre de ses interventions lesquelles apparaissaient relever de sa fonction de gérant. Il a, de la même manière, rejeté sa demande de dommages et intérêts et celle, insuffisamment étayée et justifiée, des époux [P] au titre de 'rapports' à l'actif social ou d'une prétendue distraction d'actifs sociaux.

S'agissant des frais d'intervention de la SELARL [T] et associés, le tribunal a constaté que les époux [P] n'avaient pas saisi le tribunal aux fins de fixation de sa rémunération, ni participé aux assemblées générales au cours desquelles le coût de cette intervention aurait dû être discuté, ni fait d'observations à réception des bilans, de sorte que les frais devaient être laissés à leur montant actuel au bilan de la société.

Enfin, le tribunal a considéré que la clôture de la procédure apparaissait prématurée.

M. [W] [U] a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue par voie électronique le 12 avril 2022, en toutes ses dispositions lui étant défavorables.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 3 octobre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 octobre 2022, M. [U] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau de :

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à M. [W] [T], ès qualités de liquidateur de la SCI [Adresse 7] ;

- juger que l'indemnité d'assurance doit être considérée comme un actif social de la SCI [Adresse 7] à partager entre les associés ;

- le déclarer bien fondé à faire valoir une créance d'un montant total de 24 400 euros au titre des travaux entrepris par ses soins au sein des appartements de la SCI [Adresse 7] ;

- condamner les consorts [P] solidairement à lui verser la somme de 12 200 euros au titre des travaux somme qui s'imputera sur le montant revenant aux consort [P] au titre du boni de liquidation de la SCI [Adresse 7] ;

- condamner les consorts [P] solidairement à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts qui s'imputera sur le montant leur revenant au titre du boni de liquidation de la SCI [Adresse 7] ;

- ordonner la libération la somme de 97 123, 92 euros séquestrée auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations par ordonnance RG n° 13/00932 du 14 février 2020, outre intérêts de la consignation ;

- juger que le montant séquestré doit être réparti selon les modalités suivantes :

* au profit des consorts [P] :

le montant de 48 561,96 euros, dont doivent être déduits 12 200 euros au titre des travaux pris en charge par M. [U], 5 000 euros de dommages et intérêts, 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, soit 26 861,96 euros, montant à parfaire en considération des intérêts de la consignation,

* au profit de M. [U] :

le montant de 48 561,96 euros auquel doivent s'ajouter 12 200 euros au titre des travaux, 5 000 euros de dommages et intérêts, 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, soit 70 261,96 euros, montant à parfaire en considération des intérêts de la consignation

- déclarer l'appel incident des consorts [P] mal fondé, le rejeter,

En conséquence,

- débouter intégralement Monsieur et Madame [P] de l'ensemble de leurs demandes tendant à la condamnation de Monsieur [U] à leur verser la somme de 26 235,79 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 8 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que la somme de 8 217,90 euros au titre de l'intervention de Maître [T] ;

- condamner les consorts [P] solidairement à lui verser la somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens d'appel et de première instance

Il fait valoir, en substance, que le bénéficiaire direct de la 'prime' d'assurance est la banque, et in fine la SCI, et non l'assuré dont le décès a provoqué la mise en oeuvre de la garantie, cette 'prime' n'étant jamais entrée dans le patrimoine de ce dernier. Il soutient que l'indemnité constitue un produit exceptionnel pour la SCI, sans que cela entraîne une quelconque créance en compte courant au bénéfice des ayants droit de l'associé décédé, lesquels ne peuvent se prévaloir du mécanisme de la subrogation, dès lors que l'assureur, solvens, était dans l'obligation de s'acquitter du paiement de l'indemnité, sa dette résultant de la réalisation du risque couvert. Il estime, par voie de conséquence, que le versement de l'indemnité d'assurance est venu en diminution de la dette de la SCI qui a réglé les cotisations d'assurances, lesquelles sont incluses dans les échéances du prêt.

Il conteste les prétendus détournements que lui imputent les époux [P] qui multiplient les accusations infondées à son encontre, se référant à cet égard au rapport du mandataire ad hoc de la SCI, et souligne que les prétendues créances seraient prescrites. Il rappelle par ailleurs que les honoraires du liquidateur sont supportés par la société, et réitère sa demande au titre des travaux d'améliorations et d'entretien qu'il a réalisés dans l'immeuble, et des charges qu'il a payées après le décès de son associé. Il estime enfin être fondé à solliciter des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de clôture de la liquidation de la SCI, la situation de blocage étant le fait des époux [P].

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 octobre 2022, les époux [P] demandent à la cour, de :

- confirmer le jugement en date du 15 mars en ce qu'il a :

- rejeté toutes demandes de M. [U] ;

- rejeté toutes demandes de la Selarl [T] ;

- ordonné la libération de la somme de 97 123,92 euros séquestrée à leur profit exclusif ;

- condamné M. [W] [U] aux entiers dépens et à verser à M. [Z] [P] et Mme [H] [L], épouse [P] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 code de procédure civile au titre de la première instance ;

- infirmer et réformer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté leur demande portant condamnation de M. [W] [U] à leur payer la somme de 26 235,79 euros ;

et à ce titre, statuant à nouveau :

- condamner M. [W] [U] à leur payer la somme de 26 235,79 euros,

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner à payer aux consorts [P] la somme de 8 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, en ce compris la somme de 8 217,90 euros du chef du coût de l'intervention de Me [T].

Pour s'opposer aux demandes de M. [U], les époux [P], qui approuvent les motifs du jugement, font valoir qu'il ne ressort nullement des dispositions du contrat d'assurance que la SCI serait bénéficiaire de l'indemnité, alors qu'étant une personne morale elle ne peut personnellement s'assurer contre les risques décès et invalidité. Ils soutiennent que le fait que la SCI ait réglé les primes est sans emport ; que seuls les associés, personnes physiques, sont les souscripteurs et bénéficiaires du contrat d'assurance ; que le règlement de l'indemnité à la banque par l'assureur s'analyse en une délégation imparfaite faite par l'assuré avec subrogation, conformément aux articles 1336 et suivants et 1346 du code civil ; que le paiement de l'assurance ainsi déléguée de la somme due à sa succession ne saurait s'interpréter comme une libéralité de l'assuré à l'égard de la SCI, emprunteuse, comme le défend intrinsèquement M. [U], puisqu'une libéralité ne se présume pas, le paiement du prêt bancaire par délégation comporte donc nécessairement subrogation légale de la succession de [Y] [P] à l'encontre de la SCI [Adresse 7].

Ils font valoir en outre que M. [U] aurait détourné l'actif de la SCI depuis de nombreuses années ; qu'il devra être condamné à rapporter différentes sommes, qu'il prétend justifier ses prélèvements sur les comptes de la société par de supposés travaux dont il ne justifie pas ; qu'il ne peut s'octroyer une rémunération qui n'a pas été décidée par les associés, alors même qu'il s'est abstenu de tenir les assemblées générales.

Ils estiment enfin que le coût de l'intervention de la SELARL [T] et associés est la conséquence exclusive de la dissolution judiciaire prononcée et provoquée par les manquements de l'appelant, il ne s'agit donc pas d'un passif devant être supporté par la SCI, mais par l'appelant.

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 5 octobre 2022, la Selarl MJM [T] et associés demande à la cour, de :

- rejeter l'appel et le dire mal fondé ;

- rejeter l'appel incident des époux [P] ;

- rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions des époux [P] ;

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté les époux [P] de leurs demandes tendant à la réévaluation des frais d'intervention de la la Selarl MJM [T] et associés ;

- recevoir son appel incident et le dire bien fondé ;

Et statuant à nouveau :

- ordonner le partage par moitié entre d'une part Madame [H] [P] et Monsieur [Z] [P], et d'autre part Monsieur [U] de la somme de 97 123,92 euros, actuellement séquestrée en application de l'ordonnance du 14 février 2020 ;

- prononcer la clôture des opérations de la liquidation de la SCI [Adresse 7] ;

- ordonner la radiation de la SCI [Adresse 7] du RCS de Mulhouse ;

- ordonner la transcription de l'arrêt à intervenir auprès du RCS de Mulhouse ;

En tout état de cause :

- condamner solidairement les époux [P] ainsi que Monsieur [U] aux entiers frais et dépens ainsi que d'avoir à payer la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à savoir 2 500 euros pour la première instance et 3 500 euros pour la présente procédure.

La SELARL [T] et associés s'associe à l'argumentation développée par l'appelant, rappelant que l'indemnité d'assurance a été versée directement à la banque et n'est pas entrée dans le patrimoine du défunt, et que les primes ont été acquittées par la SCI ce qui exclut toute subrogation légale.

Elle estime que c'est à tort que le tribunal a considéré que la clôture des opérations de liquidation de la SCI et sa radiation du Registre du commerce et des sociétés ne pouvaient intervenir alors que rien ne s'y opposait. Elle approuve enfin les motifs du jugement s'agissant de ses frais d'intervention.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

1 - Sur le traitement comptable de l'indemnité d'assurance

Il est constant que :

- la Société Générale est le souscripteur du contrat d'assurance-groupe auprès de la société Sogecap,

- l'adhésion à cette assurance de MM. [P] et [U] à hauteur, chacun, de la moitié du montant du prêt consenti à la SCI [Adresse 7] était une des conditions de l'octroi du concours,

- suite au décès de [Y] [P], la société Sogecap a versé directement à la Société Générale la somme de 97 123,02 euros avec cette indication 'versement du capital restant dû concernant le prêt n°604010498824 de M [Y] [P]' sans qu'aucune des parties ne soit toutefois en mesure de préciser à quoi correspond ce montant.

A cet égard, la cour observe que le contrat d'assurance n'est pas versé aux débats, seul le formulaire de demande d'adhésion signé par [Y] [P] l'étant (pièce n°2 de la SELARL [T] et associés), et non pas la notice d'information auquel renvoie ce formulaire, la pièce n°4 de M. [U], intitulée 'adhésion assurance-groupe(dans son intégralité à hauteur de Cour) exemplaire emprunteur' étant en réalité l'offre de prêt visant cette adhésion.

Toutefois, le formulaire de demande d'adhésion stipule expressément que l'adhérent « désigne comme bénéficiaire des garanties prévues dans la rubrique 'garanties'de la notice d'information, la société Générale ou une filiale, à concurrence des sommes dues. »

Il résulte de cette mention qu'en cas de décès de l'adhérent, la banque devient bénéficiaire de l'indemnité d'assurance due par l'assureur, par l'effet de la stipulation faite par l'adhérent à son profit, et que ce versement vaut paiement pour l'emprunteur et libération de celui-ci.

Les époux [P] ne peuvent se prévaloir d'une délégation de paiement, au sens de l'article 1275 ancien du code civil, qui est applicable au litige en considération de la date du contrat, en l'absence de dette de l'adhérent, délégant, à l'égard de la banque, délégataire, dans la mesure où il n'est pas établi, ni même soutenu, que la SCI [Adresse 7], emprunteur, aurait été défaillante dans le remboursement du prêt qu'elle avait contracté auprès de la Société Générale, et que [Y] [P] aurait été tenu au remboursement du prêt, que ce soit en qualité d'associé tenu indéfiniment des dettes sociales à concurrence de sa part dans le capital social, ou en sa qualité de caution solidaire, ce qu'admettent au demeurant les intimés. Il n'est par ailleurs pas démontré que le montant de l'indemnité versée correspondrait à la part virile due par [Y] [P], aucun élément, ni explication n'étant en effet fournis sur la détermination de ce montant, de sorte qu'il n'est pas établi que ce versement est intervenu pour le compte de ce dernier, à hauteur de la part à laquelle il aurait été tenu dans la dette sociale.

Les époux [P] ne peuvent pas non plus se prévaloir d'une subrogation légale à leur profit, en application de l'article 1250 ancien du code civil, et non pas 1346 du code civil ce texte n'étant pas applicable à la date du paiement, puisque comme le souligne M. [U], la charge définitive du paiement de l'indemnité d'assurance pèse sur l'assureur.

Par voie de conséquence, le paiement de l'indemnité d'assurance intervenu, non pas pour le compte de l'adhérent à hauteur de sa part virile dans la dette sociale, mais dans le cadre d'une stipulation pour autrui au bénéfice de la banque, constitue pour la SCI, qui a réglé les cotisations d'assurances, un produit exceptionnel, sans qu'il s'agisse pour autant d'une libéralité, les développements des intimés sur ce point étant inopérants.

Les époux [P] doivent donc être déboutés de leur demande tendant à voir inscrire une créance au compte courant de leur fils, et à obtenir le versement de la totalité des fonds consignés, le jugement qui a statué en ce sens devant être infirmé, la somme de 97 123,92 euros, séquestrée, constituant un actif social devant être partagé par moitié entre les associés.

2 - Sur les comptes de liquidation

2-1 sur la créance de M. [U]

M. [U] fait état des montants suivants :

- 6 486,92 euros au titre de diverses dépenses et travaux,

- 18 900 euros au titre du coût de sa main d'oeuvre pour achever les appartements,

- 5 500 euros au titre des charges qu'il a assumées seul après le décès de son associé.

Il ne revendique toutefois qu'une créance totale de 24 400 euros, correspondant au total des deux dernières sommes dont moitié à la charge des époux [P].

La cour constate que M. [U] ne revendique aucune créance au titre des frais et dépenses qu'il prétend avoir supportés pour le compte de la SCI selon factures produites en annexes 33 à 58 a, le premier juge ayant constaté avec pertinence à cet égard que certaines d'entre elles avaient en réalité été acquittées par la SCI.

S'agissant du coût de sa main d'oeuvre et des charges qu'il a assumé seul, il convient de constater qu'il se réfère uniquement à des tableaux établis par ses soins qui sont, en l'absence de tout autre élément de preuve, dépourvus de toute valeur probante. En outre, comme l'a exactement relevé le tribunal, les 'charges' dont il fait état correspondent à des démarches réalisées dans le cadre de la gestion de la SCI pour la mise en location des appartements et la récupération des loyers et des charges locatives, or il n'est pas démontré qu'une rémunération du ou des gérants aurait été fixée par l'assemblée générale des associés.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

2-2 sur la créance des consorts [P]

Les époux [P] soutiennent que M. [U] devra être tenu de rapporter à l'actif social les sommes et valeurs dont le détournement est d'ores et déjà établi par les pièces produites, et sollicitent sa condamnation au paiement de la moitié d'un montant total de 52 471,59 euros se décomposant comme suit :

- 4 474 euros au titre du solde bancaire au 1er août 2011,

- 6 128,69 euros (soit 12 258 - 6 129,31 euros) au titre du solde du flux sur le mois d'août 2011,

- 41 868,90 euros correspondant au reliquat minimal de ressources nettes de charges et remboursement de prêts 'du chef de la disparition des loyers du compte bancaire puis si M. [U] ne s'était pas réservé la jouissance de deux appartements pour lui et les membres de sa famille', soit 516,90 euros par mois courus de septembre 2011 à mai 2018.

La cour fait sienne l'appréciation du premier juge qui a retenu que les époux [P] n'explicitaient pas clairement leur demande de 'rapport à l'actif social', s'agissant des deux premiers montants, le premier correspondant au solde créditeur du compte courant de la SCI au 1er août 2011, dont il n'est nullement établi qu'il aurait été détourné par M. [U], et le second correspondant à une régularisation consécutive, selon M. [U], à une erreur commise par la compagnie d'assurance lors du versement de l'indemnité, ce qui n'est pas discuté, sans que soit caractérisé un quelconque détournement imputable à l'appelant.

S'agissant du troisème chef de demande, il repose sur le constat que M. [U] a été locataire de l'un des appartements de l'immeuble appartenant à la SCI, pour lequel il a réglé un loyer de 541,71, charges comprises, jusqu'au mois d'août 2011 inclus, sans qu'aucun autre versement à ce titre n'apparaisse plus sur le compte bancaire de la SCI après cette date.

M. [U] admet avoir occupé un des appartements de l'immeuble pendant une courte période. Il affirme avoir réglé le loyer correspondant, et que son frère, M. [B] [U], qui occupait un autre des appartements de l'immeuble, s'acquittait du paiement d'un loyer.

L'examen des relevés du compte bancaire de la SCI fait apparaître le paiement effectif par M. [B] [U] des loyers et des provisions sur charges.

Les époux [P] soutiennent que M. [U] occupait toujours l'appartement en août 2011 et octobre 2013, et se réfèrent sur ce point à un constat dressé les 16 et 3 octobre 2013 par Me [N], huissier de justice. Il ressort toutefois de ce constat que cet officier ministériel s'est présenté à plusieurs reprises au siège de la SCI [Adresse 7], [Adresse 5], au cours de la deuxième quinzaine du mois d'août 2013 et au mois de septembre 2013, et que s'il a constaté la mention de 4 noms sur les sonnettes de l'immeuble dont celui de '[U] P', il avait sonné sans que personne ne lui réponde. Ce n'est que le 3 octobre 2013 que M. [U] lui a ouvert, et s'étant présenté comme le gérant de la SCI, l'a fait pénétrer dans les lieux. Me [N] relate que M. [U] lui a déclaré ne plus être domicilié dans l'immeuble depuis le mois de février 2011, mais avoir omis d'enlever son nom de la sonnette, et avoir visité l'appartement dont s'agit qui était en travaux et vide de tout mobilier et effets personnels.

En l'état de ces seules constatations, la preuve que M. [U] aurait continué à habiter dans l'immeuble, postérieurement au mois d'août 2011, sans payer de loyer, n'est pas rapportée, étant au surplus observé que la SCI a son siège social dans cet immeuble.

Le jugement sera donc confirmé en tant qu'il a rejeté les demandes des époux [P] en paiement d'une créance au titre de prétendus détournements de l'actif social par M. [U].

2-3 sur la rémunération de la SELARL [T] et associés

Comme l'a relevé le tribunal, les époux [P] n'ont contesté ni la décision ayant mis à la charge de la société les frais du liquidateur, ni la rémunération de celui-ci, et n'ont pas assisté aux assemblées générales convoquées en 2019 et 2020. Ils ne démontrent pas non plus que la désignation d'un mandataire ad hoc et la dissolution seraient exclusivement imputables au comportement de M. [U]. En effet, si Me [T] a relevé une carence dans la gestion résultant de l'absence de convocation et de tenue des assemblées générales, il a également fait état d'une grave mésentente entre les associés et d'une disparition de l'affectio societatis. Le jugement doit donc être confirmé en tant qu'il a rejeté la demande des époux [P] visant à mettre la totalité de la rémunération de la SELARL [T] et associés à la charge de M. [U].

3- Sur la clôture des opérations de liquidation

Comme l'a relevé le tribunal, il appartiendra à la SELARL [T] et associés d'établir le bilan de liquidation en tenant compte de la répartition de la somme consignée ci-dessus fixée, et de le soumettre pour approbation à l'assemblée générale extraordinaire des associés, la clôture des opérations de liquidation ne pouvant intervenir à ce stade, et ce d'autant moins que son bilan de liquidation arrêté au 28 février 2020 laisse des postes 'en suspens', à savoir : droit de partage complémentaire éventuel et frais et honoraires de séquestre, qu'il lui appartient désormais de liquider.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de ce chef.

4- Sur les autres demandes

La demande des époux [P] ayant été accueillie en première instance, ce qui démontre l'existence d'une discussion sérieuse sur le sort de cette indemnité, M. [U] ne peut soutenir que 'la situation a été totalement paralysée' compte tenu du comportement des intimés.

En l'absence de preuve d'une faute des consorts [P], le jugement sera confirmé en tant qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [U].

En considération de la solution du litige, le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens.

Les entiers dépens de première instance et d'appel seront supportés par les époux [P] qui succombent à titre principal. Il sera alloué, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à M. [U], d'une part, une somme de 3 000 euros, et à la SELARL [T] et associés, d'autre part, une somme de 1 500 euros pour la procédure de première instance et le même montant pour la procédure d'appel.

La demande des époux [P] pour les frais exclus des dépens qu'ils ont exposés tant en première instance qu'en cause d'appel sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 15 mars 2022 en ce qu'il a :

- rejeté la demande de M. [W] [U] tendant à traiter l'indemnité d'assurance-décès versée à la Société Générale comme un actif social à partager entre les associés,

- rejeté la demande de la Selarl MJM [T] et associés tendant au partage par moitié entre les associés de la somme sous séquestre,

- ordonné la libération au profit exclusif de M. [Z] [P] et Mme [H] [J] [L], épouse [P] de ladite somme de 97 123,92 euros dont le séquestre auprès de la Caisse des dépôts et consignations a été prononcé par ordonnance RG n°13/00932 du 14 février 2020,

ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et frais exclus des dépens ;

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus dans les limites de l'appel ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant au jugement,

REJETTE la demande de M. [Z] [P] et Mme [H] [L], épouse [P], tendant à ce que soit ordonnée la libération de la totalité de la somme séquestrée à leur profit exclusif ;

DIT que la somme séquestrée correspondant au montant de l'indemnité d'assurance versée à la SCI [Adresse 7] constitue un actif social à partager par moitié entre les associés ;

ORDONNE le partage par moitié entre d'une part, Mme [H] [L], épouse [P], et M. [Z] [P], et d'autre part M. [W] [U] de la somme de 97 123,92 euros, séquestrée en application de l'ordonnance du 14 février 2020 ;

CONDAMNE M. [Z] [P] et Mme [H] [L], épouse [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE M. [Z] [P] et Mme [H] [L], épouse [P], à payer à M. [W] [U] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [Z] [P] et Mme [H] [L], épouse [P], à payer à la SELARL [T] et associés la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais exclus des dépens qu'elle a exposés en première instance et la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais exclus des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel ;

REJETTE la demande de M. [Z] [P] et Mme [H] [L], épouse [P], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.