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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 12 janvier 2022, n° 21/00813

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Rosay Techniques Couvertures (SAS)

Défendeur :

Ciné Dieppe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Wittrant

Conseillers :

M. Mellet, Mme Vera

T. com. Dieppe, du 5 févr. 2021, n° 2021…

5 février 2021

Dans le cadre de l'aménagement cinématographique de l'ancienne manufacture des tabacs de Dieppe, la Sasu Ciné Dieppe a confié à la Sas Rosay Techniques Couvertures le lot n°3 couverture/étanchéité/bardage par marché de travaux privé régularisé le 31 janvier 2019 pour un montant total TTC de 366 000 euros.

La réception du chantier est intervenue le 12 novembre 2019, le procès-verbal portant mention de quatre réserves.

L'essentiel du marché a été payé par la société Ciné Dieppe, mais le règlement de deux factures a posé difficulté :

- une situation n°7 en date du 25 octobre 2019 pour un montant de 60 738,24 euros (facture n°1910004-1), validée par le maître d'oeuvre ;

- une situation n°8 du 25 novembre 2019 pour un montant de 31 739,03 euros (facture n°1911014-1), validée par le maître d'oeuvre.

Par mise en demeure, la société Rosay Techniques Couvertures a sollicité le règlement de la somme de 94 386,61 euros, incluant les pénalités de retard arrêtées au 24 février 2020, et en retour, la société Ciné Dieppe lui a adressé un chèque d'un montant de 32 586,34 euros, accompagnant un courrier dans lequel il était fait état de contestations relatives à des travaux mal ou non réalisés.

La société Rosay Techniques Couvertures a assigné, par exploit en date du 09 juin 2020, la société Ciné Dieppe en référé provision devant le président du tribunal de commerce de Dieppe, sollicitant la condamnation de la société contractante à lui régler à titre provisionnel la somme de 61 800,27 euros TTC, ainsi que l'octroi de la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil sous astreinte. Par conclusions ultérieures, à titre infiniment subsidiaire, elle sollicitait en outre une expertise judiciaire en matière de construction.

Par ordonnance du 27 novembre 2020, le président du tribunal de commerce a ordonné la réalisation d'une expertise, confiée à M. Jacques Van T..

Le 15 décembre 2020, la société Rosay a déposé une requête en omission de statuer sollicitant principalement qu'il soit statué sur la demande visant à voir condamner la société Ciné Dieppe d'avoir à lui régler à titre provisionnel la somme de 61 800,27 euros TTC, et à défaut, à la condamner à lui remettre les garanties de paiement prévues à l'article 1799-1 du code civil et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance.

Par ordonnance de référé du 5 février 2021, le président du tribunal de commerce a débouté la société Rosay Techniques Couvertures de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance, aux motifs qu'il existerait une contestation sérieuse relative aux chefs de ses demandes en ce que des travaux n'auraient pas été réalisés ou auraient été mal réalisés.

Par déclaration reçue le 23 février 2021, la Sas Rosay Techniques Couvertures a interjeté appel des ordonnances des 27 novembre 2020 et 5 février 2021.

Par dernières conclusions notifiées le 12 octobre 2021, elle demande à la cour, sur le fondement des 873 du code de procédure civile, 6 et 1799-1 du code civil et L 441-10 du code de commerce, de, in limine litis :

- débouter la société Ciné Dieppe de sa demande de nullité de la déclaration d'appel,

au fond, de :

- réformer les ordonnances attaquées en ce qu'elles l'ont déboutée de sa demande de délivrance sous astreinte de la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du Code Civil ,

- accueillir comme juste et bien fondé son appel,

- débouter la société Ciné Dieppe de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Ciné Dieppe à lui remettre la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil et ce, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard et pour une durée de trois mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner celle-ci à verser à la société Rosay la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 21 octobre 2021, la Sasu Ciné Dieppe demande à la cour de :

- prononcer la nullité de la déclaration d'appel de la société Rosay Techniques Couvertures pour non-respect des dispositions des articles 901 et suivants du code de procédure civile,

- confirmer les ordonnances des 27 novembre 2020 et 5 février 2021 en ce qu'elles ont débouté la société Rosay Techniques Couvertures de sa demande de délivrance de la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil et ce sous astreinte ;

- débouter la société Rosay Techniques Couvertures de l'ensemble de ses demandes, celles-ci faisant l'objet de contestations sérieuses ;

- débouter la société Rosay Techniques Couvertures de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 1799-1 du code civil et dire qu'il n'y a lieu à aucune astreinte ;

- condamner la société Rosay Techniques Couvertures à la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Rosay Techniques Couvertures aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens.

En application des articles 905, 905-1 et 905-2, un avis de fixation à bref délai a été rendu le 22 mars 2021 pour arrêter l'audience de plaidoiries au 27 octobre 2021.

MOTIFS

Sur la nullité de la déclaration d'appel

La Sasu Ciné Dieppe soutient que la présente déclaration d'appel n'indique pas les chefs de jugement critiqués, ne mentionnant pas spécifiquement la demande en paiement à titre provisionnel ni la mise en place de la garantie de l'article 1799-1 du code civil , et qu'elle lui fait naturellement grief puisqu'elle ne lui permet pas de définir clairement les chefs de demandes expressément critiqués.

En vertu de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. Par ailleurs, il résulte de l'article 901 du même code que la déclaration d'appel doit notamment contenir, et ce à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

La déclaration d'appel formée par la société Rosay Techniques Couvertures, visant les ordonnances indissociables des 27 novembre 2020 et 5 février 2021, indiquait que l'appel tendait à l'annulation ou à l'infirmation des décisions susvisées en leurs dispositions, en ce que l'ordonnance du 05 février 2021 l'a déboutée de sa requête et l'a condamnée aux entiers dépens.

Ce faisant, la société Rosay Techniques Couvertures a strictement repris les termes du dispositif de la décision critiquée et a ainsi visé les dispositions critiquées qu'il convient de distinguer des moyens. Elle a fait expressément référence à la décision contestée permettant à la partie adverse de connaître le champ de la saisine de la cour : le débouté de la demande en paiement provisionnel de la somme de 61 800,27 euros TTC, et à défaut, de remise des garanties de paiement prévues à l'article 1799-1 du code civil et ce, sous astreinte.

Aucun grief n' est caractérisé par la société Ciné Dieppe.

La déclaration d'appel établie conformément aux textes susvisés n'encourt pas de sanction.

La demande en nullité de l'acte de procédure est rejetée.

Sur la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil

En définitive, la société appelante ne critique pas le rejet de sa demande tendant à la condamnation de la société Ciné Dieppe à titre provisionnel à lui payer la somme de 61 800,27 euros.

Sa seule contestation porte sur le rejet de sa demande tendant à la remise de la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil .

Le premier juge a rejeté, en référé, la demande de condamnation à titre provisionnel et de garantie précitée en raison de l'existence d'une contestation sérieuse portant sur la réalisation des travaux.

En vertu de l'article 1799-1 du code civil , le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l'article 1779 doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat soit 12 000 euros hors arrhes ou acomptes versés à la conclusion du contrat.

Lorsque le maître de l'ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l'établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3° de l'article 1779 tant que celles-ci n'ont pas reçu le paiement de l'intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt. Les versements se font sur l'ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l'ouvrage entre les mains de la personne ou d'un mandataire désigné à cet effet.

Lorsque le maître de l'ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique ou lorsqu'il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d'une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective.

Tant qu'aucune garantie n'a été fournie et que l'entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l'exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l'issue d'un délai de quinze jours.

Le maître de l'ouvrage est débiteur de l'obligation de garantie dès la signature du marché, et la garantie peut être sollicitée à tout moment, y compris en fin de chantier tant que celui-ci n'a pas été intégralement réglé, ou même après la réalisation des travaux par l'entrepreneur qui n'a pas été payé par le maître de l'ouvrage.

La garantie instaurée par l'article 1799-1 est d'ordre public et les parties ne peuvent y déroger .

La contestation relative au montant des sommes restant dues est sans incidence sur l'obligation de fournir la garantie prévue par l'article 1799-1 du code civil . La possibilité d'une compensation future avec une créance du maître de l'ouvrage ne dispense pas celui-ci de l'obligation légale de fournir la garantie de paiement du solde dû sur le marché.

En l'espèce, il n' est pas contesté que le marché de travaux conclu entre les parties relève du champ d'application des dispositions précitées. Il n' est pas davantage contesté que le maître de l'ouvrage n'a pas procédé à un règlement intégral des sommes prévues au contrat, restant devoir une somme de 61 800,27 euros, puisqu'il considérait que les réserves émises lors de la réception justifiaient de minorer les sommes dues. Une expertise a ainsi été ordonnée par le juge des référés aux fins de recenser les désordres et malfaçons et d'évaluer l'éventuel préjudice.

Le fondement d'une telle garantie étant d'assurer le paiement intégral des travaux, l'assiette de la présente garantie , sollicitée après leur réalisation, doit correspondre au montant restant dû au titre du contrat, soit la somme de 61 800,27 euros, sans considération pour d'éventuelles compensations de créances.

Aucune contestation sérieuse ne saurait être opposée quant à la délivrance de la garantie susvisée, puisqu'aucune condition d'exigibilité de la somme n' est prévue par l'article 1799-1 du code civil . Ce n' est qu'après discussion contradictoire du rapport d'expertise, et une éventuelle saisine de la juridiction au fond en l'absence d'accord, que l'hypothèse avancée d'une créance du maître de l'ouvrage sera déterminée de façon certaine.

Dans ces conditions, la société Ciné Dieppe sera condamnée à remettre à la société Rosay Techniques Couvertures la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil à hauteur du reliquat des sommes dues en exécution du marché de travaux, soit 61 800,27 euros et sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, une fois écoulé le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision,

L'ordonnance du 5 février 2021, seule décision visée dans la déclaration d'appel, sera dès lors infirmée de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Ciné Dieppe, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens.

L'équité commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile ; en conséquence, la société Ciné Dieppe devra payer la société Rosay Techniques Couvertures au titre des frais engagés pour sa défense la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Rejette le moyen tiré de la nullité de la déclaration d'appel formé par la Sas Rosay Techniques Couvertures à l'encontre de l'ordonnance du 5 février 2021 rendue par le président du tribunal de commerce de Dieppe,

et dans les limites de l'appel formé,

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la Sas Rosay Techniques Couvertures de sa demande de délivrance de la garantie prévue par l'article 1799-1 du code civil ,

Statuant à nouveau,

Condamne la Sasu Ciné Dieppe à remettre à la Sas Rosay Techniques Couvertures la garantie de paiement prévue à l'article 1799-1 du code civil à hauteur du reliquat des sommes dues en exécution du marché de travaux, soit 61 800,27 euros, ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard, une fois écoulé le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision,

Condamne la Sasu Ciné Dieppe à payer à la Sas Rosay Techniques Couvertures la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Sasu Ciné Dieppe aux dépens de première instance et d'appel.