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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 16 janvier 2024, n° 23/07597

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. BRUE

Conseillers :

Mme OUVREL, Mme ALLARD

Avocats :

SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON

TJ GRASSE, du 26 mai 2023

26 mai 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte du 19 octobre 2020, M. [R] [I], vendeur, et M. [M] [J], acquéreur, ont signé un compromis de vente établi par Me [V] [G], notaire à [Localité 3], portant sur une maison à usage d'habitation, située [Adresse 1], et [Adresse 2], pour le prix de1 800 000 euros. Il a été stipulé au compromis le paiement d'une pénalité à hauteur de 180 000 euros, en cas de réalisation des conditions suspensives et de défaillance de l'une des parties à la régularisation de l'acte.

Le compromis de vente, sous conditions suspensives, a été accepté par les parties pour une durée de 75 jours à compter de la signature de l'acte, soit jusqu'au 3 janvier 2021.

Les conditions suspensives ont été levées, et Me [G], notaire rédacteur, a sollicité par courrier du 18 décembre 2020, Me [T] [P], notaire de M. [J], pour la réitération par acte authentique de la vente.

L'acte de vente en la forme authentique n'a jamais été régularisé.

Le 1er mars 2021, M. [I] a mis en demeure M. [J] de procéder au règlement de la clause pénale à hauteur de 180 000 euros, sous huitaine.

Par acte du 12 août 2021, M. [I] a délivré assignation devant le tribunal judiciaire de Grasse à M. [J] aux fins d'obtenir, notamment, le paiement de la somme de 180 000 euros en vertu de la clause pénale stipulée au compromis de vente du 19 octobre 2020.

Par conclusions d'incident du 16 septembre 2022, M. [J] a saisi le juge de la mise en état d'une exception d'incompétence territoriale au profit des juridictions saoudiennes.

Par ordonnance rendue le 26 mai 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Grasse a : - rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [M] [J],

- condamné M. [M] [J] à payer à M. [R] [I] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [M] [J] de sa demande formée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] [J] aux entiers dépens de la procédure sur incident, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état du 4 septembre 2023 avec injonction de conclure au fond au conseil de M. [M] [J].

Le juge de la mise en état a écarté :

- l'application des dispositions de l'article 46 du code de procédure civile s'agissant d'un compromis de vente n'emportant ni livraison d'une chose, ni exécution d'une prestation de service,

- l'application de la clause d'élection de for stipulée au compromis qui s'analyse en une clause attributive de compétence au sens de l'article 48 du code de procédure civile et qui est réputée non écrite entre des parties non commerçantes,

- l'application des dispositions du règlement 1215/2012 Bruxelles I dans la mesure où le litige ne relève pas du droit réel immobilier, mais est purement contractuel.

Le juge de la mise en état a relevé, en revanche, se fondant sur l'article 42 du code de procédure civile, que M. [J] avait élu domicile dans le ressort du tribunal judiciaire de Grasse, en l'étude du notaire ayant reçu l'acte, pour l'exécution du compromis de vente, exerçant sur la commune d'Antibes.

Par déclaration transmise au greffe le 8 juin 2023, M. [M] [J] a relevé appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.

Par dernières conclusions transmises le 8 juin 2023 et notifiées le 20 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [J] sollicite de la cour qu'elle :

' déclare son appel recevable, Y faisant droit :

' infirme l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 26 mai 2023 en ce qu'elle :

* a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par ce dernier, sur le fondement d'une clause d'élection de domicile,

* l'a condamné à payer une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

* l'a débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

Et, statuant à nouveau :

' confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :

* jugé que les demandes formées par M. [I] ne relèvent pas de l'option de compétence ouverte par les dispositions de l'article 46 alinéa 2 du code de procédure civile,

* jugé que la clause d'élection de for invoquée par M. [I] est réputée non écrite au regard de l'article 48 du code de procédure civile, dès lors que cette élection n'a pas été stipulée par toutes les parties ayant qualité de commerçant,

* écarté les moyens de M. [I] fondés sur les dispositions du règlement 1215/2012 Bruxelles I et sur le lieu de situation de l'immeuble,

' juge qu'ayant été souscrite par M. [J], non-commerçant, la clause d'élection de domicile prévue par le compromis de vente ne peut emporter attribution de compétence et doit être réputée non écrite en application de l'article 48 du code de procédure civile,

' juge nulle la clause d'élection de domicile,

' constate en toute état de cause que la clause d'élection de domicile prévue à l'acte notarié n'est pas applicable,

' se déclare incompétent pour statuer sur ces demandes,

' renvoie M. [I] à mieux se pourvoir,

' le déboute de ses fins, moyens et conclusions,

' le condamne aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à une indemnité de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [M] [J] soutient que le tribunal judiciaire de Grasse n'est pas compétent par l'effet de l'article 81 du code de procédure civile :

- sur le fondement de l'article 42 du code de procédure civile, puisque sa résidence, en tant que défendeur à l'action, au jour de l'assignation, se trouvait en Arabie Saoudite,

-sur le fondement de l'article 46 du code de procédure civile, puisque l'option de compétence de la matière contractuelle ne vaut qu'en cas de vente ou de prestation de services, ce qui n'est pas le cas ici, le litige portant uniquement sur la mise en oeuvre d'une clause pénale dans le cadre d'un compromis de vente,  

- au regard de la clause d'élection de for stipulée dans le compromis de vente, en ce qu'elle n'est pas conforme aux conditions de validité de l'article 48 du code de procédure civile et doit être réputée non écrite puisque prohibée, aucune des parties n'ayant la qualité de commerçant, et, en ce que cette clause n'est pas suffisamment apparente, ni précise, quant à la juridiction compétente, de sorte qu'elle est privée d'effet,

- au regard de la matière contractuelle concernée qui exclut les dispositions dérogatoires applicables (article 46 du code de procédure civile et règlement Bruxelles 1bis) en matière réelle immobilière, non concernée ici,

- au regard de la clause d'élection de domicile prévue dans le compromis de vente qui ne peut s'appliquer au regard de l'article 111 du code civil, puisque les parties n'ont pas la qualité de commerçant. Il estime que le premier juge a commis à ce titre une erreur de droit en ne tirant pas les mêmes conséquences pour la clause d'élection de domicile que pour la clause d'élection de for, après un raisonnement qui doit être identique.

Par dernières conclusions transmises le 26 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [R] [I] sollicite de la cour qu'elle :

' confirme l'ordonnance de mise en état du 26 mai 2023 en toutes ses dispositions,
' rejette l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [J],
' condamne M. [J] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ' condamne M. [J] aux dépens.

M. [R] [I] soutient que l'option de compétence de l'article 46 du code de procédure civile concerne toute la matière contractuelle, y compris s'agissant comme en l'espèce du paiement d'une somme au titre d'une clause pénale dans un compromis de vente.

L'intimé invoque le privilège de juridiction de l'article 14 du code civil au profit des juridictions françaises pour un demandeur de nationalité française.

Il ajoute que le règlement 1215/2012 dit Bruxelles I confère une compétence exclusive en matière immobilière à l'Etat du lieu de situation de l'immeuble, donc la France ici.

M. [R] [I] invoque la clause contractuelle incluse dans le compromis de vente portant élection de for au bénéfice des juridictions françaises, tel que voulu par les parties, bien que non commerçantes. Il entend que les dispositions de l'article 48 du code de procédure civile soient écartées, dans la mesure où la clause contractuelle se rapporte plus à la loi applicable qu'à la juridiction compétente. En tout état de cause, il fait valoir que la clause figurant en page 29 du compromis est suffisamment précise et apparente et a été acceptée par les parties.

Enfin, M. [R] [I] s'appuie sur la clause d'élection de domicile prévue dans le compromis pour asseoir son raisonnement sur la compétence des juridictions françaises, et plus spécifiquement du tribunal judiciaire de Grasse.

Par ailleurs, l'intimé met en cause la mauvaise foi de M. [M] [J] et le caractère dilatoire de cet incident, puisque l'appelant réside en Espagne depuis le 1er septembre 2022, tout en demandant le renvoi devant les juridictions saoudiennes.

L'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 28 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La Cour d'appel précise, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constatations', de 'prise d'acte' ou de 'dire et juger' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.

Sur la compétence du tribunal judiciaire de Grasse

Par application de l'article 42 du code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. S'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux. Si le défendeur n'a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s'il demeure à l'étranger.

En vertu de l'article 46 du même code, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :

- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;

- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;

- en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble ;
- en matière d'aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier.

L'article 48 du code de procédure civile édicte que toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.

L'article 111 du code civil prévoit pour sa part que lorsqu'un acte contiendra, de la part des parties ou de l'une d'elles, élection de domicile pour l'exécution de ce même acte dans un autre lieu que celui du domicile réel, les significations, demandes et poursuites relatives à cet acte pourront être faites au domicile convenu, et, sous réserve des dispositions de l'article 48 du code de procédure civile, devant le juge de ce domicile.

Enfin, en vertu de l'article 14 du code civil, l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. Cet article 14, qui donne compétence à la juridiction française en raison de la nationalité française du demandeur, n'a lieu de s'appliquer que lorsque aucun critère de compétence territoriale n'est réalisé en France ; c'est le caractère subsidiaire de ce texte par rapport à la compétence internationale ordinaire. Le juge française ne peut écarter ces dispositions dès lors que les intéressés ne renoncent pas à s'en prévaloir.

En l'occurrence, il est justifié qu'au jour de l'assignation délivrée à M. [M] [J] par M. [R] [I], le 12 août 2021, le premier, défendeur, résidait en Arabie Saoudite, alors qu'il demeure, depuis le 1er septembre 2022, en Espagne. Sur le seul critère du lieu du domicile du défendeur, le tribunal judiciaire de Grasse ne peut être considéré comme étant compétent pour statuer sur l'action en paiement de l'indemnité de 180 000 € stipulée à titre de clause pénale dans le cadre du compromis de vente signé entre les parties le 19 octobre 2020.

De même, au regard de l'article 46 du code de procédure civile sus-visé, aucune dérogation ne peut être retenue en termes de compétence, dans la mesure où, si le présent litige est incontestablement de nature contractuelle, il ne concerne ni la livraison d'une chose, ni l'exécution d'une prestation de service. En effet, l'option conférée au demandeur au titre de l'alinéa 1er de l'article 46 du code de procédure civile, ne vaut que pour certains types de contrats qui induisent la livraison d'une chose ou l'exécution d'une prestation. Or, le paiement du prix ou d'une indemnité ne peut être assimilé à de telles prestations.

Les dispositions du règlement Bruxelles I ne sont pas davantage applicables puisque le présent litige concerne la matière contractuelle, à savoir l'exécution des conditions du contrat de compromis de vente, et non la matière réelle immobilière, quand bien même l'objet de la vente envisagée était un immeuble.

S'agissant de la clause d'élection de for, il appert en effet que le compromis comporte en page 29 la clause suivante : 'compte tenu du choix de la loi française, les parties entendent que les juridictions françaises puissent être compétentes en cas de difficultés'. Toutefois, il est acquis, et non contesté au demeurant, que ni M. [M] [J], ni M. [R] [I], n'ont agi dans le cadre du présent contrat en qualité de commerçant, de sorte que cette clause attributive de compétence doit être réputée non écrite. Elle ne peut donc fonder la compétence des juridictions françaises, et plus précisément du tribunal judiciaire de Grasse.

Par ailleurs, il résulte du compromis de vente en sa page 27 que les parties ont expressément convenu d'une clause d'élection de domicile, ainsi rédigée : 'pour l'entière exécution des présentes, les parties élisent domicile en l'office notarial du notaire chargé de recevoir l'acte authentique', à savoir à [Localité 3]. Or, par le biais de cette clause d'élection de domicile, M. [R] [I] entend asseoir la compétence des juridictions françaises. En ce sens, cette clause contractuelle vaut clause attributive de compétence, et doit donc respecter les conditions et interdictions posées par l'article 48 du code de procédure civile. Or, M. [M] [J] et M. [R] [I] n'étant pas commerçants, cette clause d'élection de compétence ne peut valoir clause attributive de compétence, par principe réputée non écrite.

En définitive, aucun de ces éléments ne permet de caractériser l'un des critères de compétence de la juridiction française dans le cadre du présent litige. Cependant, M. [R] [I] se prévaut expressément aux termes de ses dernières écritures du privilège de juridiction de l'article 14 du code civil, permettant à un français, nationalité qu'il détient, d'agir devant une juridiction française, qui plus est s'agissant de l'exécution d'une obligation souscrite en France, avec un français, précisément dans le cas où la compétence de la juridiction française ne résulte d'aucun autre texte légal ou conventionnel applicable. Aucune fraude dans la mise en oeuvre de ce privilège n'est démontrée.

Dans ces conditions, il convient de retenir la compétence du tribunal judiciaire de Grasse au titre de l'action engagée le 12 août 2021 par M. [R] [I] contre M. [M] [J]. L'ordonnance contestée sera confirmée, par substitution de motifs.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

M. [M] [J], qui succombe au litige sera débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de M. [R] [I] les frais, non compris dans les dépens, qu'il a exposés pour sa défense. L'indemnité qui lui a été alloué à ce titre en première instance sera confirmée et il convient de lui allouer une indemnité complémentaire de 2 500 euros en cause d'appel.

L'appelant supportera en outre les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du 26 mai 2023 entreprise en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant :

Condamne M. [M] [J] à payer à M. [R] [I] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [M] [J] de sa demande sur ce même fondement,

Condamne M. [M] [J] au paiement des dépens.