CA Montpellier, 3e ch. civ., 12 septembre 2024, n° 20/01354
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Époux Z
Défendeur :
Axa France Iard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sainati
Conseillers :
M. Durand, Mme Wattraint
Avocats :
Me Burger, Me Laurent, Me Tronel Peyroz
EXPOSE DU LITIGE
M. [R] [Z] et Mme [I] [Z] sont propriétaires d'un terrain situé [Adresse 2] à [Localité 3] (34) sur lequel ils ont fait édifier une maison d'habitation.
M. et Mme [Z] ont conclu le 8 avril 2011 avec la SAS Azur Bâtisseur un contrat intitulé « marché de travaux de bâtiment » dont la qualification juridique est présentement discutée entre les parties.
La SAS Azur Bâtisseur est assurée en responsabilité civile décennale auprès de la SA Axa France IARD.
Le 1er juillet 2012, M. et Mme [Z] ont pris possession de l'ouvrage qui n'a fait l'objet d'aucun procès-verbal de réception.
Courant 2013, M. et Mme [Z] se sont plaints de divers désordres de construction.
Par jugement du 21 janvier 2014, la SAS Azur Bâtisseur a été placée en liquidation judiciaire.
M. et Mme [Z] ont déclaré une créance de 15 000 euros à la procédure collective de la SAS Azur Bâtisseur.
Par acte d'huissier du 4 février 2016, M. et Mme [Z] ont assigné la SA Axa France IARD devant le juge des référés aux fins de voir ordonner une expertise des désordres allégués sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 26 février 2016, le juge des référés a ordonné cette expertise qu'il a confiée à M. [L] [F].
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 28 juillet 2016.
Par acte d'huissier du 31 juillet 2018, M. et Mme [Z] ont assigné la SA Axa France IARD devant le tribunal de grande instance de Béziers aux fins de se voir indemniser des préjudices subis.
Par jugement du 6 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Béziers a :
' dit n'y avoir lieu au rabat de l'ordonnance de clôture du 23 mai 2019, prononçant une clôture différée au 4 novembre 2019 ;
' débouté M. et Mme [Z] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de la SA Axa France IARD ;
' débouté la SA Axa France IARD de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
' condamné solidairement M. et Mme [Z] à payer à la SA Axa France IARD une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné solidairement M. et Mme [Z] aux dépens de l'instance, en ce compris les dépens de la procédure de référé et les frais d'expertise judiciaire et d'incident ;
' dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.
Par déclaration déposée au greffe le 4 mars 2020, M. et Mme [Z] ont relevé appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions n°5 de M. et Mme [Z] déposées au greffe le 2 mai 2024 aux termes desquelles ils demandent à la cour :
' d'infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la SA Axa France IARD de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau,
' de juger que la SAS Azur Bâtisseur engage sa responsabilité pleine et entière en sa qualité de maître d''uvre, sur le fondement de la garantie décennale, à l'égard de M. et Mme [Z] au titre des dommages qui rendent l'ouvrage impropre à sa destination, tels que relevés dans le rapport d'expertise judiciaire en date du 28/07/2016 (désordre n°3,4,5,6,9bis,10);
' de juger que la SAS Azur Bâtisseur est tenue de réparer les préjudices subis par Monsieur et Madame [Z] chiffrés comme suit :
- 15 060 euros au titre du coût des travaux de reprise des désordres ;
- 3 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;
' de condamner la SA Axa France IARD à leur verser la somme de 15 060 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel résultant du coût des travaux de reprise des désordres, avec intérêts de droit au taux légal à compter de l'assignation et jusqu'à parfait paiement ;
' de condamner la SA Axa France IARD à leur verser une somme de 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice de jouissance ;
' de déclarer la SA Axa France IARD irrecevable en sa demande tendant à voir M. et Mme [Z] condamner à lui payer une somme de 3 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive dont elle n'a pas valablement saisi la cour de céans ;
' de débouter la SA Axa France IARD de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
' de condamner la SA Axa France IARD à verser à M. et Mme [Z] une somme de 5 000 euros de frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de premières instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire à hauteur de 4 928,11 euros ;
' d'ordonner l'exécution provisoire ;
Vu les dernières conclusions de la SA Axa France IARD déposées au greffe le 26 avril 2024 aux termes desquelles elle demande :
A titre principal,
' de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les époux de toutes leurs demandes ;
' de juger que le contrat du 8 avril 2011 est un contrat de construction de maison individuelle ;
' de juger que l'activité effectivement réalisée par la SAS Azur Méditerranée n'est pas couverte par la police n° 4409593104 ;
' de juger que M. et Mme [Z] ne sont pas fondés à rechercher les garanties de la SA Axa France IARD ;
' de juger la SA Axa France IARD fondée en sa position de non-garantie en application des conditions de sa police ;
' en conséquence de débouter M. et Mme [Z] de l'intégralité de leurs demandes ;
Subsidiairement,
' de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. et Mme [Z] de toutes leurs demandes ;
' de constater que les désordres invoqués ne sont pas de nature décennale ;
' de constater que la police était résiliée au jour de la réclamation, sans maintien de garanties facultatives ;
' en conséquence de débouter M. et Mme [Z] de l'intégralité de leurs demandes ;
Plus subsidiairement,
' de juger que la responsabilité de la SAS Azur Bâtisseur ne saurait être retenue à concurrence de 100 % ;
' de ramener la demande formée à son encontre à de plus justes proportions ;
En tout état de cause,
' d'accueillir son appel incident ;
' de condamner M. et Mme [Z] à lui verser les sommes suivantes :
- 3 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 21 mai 2024.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la qualification du contrat conclu avec la SAS Azur Bâtisseur,
M. et Mme [Z] concluent à l'infirmation du jugement déféré et à la condamnation de la SA Axa France IARD à garantir les désordres affectant les ouvrages édifiés dans le cadre d'un contrat de maîtrise d''uvre complète conclu le 8 avril 2011 avec la SAS Azur Bâtisseur.
La SA Axa France IARD conclut à la confirmation du jugement déféré ayant retenu que la SAS Azur Bâtisseur n'était pas maître d''uvre mais était intervenue comme constructeur de maison individuelle, activité non couverte par la police d'assurance souscrite.
Les articles L. 231-1 et L. 232-1 du code de la construction et de l'habitation définissent le contrat de construction de maison individuelle, avec ou sans fourniture de plan, comme le contrat d'entreprise ayant au moins pour objet l'exécution des travaux de gros 'uvre, de mise hors d'eau et hors d'air d'un immeuble à usage d'habitation ou d'un immeuble à usage professionnel et d'habitation, ne comportant pas plus de deux logements destinés au même maître de l'ouvrage.
En l'espèce, le contrat conclu le 8 avril 2011 entre M. et Mme [Z] et la SAS Azur Bâtisseur est un « marché de travaux de bâtiment » ayant pour objet la construction d'une maison d'habitation au « prix global et forfaitaire toutes taxes comprises de 200 000 euros ».
Ce libellé contractuel ne correspond pas à une enveloppe financière de projet à respecter par un maître d''uvre mais au prix d'un marché à forfait convenu avec un locateur d'ouvrage s'engageant à construire lui-même la maison d'habitation décrite au contrat pour le compte des maîtres de l'ouvrage.
Il ressort des productions que M. et Mme [Z] n'ont jamais eu aucun échange direct avec les entreprises et ne sont jamais intervenus dans leur choix, la SAS Azur Bâtisseur n'assurant aucune mission de maîtrise d''uvre mais intervenant elle-même comme entreprise de construction.
La cour relève que la totalité des travaux de gros 'uvre et de second 'uvre ont fait l'objet d'un devis estimatif établi le 8 avril 2011 par la SAS Azur Bâtisseur d'un montant total de 170 100 euros TTC, les mentions d'entreprises figurant sur ce document n'enlevant rien au fait que ce devis a été intégralement établi par la SAS Azur Bâtisseur ayant seule choisi les entreprises sous-traitantes mentionnées.
M. et Mme [Z] n'ont eux-mêmes signé aucun marché de travaux.
Le seul marché de travaux produit aux débats est un contrat de sous-traitance du 16 juin 2011 aux termes duquel la SAS Azur Bâtisseur a confié à l'entreprise Mete les travaux de gros 'uvre de la maison de M. et Mme [Z].
L'existence de ce marché de sous-traitance du 16 juin 2011 contredit à lui seul les allégations de M. et Mme [Z] affirmant, sans produire aucun contrat ni autre preuve, avoir eux-mêmes confié ces travaux de gros 'uvre aux entreprises Mete et SAR Etanchéité alors que le prix du marché a été directement payé à la SAS Azur Bâtisseur et les factures établies à son nom.
L'exécution de travaux de gros 'uvre, y compris au moyen d'une sous-traitance, est rigoureusement incompatible avec la mission de maître d''uvre que M. et Mme [Z] prétendent avoir confiée à la SAS Azur Bâtisseur.
La SAS Azur Bâtisseur a par ailleurs elle-même sélectionné les entreprises chargées du second 'uvre (Garcia Démolition, Entreprise Mete, SAR Etanchéité, LDE Electricité, Furkan Façade, SAS Salette, Z2C Toiture, Plâtrerie des Corbières, Rénov'Aude Isolation, B2B) qui sont intervenues en qualité de sous-traitantes.
Bien qu'une partie des travaux sous-traités aient été directement payés par les maîtres de l'ouvrage et facturés à leur nom, ces derniers n'ont aucunement choisi les entreprises sous-traitantes et n'ont signé aucun contrat de louage d'ouvrage avec elles.
M. et Mme [Z] n'apportent aucune preuve de ces contrats qu'ils soutiennent vainement avoir accepté « verbalement » et « par l'intermédiaire du maître d''uvre Azur Bâtisseur ».
Toutes les entreprises sous-traitantes ont été sélectionnées par la SAS Azur Bâtisseur et ont contracté directement avec cette société, contrairement à la position soutenue par M. et Mme [Z] qui ne démontrent pas avoir eux-mêmes négocié avec ces entreprises et ne produisent aucun des contrats qu'ils prétendent avoir directement conclus avec ces entreprises.
En effet, les devis établis le 6 février 2012 par l'entreprise LDE n'ont pas été acceptés, les travaux n'ont pas été facturés et le courrier du 22 mai 2014 de M. et Mme [Z] à LDE évoque « votre fournisseur Azur Bâtisseur », mention confirmant le lien existant entre la SAS Azur Bâtisseur et LDE Electricité. De surcroît, ce marché d'électricité n'influe pas sur la qualification du contrat de maison individuelle s'appréciant au regard des seuls travaux de gros 'uvre, de mise hors d'eau et hors d'air.
Par ailleurs, le devis de travaux de l'entreprise Z2C daté du 7 avril 2012 comporte une mention signée d'acceptation mais ne concerne qu'un marché accessoire concernant les débords, de lambris et de gouttière de toiture pour un montant de 4 286,45 euros TTC qui ne suffit pas pour prétendre invalider la qualification de contrat de construction de maison individuelle.
La cour partage donc l'analyse des premiers juges qui ont retenu aux termes de motifs pertinents expressément adoptés, que le contrat du 8 avril 2011 a confié à la SAS Azur Bâtisseur la mission de construire elle-même une maison individuelle pour le compte des maîtres de l'ouvrage en privant ceux-ci de leur liberté de faire appel aux entreprises de leur choix.
Ce contrat, improprement qualifié de contrat de maîtrise d''uvre, était donc soumis aux dispositions d'ordre public instituées par l'article L. 232-1 du code de la construction et de l'habitation et doit donc être requalifié en ce sens.
Sur la garantie due par la SA Axa France IARD,
Le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne garantit que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur (Civ. 1e, 28 octobre 1997, pourvoi n° 95-19.416 et Civ. 3e, 28 septembre 2005, pourvoi n° 04-14.472).
Lors de la souscription de la police d'assurance de responsabilité décennale n° 4409593104, la SAS Azur Bâtisseur a déclaré exercer une activité de maître d''uvre tous corps d'état de conception et de réalisation ainsi que des missions d'ordonnancement, pilotage et coordination.
La SAS Azur Bâtisseur n'a déclaré ni son activité de maçonnerie, ni son activité de constructeur de maison individuelle avec ou sans fourniture de plan telle que défini par la loi du 19 décembre 1990.
En conséquence, les premiers juges ont exactement retenu que la SA Axa France IARD était fondée à dénier sa garantie en invoquant un cas de non-assurance, le sinistre étant consécutif à l'exercice par la SAS Azur Bâtisseur d'une activité de construction de maison individuelle non déclarée à l'assureur (Civ. 3e, 2 mars 2022 / n° 21-12.096).
Le jugement déféré est donc confirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive de la SA Axa France IARD,
L'exercice d'une action en justice ne peut dégénérer en abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif.
La cour partage l'analyse des premiers juges qui ont rejeté la demande de dommages-intérêts de la SA Axa France IARD contre M. et Mme [Z] pour procédure abusive.
En effet, il n'est pas établi en l'espèce par la société intimée que M. et Mme [Z] auraient commis une quelconque faute dans l'exercice de leur action.
Le jugement déféré est donc confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires,
Le jugement déféré doit aussi être confirmé en ses dispositions ayant statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [Z] succombent intégralement en appel et doivent donc en supporter les entiers dépens.
L'équité commande en outre de les condamner à verser à la SA Axa France IARD une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne M. [R] [Z] et Mme [I] [Z] à supporter les entiers dépens d'appel ;
Condamne M. [R] [Z] et Mme [I] [Z] à payer à la SA Axa France IARD une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.