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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. civ., 12 septembre 2024, n° 23/05197

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

A & H (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Torrecillas

Conseillers :

Mme Carlier, M. Robertson

Avocats :

Me Calafell, Me Anahory

TGI Montpellier, du 6 oct. 2023, n° 2103…

6 octobre 2023

FAITS ET PROCÉDURE

Selon bail sous-seing privé en date du 1er juin 2002 Monsieur [U] [J] a donné à bail commercial à Monsieur [R] divers locaux dépendants de l'immeuble sis [Adresse 5] consistant en un local de 110 m² à destination de boulangerie pâtisserie chocolaterie confiserie moyennant un loyer annuel de 4620 €.

Monsieur et Madame [R] ont vendu leurs fonds de commerce, comprenant le droit au bail de boulangerie pâtisserie à la SARL A&H en cours d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés de Montpellier sud-est le 4 décembre 2015 et représentée par Monsieur et Madame [L]. Selon extrait K bis au 18 janvier 2016 la SARL A&H a été immatriculée avec commencement d'activité au 12 janvier 2016.

Par acte d'huissier en date du 15 septembre 2021, Monsieur [U] [J] a fait assigner Monsieur [I] [L], Madame [T] [W] épouse [L] et la société A&H devant le tribunal judiciaire de Montpellier aux fins d'ordonner l'expulsion des locataires ainsi que de tous occupants de leur chef avec au besoin le concours de la force publique et en cas de maintien dans les lieux, de fixer l'indemnité d'occupation à 2000 € par mois à compter du 1er janvier 2022 jusqu'au départ des lieux à l'amiable ou dans le cadre d'une expulsion, dire que chaque année l'indemnité d'occupation sera majorée de 10 %.

Par conclusions du 3 février 2023, Monsieur [I] [L], Madame [N] [W] épouse [L] et la société A&H ont saisi le juge de la mise en état en soulevant des fins de non recevoir.

Selon une ordonnance rendue contradictoirement en date du 6 octobre 2023, le juge de la mise en état a :

- déclaré irrecevables les demandes formées par Monsieur [U] [J] à l'encontre de Monsieur [I] [L] et Madame [N] [W] épouse [L] pour défaut d'intérêt à agir à leur encontre,

- les a mis hors de cause,

- déclaré recevables les demandes formées par Monsieur [U] [J] à l'encontre de la SARL A&H,

- condamné Monsieur [U] [J] à payer à Monsieur [I] [L] et Madame [N] [W] épouse [L] la somme de 2000 € à titre de dommages-intérêts,

- débouté la SARL A&H de sa demande de dommages-intérêts,

- condamné Monsieur [U] [J] à payer à Monsieur [I] [L], Madame [N] [W] épouse [L] et la SARL A&H la somme de 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens de l'incident à la charge de Monsieur [U] [J].

Le 24 octobre 2023, Monsieur [U] [J] a interjeté appel de cette ordonnance.

Par ordonnance rendue en date du 8 novembre 2023, l'affaire a été fixée à l'audience du 27 mai 2024 en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Vu les conclusions notifiées le 17 mai et le 24 mai 2024 par la partie appelante ;

Vu les conclusions notifiées le 21 mai 2024 par la partie intimée ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 21 mai 2024 ;

PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [U] [J] conclut à l'infirmation de l'ordonnance et demande à la Cour statuant à nouveau de :

- dire et juger que la demande présentée dans la requête concernant l'inscription au RCS et le droit à revendiquer la propriété commerciale des époux [L] ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état, mais du tribunal judiciaire,

- dire et juger que la demande d'irrecevabilité des époux [L] ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que les requérants à l'incident produisent un PV d'une assemblée générale qui n'a pas date certaine, et de surcroît plus de 7 mois après le dépôt de la requête au greffe de la mise en état,

En conséquence,

- débouter les époux [L] de leurs demandes fins et conclusions,

- déclarer le juge de la mise en état incompétent pour statuer sur la qualité de locataire commerçant bénéficiant de la propriété commerciale des époux [L] ou de la société A&H,

- les débouter de leurs demandes, fins et conclusions,

- les condamner à payer à titre de dommages et intérêts, la somme de 4000 € et la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur [J] expose qu'à l'époque de la cession de bail, la société A&H n'avait pas d'existence juridique. Par la suite il n'existe aucune assemblée générale à l'occasion de laquelle le fonds de commerce acquis des époux [R] a été apporté à la société A & H. Les personnes physiques restent donc titulaires du bail. En l'absence de production d'un procès verbal d'assemblée générale, l'apport du fonds de commerce en société n'est pas établi. Ce débat, qui est une question de fond, ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état.

Le procès verbal du 18 janvier 2016 destiné à établir l'apport du fonds de commerce n'a pas date certaine et ne peut valoir preuve de l'apport.

Sur les dommages et intérêts dus suite 'à l'acharnement procédural' qui lui est reproché par le premier juge, Monsieur [J] conteste la faute prétendument commise.

Monsieur [I] [L], Madame [N] [W] et la SARL A&H demandent à la Cour de :

- confirmer l'ordonnance du 6 octobre 2023 en ce qu'elle a prononcé l'irrecevabilité des demandes de Monsieur [U] [J] à l'égard de Monsieur et Madame [L] et l'a condamné à leur payer la somme de 2.000 € à titre de dommages intérêts et 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- infirmer l'ordonnance pour le surplus et statuant à nouveau,

- prononcer l'irrecevabilité des demandes de Monsieur [U] [J] à l'égard de la SARL A & H et le condamner à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages intérêts,

En tout état de cause :

- condamner, en cause d'appel, Monsieur [U] [J] à payer la somme de 7.000 euros à chacune des parties, c'est à dire d'une part Monsieur [I] [L] et son épouse Madame [N] [W] et d'autre part à la SARL A & H au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Les époux [L] reprennent la motivation du premier juge pour demander la confirmation de la décision qui a déclaré Monsieur [J] irrecevable en son action à leur encontre.

La société A&H conlut à l'infirmation de la décision et maintient que l'action est irrecevable à son encontre également dans le sens où le congé ne lui a pas été délivré en sa qualité de preneuse, mais d'occupante des lieux du fait des époux [L].

Par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour entend se référer aux dernières écritures des parties ci dessus visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions qu'elles ont développés.

DISCUSSION

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture et la recevabilité des conclusions de l'appelant du 24 mai 2024 :

Selon les dispositions de l'article 802 du Code de procédure civile, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats après l'ordonnance de clôture à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. L'ordonnance ne peut être révoquée que pour motif grave.

En l'espèce aucun motif grave n'est avancé par l'appelant pour justifier avoir conclu postérieurement à la clôture et il convient de déclarer irrecevables les conclusions notifiées postérieurement au 21 mai 2024.

Sur la recevabilité de la demande en justice contre Madame [N] [W] et Monsieur [I] [L] d'une part, la SARL A&H d'autre part :

Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.

L'intérêt s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice.

Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée, immatriculée et donc dotée de la personnalité juridique, ne reprenne les engagements souscrits, lesquels sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.

En l'espèce, les époux [L] ont acquis le bail litigieux pour le compte de la société A&H en cours d'immatriculation. Un congé en date du 25 mai 2021 leur a été délivré par le bailleur lequel ne s'est vu notifier l'acte de reprise du bail par la société A&H que par la production du procès verbal d'assemblée générale du 18 janvier 2016 dans le cadre de la présente procédure en cours, soit postérieurement à la demande en justice.

Il convient de rappeler que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et qu'il appartiendra donc au seul juge du fond de déterminer s'il peut être attaché quelque effet au congé délivré aux époux [L]. L'intérêt à agir contre ces derniers est dès lors démontré.

Monsieur [J] dispose d'un intérêt à agir contre la société A&H, dont il n'est pas contesté qu'elle exploite au moins dans les faits le fonds de commerce dont s'agit.

Il convient en conséquence de réformer la décision en ce qu'elle a déclaré bien fondée la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir à l'encontre de Madame [N] [W] et Monsieur [I] [L].

Sur les dommages et intérêts :

La demande incidente des intimés étant rejetée, aucun abus de droit ne peut être caractérisé dans le cadre de la procédure suivie devant le juge de la mise en état et la Cour.

La décision sera réformée en ce qu'elle a condamné l'appelant à des dommages et intérêts.

L'appelant ne fait pas la preuve d'un abus de droit imputable aux intimés et il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts .

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Les intimés qui succombent seront condamnés aux entiers dépens d'appel.

En raison de l'équité, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Rejette la demande de rabat de l'ordonnance de clôture,

Déclare irrecevables les conclusions de Monsieur [U] [J] en date du 24 mai 2024 ;

Infirme la décision en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes formées par Monsieur [U] [J] à l'encontre de Madame [N] [W] et Monsieur [I] [L], et en ce qu'elle a condamné Monsieur [U] [J] à payer des dommages et intérêts à Madame [N] [W] et Monsieur [I] [L],

Statuant à nouveau,

Déclare recevables les demandes formées par Monsieur [U] [J] à l'encontre de Madame [N] [W] et Monsieur [I] [L],

Déboute Madame [N] [W] et Monsieur [I] [L] de leur demande de dommages et intérêts,

Confirme le surplus des dispositions non contraires de la décision,

Y ajoutant,

Déboute Monsieur [U] [J] de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne Madame [N] [W], Monsieur [I] [L] et la société A&H aux dépens de première instance et d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.