CJUE, 2e ch., 19 septembre 2024, n° C-264/23
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Question préjudicielle
PARTIES
Demandeur :
Booking.com BV, Booking.com (Deutschland) GmbH
Défendeur :
25hours Hotel Company Berlin GmbH, Aletto Kudamm GmbH, Air-Hotel Wartburg Tagungs- & Sporthotel GmbH, Andel’s Berlin Hotelbetriebs GmbH, Angleterre Hotel GmbH & Co. KG, Atrium Hotelgesellschaft mbH, Azimut Hotelbetrieb Köln GmbH & Co. KG, Barcelo Cologne GmbH, Business Hotels GmbH, Cocoon München GmbH, DJC Operations GmbH, Dorint GmbH, Eleazar Novum GmbH, Empire Riverside Hotel GmbH & Co. KG, Explorer Hotel Fischen GmbH & Co. KG, Explorer Hotel Nesselwang GmbH & Co. KG, Explorer Hotel Schönau GmbH & Co. KG, Fleming’s Hotel Management und Servicegesellschaft mbH & Co. KG, G. Stürzer GmbH Hotelbetriebe, Hotel Bellevue Dresden Betriebs GmbH, Hotel Europäischer Hof W.A.L. Berk GmbH & Co. KG, Hotel Hafen Hamburg. Wilhelm Bartels GmbH & Co. KG, Hotel John F GmbH, Hotel Obermühle GmbH, Hotel Onyx GmbH, Hotel Rubin GmbH, Hotel Victoria Betriebs- und Verwaltungs GmbH, Hotel Wallis GmbH, i31 Hotel GmbH, IntercityHotel GmbH, ISA Group GmbH, Kur-Cafe Hotel Allgäu GmbH, Lindner Hotels AG, M Privathotels GmbH & Co. KG, Maritim Hotelgesellschaft mbH, MEININGER Shared Services GmbH, Oranien Hotelbetriebs GmbH, Platzl Hotel Inselkammer KG, prize Deutschland GmbH, Relexa Hotel GmbH, SANA BERLIN HOTEL GmbH, SavFra Hotelbesitz GmbH, Scandic Hotels Deutschland GmbH, Schlossgarten Hotelgesellschaft mbH, Seaside Hotels GmbH & Co. KG, SHK Hotel Betriebsgesellschaft mbH, Steigenberger Hotels GmbH, Sunflower Management GmbH & Co. KG, The Mandala Hotel GmbH, The Mandala Suites GmbH, THR Hotel am Alexanderplatz Berlin Betriebs- und Management GmbH, THR III Berlin Prager-Platz Hotelbetriebs- und Beteiligungsgesellschaft mbH, THR München Konferenz und Event Hotelbetriebs- und Management GmbH, THR Rhein/Main Hotelbetriebs- und Beteiligungs-GmbH, THR XI Berlin Hotelbetriebs- und Beteiligungsgesellschaft mbH, THR XXX Hotelbetriebs- und Beteiligungs-GmbH, Upstalsboom Hotel + Freizeit GmbH & Co. KG, VI VADI HOTEL Betriebsgesellschaft mbH & Co. KG, Weissbach Hotelbetriebsgesellschaft mbH, Wickenhäuser & Egger AG, Wikingerhof GmbH & Co. KG, Hans-Hermann Geiling (Hotel Präsident), Karl Herfurtner, Hotel Stadt München e.K.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme A. Prechal
Juges :
M. F. Biltgen, M. N. Wahl (rapporteur), M. Passer, Mme M. L. Arastey Sahún
Avocat général :
M. A. M. Collins
Avocats :
Me J. K. de Pree, Me H. Gor, Me P. W. Post, Me K. J. Saarloos, Me R. Buchmann, Me V. Soyez, Me Mes H. C. E. P. J. Janssen, Me A. P. van Oosten
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 101 TFUE et du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, [TFUE] à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (JO 2010, L 102, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Booking.com BV et Booking.com (Deutschland) GmbH (ci-après, ensemble, « Booking.com ») à 25hours Hotel Company Berlin GmbH et 62 autres établissements hôteliers situés en Allemagne au sujet de la validité, au regard de l'article 101 TFUE, des clauses de parité tarifaire utilisées par Booking.com dans les contrats conclus avec ces établissements.
Le cadre juridique
Le règlement (CE) no 1/2003
3 L'article 11 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé « Coopération entre la Commission [européenne] et les autorités de concurrence des États membres », prévoit :
« 1. La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles [...] de concurrence [de l'Union] en étroite collaboration.
[...]
5. Les autorités de concurrence des États membres peuvent consulter la Commission sur tout cas impliquant l'application du droit [de l'Union].
[...] »
Le règlement no 330/2010
4 Conformément à son article 10, second alinéa, le règlement no 330/2010 a expiré le 31 mai 2022.
5 Les considérants 5 et 9 de ce règlement énonçaient :
« (5) Il y a lieu de limiter le bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par le présent règlement aux accords verticaux dont on peut présumer avec suffisamment de certitude qu'ils remplissent les conditions prévues à l'article 101, paragraphe 3, [TFUE].
[...]
(9) Au-dessus du seuil de part de marché de 30 %, il n'est pas possible de présumer que les accords verticaux relevant de l'article 101, paragraphe 1, [TFUE] entraînent généralement des avantages objectifs de nature et de taille à compenser les inconvénients que ces accords produisent sur la concurrence. En même temps, ces accords verticaux ne sont pas présumés relever de l'article 101, paragraphe 1, [TFUE] ni ne pas remplir les conditions de l'article 101, paragraphe 3, [TFUE]. »
6 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), dudit règlement :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “accord vertical”, un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l'accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services ».
7 L'article 2 du même règlement disposait :
« 1. Conformément à l'article 101, paragraphe 3, [TFUE], et sous réserve des dispositions du présent règlement, l'article 101, paragraphe 1, [TFUE] est déclaré inapplicable aux accords verticaux.
La présente exemption s'applique dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions verticales.
[...] »
8 L'article 3, paragraphe 1, du règlement no 330/2010 était ainsi libellé :
« L'exemption prévue à l'article 2 s'applique à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les biens ou services contractuels et que la part de marché détenue par l'acheteur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il achète les biens ou services contractuels. »
La directive 2014/104/UE
9 L'article 1er de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1), intitulé « Objet et champ d'application », prévoit :
« 1. La présente directive énonce certaines règles nécessaires pour faire en sorte que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence commise par une entreprise ou une association d'entreprises puisse exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite association. Elle établit des règles qui favorisent une concurrence non faussée sur le marché intérieur et qui suppriment les obstacles au bon fonctionnement de ce dernier, en garantissant une protection équivalente, dans toute l'Union [européenne], à toute personne ayant subi un tel préjudice.
2. La présente directive fixe les règles coordonnant la mise en œuvre des règles de concurrence par les autorités de concurrence et la mise en œuvre de ces règles dans le cadre d'actions en dommages et intérêts intentées devant les juridictions nationales. »
10 Aux termes de l'article 9 de cette directive, intitulé « Effet des décisions nationales » :
« 1. Les États membres veillent à ce qu'une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d'une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d'une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l'article 101 ou 102 [TFUE] ou du droit national de la concurrence.
2. Les États membres veillent à ce que, lorsqu'une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse, conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu'une infraction au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties.
3. Le présent article s'entend sans préjudice des droits et obligations des juridictions nationales découlant de l'article 267 [TFUE]. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
11 Booking.com BV, une société de droit néerlandais ayant son siège à Amsterdam (Pays-Bas), a été fondée au cours de l'année 1996 et offre un service mondial d'intermédiation pour la réservation d'hébergements au moyen de l'exploitation de sa plateforme en ligne booking.com. Elle est soutenue dans ses activités par des filiales établies dans d'autres États membres, notamment en Allemagne par Booking.com (Deutschland).
12 Booking.com n'est ni fournisseur ni acquéreur de prestations d'hébergement. Il ne détermine pas non plus les hébergements et les prix correspondants proposés sur sa plateforme, ces éléments étant définis par les établissements d'hébergement. Ainsi, Booking.com se borne à mettre en relation, sur sa plateforme, des établissements et des voyageurs.
13 Les services offerts par la plateforme exploitée par Booking.com sont gratuits pour les voyageurs. Les établissements hôteliers paient une commission à Booking.com dans le cas où un client effectue une réservation au moyen de cette plateforme et ne l'annule pas. Indépendamment de ladite plateforme, ces établissements peuvent faire usage de canaux de vente alternatifs.
14 Lors de son entrée sur le marché allemand au cours de l'année 2006, Booking.com, à l'instar d'autres plateformes de réservation hôtelière également désignées sous l'appellation « Online Travel Agency (OTA) » (agence de voyage en ligne), insérait, dans les conditions générales des accords conclus avec les prestataires d'hébergement, une clause dite de « parité étendue ». En vertu de cette clause, il n'était pas permis à ces prestataires d'offrir, sur leurs propres canaux de vente ou sur des canaux de vente exploités par des tiers, y compris les OTA concurrentes, des chambres à un prix inférieur à celui proposé sur le site de Booking.com.
15 Par une décision du 20 décembre 2013, le Bundeskartellamt (Autorité fédérale de la concurrence, Allemagne) a conclu, en substance, que la clause de parité étendue utilisée par Hotel Reservation Service Robert Ragge GmbH (ci‑après « HRS »), l'une des OTA exerçant son activité sur le marché allemand, était contraire à l'interdiction des ententes en droit de l'Union et en droit allemand et a ordonné la cessation de son utilisation.
16 Au cours de l'année 2013, cette autorité a également ouvert une enquête portant sur la clause de parité étendue utilisée par Booking.com, qui était analogue à celle qui avait été utilisée par HRS.
17 Par un arrêt du 9 janvier 2015, l'Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) a rejeté le recours présenté par HRS contre la décision de ladite autorité du 20 décembre 2013. Cet arrêt, qui n'a fait l'objet d'aucun recours, est devenu définitif.
18 À compter du 1er juillet 2015, Booking.com s'est engagée, en concertation avec les autorités de concurrence française, italienne et suédoise, à supprimer, de ses conditions générales, la clause de parité étendue pour la remplacer par une clause dite « de parité restreinte », en vertu de laquelle l'interdiction faite aux prestataires d'hébergement de proposer leurs chambres à de meilleurs prix que ceux proposés sur Booking.com ne vaut que pour les offres faites par leurs propres canaux de vente.
19 Par une décision du 22 décembre 2015, prise après consultation de la Commission en vertu de l'article 11, paragraphe 5, du règlement no 1/2003, l'Autorité fédérale de la concurrence a estimé qu'une telle clause de parité restreinte était également contraire à l'interdiction des ententes en droit de l'Union et en droit allemand et a ordonné à Booking.com la cessation de son utilisation. Cette autorité a considéré, en substance, que de telles clauses restreignaient la concurrence tant sur le marché de la fourniture de services d'hébergement que sur le marché de la fourniture de services d'intermédiation en ligne par les plateformes aux prestataires d'hébergement. Ladite autorité a également estimé, d'une part, que, en raison de la part importante détenue par Booking.com sur le marché en cause, ces clauses ne pouvaient pas être exemptées en vertu du règlement no 330/2010 et, d'autre part, que les conditions d'application d'une exemption individuelle au titre de l'article 101, paragraphe 3, TFUE n'étaient pas non plus remplies.
20 Par un arrêt du 4 juin 2019, l'Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a accueilli, en partie, le recours formé par Booking.com contre ladite décision du 22 décembre 2015. Cette juridiction a notamment estimé que la clause de parité restreinte restreignait, certes, la concurrence, mais pouvait, néanmoins, en tant que restriction accessoire, être considérée comme étant nécessaire pour permettre à Booking.com de percevoir une rémunération équitable au titre de sa prestation de services. Il serait ainsi déloyal de la part des établissements d'hébergement de s'inscrire sur la plateforme de réservation de Booking.com, mais d'inciter ensuite des clients à réserver directement auprès d'eux en offrant de meilleurs tarifs sur leur propre site. Selon ladite juridiction, la possibilité pour les établissements d'hébergement de transférer les réservations vers leurs propres systèmes de réservation constituerait une justification suffisante pour que Booking.com empêche contractuellement ces établissements de se livrer à des activités de « parasitisme » (free riding). Ainsi, cette clause ne pouvait pas, selon cette même juridiction, être considérée comme étant contraire à l'interdiction des ententes prévue dans le droit national et à l'article 101, paragraphe 1, TFUE.
21 Au cours de l'année 2020, Hotelverband Deutschland e.V., une association représentant plus de 2 600 hôtels, a introduit une action en responsabilité contre Booking.com devant le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) tendant à la réparation du préjudice que les membres de cette association soutiennent avoir subi en raison des clauses de parité tarifaire.
22 Par une décision du 18 mai 2021, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), saisi d'un pourvoi introduit par l'Autorité fédérale de concurrence, a annulé la décision de l'Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) du 4 juin 2019. Il a jugé que la clause de parité restreinte restreignait sensiblement la concurrence sur le marché des plateformes de réservation hôtelière en ligne ainsi que sur celui de l'hébergement hôtelier. Une telle clause ne pouvait être qualifiée de « restriction accessoire », dès lors qu'il n'était pas établi que, en son absence, la rentabilité de Booking.com serait compromise. Cette clause ne pouvait pas davantage bénéficier d'une exemption au titre du règlement no 330/2010 ou de toute autre exemption à l'interdiction des ententes en droit de l'Union et en droit allemand.
23 Le 23 octobre 2020, Booking.com a saisi le Rechtbank Amsterdam (tribunal d'Amsterdam, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire, d'une demande tendant à faire constater, d'une part, que les clauses de parité qu'elle emploie n'enfreignaient pas l'article 101 TFUE et, d'autre part, que les parties défenderesses au principal n'avaient pas subi de préjudice du fait de ces clauses. Ces dernières ont, à titre reconventionnel, demandé à cette juridiction, d'une part, de constater que Booking.com avait violé l'article 101 TFUE et, d'autre part, de condamner celle-ci au versement de dommages et intérêts pour violation de l'article 101 TFUE.
24 Selon la juridiction de renvoi, qui s'est reconnue compétente pour connaître de l'affaire par un jugement interlocutoire du 26 octobre 2022, se pose, en premier lieu, la question de savoir si les clauses de parité tarifaire, tant étendue que restreinte, qui sont insérées dans les contrats conclus entre les OTA et les prestataires d'hébergement affiliés doivent, aux fins de l'application de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, être qualifiées de « restrictions accessoires ».
25 La juridiction de renvoi constate que la Cour ne s'est pas prononcée à ce jour sur la question de savoir si de telles clauses, en vertu desquelles une plateforme de réservation en ligne empêche les prestataires d'hébergement affiliés à cette plateforme de pratiquer des prix inférieurs – selon le cas sur tous les canaux de vente ou sur certains autres canaux de vente – à ceux proposés sur cette plateforme, sont susceptibles, en tant que restrictions accessoires, d'être soustraites au champ d'application de l'interdiction des ententes visée à l'article 101, paragraphe 1, TFUE. Or, cette question donnerait lieu à des analyses divergentes, ce qui pourrait aboutir à l'adoption de décisions contradictoires.
26 À cet égard, cette juridiction se demande si Booking.com ne devrait pas pouvoir se protéger des risques de parasitisme. Il ressortirait notamment de la jurisprudence invoquée par les requérantes au principal qu'il n'est pas nécessaire de démontrer que la violation d'une limitation contractuelle met en péril la viabilité de l'entreprise, mais qu'il suffit que celle-ci soit « compromise ». Il y aurait également lieu de relever que, entre-temps, tant la clause de parité restreinte que la clause de parité étendue ont été interdites par la loi en Belgique, en France, en Italie et en Autriche et que la procédure actuellement pendante devant le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) porte sur la même question que celle en cause dans la présente procédure.
27 En second lieu, dans l'hypothèse où il devrait être considéré que les clauses de parité litigieuses ne peuvent être qualifiées de « restriction accessoire », la juridiction de renvoi estime que se poserait alors la question de savoir si ces clauses peuvent être exemptées. Or, aux fins de l'application du règlement no 330/2010, il serait nécessaire de savoir comment définir le marché des produits en cause. En l'occurrence, la juridiction de renvoi considère que la manière de définir le marché pertinent, qui revêt un caractère « multiface », manque de clarté.
28 Dans ces conditions, le Rechtbank Amsterdam (tribunal d'Amsterdam) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les clauses de parité étendue et restreinte doivent-elles être qualifiées de restriction accessoire aux fins [de l'application] de l'article 101, paragraphe 1, TFUE ?
2) Dans le cadre de l'application du règlement [no] 330/2010, comment le marché en cause doit-il être défini lorsque les transactions sont conclues par l'intermédiaire d'une [OTA] sur laquelle des établissements d'hébergement peuvent offrir des chambres et entrer en contact avec des voyageurs, qui peuvent réserver une chambre par l'intermédiaire de ladite plateforme ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
29 La recevabilité de la demande de décision préjudicielle a été contestée pour trois motifs.
30 En premier lieu, selon les défenderesses au principal, cette demande ne répond pas aux exigences visées à l'article 94 du règlement de procédure de la Cour, faute pour la juridiction de renvoi d'avoir décrit de manière précise et complète le contexte factuel dans lequel sont posées les questions.
31 À cet égard, il ressort d'une lecture d'ensemble de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi a défini de manière suffisante le cadre factuel et juridique dans lequel s'inscrit sa demande d'interprétation pour permettre tant aux parties intéressées de présenter des observations, conformément à l'article 23 du statut de la Cour de justice de l'Union européenne, qu'à la Cour de répondre utilement à ladite demande. En particulier, cette juridiction a clairement fait état des décisions prises par l'Autorité fédérale de la concurrence et par les juridictions allemandes dans le cadre des litiges opposant les OTA à des établissements hôteliers en Allemagne.
32 Le premier motif d'irrecevabilité soulevé par les défenderesses au principal doit donc être écarté.
33 En deuxième lieu, tant les défenderesses au principal que le gouvernement allemand font valoir que la demande de décision préjudicielle porte sur des questions purement hypothétiques, dépourvues de rapport avec la procédure au principal. Ils soutiennent que la problématique sous-tendant les questions préjudicielles a d'ores et déjà été abordée par l'Autorité fédérale de la concurrence, dans ses décisions des 20 décembre 2013 et 22 décembre 2015, à l'égard respectivement des clauses de parité étendue et des clauses de parité restreinte, décisions qui ont, en définitive, été confirmées par la décision du 9 janvier 2015 de l'Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) et celle du 18 mai 2021 du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice). Or, dans la mesure, notamment, où la juridiction de renvoi devrait, en vertu des dispositions de l'article 9 de la directive 2014/104, tenir compte de ces décisions et de ces arrêts, il y aurait lieu de s'interroger sur la nécessité de poser ces questions préjudicielles.
34 À cet égard, il convient de rappeler qu'il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation d'une règle de droit de l'Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 9 juillet 2020, Santen, C‑673/18, EU:C:2020:531, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 27).
35 Il s'ensuit que les questions portant sur le droit de l'Union bénéficiant d'une présomption de pertinence, le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation d'une règle de l'Union sollicitée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 9 juillet 2020, Santen, C‑673/18, EU:C:2020:531, point 27 et jurisprudence citée, ainsi que du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 28).
36 En l'occurrence, tel n'est pas le cas. La réponse qu'apportera la Cour aux questions posées conditionnera de toute évidence l'issue du litige au principal.
37 À cet égard, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que la procédure au principal semble relever, en partie, du champ d'application de la directive 2014/104, tel que défini à l'article 1er de celle-ci. En effet, sous réserve des vérifications qu'il appartient à la juridiction de renvoi d'effectuer, les demandes principale et reconventionnelle dont celle-ci est saisie portent non seulement sur la question de savoir si les clauses de parité en cause enfreignent l'article 101 TFUE, mais également sur celle de savoir si la responsabilité des requérantes au principal peut être engagée en raison du préjudice prétendument subi par les défenderesses au principal du fait de telles clauses.
38 Or, l'article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104 dispose que, lorsqu'une action en dommages et intérêts en raison d'une infraction au droit de la concurrence est intentée devant les juridictions d'un État membre, les États membres veillent à ce que les décisions définitives d'une autorité nationale de concurrence ou d'une instance de recours d'un autre État membre puissent être présentées en tant que preuve prima facie de l'existence d'une infraction au droit de la concurrence.
39 Il en résulte que, même à supposer que la juridiction de renvoi soit effectivement saisie d'une action indemnitaire relevant du champ d'application de cette directive, ce qu'il lui appartient de déterminer, cette juridiction n'est pas nécessairement liée par les constatations relatives aux clauses de parité tarifaire figurant dans les décisions de l'Autorité fédérale de la concurrence ou dans les décisions ultérieures des juridictions allemandes. Le fait que ces décisions puissent constituer un commencement de preuve de l'existence d'une infraction ne rend donc pas la présente demande préjudicielle irrecevable.
40 En ce qui concerne la question de savoir si et dans quelle mesure les décisions définitives adoptées en Allemagne sont de nature à avoir une incidence sur l'appréciation que le juge national devra porter quant à la conformité des clauses de parité litigieuses, il convient de rappeler que l'article 9, paragraphe 3, de la directive 2014/104 énonce clairement que les dispositions des paragraphes 1 et 2 de cet article « s'entend[ent] sans préjudice des droits et obligations des juridictions nationales découlant de l'article 267 [TFUE] ».
41 Par ailleurs, rien n'indique que la procédure préjudicielle a, ainsi que l'énonce le point 29 de l'arrêt du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, EU:C:1981:302), été détournée par les parties des fins pour lesquelles elle a été prévue. Même à supposer que la saisine de la juridiction de renvoi par les requérantes au principal avait pour objectif ultime de contrecarrer les décisions définitives prises en Allemagne par lesquelles ces clauses ont été considérées comme étant contraires à l'article 101 TFUE, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'il appartient à la Cour d'examiner les conditions dans lesquelles celle-ci est saisie par le juge national afin de vérifier sa propre compétence.
42 Il n'apparaît donc pas manifeste que l'interprétation des dispositions visées par les questions préjudicielles n'aurait aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal ou que le problème serait de nature hypothétique.
43 Partant, le deuxième motif d'irrecevabilité doit également être rejeté.
44 En troisième lieu, les défenderesses au principal et le gouvernement allemand estiment que la demande de décision préjudicielle ne porte pas sur « l'interprétation » des traités et des actes de droit dérivé, au sens de l'article 267 TFUE, mais vise en réalité « l'application » de dispositions du droit de l'Union. En effet, il ne serait pas possible de répondre à la question de savoir si les clauses de parité tarifaire constituent des restrictions accessoires, échappant à l'application de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, de manière abstraite et indépendamment du contexte factuel, juridique et économique dans lequel elles s'appliquent. La définition d'un marché de produits en cause ne serait pas une notion juridique, mais requerrait plutôt une appréciation factuelle.
45 À cet égard, il convient de rappeler que l'article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l'Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l'interprétation des traités et des actes pris par les institutions, les organes et les organismes de l'Union. Il n'appartient donc à la Cour ni d'établir les faits qui ont donné lieu au litige au principal et d'en tirer les conséquences pour la décision que la juridiction de renvoi est appelée à rendre ni d'interpréter des dispositions législatives ou réglementaires nationales concernées (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics e.a., C‑17/19, EU:C:2020:379, points 51 et 52).
46 Cela étant, la Cour peut, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d'interprétation du droit de l'Union qui pourraient lui être utiles dans l'appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 133 ainsi que jurisprudence citée].
47 Saisie plus précisément de demandes tendant à qualifier le comportement d'une entreprise au regard des dispositions du droit de l'Union en matière de concurrence, en particulier de l'article 101 TFUE, la Cour a jugé que, s'il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier en définitive si, compte tenu de l'ensemble des éléments pertinents qui caractérisent la situation au principal ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel celle-ci s'insère, l'accord en cause a pour objet de restreindre la concurrence, elle peut, toutefois, sur la base des éléments du dossier dont elle dispose, apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son interprétation afin que cette dernière puisse trancher le litige (voir, notamment, arrêts du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, points 51 et 52 ainsi que jurisprudence citée, et du 29 juin 2023, Super Bock Bebidas, C‑211/22, EU:C:2023:529, points 28 et 29).
48 Il s'ensuit que le troisième motif d'irrecevabilité ne saurait davantage être retenu.
49 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
50 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que les clauses de parité, aussi bien étendue que restreinte, insérées dans les accords conclus entre les plateformes de réservation hôtelière en ligne et les prestataires de services d'hébergement échappent à l'application de cette disposition au motif qu'elles seraient accessoires auxdits accords.
51 Selon une jurisprudence constante, si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d'interdiction prévu à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de sa neutralité ou de son effet positif sur le plan de la concurrence, une restriction de l'autonomie commerciale d'un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus dudit principe d'interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et est proportionnée aux objectifs poursuivis par l'une ou l'autre (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89 ; du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 69, ainsi que du 26 octobre 2023, EDP – Energias de Portugal e.a., C‑331/21, EU:C:2023:812, point 88).
52 Ainsi, lorsqu'il n'est pas possible de dissocier une telle restriction de l'opération ou de l'activité principale sans compromettre l'existence et l'objet de cette opération ou de cette activité, il y a lieu d'examiner la compatibilité avec l'article 101 TFUE de cette restriction conjointement avec la compatibilité de l'opération ou de l'activité principale dont elle constitue l'accessoire, et cela bien que, prise isolément, pareille restriction puisse paraître, à première vue, relever du principe d'interdiction de l'article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 90 ; du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 70, ainsi que du 26 octobre 2023, EDP – Energias de Portugal e.a., C‑331/21, EU:C:2023:812, point 89).
53 Pour qu'une restriction puisse être qualifiée d'« accessoire », il convient, premièrement, de rechercher si la réalisation de l'opération principale, dépourvue de caractère anticoncurrentiel, serait impossible en l'absence de la restriction en question. Le fait que cette opération soit simplement rendue plus difficilement réalisable, voire moins profitable, en l'absence de la restriction en cause ne saurait être considéré comme conférant à cette restriction le caractère « objectivement nécessaire » requis afin de pouvoir être qualifiée d'« accessoire ». En effet, une telle interprétation reviendrait à étendre cette notion à des restrictions qui ne sont pas strictement indispensables à la réalisation de l'opération principale. Un tel résultat porterait atteinte à l'effet utile de l'interdiction prévue à l'article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 91 ; du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 71, ainsi que du 26 octobre 2023, EDP – Energias de Portugal e.a., C‑331/21, EU:C:2023:812, point 90).
54 Deuxièmement, il y a lieu, le cas échéant, d'examiner la proportionnalité de la restriction en cause par rapport aux objectifs sous-tendant l'opération en question. Ainsi, afin de réfuter le caractère accessoire d'une restriction, la Commission et les autorités nationales de la concurrence peuvent rechercher s'il existe des solutions de remplacement réalistes, moins restrictives de concurrence que la restriction en cause. Ces solutions de remplacement ne sont pas limitées à la situation qui se produirait en l'absence de la restriction en question, mais peuvent également s'étendre à d'autres hypothèses contrefactuelles fondées, notamment, sur des situations réalistes qui pourraient survenir en l'absence de ladite restriction (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, points 107 à 111).
55 Il importe de préciser qu'une distinction doit être faite entre la notion de « restrictions accessoires » telle qu'elle est examinée dans le cadre de l'article 101, paragraphe 1, TFUE et l'exemption fondée sur l'article 101, paragraphe 3, TFUE. À la différence de cette dernière, la condition tenant à la nécessité objective, en vue de qualifier, aux fins de l'application de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, une restriction d'« accessoire », n'implique pas une mise en balance des effets proconcurrentiels et anticoncurrentiels d'un accord. Ce n'est, en effet, que dans le cadre de l'article 101, paragraphe 3, TFUE que cette mise en balance peut avoir lieu (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 93).
56 En l'occurrence, il appartient en principe à la seule juridiction de renvoi, en tenant compte de l'ensemble des éléments de fait qui lui sont soumis, de déterminer si les conditions permettant d'établir l'existence d'une restriction accessoire sont réunies. Elle peut, notamment, tenir compte, conformément à l'article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104, lorsqu'elle est saisie d'une action relevant du champ d'application de cette directive, tel que défini à l'article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, des décisions définitives prises par une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours.
57 La Cour n'en est pas moins habilitée à apporter à la juridiction de renvoi des indications afin de guider celle-ci dans son examen du caractère objectivement nécessaire d'une restriction par rapport à l'opération principale.
58 En effet, un tel examen revêt, à la différence de celui requis dans le cadre de la mise en balance des effets proconcurrentiels et anticoncurrentiels d'un accord aux fins de l'application de l'article 101, paragraphe 3, TFUE, un caractère relativement général et abstrait ne nécessitant pas une appréciation purement factuelle.
59 En premier lieu, il apparaît que l'opération principale visée en l'occurrence, à savoir la fourniture de services de réservation hôtelière en ligne par les plateformes telles que Booking.com, a eu un effet neutre, voire positif, sur la concurrence. Ces services induisent des gains d'efficacité importants en permettant, d'une part, aux consommateurs d'avoir accès à un large panel d'offres d'hébergement et de comparer de manière simple et rapide ces offres selon divers critères et, d'autre part, aux prestataires d'hébergement d'acquérir une plus grande visibilité ainsi que d'augmenter, ce faisant, le nombre de clients potentiels.
60 En deuxième lieu, il n'est pas établi, en revanche, que les clauses de parité tarifaire, d'une part, sont objectivement nécessaires à la réalisation de cette opération principale et, d'autre part, sont proportionnées par rapport à l'objectif poursuivi par celle-ci.
61 À cet égard, s'agissant des clauses de parité étendue, qui interdisent aux hôteliers partenaires référencés sur la plateforme de réservation d'offrir, sur leurs propres canaux de vente ou sur des canaux de vente exploités par des tiers, des chambres à un prix inférieur à celui proposé sur ladite plateforme, elles n'apparaissent pas objectivement nécessaires à l'opération principale de prestation de services de réservation hôtelière en ligne ni proportionnées par rapport à l'objectif poursuivi par celle-ci.
62 En effet, il n'existe aucun lien intrinsèque entre la pérennité de l'activité principale de la plateforme de réservation hôtelière et l'imposition de telles clauses, qui produisent de toute évidence des effets restrictifs sensibles. De telles clauses, outre le fait qu'elles sont de nature à réduire la concurrence entre les différentes plateformes de réservation hôtelière, comportent des risques d'éviction des petites plateformes et des plateformes nouvelles entrantes.
63 Il en va de même, dans les circonstances de l'affaire au principal, des clauses de parité restreinte qui interdisent seulement aux prestataires d'hébergement partenaires d'offrir au public sur leurs propres canaux en ligne des nuitées à un tarif inférieur à celui offert sur la plateforme de réservation hôtelière. Bien que ces dernières clauses induisent, prima facie, un effet restrictif de concurrence moindre et qu'elles ont pour objectif de faire face au risque de parasitisme évoqué, notamment, par Booking.com dans l'affaire au principal, il n'apparaît pas que celles-ci sont objectivement nécessaires pour assurer la viabilité économique de la plateforme de réservation hôtelière.
64 Certes, dans le cadre de la procédure au principal, il a été soutenu que les clauses de parité visent à empêcher, d'une part, les prestataires d'hébergement d'utiliser de manière déloyale et sans contrepartie les services et la visibilité offerte par la plateforme de réservation hôtelière et, d'autre part, que les investissements réalisés dans l'élaboration des fonctions de recherche et de comparaison de cette plateforme ne puissent être amortis.
65 Or, ainsi que cela ressort de la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt, l'application de la notion de « restriction accessoire », qui détermine si une restriction peut échapper à l'interdiction prévue à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, ne doit pas conduire à créer un amalgame entre, d'une part, les conditions posées par la jurisprudence pour qualifier, aux fins de l'application de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, une restriction d'« accessoire » et, d'autre part, le critère du caractère indispensable requis au titre de l'article 101, paragraphe 3, TFUE, pour qu'une restriction prohibée puisse bénéficier d'une exemption.
66 Il ressort, en effet, de la jurisprudence citée aux points 51 à 55 du présent arrêt que, lors de l'examen du caractère objectivement nécessaire d'une restriction par rapport à l'opération principale, il s'agit non pas d'analyser si, eu égard à la situation concurrentielle sur le marché en cause, une telle restriction est requise pour assurer le succès commercial de l'opération principale, mais de déterminer si, dans le cadre particulier de cette opération, la restriction en question est indispensable à la réalisation de ladite opération.
67 La qualification de restriction « accessoire », échappant à l'interdiction énoncée à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, n'a, en effet, été envisagée par la Cour que dans des hypothèses où la réalisation de l'opération principale était nécessairement compromise en l'absence d'une telle restriction. Aussi, seules les restrictions qui étaient intrinsèquement nécessaires pour que l'opération principale puisse, en toute hypothèse, être réalisée ont pu être qualifiées de « restrictions accessoires ».
68 Tel était le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission (42/84, EU:C:1985:327, points 19 et 20), dans lequel la Cour a considéré qu'une clause de non-concurrence était objectivement nécessaire à la réalisation d'une cession d'entreprises, dans la mesure où, en l'absence d'une telle clause, et, lorsque le vendeur et l'acheteur demeurent en concurrence après la cession, il apparaît que l'accord de cession d'entreprise ne pourrait être réalisé. En effet, il a été considéré que le vendeur, qui connaît particulièrement bien les particularités de l'entreprise cédée, conserve la possibilité d'attirer à nouveau vers lui son ancienne clientèle immédiatement après la cession et de rendre ainsi non viable cette entreprise.
69 Tel était également le cas de certaines restrictions visées dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris (161/84, EU:C:1986:41). Dans cet arrêt, la Cour a estimé que les clauses des contrats de franchise de distribution qui sont indispensables au fonctionnement du système de franchise ne constituaient pas des restrictions de la concurrence. Il en était ainsi des clauses qui empêchaient que le savoir-faire transmis et l'assistance apportée par le franchiseur profitent à des concurrents. De même, des clauses organisaient le contrôle indispensable à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau des franchisés, symbolisé par l'enseigne du franchiseur (points 16 et 17 dudit arrêt).
70 La Cour a également jugé, dans l'arrêt du 19 avril 1988, Erauw-Jacquery (27/87, EU:C:1988:183, point 11), qu'une clause, insérée dans une convention relative à la multiplication et à la vente des semences dont l'une des parties est le titulaire ou le mandataire du titulaire de certains droits d'obtention végétale, et qui interdisait au licencié de vendre et d'exporter des semences de base, était compatible avec l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 101, paragraphe 1, TFUE) dans la mesure où elle était nécessaire pour permettre à l'obtenteur de sélectionner les négociants-préparateurs licenciés.
71 La Cour a encore considéré, dans les arrêts du 15 décembre 1994, DLG (C‑250/92, EU:C:1994:413, point 45), ainsi que du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a. (C‑399/93, EU:C:1995:434, point 20), que certaines restrictions imposées aux membres d'une association coopérative d'achat ou d'une société coopérative agricole, telles que celles leur interdisant de faire partie d'autres formes de coopération organisée en concurrence directe avec elles ou celles prévoyant un régime d'indemnité de départ, ne tombaient pas sous le coup de l'interdiction prévue désormais à l'article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors, notamment, que les dispositions statutaires en cause étaient limitées à ce qui était nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative en cause et de soutenir sa puissance contractuelle à l'égard des producteurs.
72 En l'occurrence, la circonstance que l'absence de clauses de parité tarifaire imposées par la plateforme de réservation hôtelière puisse éventuellement avoir des conséquences négatives sur la rentabilité des services offerts par cette plateforme n'implique pas, en elle-même, que ces clauses doivent être considérées comme étant objectivement nécessaires. Une telle circonstance, si elle était établie, semble se rapporter au modèle commercial suivi par la plateforme de réservation en ligne, qui a, notamment, opté pour une limitation du niveau des commissions dues par les prestataires d'hébergement affiliés afin d'augmenter le volume des offres présentées sur cette plateforme et de renforcer les effets de réseau indirects que cela génère.
73 Aussi, le fait, à le supposer avéré, que les clauses de parité tarifaire tendent à lutter contre d'éventuels phénomènes de parasitisme et sont indispensables pour garantir des gains d'efficacité ou pour assurer le succès commercial de l'opération principale ne permet pas de qualifier celles-ci de « restrictions accessoires », au sens de l'article 101, paragraphe 1, TFUE. Ce fait ne peut être pris en compte que dans le cadre de l'application de l'article 101, paragraphe 3, TFUE.
74 Bien qu'il revête un caractère relativement abstrait, l'examen du caractère objectivement nécessaire d'une restriction par rapport à l'opération principale peut, notamment, s'appuyer sur une analyse contrefactuelle permettant d'examiner de quelle manière les services d'intermédiation en ligne auraient fonctionné en l'absence de la clause de parité (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 164). Or, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que, alors même que les clauses de parité, tant étendue que restreinte, ont été interdites dans plusieurs États membres, la fourniture des services par Booking.com n'a pas été compromise.
75 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l'article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que les clauses de parité, aussi bien étendue que restreinte, insérées dans les accords conclus entre les plateformes de réservation hôtelière en ligne et les prestataires de services d'hébergement n'échappent pas à l'application de cette disposition au motif qu'elles seraient accessoires auxdits accords.
Sur la seconde question
76 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, de quelle manière il convient, aux fins de l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 330/2010, de définir le marché de produits pertinent dans une situation dans laquelle une plateforme de réservation hôtelière sert d'intermédiaire dans des transactions conclues entre des prestataires de services d'hébergement et des consommateurs.
77 En vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 330/2010, l'exemption prévue à l'article 2 de celui-ci s'applique à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les biens ou les services contractuels et que la part de marché détenue par l'acheteur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il achète les biens ou les services contractuels.
78 Le seuil de part de marché prévu à cette disposition vise, ainsi que le confirme le considérant 5 de ce règlement, à limiter le bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par ledit règlement aux accords verticaux dont il peut être présumé avec suffisamment de certitude qu'ils remplissent les conditions prévues à l'article 101, paragraphe 3, TFUE. Ainsi que l'énonce le considérant 9 de ce même règlement, au-dessus du seuil de part de marché de 30 %, il n'est pas possible de présumer que les accords verticaux relevant de l'article 101, paragraphe 1, TFUE entraînent généralement des avantages objectifs de nature et de taille à compenser les inconvénients que ces accords produisent sur la concurrence.
79 À cet égard, la juridiction de renvoi est partie du postulat selon lequel les restrictions de concurrence induites par les clauses de parité tarifaire en cause s'insèrent dans un « accord vertical », qui, aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), du règlement no 330/2010, est défini comme étant « un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l'accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services ».
80 La Cour n'est donc invitée qu'à fournir des indications sur les éléments d'interprétation dont il faut tenir compte aux fins de la définition du marché pertinent lorsque sont en cause, comme dans l'affaire au principal, des services d'intermédiation en ligne, étant précisé qu'une telle définition, qui exige de prendre en considération les conditions de la concurrence ainsi que la structure de la demande et de l'offre sur le marché concerné, est largement tributaire d'un examen factuel approfondi auquel seule la juridiction de renvoi peut procéder. Il en va d'autant plus ainsi que cette dernière n'a fourni à la Cour que peu d'éléments et que, partant, la Cour n'est pas en mesure de procéder à une définition rigoureuse du marché des produits en cause.
81 Ainsi que cela est énoncé tant au point 2 de la communication de 1997 de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5) qu'au point 6 de la communication révisée de 2024 de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit de la concurrence de l'Union (JO 2024, C 1645, p. 1), la définition du marché permet d'identifier et de définir le périmètre à l'intérieur duquel s'exerce la concurrence entre les entreprises concernées.
82 Concernant le marché de produits, seul en cause dans le cadre de la présente question, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion de « marché pertinent » implique qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits ou les services qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits ou les services faisant partie d'un même marché. L'interchangeabilité ou la substituabilité ne s'apprécie pas au seul regard des caractéristiques objectives des produits et des services en cause. Il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence ainsi que la structure de la demande et de l'offre sur le marché [arrêts du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25, point 51 ainsi que jurisprudence citée, et du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 129].
83 En l'occurrence, la juridiction de renvoi cherche en définitive à savoir si, ainsi que cela a été décidé dans le cadre des procédures engagées en Allemagne, le marché de produits pertinent aux fins de l'application du seuil de part de marché prévu par le règlement no 330/2010 était le « marché des plateformes hôtelières », défini comme étant le marché sur lequel les plateformes hôtelières en ligne proposent des services d'intermédiation aux prestataires d'hébergement, ou si le marché en cause est plus large que celui des portails de réservation hôtelière.
84 À cet égard, ainsi que l'indique le point 95 de la communication révisée citée au point 81 du présent arrêt, en présence de plateformes multifaces, il est possible de définir un marché de produits en cause pour les produits proposés par une plateforme dans son ensemble, de manière à ce qu'il englobe l'ensemble (ou plusieurs) des groupes d'utilisateurs, ou encore des marchés de produits en cause distincts (bien que liés entre eux) pour les produits proposés sur chaque face de la plateforme. En fonction des circonstances de l'espèce, il peut être plus approprié de définir des marchés distincts lorsqu'il existe des différences significatives dans les possibilités de substitution sur les différentes faces de la plateforme. Afin de déterminer si de telles différences existent, il peut être tenu compte de facteurs tels que le fait que les entreprises proposant des produits substituables à chaque groupe d'utilisateur diffèrent, le degré de différenciation sur chaque face (ou la perception qu'en a chaque groupe d'utilisateurs), les facteurs comportementaux comme les décisions en matière d'hébergement de chaque groupe d'utilisateurs et la nature de la plateforme.
85 En vue de déterminer la part de marché détenue par Booking.com en tant que fournisseur de services d'intermédiation en ligne aux prestataires d'hébergement aux fins de l'application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 330/2010, il convient donc d'examiner si d'autres types de services d'intermédiation et d'autres canaux de vente sont substituables aux services d'intermédiation du point de vue de la demande, d'un côté, des prestataires d'hébergement de ces services d'intermédiation et, de l'autre côté, des clients finals.
86 La juridiction de renvoi doit donc, en vue de déterminer le marché pertinent, vérifier s'il existe concrètement une substituabilité entre les services d'intermédiation en ligne et les autres canaux de vente, indépendamment du fait que ces canaux présentent des caractéristiques différentes et n'offrent pas les mêmes fonctionnalités de recherche et de comparaison des offres de services hôteliers.
87 Dans cette perspective, il incombe à la juridiction de renvoi de tenir compte de l'ensemble des éléments qui lui ont été présentés.
88 En l'occurrence, il y a lieu de relever que, dans le cadre des procédures engagées en Allemagne, qui sont à l'origine de la présente affaire, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a, dans sa décision du 18 mai 2021, confirmé les appréciations effectuées tant par l'Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) que par l'Autorité fédérale de la concurrence aux fins de la définition du marché en cause. Il a ainsi confirmé la conclusion selon laquelle le marché de produits pertinent aux fins de l'application du seuil de part de marché du règlement no 330/2010 était le marché des plateformes hôtelières, défini comme étant le marché sur lequel les plateformes hôtelières en ligne proposent des services d'intermédiation aux prestataires d'hébergement.
89 Si les appréciations de l'Autorité fédérale de la concurrence et des instances de recours en Allemagne relatives à la définition du marché de produits pertinent aux fins de l'application du règlement no 330/2010 ne se rapportent pas stricto sensu à des décisions définitives portant constatation d'une infraction au droit de la concurrence qui, conformément à l'article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104, peuvent être présentées devant les juridictions nationales au moins en tant que preuve prima facie d'une infraction, il n'en reste pas moins que ces appréciations, lorsqu'elles ont trait au même marché géographique, font partie des éléments de contexte particulièrement pertinents.
90 Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de déterminer si une telle définition du marché, qui tient compte des caractéristiques particulières des « services contractuels » offerts par les OTA tant du point de vue des fournisseurs d'hébergements que du point de vue des clients finals, est empreinte d'une quelconque erreur d'analyse ou repose sur des constatations erronées.
91 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l'article 3, paragraphe 1, du règlement no 330/2010 doit être interprété en ce sens que, dans une situation dans laquelle une plateforme de réservation hôtelière en ligne sert d'intermédiaire dans des transactions conclues entre des établissements d'hébergement et des consommateurs, la définition du marché en cause aux fins de l'application des seuils de parts de marché prévus à cette disposition exige un examen concret de la substituabilité, du point de vue de l'offre et de la demande, entre les services d'intermédiation en ligne et les autres canaux de vente.
Sur les dépens
92 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) L'article 101, paragraphe 1, TFUE
doit être interprété en ce sens que :
les clauses de parité, aussi bien étendue que restreinte, insérées dans les accords conclus entre les plateformes de réservation hôtelière en ligne et les prestataires de services d'hébergement n'échappent pas à l'application de cette disposition au motif qu'elles seraient accessoires auxdits accords.
2) L'article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, [TFUE] à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées,
doit être interprété en ce sens que :
dans une situation dans laquelle une plateforme de réservation hôtelière en ligne sert d'intermédiaire dans des transactions conclues entre des établissements d'hébergement et des consommateurs, la définition du marché en cause aux fins de l'application des seuils de parts de marché prévus à cette disposition exige un examen concret de la substituabilité, du point de vue de l'offre et de la demande, entre les services d'intermédiation en ligne et les autres canaux de vente.