Cass. com., 18 septembre 2024, n° 22-24.646
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocat général :
M. Lecaroz
Avocat :
SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 9 novembre 2021) et les productions, par des actes des 1er mars 2006, 8 mai 2007 et 23 décembre 2008, Mme [J] [O] a cédé à M. [L], à Mme [C] [O], à M. [A] et à Mme [Y] [L] un certain nombre de parts de la société civile d'exploitation agricole Ferme des Ajaux, qu'elle avait constituée avec M. [B].
2. Par une ordonnance du 6 décembre 2013, la société [D] a été désignée en qualité d'administrateur provisoire de la société Ferme des Ajaux.
3. Par un jugement du 18 décembre 2014, M. [B] a été mis sous curatelle.
4. Les 22, 23 et 24 juillet 2015, Mme [J] [O] a assigné M. [A], M. [L], Mme [C] [O], Mme [Y] [L], la société [D], ès-qualités, et M. [S] [B] au fins de voir annuler les actes de cession de parts des 1er mars 2006, 8 mai 2007 et 23 décembre 2008 ainsi que l'assemblée générale de la société Ferme des Ajaux qui s'était tenue le 6 mai 2015.
5. Par un jugement du 16 mai 2017, la société Ferme des Ajaux a été mise en liquidation judiciaire, la société [H] [V] étant désignée liquidateur. Cette dernière est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité de l'assemblée générale du 6 mai 2015, alors « que si le majeur placé sous curatelle peut, en principe, participer aux assemblées générales et voter les décisions, l'assistance du curateur est requise lorsque sont votées, au cours de ces assemblées, des décisions portant sur des actes de disposition, notamment sur la modification des statuts, la vente d'un actif immobilisé, l'octroi d'emprunt ou la constitution de sûretés ; que Mme [O] faisait valoir, à l'appui de sa demande de nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 6 mai 2015, que le curateur de M. [B], placé sous curatelle, n'avait pas été convoqué à cette assemblée ; qu'en se bornant à énoncer, pour écarter la nullité de cette assemblée générale extraordinaire, que M. [B], qui possédait deux parts en pleine propriété, était sous curatelle, soit une mesure de protection qui ne le privait pas de son droit de vote lors des assemblées générales de la société dont il était associé, de sorte que la convocation de sa curatrice, n'était pas exigée, sans s'assurer que les décisions votées ne portaient pas sur des actes de disposition, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 467 du code civil, ensemble de l'article 1844 du même code. »
Réponse de la Cour
7. Si l'associé d'une société civile doit être assisté de son curateur lors du vote d'une décision mentionnée au II de la colonne 2 de l'annexe 2 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, de sorte que son curateur doit être convoqué à l'assemblée générale ayant une telle question inscrite à son ordre du jour, seule la personne protégée ou son curateur peut se prévaloir, dans les conditions prévues à l'article 465 du code civil, de la méconnaissance de cette obligation.
8. Par ce motif de pur droit, substitué à celui critiqué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
9. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. Mme [O] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en nullité des actes de cession de parts sociales des 1er mars 2006, 8 mai 2007 et 23 décembre 2008 pour cause de prescription, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer ; que l'action en nullité d'une cession de parts sociales fondée sur le caractère frauduleux de cette cession court à compter du jour où le demandeur a eu connaissance des cessions de parts sociales frauduleuses, la présomption de connaissance de l'acte de cession de parts sociales résultant de sa publication au registre du commerce et des sociétés, destinée à assurer son opposabilité aux tiers, ne s'appliquant pas dans les rapports entre les parties à l'acte ; qu'en fixant le point de départ de la prescription quinquennale au 26 mars 2009, date à laquelle les actes de cession et les statuts mis à jour de la SCEA Ferme des Ajaux avaient été déposés au greffe du tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne, cependant que la présomption de connaissance de l'acte de cession de parts sociales résultant de sa publication au registre du commerce et des sociétés, destinée à assurer son opposabilité aux tiers, ne s'appliquait pas dans les rapports entre les parties à l'acte, la cour d'appel a violé l'article 1304 ancien du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et 2224 du code civil, ensemble l'article 1865 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1304, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 2224 et 1865 du code civil :
11. Il résulte des deux premiers de ces textes que le délai de prescription de l'action en nullité d'un acte de cession de parts sociales pour fraude ne court qu'à compter du jour de sa découverte.
12. Pour déclarer prescrite l'action en nullité des actes de cession de parts sociales des 1er mars 2006, 8 mai 2007 et 23 décembre 2008 exercée par Mme [O], la cour d'appel a retenu que celle-ci était réputée avoir été informée des agissements qu'elle dénonçait par la publication de ces actes au registre du commerce et des sociétés.
13. En statuant ainsi, alors que la présomption de connaissance de l'acte résultant de sa publication au registre du commerce et des sociétés, laquelle n'est destinée qu'à assurer l'opposabilité de cet acte aux tiers, ne s'applique pas dans les rapports entre les parties à l'acte, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement, il déclare Mme [J] [O] irrecevable en son action en nullité des actes de cession de parts sociales des 1er mars 2006, 8 mai 2007 et 23 décembre 2008 pour cause de prescription, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.